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                                                                                                                                 Date : 20050407

                                                                                                                           Dossier : T-1211-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 461

ENTRE :

                                                                   ZAID LAMA

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE De MONTIGNY

[1]                Le demandeur interjette appel de la décision rendue le 26 janvier 2004 par le juge de la citoyenneté Gilbert Decoste, qui a rejeté sa demande de citoyenneté au motif qu'il ne rencontrait pas les exigences de résidence prévues à l'alinéa 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi). Plus particulièrement, le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n'avait pas démontré avoir centralisé son mode de vie au Canada.


[2]                Il convient de noter qu'une demande de citoyenneté a également été faite par son père (dossier T-1207-04), sa mère (dossier T-1208-04) et sa soeur (dossier T-1210-04); leur demande a été rejetée par le même juge de la citoyenneté, et chacune de ces décisions a fait l'objet d'un appel devant cette Cour, dont l'audition a eu lieu les 7 et 8 février dernier. La mère du demandeur s'est toutefois désistée de son appel lors de l'audition.

Contexte

[3]                Dans son formulaire de demande de citoyenneté, le demandeur a déclaré être entré au Canada le 14 décembre 1998, alors qu'il s'est installé à Montréal pour rédiger la thèse de maîtrise qu'il devait présenter à l'université Harvard. Il a par la suite obtenu le statut de résident permanent le 22 novembre 1999. Il a déposé sa demande de citoyenneté canadienne le 13 novembre 2002.

[4]                Le demandeur a déclaré avoir été absent du Canada 294 jours et présent 963 jours, pour un total de 1257 jours durant la période de référence définie par la Loi. Le demandeur ne possède pas de propriété au Canada et a déclaré avoir habité avec ses parents et sa soeur dans un logement à Montréal.

Décision

[5]                Le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de M. Zaid Lama, au motif qu'il entretenait des doutes sur la véracité de ses déclarations et sur le nombre réel de jours d'absence du Canada. Pour plus de commodité, nous reproduisons ci-après l'analyse du juge de la citoyenneté :


ANALYSE :

Après avoir écouté le requérant et avoir examiné ses déclarations ainsi que les documents produits j'ai de sérieux doutes sur la véracité de ses déclarations.

1- Le requérant déclare dans sa demande avoir habité au 1625 Lincoln Apt 904 à Montréal de décembre 1998 à novembre 2002. Dans le questionnaire sur la résidence, il déclare avoir habité à la même adresse sauf que l'appartement est le 1602 pour la période du 14 novembre 1998 au 14 janvier 1999 et que l'appartement 904 est pour la période du 15 janvier 1999 au 30 novembre 2002.

2- Le passeport du requérant contient un timbre d'entrée au Canada en date du 14 décembre 1998. Nous avons au dossier une note datée du 14 décembre 1998 et écrite par un agent d'immigration qui indique que le requérant aurait déclaré lors de cette entrée au Canada: a) être en attente de son statut de résident permanent du Canada b) avoir tout juste terminé ses études aux U.S.A. c) de venir au Canada pour visiter sa soeur pendant quelques jours d) retourner chez lui le 18 décembre 1998 pour ne revenir au Canada que lorsqu'il aura son statut de résident permanent. Dans sa lettre du 30 juillet 2003, le requérant écrit: "When I first arrived in Canada I rented an apartment from month to month until my parents prepared their apartment for me to move in". Cette déclaration contredit celle rapportée par l'agent de l'immigration canadienne le 14 décembre 1998 car le requérant déclare dans sa demande être venu vivre au Canada le 14 décembre 1998.

3- Le requérant déclare 4 courts séjours à Boston aux U.S.A. dans le cadre de travaux de thèse de maîtrise. Aucun timbre des U.S.A. n'apparaît dans le passeport du requérant pour ces dates d'entrées.

4- Le requérant n'a pas déclaré plusieurs absences correspondent à des dates de timbres apparaissant dans son passeport : 1er août 1999, 1er juillet 2002, deux dates d'entrée en Jordanie, le 18 novembre 1999 aux U.S.A., le 22 novembre 1999 au Canada. De plus, plusieurs dates de retour au Canada déclarées par le requérant ne sont pas confirmés par des timbres dans son passeport (18 juillet 1999, 18 mai, 16 juin, 16 octobre 2000, 1er juin et 28 juin 2002).

[6]                Suite à cette analyse, le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l'alinéa 5(1)(c) de la Loi. Il a par ailleurs cru bon de noter que le requérant n'avait pas déclaré toutes ses absences dans sa demande, et que peu de documents ont été produits pour les années 1999 et 2000.


