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Date : 20050420

Dossier : IMM-3756-04

Référence : 2005 CF 533

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

VIDA KWAYISI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Kwayisi affirme que la protection de l'État au Ghana est cruellement inadéquate et que la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui en conclut autrement est très injuste. Malheureusement, je ne suis pas d'accord.

FAITS

[2]                Citoyenne du Ghana, Mme Kwayisi aura bientôt 35 ans. Lorsqu'elle a rencontré son conjoint (Kojo) en février 2001, elle a immédiatement été attirée par lui. Il était de 20 ans son aîné environ, gentil, attentionné et très beau. Il était également politiquement branché, riche, influent et éminent, oeuvrant dans le domaine de l'importation et de l'exportation. Sa famille l'aimait beaucoup. Le décès du père de Mme Kwayisi en 1988 a été suivi de moments difficiles. La gentillesse et la générosité de Kojo ont beaucoup amélioré la situation difficile de sa famille.

[3]                Après huit mois de fréquentation, et grâce à l'encouragement et à la bénédiction de sa mère, Mme Kwayisi a emménagé avec Kojo. Tout a changé. Il est devenu possessif et jaloux, contrôlant, harcelant (lui téléphonant au travail au moins trois fois par jour) et verbalement violent. Peu de temps après, il a commencé à l'agresser sexuellement et physiquement.

[4]                À la suite d'un incident précis, Mme Kwayisi s'est tournée vers sa mère et ses soeurs pour obtenir du soutien. Comme Kojo les soutenait financièrement, elles craignaient que cet appui cesse et elles l'ont donc encouragée à demeurer soumise et à lui donner une chance. Mme Kwayisi s'est ensuite tournée vers la police locale et a signalé l'incident. Lorsqu'elle a mentionné le nom de son conjoint, la police a refusé d'enregistrer la plainte et a déclaré qu'il s'agissait d'une question familiale qu'il serait préférable de régler avec les aînés de la famille.

[5]                Le rendement au travail de Mme Kwayisi s'est détérioré. Elle a présenté une demande de visa d'étudiant, qui a été refusée. Elle a tenté de faire exactement ce que Kojo attendait d'elle, mais les abus se sont poursuivis.

[6]                En mars 2003, Kojo l'a battue si sévèrement qu'elle a dû obtenir des soins médicaux. À nouveau, elle a demandé l'aide de la police. Encore une fois, la police a refusé d'enregistrer la plainte et a déclaré qu'il s'agissait d'une question familiale qu'il serait préférable de régler avec les aînés de la famille. Lorsque Mme Kwayisi a insisté pour que des accusations soient portées, elle a été escortée hors du poste de police.

[7]                À nouveau, elle a approché sa famille et on l'a accusée de détourner la vérité à son avantage. Une cousine, qui vivait à Koforidua dans la région de l'Est, était le seul membre de la famille sympathique à sa cause et désireuse de l'aider. Mme Kwayisi s'est rendue à Koforidua, mais après seulement quatre semaines, Kojo et sa soeur sont arrivés et l'ont retirée du domicile de sa cousine. Ayant déjà menacé Mme Kwayisi de la tuer si elle le quittait, Kojo a dirigé sa colère vers sa cousine et l'a avertie de ne jamais plus héberger Mme Kwayisi chez elle.

[8]                Mme Kwayisi et sa cousine, par téléphone, ont planifié une évasion. Sa cousine a pris les mesures nécessaires afin qu'un agent lui obtienne un faux passeport britannique. Après que Kojo a planifié un voyage d'affaire à l'extérieur du pays, pendant la semaine du 16 juillet, Mme Kwayisi a réservé un vol pour le 20 juillet 2003. Elle est arrivée au Canada le jour suivant.

[9]                Depuis son arrivée au Canada, elle a parlé avec sa cousine et son ancien employeur, qui l'ont tous deux informée que Kojo la cherchait et qu'il avait juré de lui donner une leçon. Il a menacé tout le monde, y compris sa mère et ses soeurs, car il refuse de croire qu'elles ne sont pas complices de son départ. Il a déjà menacé de la tuer et Mme Kwayisi prétend craindre pour sa vie.


LA DÉCISION

[10]            La SPR a rejeté la demande de Mme Kwayisi, du fait qu'elle n'avait pas réfuté la présomption de protection de l'État. La SPP a estimé que la violence familiale demeure un problème au Ghana et que la protection de l'État n'est pas parfaite, mais qu'elle est adéquate. Se reportant à la preuve documentaire, la SPR a conclu que le Ghana est en mesure d'offrir la protection de l'État à ses citoyens depuis la création de l'Unité pour les femmes et les jeunes (WAJU) des services policiers du Ghana. Étant donné sa conclusion concernant la protection de l'État, la SPR a estimé qu'elle ne pouvait pas invoquer les directives de la présidente sur les revendicatrices du statut de réfugié en faveur de Mme Kwayisi.

