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Date : 20041125

Dossier : IMM-488-04

Référence : 2004 CF 1660

Toronto (Ontario), le 25 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                       BEHROUZ SOLEIMANIAN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Soleimanian a subi un test à l'égard de ses connaissances religieuses lorsqu'il a comparu devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) pour l'audition de sa demande d'asile. Il prétendait avoir été un musulman chiite et être maintenant exposé à de la persécution en Iran parce qu'il s'est converti au christianisme. La Commission l'a pressé de questions afin d'établir s'il avait en fait été un chiite avant de professer sa nouvelle foi. Il a échoué au test.


[2]                La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas les connaissances de base à l'égard de l'histoire chiite et de la famille du prophète Mahomet et que, par conséquent, il manquait de crédibilité. De plus, la Commission a statué que les documents fournis pour corroborer ses prétentions, une lettre de la mosquée et une photocopie de l'inscription du mariage de ses parents, n'étaient pas authentiques et avaient été fabriqués pour étayer sa demande.

[3]                Les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions tirées à l'égard de la question de savoir si M. Soleimanian était un musulman chiite qui s'était converti?

La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle les documents fournis pour corroborer les prétentions n'étaient pas authentiques?

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a omis de fournir une analyse séparée à l'égard de l'article 97?


La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions tirées à l'égard de la question de savoir si M. Soleimanian était un musulman chiite qui s'était converti?

[4]                Le demandeur prétend que la méthode adoptée par la Commission dans la présente instance était bizarre. Les questions de la Commission se rapportaient seulement à la religion chiite au lieu de porter sur la conversion qui était au coeur de la demande. La conclusion selon laquelle il n'était pas digne de foi parce qu'il manquait de connaissances à l'égard de l'islam est manifestement déraisonnable étant donné qu'il n'y avait pas de preuve qu'il avait déjà eu des connaissances à cet égard. Il n'est guère surprenant qu'un individu qui s'est converti à une autre religion ne soit pas un [TRADUCTION] « bon » musulman. Après tout, il a rejeté l'islam pour le christianisme. Le demandeur soutient qu'il aurait été plus raisonnable pour la Commission de chercher à éclaircir ses connaissances à l'égard du christianisme afin d'établir si sa conversion était légitime.


[5]                Le défendeur prétend que dans le contexte de la décision dans son ensemble, il est clair que la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas établi qu'il était un converti parce qu'il n'avait pas établi qu'il avait déjà été un chiite. Les conclusions de la Commission étaient raisonnables. Compte tenu du témoignage à l'égard de l'étendue de la participation du demandeur à la vie et aux rites musulmans jusqu'à l'âge de 15 ans, la Commission pouvait conclure qu'il était invraisemblable qu'il n'ait pas les connaissances de base que tout chiite devrait avoir. Le fait qu'il se soit converti passablement récemment n'est pas pertinent. Une conversion n'efface pas toute une vie d'endoctrinement : voir la décision Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81.

[6]                Bien que je partage l'opinion du demandeur selon laquelle il peut ne pas être surprenant qu'un homme de 38 ans puisse ne pas avoir une compréhension profonde de la doctrine de la religion dans laquelle il a été élevé, je ne peux être d'avis que les conclusions tirées par la Commission à l'égard de la crédibilité du demandeur étaient manifestement déraisonnables. Il ressort de façon évidente du dossier de l'audience tenue devant la Commission qu'elle avait des connaissances particulières à l'égard de la foi chiite. Les questions posées au demandeur se rapportaient aux éléments de base de cette foi qui seraient familiers à quiconque a été élevé dans cette religion. Il ne s'agissait pas de questions qui auraient nécessité que le demandeur ait fait des études en théologie pour y répondre, mais plutôt de questions qui traitaient des principes essentiels dont le demandeur aurait été imprégné en assistant à des fêtes religieuses à la mosquée locale, comme il a témoigné l'avoir fait jusqu'à l'âge de 15 ans.


[7]                Au coeur de la demande, il y avait l'allégation de la conversion religieuse du demandeur qui avait entraîné de la persécution du fait de son apostasie. En l'absence d'un élément de preuve digne de foi permettant de conclure que M. Soleimanian avait déjà été un chiite, il n'y avait pas de fondement crédible permettant de conclure qu'il serait persécuté en raison de sa conversion. L'authenticité de la conversion au christianisme ou les connaissances du demandeur à l'égard du christianisme peuvent certainement être en litige dans certaines demandes d'asile, mais dans la présente affaire, l'enquête n'a pas atteint ce point. La Commission pouvait rejeter la demande en se fondant seulement sur sa conclusion selon laquelle M. Soleimanian n'avait jamais été un chiite et ne s'était pas converti. Par conséquent, il ne serait pas exposé à de la persécution du fait de cette conversion.