Prétentions du demandeur

[7]                Lors de l'audition et dans son mémoire, l'avocate du demandeur a tenté de fournir des explications relativement aux divergences relevées par le juge de la citoyenneté, notamment en ce qui concerne son lieu de résidence à Montréal et ses séjours aux États-Unis.

[8]                On a ainsi fait valoir que les autorités canadiennes et américaines ne tamponnaient pas toujours les passeports avant le 11 septembre 2001, et que les divergences de date résultaient parfois d'une certaine confusion dans le passeport entre les dates d'arrivée et de départ. Le demandeur ajoute que les erreurs commises quant à ses absences étaient de bonne foi.

[9]                On a aussi soutenu que le juge de la citoyenneté avait erré en se servant des notes prises par un agent d'immigration pour évaluer la crédibilité du demandeur, sans lui dire qu'il était en possession de cette preuve et sans lui donner la possibilité d'expliquer les contradictions qu'il a décelées entre les notes prises par l'agent et ses déclarations.

[10]            Enfin, le demandeur a reproché au juge de la citoyenneté de ne pas avoir considéré les documents produits comme étant suffisants, alors même qu'il a fourni tout ce qui lui avait été demandé et qu'aucun autre document n'a été requis.


[11]            Enfin, le demandeur a soutenu que le juge de la citoyenneté avait erré en lui imposant erronément un fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable, plutôt que celui de la prépondérance des probabilités.

Prétentions du défendeur

[12]                        Le défendeur a d'abord soutenu que la crédibilité du défendeur était cruciale, étant donné la perception qui existe à l'étranger que la citoyenneté canadienne s'obtient facilement pour un résident permanent et qu'il suffit de déclarer des adresses fictives et d'obtenir des cartes d'identité fictives. Aussi est-ce à bon droit que le juge de la citoyenneté a refusé d'appliquer l'interprétation souple du terme « résidence » préconisée dans l'arrêt Re Koo ([1993] 1 C.F. 286), puisque la crédibilité du demandeur était sérieusement entachée.

[13]                        Compte tenu des nombreuses incohérences et contradictions entre la demande de citoyenneté, le questionnaire de résidence et l'affidavit du demandeur, et vu l'impossibilité de déterminer avec certitude les journées où le demandeur était effectivement présent au Canada, le juge de la citoyenneté était en droit de conclure qu'il n'avait pas fourni de preuves satisfaisantes démontrant qu'il avait centralisé son mode de vie au Canada.

[14]                        Par conséquent, le défendeur soutient que le demandeur n'a nullement fait la démonstration que le juge de la citoyenneté aurait erré en rejetant sa demande de citoyenneté.


Dispositions législatives applicables


5.(1)    Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[. . .]

c)    a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i)     un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent;

(ii)    un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent.

5. (1)    The Minister shall grant citizenship to any person who

[. . .]

(c)    has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(iii) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(iv) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;


Analyse

[15]            La seule question soulevée par le présent appel est celle de savoir si le juge de la citoyenneté a erré en concluant que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence prévues par la Loi. De façon plus précise, il nous faut déterminer si le juge de la citoyenneté a correctement interprété l'exigence de « résidence » , compte tenu des faits qui ont été portés à son attention.


[16]            Pour répondre à cette question, il nous faut d'abord déterminer la norme de contrôle applicable. Dans le passé, certains juges se sont inspirés de la décision rendue par le juge Lutfy (tel était alors son titre) dans l'arrêt Lam c. Canada (M.C.I.) ([1999] A.C.F. No. 410) pour conclure que la norme de contrôle appropriée pour un appel de la décision d'un juge de la citoyenneté était celle de la décision correcte.

[17]            Plus récemment, un consensus semble s'être forgé autour de la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir notamment les arrêts suivants : Chen v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) 2004 FC 1693, [2004] F.C.J. No. 2069; Rasaei v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) 2004 FC 1688, [2004] F.C.J. No. 2051; Gunnarson v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) 2004 FC 1592, [2004] F.C.J. No. 1913; Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Chen 2004 FC 848, [2004] F.C.J. No. 1040; Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Fu 2004 FC 60, [2004] F.C.J. No. 88; Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Chang 2003 FC 1472, [2003] F.C.J. No. 1871; Canada (M.C.I.) c. Mueller, [2005] F.C. 227.

[18]            Ma collègue la juge Tremblay-Lamer a justifié cette approche dans les termes suivants :

En l'espèce, lorsque la Cour doit vérifier que le juge de la citoyenneté a appliqué l'un des critères admis de résidence aux faits, cela soulève, à mon avis, une question mixte de droit et de fait (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748). Compte tenu du fait qu'il faille accorder un certain degré de déférence à l'égard des connaissances et de l'expérience particulières du juge de la citoyenneté, je conclurais que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. (Canada (M.C.I.) c. Fu, [2004] A.C.F. No. 88, au par. 7).


