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Date : 20050923

Dossier : IMM-1746-05

Référence : 2005 CF 1307

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

HANG THI YEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                La loi tient compte de certains cas de séparation d'un parent et de son enfant et reconnaît les cas exceptionnels entraînés par les revers et les difficultés qui émaillent la condition humaine et conduisent à des situations insupportables, et c'est pourquoi elle investit le ministre du pouvoir de se demander s'il existe des considérations humanitaires; ce pouvoir n'est pas conféré à un tribunal spécialisé ni à la Cour, puisque seul le ministre en est investi, ainsi que le prévoit le paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (la Loi).

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, par laquelle elle a rejeté son appel formé à l'encontre du refus de la SAI de délivrer un visa de résident permanent à son enfant, en application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés[2] (le Règlement).

LES FAITS

[3]                Les faits ne sont pas contestés. La demanderesse, Mme Hang Thi Yen, a obtenu le droit d'établissement au Canada en tant que réfugiée au sens de la Convention le 27 novembre 1991. Elle est arrivée au Canada avec son mari, Vo Hoang Oanh, et leurs deux enfants, Vo Yen Fitrianto et Vo Yen Fitriacto.

[4]                Le 28 mai 2001, la demanderesse présentait une demande de parrainage de ses trois enfants les plus âgés (dont Van Lanh Nguyen, l'enfant en cause dans la présente affaire), dont le père était son ex-conjoint de fait. La demanderesse ne conteste pas qu'elle n'a pas déclaré Van Lanh Nguyen et les deux autres enfants comme ses personnes à charge lorsque sa demande de réinstallation au Canada à titre de réfugiée était à l'étude. Elle explique qu'elle était préoccupée par la manière dont son conjoint réagirait à la nouvelle, étant donné qu'elle ne lui avait rien dit de l'existence de ses enfants nés d'un autre homme.

[5]                Par conséquent, M. Nguyen et les autres personnes à charge n'ont donc pas été interrogés lorsque la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente. Un agent n'a pas non plus décidé s'ils devaient être interrogés. Les autorités de l'immigration ne connaissaient pas l'existence de M. Nguyen.

[6]                M. Nguyen a présenté une demande de résidence permanente datée du 22 janvier 2002. La demande a été reçue par les autorités de l'immigration à Singapour le 29 janvier 2002.

[7]                La Loi et le Règlement sont entrés en vigueur le 28 juin 2002.

[8]                Le 4 avril 2003, un agent des visas a refusé la demande de résidence permanente présentée par M. Nguyen au motif qu'il n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial selon l'alinéa 117(9)d) du Règlement.

[9]                La demanderesse a déposé un appel à l'encontre de cette décision le 24 avril 2003. L'avis d'appel a été reçu le 29 avril 2003.

[10]            Le 25 février 2005, la SAI a rejeté l'appel de la demanderesse. C'est ce rejet de l'appel qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire dont est saisie la Cour.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[11]            La SAI a rejeté l'appel de la demanderesse au motif que M. Nguyen n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial et qu'il était donc interdit de territoire selon l'alinéa 117(9)d) du Règlement. La SAI a ajouté que, puisque M. Nguyen n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial, l'article 65 de la Loi empêchait la SAI de voir s'il existait des raisons d'ordre humanitaire pouvant la conduire à accepter la demande de résidence permanente présentée par M. Nguyen.

La question en litige

[12]            La SAI a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu, en application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement, que la demanderesse n'est pas membre de la catégorie du regroupement familial?

L'ANALYSE

[13]            La demanderesse fait valoir que, puisque la demande de résidence permanente de son fils a été présentée avant l'entrée en vigueur de la Loi en 2002, l'ancienne Loi sur l'immigration[3] devrait s'appliquer.

[14]            Zone de Texte: 190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise. Zone de Texte: 190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.
 
 Ce ne saurait être le cas. L'article 190 de la Loi prévoit ce qui suit :

Puisque la demande de la demanderesse et de M. Nguyen était encore pendante au moment de l'entrée en vigueur de la Loi en juin 2002 (l'agent des visas a rendu sa décision le 4 avril 2003), la demande a été traitée, à juste titre, en fonction de la Loi et du Règlement.

[15]            Zone de Texte: 117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :
 
 [...]
 
 d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier et n'a pas fait l'objet d'un contrôle.
 Zone de Texte: 117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if
 
 
 ...
 
 (d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non accompanying family member of the sponsor and was not examined.
 
 La Cour examinera maintenant le nouveau régime législatif. La Loi prévoit qu'un citoyen canadien ou un résident permanent peut, sous réserve du Règlement, parrainer un ressortissant étranger qui est membre de la catégorie « regroupement familial » (article 13 de la Loi). L'alinéa 117(9)d) du Règlement définit quant à lui la « catégorie du regroupement familial » de la manière suivante :

[16]            En l'espèce, la demanderesse n'a pas déclaré qu'elle avait d'autres enfants alors qu'elle devait le faire lorsqu'elle a rempli sa demande de résidence permanente. Le fait qu'elle était une réfugiée cherchant à se réinstaller est hors de propos parce que tous les demandeurs du statut de résident permanent sont tenus de faire mention des membres de leur famille, qu'ils les accompagnent ou non (le défendeur renvoie ici aux articles 334 à 337 du Règlement). Selon l'alinéa 117(9)d) du Règlement, le défaut de ce faire empêche le ressortissant étranger d'être admissible à un parrainage dans la catégorie du regroupement familial. Ce principe a été confirmé par la Cour dans la décision Azizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4].

