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Date : 20040915

Dossier : IMM-3559-03

Référence : 2004 CF 1248

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                    JOY NOSA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par un agent d'examen des risques avant renvoi (l'agent) le 16 avril 2003 (la décision), laquelle fut transmise à la demanderesse le 29 avril 2003 par lettre datée du 22 avril 2003.

L'HISTORIQUE


[2]                La demanderesse est une citoyenne nigérienne née le 7 avril 1965. Le 5 octobre 2002, elle a épousé Kelly Obas, un citoyen nigérien, lequel fut reconnu réfugié au sens de la Convention par l'ancienne Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 14 mai 2002.

[3]                La demanderesse est entrée au Canada pour la première fois le 23 janvier 1997 et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. À cette époque, elle était mariée à John Edosa et elle a déclaré ce qui suit concernant le motif de sa venue au Canada : [traduction] « John Edosa et moi étions persécutés par le gouvernement nigérien » . Elle est retournée au Nigéria en mars 1997, après que M. Edosa l'eut informée qu'[traduction] « il avait été libéré et que le problème auquel [ils étaient] confrontés était maintenant disparu » . La demanderesse n'a pas informé les autorités canadiennes de l'Immigration qu'elle quittait le Canada, malgré qu'une mesure d'interdiction de séjour eût été prise contre elle.

[4]                La demanderesse est retournée au Canada le 18 décembre 2001 et a tenté de faire valoir ses droits au statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsqu'elle est entrée au Canada, elle a été déclarée inadmissible à présenter une revendication parce qu'elle n'avait pas obtenu la confirmation de son départ de la part d'Immigration Canada avant qu'elle quitte en 1997. La demanderesse a déclaré dans sa réponse aux points 51 et 53 de sa demande d'ERAR qu'elle avait fui le Nigeria en décembre 2001 parce que son mari d'alors, John Edosa, était mort le 15 octobre 2001. Elle a déclaré que, selon les pratiques culturelles de son groupe ethnique, la tribu Edo, les veuves sont soumises à un traitement que la demanderesse a décrit par les mots « persécution » et « torture » .

[5]                La demanderesse a affirmé que la famille de M. Edosa l'avait obligée à effectuer divers [traduction] « rituels de la mort » immédiatement après la mort de son mari. Elle a dû porter une robe noire pendant au moins un an. Elle a affirmé qu'on lui avait infligé des [traduction] « souffrances et un traitement dégradant » pendant sept jours. Elle a décrit la situation de la manière suivante :

[traduction]

On m'a obligée à m'asseoir et à dormir sur un plancher nu, à manger avec ma main gauche, malgré que je sois droitière, à même des assiettes sales, pendant que le rituel se déroulait. On m'a ensuite fait boire l'eau qui avait servi à laver le corps du défunt et on m'a fait manger une noix de cola avec des poils pubiens et des ongles prélevés sur le corps du défunt après que j'ai eu transpiré dessus. Puis, le dernier jour du rite, on m'a déshabillée vers 3 h ou 4 h du matin et on m'a demandé de marché dans quelques rues et de crier certaines incantations à sept reprises. J'ai été soumise à cette souffrance et à cette torture devant la famille de mon défunt mari.

[6]                La demanderesse a ensuite décrit comment, quelques semaines après le déroulement du rituel de la mort, elle et son enfant ont été [traduction] « donnés » au chef Ogie Edosa, le frère de son défunt mari. La demanderesse a déclaré ce qui suit : [traduction] « J'étais censée devenir son épouse » . Elle est allée se réfugier à la maison de ses parents, mais ceux-ci ont refusé de l'héberger et l'ont prié de retourner dans la famille de son défunt mari à qui, selon eux, elle « appartenait » maintenant.


[7]                La demanderesse a affirmé que, le 29 novembre 2001, six hommes l'ont enlevée dans la maison de ses parents et l'ont ramenée à la maison du chef Edosa. Elle affirme qu'elle a été enfermée dans une pièce où on l'a attachée par les mains au montant d'un lit de bois. Elle affirme qu'elle a été violée par le chef Edosa presque quotidiennement pendant une période de deux semaines. Elle affirme qu'elle s'est enfuie avec l'aide de l'une des épouses du chef Edosa qui l'a aidée à s'enfuir dans un endroit sûr qui avait été préparé par sa mère. De là, elle a pris des dispositions pour quitter le Nigeria.

[8]                La demanderesse a décrit sa situation au Canada de la manière suivante :

[traduction]

Depuis que je suis au Canada, je suis devenue intime avec M. Kelly Itua Obas et je l'ai épousé. Celui-ci s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention le 14 mai 2002 par l'ancienne Section du statut de réfugié. Kelly et moi nous sommes mariés le 5 octobre 2002. Une copie du Formulaire de renseignements personnels de mon époux est jointe aux présentes. Je crains que, en plus des problèmes dont j'ai parlé dans les paragraphes susmentionnés, si je devais retourner au Nigeria, les mêmes personnes qui l'ont persécuté, c'est-à-dire le State Security Service et la police, me persécuteraient également, tout simplement parce que je suis son épouse.

