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Date : 20050531

Dossier : IMM-4833-04

Référence : 2005 CF 750

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

JANAK HEWAGAMA (alias JANAK CHANDRAKU HEWAGAMA)

NIMALKA HEWAGAMA (alias NIMALKA DILRUKS HEWAGAMA)

REHAN HEWAGAMA (alias REHAN ASHENDRA HEWAGAMA)

DEVNI HEWAGAMA (alias D Y HEWAGAMA)

SUHASHA HEWAGAMA (alias S S HEWAGAMA)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Pour la Cour, tenant une audience de contrôle judiciaire et non d'appel, tirer la conclusion qu'une décision avec motifs à l'appui est manifestement déraisonnable (conformément à la norme de contrôle) exige davantage qu'un manque de corroboration de certains points, que la Cour peut néanmoins signaler. Si le tribunal de première instance, le juge des faits, met en lumière des incohérences au coeur du témoignage pour appuyer la conclusion d'invraisemblance, proposant des raisons uniquement adéquates de conclure que les allégations d'un demandeur ne sont pas crédibles ou vraisemblables, alors la Commission a le droit de rejeter une partie ou l'ensemble de la documentation présentée à l'appui des allégations.

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (LIPR), visant la décision en date du 28 avril 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la demande des demandeurs en vue de se faire reconnaître la qualité de « réfugié » en vertu de l'article 96 et la qualité de « personne à protéger » en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR.

CONTEXTE

[3]                Janak Hewagama, le demandeur principal, son épouse, Nimalka Hewagama, et leurs trois enfants sont des Cingalais du Sri Lanka. Ils prétendent craindre avec raison d'être persécutés du fait des opinions politiques de M. Hewagama et de leur appartenance à un groupe social, soit leur famille.

[4]                Les faits allégués, tels que décrits par la Commission, sont les suivants. M. Hewagama s'est joint au Sri Lanka Freedom Party en 1994. Après la défaite électorale du parti de l'Alliance

populaire (AP) en 2001, il a reçu deux menaces de mort au téléphone; il a supposé que ces menaces provenaient du Parti national uni (PNU). Il a déclaré s'être rendu en Angleterre pour éviter la violence post-électorale des partisans du PNU; de plus, il s'est renseigné au sujet de la possibilité d'obtenir le statut de réfugié durant son séjour, mais on l'a avisé que sa demande serait rejetée. À la suite du décès de son père en juillet 2002, il est rentré au pays pour les funérailles et a repris ses activités politiques. En août 2002, des partisans du PNU, armés de fusils, ont attaqué M. Hewagama et un collègue militant, Rohana, pendant qu'ils distribuaient des tracts dans la région de Kaduwela, où ils exerçaient tous deux leurs activités pour le compte de l'AP. Ils ont signalé l'attaque à la police, en vain. En septembre 2002, il a reçu une menace de mort au téléphone. En novembre 2002, des inconnus (ou des personnes non identifiées) sont venues chez lui, en son absence, et ont menacé son épouse qui avait répondu à la porte; ces inconnus (ou personnes non identifiées) ont été chassées de la maison par un parent. M. Hewagama a reçu un appel téléphonique le lendemain : on menaçait d'enlever ses enfants s'il ne mettait pas fin à ses activités pour le compte de l'AP. La famille s'est cachée, puis a quitté le Sri Lanka le 10 décembre 2002, à la suite de l'assassinat de Rohana, le collègue militant, le 8 décembre 2002. M. Hewagama a reçu de nombreuses autres menaces de mort après son départ du Sri Lanka.

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[5]                La Commission a conclu que M. Hewagama n'était pas crédible, car son témoignage était contradictoire. Il a d'abord déclaré qu'il n'avait pas de visa pour quitter le pays. Par la suite, il a déclaré, après que la Commission a signalé qu'il avait eu un visa à compter du 30 septembre 2002, qu'il n'aurait pu quitter le pays parce qu'il devait acheter des billets d'avion et vendre la maison et les véhicules; il avait de nombreux parents qui auraient pu l'aider dans ces tâches, mais il avait choisi de tout faire lui-même. Le fait que M. Hewagama s'est réclamé à nouveau de la protection de son pays pour une longue période et que la famille a tardé à quitter le Sri Lanka ont miné davantage sa crédibilité.

QUESTION EN LITIGE

[6]                La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande du demandeur?

ANALYSE

[7]                Premièrement, il faut rappeler qu'il faut lire les motifs exposés par la Commission dans leur ensemble. À la lumière d'une telle lecture, la Cour est convaincue que la Commission a compris les faits liés à la demande de la famille Hewagama et a tiré une conclusion raisonnable, soit que la preuve ne suffisait pas à justifier une décision favorable. Il y a des conclusions importantes qui demeurent incontestées, notamment : M. Hewagama a d'abord affirmé qu'il n'avait pas de visa pour quitter le pays, mais a par la suite donné une autre raison pour être resté au pays; il est demeuré au Sri Lanka pendant une longue période après les funérailles de son père, après être resté à l'extérieur du pays, semble-t-il pour protéger sa vie. Il y a un autre facteur, bien qu'il ne soit pas déterminant à lui seul : l'expression du visage de Mme Hewagama et de son fils, qui semblait indiquer qu'ils n'étaient pas heureux des réponses de M. Hewagama.