La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle les documents fournis pour corroborer les prétentions n'étaient pas authentiques?

[8]                Au cours de l'audience devant la Commission, à la suite de questions à l'égard du manque de preuve appuyant la demande présentée par le demandeur, ce dernier et l'avocat qui le représentait alors ont offert de trouver et de présenter des documents à cet égard. L'avocat s'est engagé à écrire à une mosquée située près de l'endroit où vivait la famille du demandeur afin d'obtenir une confirmation que les membres de la famille étaient des musulmans. À la suite de l'audience, l'avocat a adhéré à la préoccupation du demandeur selon laquelle une lettre d'un avocat canadien soulèverait des doutes et il a accepté que le demandeur écrive à la mosquée.


[9]                Dans une lettre datée du 28 novembre 2003 adressée à la Commission, trois semaines après l'audience, l'avocat a présenté une photocopie d'un document décrit comme le certificat de mariage des parents du demandeur dans lequel la religion est décrite comme étant l'islam. En outre, l'avocat a présenté un document décrit comme la lettre envoyée par le demandeur à la mosquée comportant un appui apparent de la mosquée par une confirmation du statut religieux du demandeur. Il n'y avait pas d'en-tête ou de coordonnées sur le papier et l'enveloppe originale n'était pas incluse.

[10]            L'avocat a reconnu dans la lettre datée du 28 novembre que la Commission ait pu avoir des préoccupations à l'égard de la lettre de la mosquée, mais il a souligné que le certificat de mariage était un document délivré par le gouvernement et qu'on devrait s'y appuyer pour établir que le demandeur était né dans une famille musulmane.

[11]            La Commission a rejeté l'explication du demandeur à l'égard des raisons pour lesquelles il avait écrit à la mosquée lui-même et a conclu que la lettre et le certificat de mariage n'étaient pas authentiques. À l'égard de la lettre, la Commission a souligné la forme peu satisfaisante sous laquelle elle avait été présentée. À l'égard du soi-disant certificat de mariage, qui selon la Cour semble plus être de la nature d'une inscription dans un registre de mariage, la Commission a mentionné qu'un document original n'avait pas été fourni, que le document était écrit à la main et qu'il ne portait pas de date de délivrance.

[12]            Lors de l'audience dans la présente instance, l'avocat actuel du demandeur a reconnu que la conclusion à l'égard de la lettre de la mosquée n'était pas manifestement déraisonnable.


[13]            Le demandeur prétend, cependant, que le certificat de mariage était un document officiel et aurait donc dû être accepté en l'absence de preuve démontrant qu'il n'était pas authentique. Le document a été fourni à la demande de la Commission, alors si elle avait des préoccupations, la Commission avait une obligation de demander le document original ou de faire connaître ses préoccupations : voir la décision Bie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1997] A.C.F. no 576 (1re inst.).

[14]            La possibilité de présenter des éléments de preuve à l'égard de la forme des certificats de mariage délivrés 45 ans plus tôt ou de présenter le document original n'a pas été offerte au demandeur. Le demandeur n'a pas eu une possibilité valable de participer à l'audience en raison de cette omission : voir l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[15]            Le demandeur cite de nombreux précédents jurisprudentiels pour appuyer la prétention selon laquelle la Commission n'a pas une expertise à l'égard des documents étrangers. Elle doit fonder sa conclusion sur la preuve : voir les décisions Ramaligam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 10, Chidambaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 66, Nika c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 656, Ratheeskumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1232, Osipenkov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 57, Halili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 999, et Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 224.


[16]            Le défendeur prétend que le document relatif au mariage a été présenté après que la préoccupation à l'égard des antécédents chiites du demandeur a été soulevée dans le dossier et il prétend que la Commission pouvait conclure que le document ne dissipait pas ses préoccupations quant à la crédibilité. La Commission a l'expertise pour établir la force probante qui doit être accordée aux documents : voir les décisions Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 850, Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 863, au paragraphe 6; et Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (1re inst.).

[17]            Le défendeur prétend qu'il n'est pas suffisant pour le demandeur, lorsqu'il existe des préoccupations à l'égard de la crédibilité, de simplement déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique. Une certaine confirmation est nécessaire et il appartient au demandeur de prouver l'authenticité du document : voir la décision Hamid, précitée. Il n'appartient pas à la Commission de prouver que le document est frauduleux : voir la décision Kanyai, précitée. Les décisions citées par le demandeur sont distinctes étant donné qu'elles concernent des documents originaux, non des photocopies, comme c'est le cas dans la présente affaire.