[9]                La demanderesse s'est vu signifier un avis que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration instruirait une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR). Le formulaire de demande de l'ERAR a été livré au 6855, Airport Road, le 29 janvier 2003.

[10]            D'autres éléments de preuve et d'autres observations émanant de la demanderesse ont été livrés au 6855, Airport Road, le 12 février 2003 et le 13 février 2003. Les deux ensembles sont datés du 12 février 2003. Dans le premier ensemble, l'avocat a demandé expressément que l'agent de l'ERAR songe à tenir une entrevue avec la demanderesse. L'avocat de la demanderesse a écrit ce qui suit :

[traduction]


Veuillez prendre note que Mme Nosa n'a pas été devant la SSR. Elle a présenté une demande de statut de réfugié lorsqu'elle est arrivée au Canada en 1997, mais elle est partie trois mois plus tard, avant qu'il soit statué sur sa demande. Comme Mme Nosa n'a pas informé Immigration Canada de son départ en 1997, elle est présumée non admissible à présenter une revendication du statut de réfugié lors de son arrivée en décembre de l'an dernier.

Pour cette raison, nous incitons l'agent chargé de statuer sur l'ERAR d'examiner sérieusement les circonstances énoncées à l'article 167 du Règlement quant à savoir s'il est nécessaire de tenir une audience. La demanderesse serait heureuse d'y assister, tout comme moi, à une date convenant aux deux parties.

[11]            Le 2 avril 2003, avant que la décision ne soit rendue, l'avocat de la demanderesse a envoyé par télécopie une copie d'un courriel comprenant une lettre provenant d'un expert, la Dre Patience Elabor Idemudia, Ph.D., professeure agrégée de Sociologie à l'université de la Saskatchewan, sur la situation des femmes Edo au Nigeria. Le 7 avril 2003, la lettre initiale comprenant le même texte que la lettre du 2 avril a été livrée par messager au 6855, Airport Road. La professeur Elabor-Idemudia a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je m'appelle Dre Patience Elabor-Idemudia et je suis professeure de sociologie à l'université de Saskatchewan. Je suis une Canadienne d'origine africaine qui vient du Nigeria, plus précisément de l'Edo. Je possède une bonne connaissance des pratiques traditionnelles du peuple Edo en matière de veuvage puisque j'appartiens à cette culture et puisque je donne depuis des années des cours sur la famille dans le cadre desquels les différences entre les différentes cultures, notamment la culture africaine, sont analysées. De plus, je suis également membre du Women's Rights Watch du Nigeria et j'ai participé à la défense des droits des veuves au Nigeria ainsi que dans l'Edo. Un projet de loi a récemment été adopté (en 2002) dans l'Edo afin de mettre un frein aux mauvais traitements infligés aux veuves du Nigeria. On est actuellement en train d'élaborer un cadre favorisant une mise en application réussie.

J'ai lu l'histoire de la mort de l'époux de Mme Joy Nosa et du supplice qui lui a été par la suite infligé par ses parents par alliance. L'expérience qu'elle a vécue n'est pas rare chez les Edos, au Nigeria, lesquels, face à la mort d'un parent, tiennent souvent le conjoint survivant de ce parent responsable de sa mort. Les rituels de la mort visent souvent à punir la veuve survivante en la soumettant à un traitement humiliant et désagréable semblable à celui que Mme Nosa raconte dans son histoire. Le traitement désagréable infligé à la veuve est considéré comme une expiation pour le rôle qu'elle a pu jouer dans la mort de son époux. Aucun fardeau de la preuve (autre que d'être une épouse survivante) n'est exigé pour que le mauvais traitement soit infligé. Il est intéressant de noter que des normes semblables ne sont pas appliquées aux veufs parce qu'ils sont de sexe masculin et sont donc plus valorisés.


Si ce que raconte Mme Nosa dans son histoire quant aux circonstances dans lesquelles elle a fui le Nigeria est vrai (et cela est possible selon moi), il est fort probable qu'elle soit à nouveau victime de persécution et de mauvais traitements si elle est renvoyée au Nigeria. Il en est ainsi parce qu'elle est maintenant considérée comme une traîtresse qui a défié les pratiques traditionnelles de sa famille en matière de procréation et, par conséquent, mérite d'être punie sans être interrogée par ses parents quant à son orientation ou quant au droit. C'est ce fait que des groupes d'intérêt informés invoquent pour influencer et exercer des pressions sur le législateur pour qu'il adopte la Widowhood Rights Law dans l'état d'Edo. De nombreuses veuves ont souffert sous le couvert de la tradition et continuent de souffrir aux mains de leurs parents par alliance après la mort de leurs époux. Certaines ont même été mutilées ou tuées dans le processus sans aucune conséquence pour les auteurs de ces actes.

