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Date : 20040209

Dossier : IMM-214-03

Référence : 2004 CF 207

Ottawa (Ontario), le 9 février 2004

Présente : L'honorable juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

                          SERGIO LORETO GARCIA

                                                    Partie demanderesse

                                    et

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                    Partie défenderesse

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « l'arbitre » ) dans laquelle il a conclu que le demandeur était visé par les alinéas 27(1)(e) et (g) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 ( « l'ancienne loi » ).


[2]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 8 janvier 1987 et a revendiqué le statut de réfugié le 22 septembre 1989, revendication qui a été jugée avoir un minimum de fondement. Avant d'obtenir la résidence permanente, le demandeur et sa famille sont retournés au Guatemala. À leur retour, la revendication du demandeur et sa famille ont été référées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut pour une audition.

[3]                 Le 25 février 1993, la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « la Section du statut » ) a refusé le statut de réfugié au demandeur et l'a exclu de la protection de la Convention en vertu de la section 1Fa), annexée à l'ancienne loi, pour avoir été complice de crimes contre l'humanité.

[4]                 Le 18 août 1993, la Section du statut a accordé le statut de réfugié à la conjointe du demandeur. Elle a par la suite reçu une lettre du défendeur lui indiquant qu'elle devait déposer sa demande de résidence permanente, pour elle et les membres de sa famille, avant le 8 novembre 1993. Le demandeur a ainsi pu déposer une demande de résidence le 23 août 1993.

[5]                 Le 9 novembre 1993, le demandeur a reçu une lettre l'enjoignant de quitter le Canada le ou avant le 8 décembre 1993.

[6]                 Le demandeur a obtenu la résidence permanente le 17 décembre 1994.

[7]                 Le 9 mars 1998, un rapport délivré en vertu de l'article 27 de l'ancienne loi fut émis. Ce rapport fut suivi d'une directive d'enquête, le 10 mars 1998 et d'une demande d'enquête envoyée à la Section d'arbitrage le 31 juillet 2000.

[8]                 Le 19 mars 2002, l'arbitre a conclu que le demandeur était un résident permanent visé par les alinéas 27(1)e) et g) de l'ancienne loi et, conformément au paragraphe 32(2) de l'ancienne loi, il a ordonné son expulsion du Canada.

Le demandeur a-t-il obtenu sa résidence sur la base de fausses indications ?

[9]                 L'alinéa 27(1)(e) de l'ancienne loi se lit comme suit :


27(1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci selon le cas :

[...]

(e) a obtenu les droit d'établissement soit sur la foi d'un passeport, visa - ou autre document relatif à son admission - faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d'une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers;

27(1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who:

[...]

(e) was granted landing by reason of possession of a false document or improperly obtained passport, visa or other document pertaining to his admission or by reason of any fraudulent or improper means or misrepresentation of any material fact, whether exercised or made by himself or by any other person;



[10]            Le demandeur prétend que l'arbitre a commis une erreur lorsqu'il décida que le demandeur avait fait de fausses indications sur des faits importants en répondant par la négative à la question 14 H) du formulaire de demande de résidence signé le 23 août 1993 et à la question 18 de la fiche relative à l'obtention du droit d'établissement, signé le 17 décembre 1994.

[11]            Sur le premier formulaire le demandeur a répondu par la négative à la question 14 H) qui se lit ainsi :

14 H) En période de paix ou de guerre, avez-vous déjà participé à la commission d'un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, c'est-à-dire de tout acte inhumain commis contre des populations civiles ou des prisonniers de guerre, par exemple, l'assassinat, la torture, l'agression, la réduction en esclavage ou la privation de nourriture, etc... ou encore participé à la déportation de civils?

[12]            La Section du statut a trouvé le demandeur coupable de tels crimes dans sa décision datée le 25 février 1993. Le demandeur savait donc qu'il en avait été trouvé coupable lorsqu'il a rempli le formulaire le 23 août 1993. De plus, je note qu'il a répondu dans l'affirmative à la question 15 iv du même formulaire qui lui demandait s'il avait « compris toutes les déclarations et questions du présent formulaire, ayant, au besoin, demandé et obtenu une explication de chaque point [qu'il] ne comprenai[t] pas bien » . Il devait donc savoir la signification des termes « crimes de guerre » et « crimes contre l'humanité » .

[13]            Il n'était pas manifestement déraisonnable pour l'arbitre de conclure qu'il avait fourni de fausses indications dans son formulaire.

[14]            Le demandeur prétend quant à lui que la décision de la Section du statut du 25 février 1993 relativement à son exclusion avait un caractère conditionnel et qu'en conséquence, elle ne s'était pas prononcée sur son exclusion. Il s'appuie sur la décision du juge Blanchard dans Hosseini c. MCI, [2002] A.C.F. no 509 (Q.L.), où la Cour avait jugé l'exclusion conditionnelle illégale parce que la Section du statut n'avait inclus aucune analyse dans ses motifs quant à la participation du demandeur dans les crimes dont il avait été accusé ni quant à son appartenance à une organisation ayant des fins limitées et brutales. À mon avis, la situation présente diffère de l'arrêt Hosseini.

[15]            En l'espèce, la Section du statut avait effectué une analyse complète. Elle s'est prononcée de façon explicite. Contrairement à l'affaire Hosseini, précité, il n'y a rien de conditionnel dans les conclusions de la Section du statut.

