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Date : 20060511

Dossier : IMM-6588-05

Référence : 2006 CF 592

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

KENNEDY IFADA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration par laquelle celui‑ci a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une dispense de l'obligation voulant que le demandeur doive présenter sa demande de résidence permanente à partir de l’étranger. L’élément fondamental de la demande fondée sur des considérations humanitaires (demande CH) était l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada du demandeur.

 

I.          L’historique

[2]               M. Ifada est un citoyen du Nigéria qui a demandé l’asile à son arrivée au Canada en 2001. Sa demande d’asile a été rejetée en octobre 2002; l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire lui a été refusée. On a rendu une décision défavorable quant à la demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) qu’il a ultérieurement déposée.

 

[3]               Pendant que le demandeur tentait de demeurer au pays, il a eu une fille et, peu de temps avant sa naissance, il a épousé la mère de cette dernière. Les parents se sont séparés depuis. Le demandeur rend visite à l’enfant et verse une pension alimentaire mensuelle de 200 $.

 

[4]               Le demandeur a déposé une demande CH le jour après qu’il eut reçu la décision défavorable quant à sa demande d’ERAR. Il a affirmé qu’il avait peur de retourner au Nigéria parce qu’il craignait d’y être assassiné par une secte qui est active dans ce pays (ce motif a été rejeté dans sa demande d’asile et dans sa demande d’ERAR). Il a également fait mention du fait qu’il avait une fille née au Canada et que celle‑ci avait besoin de son soutien affectif et physique.

 

[5]               Dans sa décision, sur la question de la demande CH du demandeur concernant l’intérêt supérieur de sa fille, l’agent a souligné que celle‑ci était très jeune (deux ans) et que c’était sa mère qui en prenait soin. L’agent a également tenu compte des éléments suivants : le soutien financier fourni par le demandeur, le fait que celui‑ci pouvait gagner sa vie comme professeur au Nigéria, le fait que sa famille était influente et riche (élément révélé dans le Formulaire de renseignements personnels du demandeur), le fait qu’il pouvait continuer à fournir un certain soutien s’il retournait au Nigéria et le fait que les grands‑parents maternels de l’enfant apportaient du soutien à celle‑ci.

 

[6]               Quant à la question de la séparation du père et de la fille, l’agent a affirmé ce qui suit :

[traduction]

 

Je reconnais qu’aucun enfant ne devrait être séparé d’un parent attentionné et qu’une telle séparation crée des difficultés pour le demandeur et sa fille, je suis convaincu que la fille du demandeur serait capable de s’adapter à la séparation de son père si on tient compte, encore une fois, de son jeune âge et du fait que le demandeur et Robynn sont maintenant séparés et ne vivent plus ensemble. En fait, compte tenu des circonstances, j’estime qu’il existe déjà un degré élevé de séparation entre le demandeur et son enfant en raison de la dissolution du mariage.

 

II.         L’analyse

[7]               La question fondamentale en litige dans le présent contrôle judiciaire consiste à savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande CH et à savoir, notamment, si l’examen qu’il a fait et la conclusion qu’il a tirée concernant l’intérêt supérieur de l’enfant sont raisonnables. Une question secondaire quant à la suffisance des motifs de l’agent a été soulevée mais n’a pas été débattue. Elle est incorporée dans l’examen de la question principale.

 

[8]               Il est bien établi que, comme il a été jugé dans l’arrêt Baker c. Canada (MCI), [1999] 2 R.C.S. 817, la norme de contrôle applicable à une décision CH quant à la suffisance des motifs de dispense est celle de la décision raisonnable simpliciter. La jurisprudence établit également que, à cet égard, le caractère raisonnable est établi lorsqu’il existe un mode d’analyse qui peut amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Voir l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 55 :

La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir. Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

 

[9]               Il n’appartient pas à la Cour de procéder à un nouvel examen de l’importance accordée par un agent d’immigration aux divers éléments dont il a tenu compte pour décider d’accorder ou non la dispense CH. Voir la décision Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, et l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3.

 

[10]           Le défendeur a renvoyé la Cour à deux décisions récentes du juge de Montigny qui traitent de la question de l’intérêt supérieur des enfants. L’une, Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1448 (QL); 2005 CF 1180, a trait à une affaire d’ERAR, et l’autre, Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 425 (QL); 2006 CF 356, a trait à une affaire CH. Ces décisions réitèrent les principes fondamentaux voulant que les demandes CH constituent une exception au droit commun, que l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant est l’un des facteurs importants dont on doit tenir compte dans le cadre d’une décision CH et que cet intérêt supérieur n’empêche pas un gouvernement d’expulser un parent.

 

[11]           La responsabilité de l’agent consiste à évaluer ces divers facteurs dans le cadre d’une demande CH. En ce qui a trait à l’intérêt supérieur de l’enfant, il incombe à l’agent d’être « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt. Voir la décision Legault, précitée.

 

[12]           Il est bien établi qu’un enfant est généralement mieux avec l’un de ses parents ou avec les deux que sans eux. Le raisonnement de l’agent, énoncé au paragraphe 6 des présents motifs, révèle qu’il a été « alerte, attentif et sensible » à cette considération à moins qu’il n’y ait quelque chose de manifestement erroné.

 

[13]           Même s’il y a une lacune dans la preuve concernant le statut et les ressources du demandeur au Nigéria, c’est à lui qu’il incombait de soumettre cette preuve. L’agent s’est fié à la preuve disponible. La Cour n’a pas à remettre en question l’importance que l’agent a accordé à chacun des facteurs pertinents dans la demande CH en question.

 

[14]           Les motifs et le raisonnement de l’agent révélaient clairement le mode d’analyse et étaient suffisamment détaillés pour satisfaire à la norme de la décision correcte et à la norme des motifs valables.

 

[15]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6588-05

 

 

INTITULÉ :                                                   KENNEDY IFADA

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 9 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lori O’Reilly                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

W. Brad Hardstaff                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

O’Reilly Law Office                                          POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Calgary (Alberta)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

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