Quant à la question de s'adresser à la police ou aux agents d'application de la loi au Nigeria, il s'agit là d'une perte de temps car justice n'est rendue qu'aux personnes qui corrompent les agents d'application de la loi. Mme Nosa a bien fait de s'enfuir du pays si son beau-frère, M. Edosa, est aussi puissant et influant qu'elle le prétend. Les tueurs à gages sont assez répandus au Nigeria et si une personne s'estime à ce point lésée qu'elle désire éliminer un présumé délinquant, elle peut le faire en ayant recours à des tueurs à gages. De plus, les cas qui sont signalés à la police au Nigeria font l'objet d'une longue enquête et, entre-temps, il peut arriver n'importe quoi au plaignant, voir même une mort mystérieuse.

Si je me fie au récit qu'a fait Mme Nosa du supplice qui lui a été infligé, j'estime qu'elle mérite que l'on songe à lui accorder l'asile ici, au Canada. L'adoption des Widowhood Rights dans l'état d'Edo ne garantit pas que la mise en oeuvre sera mise en branle immédiatement car le cadre de la mise en oeuvre est encore à l'étape de l'élaboration. Pour le moment, les causes de veuvage sont traitées cas par cas et on en est encore au stade expérimental. Il est difficile d'évaluer le succès obtenu grâce à la nouvelle loi en ce qui a trait à l'aide apportée aux veuves en raison du fait que la loi n'est que très récente.

[12]            La preuve de la professeure Elabor-Idemudia n'est mentionnée nulle part dans le libellé des motifs de l'agente, quoique l'agente mentionne que, parmi les sources consultées, elle a examiné les [traduction] « Observations de la demanderesse en entier » . Toutefois, l'extrait qui suit figure dans le résumé de l'agente sous le titre [traduction] « Risques identifiés par la demanderesse » :

La demanderesse, Joy NOSA, prétend que si elle est renvoyée au Nigeria ses parents par alliance lui feront subir un traitement humiliant et désagréable en raison de la mort de son mari. Il est fort probable qu'elle soit à nouveau victime de persécution et de mauvais traitements parce qu'elle est maintenant considérée comme une traîtresse qui a défié les pratiques traditionnelles de sa famille.

[13]            On retrouve la formulation particulière suivante dans le texte de la lettre de la professeure Elabor-Idemudia :

[traduction]

[...] il est fort probable qu'elle soit à nouveau victime de persécution et de mauvais traitements si elle est renvoyée au Nigeria. Il en est ainsi parce qu'elle est maintenant considérée comme une traîtresse qui a défié les pratiques traditionnelles de sa famille en matière de procréation et, par conséquent, mérite d'être punie sans être interrogée par ses parents quant à son orientation ou quant au droit.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE JUDICIAIRE

[14]            L'agente a conclu que l'agente ne serait pas exposée au risque de persécution ou de torture, à un danger de mort ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités si elle était renvoyée au Nigeria, et ce, pour les raisons suivantes : i) il n'existait aucun fondement objectif; ii) il y aurait une protection adéquate de la part de l'État; iii) de toute façon, la demanderesse pourrait bénéficier d'une possibilité de refuge intérieur.


[15]            La demanderesse a prétendu qu'elle serait soumise à des rituels de la mort et serait contrainte à marier le chef Edosa, le frère de son époux décédé. En concluant qu'il n'existait aucun fondement objectif quant aux craintes de la demanderesse, l'agente a souligné que la preuve documentaire a révélé que les rituels de la mort commencent immédiatement après la mort de l'époux et peuvent continuer pendant un an. De plus, l'état d'Edo a adopté des lois pour protéger les veuves des rituels de la mort. De plus, l'agente a souligné que, selon la preuve documentaire, il n'y avait pas de mariages forcés dans l'état d'Edo. L'agente a également souligné le fait que la demanderesse était maintenant mariée avec un citoyen canadien qui vit au Canada depuis 1991.

[16]            Par conséquent, l'agente a conclu que, compte tenu de la preuve documentaire, la crainte qu'a la demanderesse d'être soumise à des rituels de la mort et d'être contrainte de se marier n'est pas fondée sur le plan objectif.

[17]            L'agente a de plus conclu que la demanderesse pourrait bénéficier d'une protection adéquate et efficace de la part de l'État. À cet égard, l'agente a souligné que la demanderesse n'a pas démontré qu'elle s'était plainte auprès des sources de secours accessibles ou réclamé la protection des sources de secours accessibles au Nigeria avant de quitter pour le Canada. L'agente a notamment souligné que des lois avaient été mises en vigueur dans l'état de l'Edo pour protéger les veuves contre les rituels de la mort et que, d'une manière générale, le Nigeria est un état démocratique qui est doté d'institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens et que le gouvernement nigérien a fait des efforts sérieux pour procurer de la protection à ses citoyens et continue d'améliorer la norme de protection.


[18]            L'agente a conclu subsidiairement que la demanderesse disposait d'une possibilité de refuge intérieur viable. À cet égard, l'agente a souligné que la demanderesse avait la possibilité de vivre ailleurs au Nigeria et que la preuve documentaire a révélé qu'il y avait de nombreuses villes importantes au Nigeria autre que Benin. L'agente a souligné que, après avoir élu domicile à l'extérieur de Benin, elle pouvait éviter les parents de son défunt mari. L'agente a également souligné qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve montrant que la famille du mari décédé serait au courant de son retour ou de ses allées et venues. Par conséquent, l'agente était convaincue qu'il n'existait aucune possibilité sérieuse de persécution ailleurs au Nigeria et qu'il ne serait pas trop sévère de s'attendre à ce que la demanderesse déménage dans une autre partie moins hostile du pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger.