[19]            Compte tenu de l'approche pragmatique et fonctionnelle développée par la Cour suprême du Canada, notamment dans les arrêts Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 S.C.R. 226 et Law Society of New Brunswick c. Ryan, [2003] 1 S.C.R. 247, je suis d'avis que cette norme de contrôle est effectivement la plus appropriée dans les circonstances. Par conséquent, il convient de faire preuve de déférence dans la mesure où il est démontré que le juge a compris la jurisprudence et qu'il a apprécié les faits et les a appliqués au critère prévu par la Loi.

[20]            Après avoir considéré attentivement les motifs du juge de la citoyenneté, rien ne me permet de croire qu'il a erré en fait ou en droit dans l'appréciation de la preuve qui lui a été soumise et dans son application de la Loi. Contrairement à ce que soutient le demandeur, il n'a pas imposé un fardeau de preuve trop onéreux au demandeur et ses conclusions s'appuyaient entièrement sur la preuve qui lui a été soumise.

[21]            Il importe d'abord de rappeler que depuis l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale, en avril 1998, l'appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi n'est plus un appel de novo et se trouve donc régi par les règles 300 et suivantes des Règles. Ainsi, seule la preuve qui était devant le juge de la citoyenneté peut être considérée dans le cadre du présent appel : Canada (M.C.I.) c. Chan, [1998] A.C.F. No 742; Canada (M.C.I.) c. Cheung, [1998] A.C.F. No. 813; Canada (M.C.I.) c. Tsang, [1999] A.C.F. No. 1210; Canada (M.C.I.) c. Hung, (1998), 47 Imm. L.R. 182.


[22]            D'autre part, il eut sans doute été préférable que le juge de la citoyenneté confronte le demandeur aux contradictions qu'il avait constatées entre ses documents et les notes prises par l'agent d'immigration lors de son entrée au Canada le 14 décembre 1998. Cela aurait sans doute permis de clarifier ses véritables intentions et de déterminer de façon plus précise à quel moment le demandeur avait établi sa résidence au Canada. En effet, il tombe sous le sens que pour pouvoir maintenir une résidence au Canada, il faut d'abord l'avoir établi.

[23]            Je considère cependant que cette erreur n'était pas déterminante. D'abord parce que l'on voit mal comment le demandeur aurait vraiment pu s'établir au Canada avant d'obtenir le statut de résident permanent en novembre 1999; il appert d'ailleurs qu'il a très peu séjourné au Canada entre le 14 décembre 1998 et le 22 novembre 1999.

[24]            En supposant même que le demandeur se soit établi au Canada le 14 décembre 1998, comme il le prétend, il n'a pas réussi à établir selon la prépondérance des probabilités qu'il a effectivement résidé au Canada pendant trois ans au cours des quatre ans qui ont précédé sa demande, ou qu'il y a centralisé son mode de vie.

[25]            Étant donné les nombreuses contradictions relevées par le juge de la citoyenneté eu égard au lieu de résidence du demandeur et à ses entrées et sorties du Canada, ainsi que le peu de preuves tangibles pouvant corroborer sa résidence au Canada durant les années 1999 et 2000, il était loisible au juge de la citoyenneté de conclure que le demandeur n'était pas crédible.


[26]            Par conséquent, j'estime que le juge de la citoyenneté pouvait disposer de la demande de M. Zaid Lama comme il l'a fait, au motif que le demandeur n'avait pas centralisé son mode de vie au Canada et ne remplissait pas en conséquence les exigences prévues par l'alinéa 5(1)(c) de la Loi.

[27]            Je ne doute pas du fait que le demandeur désire vraiment obtenir la citoyenneté canadienne. Je suis cependant d'avis que sa demande était prématurée et que le juge de la citoyenneté n'a pas erré en la lui refusant, compte tenu de la preuve qui était devant lui. Il lui sera cependant loisible de présenter une nouvelle demande en temps opportun.

                                                                                                                      (s) « Yves de Montigny »          

Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                          T-1211-04

INTITULÉ:                                         ZAID LAMA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE:                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:                 7 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:    le juge de Montigny

DATE DE L'ORDONNANCE:         7 avril 2005

COMPARUTIONS:

MeAnnie Kenane                                                                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

MeAlexandre Tavadian                                                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Étude Kenane

Montréal (Québec)                                                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE


Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

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