[17]            Zone de Texte: 117. (10) Subject to subsection (11), paragraph (9)(d) does not apply in respect of a foreign national referred to in that paragraph who was not examined because an officer determined that they were not required by the Act or the former Act, as applicable, to be examined. (Emphasis added) \La demanderesse fait également valoir que M. Nguyen devrait pouvoir se prévaloir du paragraphe 117(10) du Règlement, même si cette disposition n'existait pas lorsque l'agent des visas a rendu sa décision. Le paragraphe 117(10) du Règlement prévoit ce qui suit :

[18]            Le paragraphe 117(10) du Règlement ne s'applique pas aux faits de l'espèce. Il ne s'agissait pas d'un cas où un agent examinateur était à même d'interroger M. Nguyen, mais a décidé de ne pas le faire. Sur sa demande de résidence permanente, la demanderesse n'a pas fait mention de l'enfant en question aux autorités de l'immigration et, en raison de ses craintes personnelles, elle s'est aussi dispensée d'admettre qu'elle avait d'autres enfants. L'agent examinateur n'a pas pu décider s'il allait interroger ou non les enfants. En conséquence, le paragraphe 117(10) du Règlement n'aurait pas pu être appliqué au cas de la demanderesse.

[19]            La demanderesse fait valoir que le paragraphe 117(10) du Règlement contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Eu égard à ce qui précède, il n'est pas nécessaire d'analyser cette question.

[20]            La demanderesse fait aussi valoir que la SAI aurait dû prendre en compte les considérations humanitaires. Cela ne saurait être. Selon l'article 65 de la Loi, la SAI ne peut pas, dans un appel se rapportant à une demande fondée sur l'appartenance à la catégorie du regroupement familial, tenir compte de motifs d'ordre humanitaire, sauf si elle a jugé que le ressortissant étranger est membre de cette catégorie et que le répondant est un répondant au sens du Règlement. Ce principe a été examiné dans la décision Phan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5]. En l'espèce, M. Nguyen n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial, et la SAI n'avait donc pas le pouvoir de tenir compte de motifs d'ordre humanitaire.

[21]            \Zone de Texte: 25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient. La demanderesse prétend également que la SAI devrait être liée par l'article 25 de la Loi. Cette disposition prévoit ce qui suit :[6]

[22]            Malgré l'impossibilité pour M. Nguyen, en vertu de l'alinéa 117(9)d) du Règlement, d'obtenir le statut de résident permanent en tant que membre de la catégorie du regroupement familial, il peut néanmoins, selon l'article 25 de la Loi, présenter une demande distincte fondée sur des considérations humanitaires. Cette demande sera décidée par le ministre, non par la SAI. Sur ce point, le test ADN montre que la demanderesse est bien la mère de l'enfant. Gardant à l'esprit les conséquences pour l'enfant d'une séparation d'avec sa mère, le mécanisme des considérations humanitaires est une solution; toutefois, ce n'est pas une solution qu'il appartient à la SAI ou à la Cour d'examiner, mais uniquement au ministre.

[23]            Finalement, la demanderesse fait valoir que la SAI n'a pas rendu sa décision dans un délai raisonnable. L'avis d'appel de la demanderesse a été reçu le 29 avril 2003. La SAI a rendu sa décision le 25 février 2005. À cet égard, il suffit à la Cour de rappeler aux parties que les formalités d'obtention de la résidence permanente au Canada sont tributaires des impératifs de traitement opérationnel et des conditions à observer. On a demandé à la SAI d'évaluer le cas de la demanderesse et, compte tenu de ses ressources humaines et financières, elle l'a fait d'une manière diligente qui s'accordait avec sa situation administrative et opérationnelle[7].

DISPOSITIF

[24]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la question posée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée[8].

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question n'est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1746-05

INTITULÉ :                                                    HANG THI YEN

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 20 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    le juge Shore

DATE DES MOTIFS :                                   le 23 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Lori A. O'Reilly                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Rick Garvin                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

O'Reilly law office                                             POUR LA DEMANDERESSE

Calgary (Alberta)

John'H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice et

Sous-procureur général du Canada



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] DORS/2002-227.

[3] L.R.C. 1985, ch. I-2.

[4] [2005] A.C.F. n ° 436 (QL), 2005 CF 354.

[5] [2005] A.C.F. n ° 239 (QL), 2005 CF 184.

[6] Il faut se rappeler que, le 18 avril 2002, l'agente des visas écrivait dans ses notes au STIDI qu'elle avait reçu de Helix Biotech [testeurs de l'ADN] une lettre télécopiée demandant que soit fixé un rendez-vous ADN pour le chef de la famille, et le dossier fut reporté en prévision d'un test ADN au prochain voyage au Vietnam. Le 24 avril 2002, un exemplaire du dossier et de la photo fut envoyé à M. Tom McDonough à Ho Chi Minh Ville pour un test ADN. Le 12 juin 2002, on a reçu une lettre de Helix Biotech, qui concluait que la filiation maternelle de l'enfant était établie à 99,92 p. 100.

Le 4 avril 2003, l'agente des visas indiquait dans ses notes que [traduction] « le lien biologique entre la mère répondante et le demandeur principal a été prouvé par test ADN » .

[7] Il convient de rappeler que l'affaire De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.F. 162, [2004] A.C.F. n ° 1557 (QL), 2004 CF 1276, a été instruite en août 2004 et décidé en septembre 2004. Cela permet une uniformité accrue dans ce genre d'affaire.

[8] La décision rendue par M. le juge Beaudry dans l'affaire Hang Thi Yen c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 1236 est ici rappelée. La demande de contrôle judiciaire de l'un des trois enfants en cause y est rejetée et, si l'on y ajoute la présente décision, deux décisions judiciaires auront maintenant été rendues quant aux trois enfants.

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