[19]            En ce qui concerne les motifs de protection énumérés à l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), l'agente a conclu que l'alinéa 97(1)a) ne s'appliquait pas parce qu'il n'y avait aucune preuve de torture infligée par l'État ou consentie par l'État et que la demanderesse ne rencontrait pas les exigences de l'alinéa 97(1)b) en raison de la possibilité d'obtention de la protection de l'État et, subsidiairement, de la possibilité de refuge intérieur.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]            La demanderesse soulève les questions suivantes :


L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte et donc en n'examinant pas l'un des motifs de risque identifié par la demanderesse, c'est-à-dire le risque d'être confrontée aux mêmes agents de persécution identifiés par son mari, lequel s'est vu accorder le statut de réfugié par l'ancienne SSR le 17 mai 2002?

L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la preuve de la professeure Elabor-Idemudia, une professeure de sociologie à l'université de Saskatchewan, laquelle preuve avait trait aux questions mêmes à laquelle l'agente avait accordé le plus d'importance pour en arriver à conclure que le [traduction] « Nigeria peut offrir la protection de l'État à la demanderesse » ?

L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en faisant une mauvaise interprétation et/ou en tirant des conclusions erronées de la preuve documentaire qui lui a été soumise?

L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas d'entrevue?

LES ARGUMENTS

La demanderesse

Quant au fait de ne pas avoir tenu compte de l'un des motifs de risque

[21]            La demanderesse affirme que l'agente a commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas tenu compte et n'a pas examiné un motif de risque très important identifié par la demanderesse. La demanderesse a déclaré dans sa réponse au point 53-54 du formulaire de demande de l'ERAR, délivré le 12 février 2003, qu'un motif additionnel pour lequel elle craignait de retourner au Nigeria était son statut en tant qu'épouse d'un homme qu'elle avait épousé au Canada et qui s'était vu accorder le statut de réfugié par la SSR le 14 mai 2002. Elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Depuis que je suis au Canada, je suis devenue intime avec M. Kelly Itua Obas et je l'ai épousé. Celui-ci s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention le 14 mai 2002 par l'ancienne Section du statut de réfugié. Kelly et moi nous sommes mariés le 5 octobre 2002. Une copie du formulaire de renseignements personnels de mon époux est jointe aux présentes. Je crains que, en plus des problèmes dont j'ai parlé dans les paragraphes susmentionnés, si je devais retourner au Nigeria, les mêmes personnes qui l'ont persécuté, c'est-à-dire le State Security Service et la police, me persécuteraient également, tout simplement parce que je suis son épouse.

[22]            La demanderesse prétend que l'ensemble d'observations délivré le 12 février 2003 comprenait une copie du formulaire de renseignements personnels de M. Obas ainsi que de la notification de la décision par laquelle Kelly Obas s'est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention. L'ensemble de l'avocat, délivré le 13 février 2003, comprend les observations suivantes concernant le motif de risque suivant :

[Traduction]

De plus, Mme Nosa est l'épouse d'un citoyen canadien qui s'est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention le 14 mai 2002. Il ressort du formulaire de renseignements personnels de Kelly Obas, lequel est joint aux présentes, que M. Obas a été persécuté par des agents de l'État, notamment des agents des Forces de sécurité nationale. Cela étant, on fait valoir que Mme Nosa a un lien avec les motifs d'opinions politiques et d'appartenance à un groupe social en raison de son statut d'épouse de M. Obas, dont la peur de la persécution a été jugée comme étant bien fondée par la SSR.


[...]

[23]            La demanderesse affirme également que, en tant qu'épouse d'un réfugié au sens de la Covention provenant du même pays qu'elle et qui a été persécuté par des agents de l'État, elle risque de subir un préjudice de la part de l'État d'une gravité telle qu'il appartient au premier niveau de la classification des préjudices faite par Hathaway. On ne peut que conclure qu'il existe plus qu'une simple possibilité que le traitement qui a été infligé à Kelly Obas, alors qu'il était détenu et emprisonné, serait infligé à Mme Nosa. Le rapport du Département d'État en matière de droits de la personne pour l'année 2001 confirme que l'État porte effectivement atteinte aux droits de la personne. De toute façon, c'est ce qui se dégage de la conclusion de la SSR que M. Obas est un réfugié au sens de la Convention.

[24]            L'agente est tenue de présenter sa décision à l'aide d'un modèle qui comprend une section intitulée « Trois risques identifiés par le demandeur » . L'agente n'a fait mention nulle part dans cette section d'un quelconque risque que pourrait courir la demanderesse en raison de son statut d'épouse de Kelly Obas. Bien que l'agente reconnaisse l'existence du mariage, les motifs écrits de l'agente ne comprennent aucune mention de ce motif de risque.