[8]                M. Hewagama fait valoir que la Commission a commis trois erreurs. Premièrement, M. Hewagama affirme que la Commission a commis une erreur en décidant de ne pas accorder de poids à certains documents personnels, compte tenu de la facilité avec laquelle il est possible d'obtenir de faux documents au Sri Lanka. La Commission a écrit :

Le demandeur a présenté de nombreux documents à l'appui de sa demande, et même s'il avait pu participer aux activités du PA [de l'Alliance populaire] à un moment donné, je conclus que je ne peux accorder de valeur probante à tous ses documents. Comme il est facile d'obtenir de faux documents, p. ex., des mandats d'arrestation et des passeports au Sri Lanka, on peut envisager, selon la prépondérance des probabilités, que l'on puisse se procurer d'autres documents qui ne sont pas basés sur la vérité [...]

La Commission a par la suite énuméré les documents présentés par M. Hewagama.

[9]                La Cour convient que le seul fait qu'il est facile de se procurer de faux documents dans un pays ne permet pas de conclure qu'il ne faut pas tenir compte des documents présentés. La Commission aurait pu préciser que, compte tenu de sa conclusion suivant laquelle le récit de M. Hewagama dans son ensemble n'était pas crédible, elle n'avait pas accordé de poids à la preuve documentaire personnelle, qui visait, selon elle, à appuyer un récit qu'elle n'avait pas jugé crédible. Il est évident, à la lecture de la décision de la Commission, que le manque de crédibilité du récit de M. Hewagama sous-tend le raisonnement de la Commission. Néanmoins, la Cour n'estime pas que cela soit préjudiciable, à la lumière de l'ensemble de la preuve.

[10]            Deuxièmement, M. Hewagama fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il ne fallait pas accorder de poids au témoignage des membres de la famille du fait que ces derniers avaient un intérêt dans l'issue de la demande. La Commission a écrit :

L'épouse du demandeur et son fils de 19 ans ont appuyé les allégations du demandeur et témoigné à l'égard de l'incident du 15 novembre 2002. Je conclus que ces deux témoins n'ajoutent pas de valeur probante à l'ensemble du témoignage, car ils ont un intérêt indéniable dans l'issue positive de l'examen de leurs demandes.

[11]            De plus, bien qu'il soit reconnu que la Commission ne peut tout simplement ne pas tenir compte des témoignages en raison des liens de parenté entre deux témoins ou plus et qu'elle doive évaluer la crédibilité de chaque témoin séparément, étant donné que les témoignages de l'épouse et du fils ont été présentés uniquement pour confirmer certains éléments du récit de M. Hewagama, dans lequel la Commission avait déjà relevé une faille significative inhérente, l'absence d'une évaluation claire et sans équivoque de la crédibilité de la part de la Commission ne justifie rien de plus que le signalement de ce point par la Cour.

[12]            Troisièmement, M. Hewagama fait valoir que la Commission a commis une erreur en évaluant la preuve concernant l'allégation qu'il s'était caché. En ce qui concerne la section de la transcription portant sur cette question, la Cour est d'accord avec la Commission que les explications présentées au sujet du moment où M. Hewagama et son épouse ont cessé de travailler et où les enfants ont cessé d'aller à l'école, ont pour effet, à tout le moins, de susciter la confusion (sinon de contredire la nature même de la notion de vivre caché); la Cour ne peut réprouver la Commission d'avoir douté de la crédibilité de M. Hewagama sur ce point, car la seule explication des divergences de dates renvoie aux Formulaires de renseignements personnels, qui semblent également comporter des inexactitudes.

[13]            Dans l'ensemble, les motifs de la Commission exposent de manière adéquate les failles du témoignage de M. Hewagama. La Cour est convaincue que la Commission, à titre de juge des faits et tribunal spécialisé, a tiré une conclusion qu'il lui était loisible de tirer.

CONCLUSION

[14]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour répond à la question par la négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n'est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4833-04

INTITULÉ :                                                    JANAK HEWAGAMA

(alias JANAK CHANDRAKU HEWAGAMA)

NIMALKA HEWAGAMA

(alias NIMALKA DILRUKS HEWAGAMA)

REHAN HEWAGAMA

(alias REHAN ASHENDRA HEWAGAMA)

DEVNI HEWAGAMA

(alias D Y HEWAGAMA)

SUHASHA HEWAGAMA

(alias S S HEWAGAMA)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 31 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff                                                 POUR LES DEMANDEURS

Alison Engel Yan                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates                                   POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice et

Sous-procureur général du Canada



[1] L.C. 2001, ch. 27.

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