[18]            Dans la décision Sadeghi-Pari c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 282, j'ai conclu que la Commission n'avait aucune expertise particulière ou ne disposait d'aucun élément de preuve pour l'aider à établir si les documents iraniens étaient valides et que dans cette affaire elle avait commis une erreur en omettant de donner au demandeur une possibilité appropriée de dissiper ses préoccupations à l'égard du document en question, une assignation policière. Les faits dans la présente affaire sont passablement différents puisque le certificat de mariage contesté a été fourni après une audience au cours de laquelle la crédibilité du demandeur a été sérieusement minée par son incapacité à répondre à des questions de base à l'égard de la religion dans laquelle il prétendait avoir été élevé. Le demandeur a alors offert de fournir des éléments de preuve documentaire au soutien de sa demande. La Commission a examiné les documents présentés et a tiré des conclusions défavorables quant à leur validité. La Commission pouvait tirer cette conclusion qui, à mon avis, n'était pas manifestement déraisonnable.

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a omis de fournir une analyse séparée à l'égard de l'article 97?

[19]            Aux pages 11 et 12 des motifs de la Commission, il y a ce qui est présenté comme une analyse à l'égard de l'article 97. Le défendeur a reconnu lors de l'audience que cette analyse [TRADUCTION] « n'était pas la meilleure effectuée à cet égard » . J'irais plus loin pour suggérer que cette analyse n'équivalait à aucune analyse que ce soit. La Commission a simplement récité l'essentiel du contenu de l'article 97 et a tiré une conclusion selon laquelle les risques décrits dans cet article ne s'appliquent pas à ce demandeur.

[20]            Le demandeur prétend que l'analyse n'a pas fourni des motifs appropriés et qu'elle équivaut ainsi à un manquement à l'équité : voir la décision Lee c. College of Physicians and Surgeons (2003), 66 O.R. (3d) 592 (Cour div.), et l'arrêt Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.).

[21]            Le défendeur prétend qu'indépendamment de la faiblesse de l'analyse effectuée à l'égard de l'article 97, c'est le manque de crédibilité du demandeur qui était déterminant quant à tous les motifs de protection. Même si la Commission a effectivement commis une erreur, l'erreur n'est pas importante dans le contexte de la présente affaire et il serait alors inutile de renvoyer à la Commission l'affaire afin qu'elle soit tranchée à nouveau : voir la décision Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1211.

[22]            La Cour semble être arrivée à un consensus selon lequel une analyse séparée de l'article 97 n'est pas requise lorsqu'il n'y a pas de preuve pouvant démontrer que le demandeur a la qualité de personne à protéger : voir les décisions Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 635, Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1391, Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1119, et Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1008.

[23]            Dans la décision Bouaouni, précitée, il a été statué que la Commission a traité des documents dont elle disposait et qu'en raison de contradictions importantes dans la preuve du demandeur, les conclusions quant à la crédibilité défavorables qu'elle a tirées étaient fondées sur des éléments de preuve non crédibles et que, à part ceux-ci, « il n'y en avait pas d'autres » qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Par conséquent, dans cette affaire, même si la Commission a commis une erreur en omettant d'effectuer une analyse séparée de la demande suivant l'article 97 de la LIPR, la Cour a statué que, compte tenu de la preuve, la Commission pouvait tirer la conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas une « personne à protéger » suivant les alinéas 97(1)a) et b).

[24]            Dans la décision Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 245 F.T.R. 52 (1re inst.), j'ai conclu qu'il y avait certains éléments de preuve démontrant que, indépendamment de la décision à l'égard de la question de savoir s'il était un réfugié au sens de la Convention, le demandeur serait exposé à des traitements ou peines cruels ou inusités parce qu'il était un conscrit réfractaire. Dans la présente affaire, la Commission ne disposait pas d'autres éléments de preuve démontrant que M. Soleimanian avait la qualité de personne à protéger. Sa demande d'asile reposait entièrement sur son affirmation selon laquelle il serait persécuté du fait de son apostasie. Il n'y avait pas un autre fondement permettant de conclure que le demandeur avait la qualité de personne à protéger suivant l'article 97.

[25]            Par conséquent, la présente demande sera rejetée. Aucune question de portée générale n'a été proposée et aucune ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-488-04

INTITULÉ :                                                    BEHROUZ SOLEIMANIAN

                                                                                                                                           demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                               POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20041125

                                              Dossier : IMM-488-04

ENTRE :

BEHROUZ SOLEIMANIAN

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                   


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