[25]            La lettre datée du 22 avril 2003 qui a été livrée à la demanderesse pour l'informer que sa demande d'ERAR avait été rejetée faisait mention de ce qui suit au premier paragraphe :


[Traduction]

En conformité avec la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et le Règlement, votre demande d'Examen de risque avant renvoi (ERAR) a été examinée attentivement afin de décider si vous seriez exposée au risque de persécution ou de torture, à un danger de mort ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

[26]            La demanderesse affirme cependant que le défaut de tenir compte d'un motif à l'égard duquel une preuve abondante a été présentée et de fortes représentations ont été faites, constitue un manquement important à l'obligation de diligence qui est implicite dans les responsabilités que confère la loi à l'agente d'ERAR et (ou) que l'agente a tenté d'appliquer. L'agente a commis une erreur de droit en n'exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de rendre une décision fondée sur un motif de risque expressément identifié par la demanderesse. Cela équivaut à un défaut d'exercer son pouvoir discrétionnaire.

Le défaut de tenir compte du témoignage de l'experte


[27]            La demanderesse affirme également que l'agente a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du témoignage d'une experte qui a offert une opinion concernant les questions que l'agente a expressément ou implicitement identifiées comme ayant un caractère déterminant quant à la demande de l'ERAR de la demanderesse. On ne saurait raisonnablement conclure que l'agente n'était aucunement familière avec la lettre de la professeure Elabor-Idemudia, compte tenu que l'agente a incorporé dans ses motifs des mots pratiquement identiques à ceux figurant dans un passage de cette lettre. Par conséquent, la demanderesse prétend que l'agente a agi d'une manière abusive et arbitraire en ne tenant pas compte de la preuve qui lui a été soumise, laquelle était d'une grande pertinence quant à l'unique motif de risque identifié par la demanderesse dont l'agente a tenu compte.

[28]            La demanderesse souligne que la Cour a conclu qu'un décideur commet une erreur lorsqu'il ne tient pas compte d'un élément de preuve qui est convaincant et pertinent à la décision qui doit être rendue. Le juge Rouleau a énuméré comme suit les critères pertinents quant à savoir quant le défaut de mention d'un élément de preuve entraînera une erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la décision Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1518    :

[...]

Finalement, l'examen du dossier certifié du tribunal révèle que le tribunal a commis une erreur de droit en n'accordant aucune importance à la preuve psychologique de Mme Frizell qui lui a dûment été présentée et en ne donnant aucun motif pour justifier le rejet de cette preuve dans son ensemble. Notre Cour a affirmé que, même si le tribunal n'est pas tenu de se reporter explicitement à chacun des éléments de preuve dont il a été saisi et qui tendent à réfuter une conclusion de fait qu'il a tirée, ni d'analyser chacun de ceux-ci, cela dépend beaucoup de la pertinence et de la force de la preuve ainsi que de l'importance pour la décision finale relative au fait auquel se rapporte la preuve. Par conséquent, la Cour n'exigera pas de la SSR qu'elle accepte la preuve psychiatrique dans son ensemble, mais seulement qu'elle l'étudie comme il faut.

Dans le présent cas, j'estime que, dans sa décision de n'accorder aucune importance au rapport d'expert de Mme Frizzell, le tribunal a omis d'attaquer dans ses motifs le contenu de ce rapport et d'expliquer pourquoi il l'écartait. Une lecture attentive du rapport de Mme Frizzell et de la transcription de son témoignage à l'audience ne peut que m'amener à conclure que ce rapport était si pertinent que le fait pour le tribunal de ne pas avoir fait état de cette preuve expressément dans ses motifs constitue une erreur capitale.

[...]


[29]            La demanderesse affirme que la lettre de la professeure Elabor-Idemudia était suffisamment pertinente et avait assez de force probante et d'[Traduction] « importance pour la décision finale relative au fait auquel elle se rapporte » que le défaut de l'agente d'en tenir compte équivaut au genre d' « erreur fatale » dont parle le juge Rouleau dans la décision Toth.

[30]            L'agente déclare dans sa décision que de [Traduction] « nouveaux éléments de preuve documentaire révèlent que trois états, l'Enugu, l'Edo et l'Oyo ont adopté des lois protégeant les veuves contre un certain nombre de rituels ayant un caractère punitif et préjudiciable auxquels elles sont soumises » . La professeur a cependant souligné ce qui suit :

[Traduction]

L'adoption des Widowhood Rights dans l'état d'Edo ne garantit pas que sa mise en oeuvre sera mise en branle immédiatement car le cadre de la mise en oeuvre est encore à l'étape de l'élaboration. Pour le moment, les causes de veuvage sont traitées cas par cas et on en est encore au stade expérimental. Il est difficile d'évaluer le succès obtenu grâce à la nouvelle loi en ce qui a trait à l'aide apportée aux veuves, en raison du fait que la loi n'est que très récente.