[16]            Je conclus donc que dans cette instance, la Section du statut avait effectivement prononcé l'exclusion du demandeur, et, ayant reçu une copie de ces motifs, le demandeur se devait de répondre à la question 14 H) du formulaire par l'affirmative.

[17]            Par surcroît, le demandeur a aussi fourni de fausses indications lorsqu'il a rempli sa fiche relative au droit d'établissement du demandeur. Il a répondu par la négative à la question 18 :

Avez-vous déjà été déclaré coupable d'un crime ou délit ou essuyé un refus concernant votre admission au Canada ou été enjoint de quitter le Canada? (Je souligne).


[18]            Le demandeur aurait signé cette fiche le 17 décembre 1994. Il fut mis en preuve que celui-ci avait reçu une lettre datée du 9 novembre 1993, l'enjoignant de quitter le Canada avant le 8 décembre 1993. La conclusion de l'arbitre à l'effet qu'il a fourni de fausses indications n'est donc pas manifestement déraisonnable.

[19]            Selon le paragraphe 27(e), il est nécessaire que les faits sur lesquels le demandeur a fourni de fausses indications soient des « faits importants » .

[20]            Dans l'arrêt Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, la Cour suprême du Canada décrit ce qu'est un fait important selon l'alinéa 27(1)(e) de l'ancienne loi. À la page 873, la Cour écrit :

Afin d'éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais la prétention selon laquelle, pour qu'il y ait caractère important sous le régime du sous-al. (viii) de l'al. e) du par. (1) de l'art. 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donnés dans une réponse doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d'expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l'admission. La preuve faite en l'espèce selon laquelle certaines réponses inexactes n'auraient eu aucun effet sur l'admission d'une personne, est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'eut été découvert par suite de ces enquêtes.


[21]            En effet, que le demandeur ait menti quant à sa participation dans des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ou qu'il ait menti quant au fait qu'il avait déjà été enjoint de quitter le Canada, il s'agit de faits importants qui auraient vraisemblablement mené à une enquête ou du moins auraient causé les agents d'immigration à se poser des questions sur l'admissibilité du demandeur.

[22]            En résumé, l'arbitre n'a commis aucune erreur manifestement déraisonnable dans les conclusions de faits qu'il a formulées quant aux fausses indications sur des faits importants fournies par le demandeur. Cette raison est suffisante en soi pour prendre des mesures d'expulsion contre lui selon le paragraphe 32(2) de l'ancienne loi qui se lisait comme suit :

32. (2) S'il [l'arbitre] conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvent dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre, sous réserve des paragraphes (2.1) et 32.1(2), prend une mesure d'expulsion contre lui.

[23]            Quant au bien-fondé de la décision que le demandeur était visé par l'alinéa 27(1)(g) de l'ancienne loi pour avoir commis un crime contre l'humanité, il n'est donc pas nécessaire de statuer sur cette question puisque le demandeur fait déjà l'objet d'une mesure d'expulsion.


[24]            Le défendeur suggère qu'une telle approche n'est pas appropriée puisqu'elle prive le demandeur d'un droit d'appel devant la Section d'appel (ou d'une redétermination devant la Section du statut) si la Cour statuait que le contrôle judiciaire devait être accordé quant au deuxième motif. Que le demandeur ait ou non un droit d'appel ne change rien au fait que même une conclusion favorable sur cette question ne pourrait avoir un impact sur la mesure d'expulsion ordonnée contre le demandeur pour fausses indications.

[25]            Comme l'a rappelé la Cour d'appel dans Mugesera c. MCI (2003), 309 N.R. 14, lorsque le maintien d'une seule des allégations suffit pour justifier la décision du ministre, il n'est pas approprié de retourner le dossier à la Section d'appel pour qu'elle se prononce sur les autres motifs.

[26]            Pour ces motifs, la demande en contrôle judiciaire est rejetée.

[27]            Le procureur du demandeur a demandé que les questions suivantes soit certifiées :

Si un résident permanent est ordonné expulsé du Canada pour avoir fait de fausses représentations, ainsi que pour avoir commis des crimes contre l'humanité, ce deuxième motif le privant de son droit d'appel devant la Section d'appel de l'immigration de la CISR, et que la Cour, en révision judiciaire, conclut que seule la décision sur le deuxième motif est annulable, est-ce-que la Cour peut maintenir la décision, sans la retourner, ou à la Section d'immigration, ou à la Section d'appel de l'immigration ?

Est-ce-qu'un Commissaire de la Section de l'immigration (autrefois un arbitre) peut fonder sa conclusion qu'un résident permanent a commis des crimes contre l'humanité sur le témoignage de ce dernier, après avoir rejeté ce même témoignage comme n'ayant aucune crédibilité lorsque offert pour soutenir les propos du résident permanent ?

[28]            La question A ayant déjà été tranchée par la Cour d'appel fédérale et la question B portant sur une conclusion de faits, ces questions ne rencontrent pas les critères établis dans l'arrêt Liyanagamage c. Canada (M.C.I.) (1991), 176 N.R. 4. Il n'y aura donc pas de question certifiée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                    « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-214-03

INTITULÉ :              SERGIO LORETO GARCIA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 27 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    L'honorable juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                                     Le 9 février 2004

COMPARUTIONS :

Me William Sloan                                                 POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Pépin                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me William Sloan

400 rue McGill, 2e étage

Montréal (Québec)

H2Y 2G1                                                              POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Pépin

Ministère fédéral de la Justice

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque Ouest

Tour Est, 5e étage

Montréal (Québec)

H2Z 1X4                                                              POUR LE DÉFENDEUR


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