[31]            La demanderesse affirme que l'agente cite le rapport du département d'État américain sur le Nigeria concernant le caractère adéquat des services de police, puis elle présente des renseignements anonymes concernant le caractère adéquat du pouvoir judiciaire. L'agente cite également la constitution nigérienne et souligne qu'elle interdit la torture, les traitements inhumains et dégradants ainsi que la discrimination dans l'application de la loi fondée sur le sexe, l'origine ethnique et la religion. L'agente en arrive à conclure ce qui suit : [Traduction] « selon l'ensemble de la preuve qui m'est soumise, je conclus que le Nigeria offre une protection de l'État adéquate et importante à ses citoyens » . Elle affirme que le « Nigeria peut offrir la protection de l'État à la demanderesse » . La professeure Elabor-Idemudia ne croit toutefois pas que la demanderesse pourrait jouir d'une protection adéquate :


[Traduction]

Quant à la question de s'adresser à la police ou aux agents d'application de la loi au Nigeria, il s'agit là d'une perte de temps car justice n'est rendue qu'aux personnes qui corrompent les agents d'application de la loi. Mme Nosa a bien fait de s'enfuir du pays si son beau-frère, M. Edosa, est aussi puissant et influant qu'elle le prétend. Les tueurs à gages sont assez répandus au Nigeria et si une personne s'estime à ce point lésée qu'elle désire éliminer un présumé délinquant, elle peut le faire en ayant recours à des tueurs à gages. De plus, les cas qui sont signalés à la police au Nigeria font l'objet d'une longue enquête et, entre-temps, il peut arriver n'importe quoi au plaignant, voir même une mort mystérieuse.

[32]            La demanderesse prétend que l'agente a commis une erreur en ce que la preuve de la professeure Elabor-Idemudia était si convaincante que pour que la décision soit conforme à la norme mentionnée dans la décision Toth, l'agente aurait dû « attaquer son contenu » et donner les motifs pour lesquels elle n'avait pas accepté les conclusions de cette preuve.

Insuffisance de la preuve concernant l'état de l'Edo


[33]            La demanderesse affirme de plus que l'agente a commis une erreur en ce que ses motifs révélaient une indifférence abusive et arbitraire à l'égard de la preuve qui lui était soumise. Par exemple l'agente affirme que de [traduction] « nouveaux éléments de preuve documentaire révèlent que trois états, l'Enugu, l'Edo et l'Oyo ont adopté des lois protégeant les veuves contre un certain nombre de rituels ayant un caractère punitif et préjudiciable auxquels elles sont soumises » . L'agente poursuit en discutant de la situation dans l'état de l'Oyo, puis de la situation chez les Igbos. Bien que la demanderesse ait déclaré qu'elle était d'origine Edo et qu'elle avait toujours vécu dans l'état de l'Edo, l'agente ne renvoie à aucune preuve documentaire qui porte précisément sur des lois qui protègent les femmes dans l'état de l'Edo. Par conséquent, l'agente n'a pas fourni de motifs suffisamment clairs et détaillés quant à sa conclusion que les personnes qui se trouvent dans une situation semblable à celle de la demanderesse bénéficient de la protection de l'État.

Preuve documentaire non divulguée

[34]            La demanderesse souligne que la décision renvoie à de la preuve documentaire dont la source n'est pas divulguée et qui est présentée comme s'il s'agissait des propres mots de l'agente. Au bas de la page 4 de la décision, après avoir mentionné un extrait de la constitution nigérienne, l'agente commence un paragraphe, au niveau de la marge, par les mots « Selon le rapport de renseignements sur la sexualité [...] » . La demanderesse suppose que l'agente obéit à la convention selon laquelle des mots qui ne sont pas décalés, ni encadrés de guillemets ou qui ne comprennent pas de renvoi à des notes en bas de page sont des mots qui appartiennent à l'auteur d'un document donné. Toutefois, le paragraphe commençant au bas de cette page ne renvoie à aucune note en bas de page et, bien qu'il soit censé être une observation ou une paraphrase de l'agente elle-même, il ne l'est pas. Un paragraphe identique figure à la page 1 de la demande de renseignements no NGA32948.E de la CISR.


[35]            Dans la décision Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1037, la Cour a conclu que le tribunal de la SSR a commis une erreur en présentant d'une manière très sélective la documentation sur la situation dans le pays et en se fiant à celle-ci pour rejeter la demande du statut de réfugié présentée par un demandeur tunisien. La Cour a déclaré ce qui suit quant à cette question aux paragraphes 3 et 4 :

Les nombreux extraits de la preuve documentaire reproduits dans la décision du tribunal constituent la preuve principale qui a amené ce dernier à douter de la crédibilité du requérant et à condamner les activités du groupe El-Nahdha au sein duquel il exerçait d'importantes responsabilités. Ainsi, il est évident que le contenu de ces extraits a eu une influence déterminante sur l'entière décision.

Or, une comparaison entre les documents complets et leurs passages cités dans la décision permet de déceler d'importantes omissions, qu'il s'agisse de ponctuation, de mots ou de phrases complètes, qui ont pour effet de confondre le lecteur ou même de l'induire en erreur quant à la véritable source de l'information, quant à l'identité de l'auteur de certaines paroles et quant à l'existence même de vues opposées à celles reproduites. Compte tenu, par ailleurs, de l'abondante et sérieuse documentation présentée au tribunal sur la situation générale des droits humains en Tunisie, notamment les pièces P-8, P-10, P-11, P-13, P-17, P-19, P20, P-21 et A-12, la sélection et la reproduction de la preuve documentaire ainsi faites par le tribunal m'amènent à conclure que ce dernier n'a entendu présenter que la position des autorités tunisiennes et qu'il a ignoré d'importants éléments de preuve de positions opposées contenus au dossier.

[36]            La Cour a conclu dans la décision Kazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 223 qu'une ARRR a commis une erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire lorsque ses conclusions de fait ont été comparées au Country Reports on Human Rights Practices du Département d'État des États-Unis, sur lequel l'ARRR prétendait s'être fondée, et que l'on a conclu qu'elles n'étaient pas étayées par ce rapport. La Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 23 :

En l'espèce, je suis d'avis que les conclusions de fait de l'ARRR sont manifestement déraisonnables parce que plusieurs de ses principales conclusions de fait ne peuvent être étayées par la preuve : dans certains cas, l'ARRR n'a pas pris en considération ou a mal interprété la preuve tandis que dans d'autres cas, elle a appuyé ses conclusions sur des présomptions ne reposant sur aucun fondement probatoire.

[37]            La demanderesse affirme que si la norme de contrôle à appliquer à la décision de l'agente est celle de la décision manifestement déraisonnable, alors la décision Kazi fait autorité quant à la prétention que les erreurs commises par l'agente dans ses conclusions concernant la demanderesse, lesquelles sont mentionnées plus haut, constituent une erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

L'audience

[38]            La demanderesse affirme également que l'agente a commis une erreur de droit en n'exerçant pas sa compétence d'examiner si une audience devrait être tenue en rapport avec les allégations de risque de la demanderesse. Au point 7 du modèle de décision de l'ERAR, l'agente mentionne qu'elle a examiné la question de savoir s'il était nécessaire de tenir une audience. La demanderesse affirme cependant que l'agente a négligé d'examiner tant soi peu le risque identifié par la demanderesse concernant son statut d'épouse d'une personne qui s'est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. Il s'ensuit que l'agente ne s'est pas posée les questions qu'elle était tenue de se poser en vertu de l'article 113 de la LIPR et de l'article 167 du Réglement, lesquels sont ainsi libellés :


113. Il est disposé de la demande comme il suit :

[...]

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

...


b) une audience peut être tenue si le ministre l'estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;167. Pour l'application de l'alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d'une audience est requise :

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l'existence d'éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l'importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu'ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.


[39]            Alors que la loi est claire qu'un agent de l'ERAR n'est pas tenu de tenir une audience, la loi exige qu'un agent applique, dans le cas de chaque demandeur, les critères énumérés dans la LIPR et son règlement afin de décider s'il est nécessaire de tenir une audience. Le motif de risque identifié par la demanderesse comme découlant de son statut d'épouse de Kelly Obas comportait des questions de crédibilité importantes, était essentiel à la décision, et, si exact, aurait justifié une décision favorable de la part de l'agente.

[40]            Si l'agente avait appliqué le critère prévu par la loi et tenu compte que la crédibilité de la demanderesse n'avait jamais été vérifiée car elle n'a jamais comparu devant la SSR ou la SPR et que les faits sur lesquels ce motif de risque a été fondé se sont produits après l'arrivée la plus récente de la demanderesse au Canada et que la SSR avait conclu que la revendication du mari était bien fondée, alors une décision de tenue d'audience aurait dû être considérée comme une possibilité raisonnable.


Le défendeur

[41]            Le défendeur affirme que le fait que l'agente n'ait aucunement fait mention dans ses notes de la crainte exprimée par la demanderesse quant à un renvoi au Nigeria en raison de son récent mariage à un Nigérien qui a réussi à obtenir le statut de réfugié ne constitue pas une erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La crainte de la demanderesse fondée sur ce motif n'était de toute évidence fondée sur aucune preuve et est sans fondement. Par conséquent, l'agente n'a pas commis d'erreur en ne l'inscrivant pas dans les notes comme l'un des « risques identifiés » . De plus, l'agente a clairement tenu compte de cet aspect du cas de la demanderesse car les notes mentionnent que les prétentions de la demanderesse ont été examinées de façon complète.

[42]            Le défendeur nie que l'agente a omis de tenir compte, a mal interprété ou a mal appliqué la lettre de la professeure Elabor Idemudia datée du 1er avril 2003.

[43]            Le défendeur affirme que même la demanderesse admet que l'on ne peut raisonnablement soutenir que l'agente n'a pas tenu compte de cette lettre car des extraits de la lettre semblent avoir été directement citées dans les notes. La demanderesse prétend néanmoins que l'agente a commis une erreur quant au poids accordé à la lettre. Le fait que l'agente ait choisi de se fier à une autre preuve documentaire et de la privilégier ne signifie pas qu'il y a eu erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[44]            Le juge Thurlow, alors juge en chef à la Cour d'appel fédérale, a déclaré ce qui suit dans l'arrêt Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] A.C.F. no 19 (C.A.F.) :

Nous estimons que la plaidoirie de l'avocat du requérant ne soulève que des questions ayant trait à la crédibilité et au poids des éléments de preuve et ne fournit aucun fondement légal permettant à cette cour de modifier la décision de la Commission d'appel de l'immigration.

Voir : Castro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 787

[45]            Le défendeur affirme que l'agente n'a pas commis d'erreur en tenant pas d'audience. Les principales questions en l'espèce avaient trait à la protection de l'État et à la viabilité d'une possibilité de refuge intérieur et aucune d'elles ne justifiait la tenue d'une audience ou ne satisfaisait au critère prévu à l'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés.

L'ANALYSE

[46]            La décision est fondée sur trois motifs distincts : a) absence de fondement objectif quant à la crainte de la demanderesse d'être persécutée et (ou) d'être torturée, de se voir infliger la mort ou des traitements cruels et inusités; b) la possibilité d'obtenir une protection adéquate de l'État; c) la possibilité de refuge intérieur.

[47]            Nulle part dans ses prétentions, la demanderesse a-t-elle contesté directement la conclusion de l'agente qu'elle pourrait bénéficier d'une possibilité de refuge intérieur. Cela signifie que la position de l'agente sur cette question doit être confirmée.


[48]            Les divers motifs de contrôle soulevés par la demanderesse contestent les conclusions d'absence de crainte objective et de protection adéquate de l'État. À une exception près, elles ne contestent pas la conclusion de possibilité de refuge intérieur.

[49]            Cette possible exception est l'allégation par la demanderesse que l'agente a omis de tenir compte de l'un des motifs de risque identifiés par la demanderesse : c'est-à-dire qu'elle serait confrontée aux mêmes agents de persécution qui ont été identifiés par son mari actuel (le service de sécurité de l'État et la police) lequel s'est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention le 17 mai 2002.

[50]            La réponse du défendeur quant à ce motif est que l'agente n'a pas commis d'erreur en n'inscrivant pas ce risque dans les notes mais, de toute façon, l'agente « a manifestement tenu compte de cet aspect du cas de la demanderesse car les notes indiquent que les observations de la demanderesse ont été examinées de façon complète » .


[51]            Compte tenu du fait que l'agente était saisie du formulaire de renseignements personnels du mari de la demanderesse, M. Obas, et de la décision qui a été rendue en sa faveur quant au statut de réfugié au Canada, j'estime que les prétentions du défendeur sur cette question ne sont pas valables. Le défaut de l'agente d'identifier, de tenir compte et d'expliquer sa position quant à ce risque distinct était manifestement déraisonnable et constituait une erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Elle n'a pas exercé sa compétence et elle n'a pas tenu compte de la preuve convaincante de risque et (ou) n'a pas donné de motifs pour la rejeter.

[52]            La question est donc de savoir si cette omission de la part de l'agente entache d'une erreur fatale une décision qui comprend une conclusion distincte quant à la possibilité de refuge intérieur, laquelle n'est pas contestée par la demanderesse.

[53]            Je crois qu'il s'agit là d'une erreur fatale parce que la crainte des agents de persécution redoutés (le service de sécurité de l'État et la police) aurait très bien pu avoir une incidence importante sur l'opinion de l'agente concernant la possibilité de refuge intérieur. Je crois qu'il serait imprudent de ne pas examiner cette question à fond.

[54]            Par conséquent, je crois que l'agente a commis une erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire lorsqu'elle a omis d'inscrire, de tenir compte et d'examiner les risques avancés par la demanderesse qu'elle soit persécutée par les agents qui ont persécuté son mari, M. Kelly Itua Obas, lequel s'est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention.

[55]            Parce que j'ai tranché cette affaire sur une question restreinte, j'ai examiné si, lors du réexamen, les motifs de décision devraient être de ce fait restreints. Toutefois, la sagesse des deux avocats m'a convaincu que je ne devrais pas imposer de telles restrictions.

[56]            Au début de l'audience, l'avocat du défendeur a fait la demande maintenant habituelle que l'intitulé de la cause soit modifié afin de refléter le fait que le 12 décembre 2003, le gouverneur en conseil a transféré diverses fonctions du Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à l'Agence des services frontaliers du Canada et la fonction de l'examen des risques avant renvoi a été transférée à l'ASFC, laquelle est présidée par le solliciteur général du Canada. La demanderesse consent à cette modification de l'intitulé de la cause. L'avocat du défendeur a gracieusement fourni à la Cour un projet d'ordonnance distinct pour disposer de cette question, mais je crois qu'il serait préférable que nous disposions de l'ensemble des questions dans une seule ordonnance.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.          l'intitulé de la cause IMM-3559-03 soit modifiée comme suit :

Les mots « Le ministre de la Citoyenneté et de l'immigration » sont retirés et les mots « Solliciteur général du Canada » sont ajoutés.

2.          la demande soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

3.          aucune question ne soit certifiée.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-3559-03

INTITULÉ :                                                          JOY NOSA

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 17 JUIN 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                         LE 15 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Bridget O'Leary                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Ann Ritter                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Bridget O'Leary                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

130, rue King ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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