L'ARGUMENTATION

[11]            Mme Kwayisi prétend que la SPR n'a pas tenu compte de la preuve documentaire indiquant que la violence familiale demeure un problème pernicieux au Ghana. Elle note que la WAJU fait partie intégrante de la force policière et ne constitue pas un organisme autonome comme les motifs de la SPR l'indiquent. Elle fait donc valoir que la WAJU fait partie de la même force policière qui l'a déboutée deux fois lorsqu'elle a tenté de déposer une plainte concernant la violence. De plus, les statistiques qui figurent dans la preuve documentaire dont la Commission est saisie illustrent à peine l'efficacité de la WAJU. Étant donné l'absence de protection adéquate de l'État au Ghana, Mme Kwayisi soutient que la SPR aurait dû invoquer en sa faveur les directives concernant la persécution fondée sur le sexe.


ANALYSE

[12]            Bien que je comprenne les difficultés de Mme Kwayisi et que je sois profondément troublée par ses expériences, je suis liée par un certain nombre de principes qui s'appliquent à la question de la protection de l'État.

[13]            En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est en mesure d'offrir une protection à ses citoyens. Cette présomption sert à renforcer les motifs qui sous-tendent la protection internationale en tant que protection accessoire entrant en jeu lorsque le demandeur n'a aucune autre solution de rechange. Les demandeurs d'asile doivent établir de manière claire et convaincante que l'État est incapable d'assurer leur protection s'ils veulent réfuter la présomption que l'État est capable de protéger ses citoyens : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Il ne suffit pas au demandeur de démontrer que la protection de l'État n'est pas parfaite. Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.).

[14]            Lorsqu'il s'agit d'un État démocratique, l'obligation qui incombe au demandeur d'obtenir la protection de l'État augmente. Il ne suffit pas que le demandeur démontre que le gouvernement a été incapable de le protéger dans son cas. Il doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses : Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.).

[15]            C'est sur cette toile de fond qu'il faut examiner la décision de la SPR. La Commission a pris en compte la preuve produite par Mme Kwayisi dans son appréciation de l'efficacité des efforts consentis par le gouvernement pour protéger les femmes victimes de violence. On reconnaît que la violence familiale et la violence conjugale sont des problèmes pernicieux au Ghana et que l'État continue d'éprouver des difficultés dans ses efforts pour lutter contre ces maux. La Commission a examiné la preuve documentaire et a mentionné les mesures prises et les progrès réalisés depuis 1996 et a conclu que les efforts du gouvernement étaient adéquats.

[16]            Elle a noté plus précisément l'existence de la WAJU dans différents centres partout au Ghana, y compris dans la région où vivait Mme Kwayisi. La Commission a remarqué que les cas de violence familiale étaient traités par la WAJU elle-même, par l'entremise de ses programmes de sensibilisation du public et grâce à une coordination avec les ministères gouvernementaux et les agences non gouvernementales. Les services de la WAJU ont été développés depuis sa mise sur pied en 1998, et elle bénéficie d'un soutien financier. Des contrevenants ont été poursuivis et des conflits familiaux ont été réglés à l'amiable. La SPR a noté qu'au bureau de la WAJU à Cape Coast, dans sa première année d'exploitation, on a enregistré 2 023 cas. Le chef des forces policières régionales a annoncé qu'une loi serait bientôt adoptée concernant le viol conjugal. Le rapport du Département d'État des États-Unis pour 2002 révèle que la WAJU compte des bureaux dans neuf villes au pays et qu'elle travaille en étroite collaboration avec le ministère de l'Aide sociale et de l'Aide juridique. En date du 30 septembre 2002, la WAJU avait enregistré un total de 3 155 cas. La SPR n'a pas perçu la WAJU comme une association autonome; elle l'a plutôt décrite comme une unité spéciale oeuvrant au sein de la force policière.

[17]            La SPR a également tenu compte des deux occasions où Mme Kwayisi s'est présentée au poste de police. La SPR a dit que c'était une femme scolarisée et raffinée. Bien qu'elle conteste cet énoncé et qu'elle maintienne que les abus familiaux transcendent les classes sociales, la Commission ne l'a pas contredite. À mon avis, si l'on prend ce commentaire dans son contexte, la SPR a estimé que Mme Kwayisi (une femme scolarisée et raffinée) disposait d'un rapport médical qui lui aurait permis de démontrer de façon positive les violences qu'elle a subies et d'en désigner l'auteur, de sorte quelle aurait pu, par des efforts concertés, demander l'aide de la WAJU et voir ainsi sa plainte prise au sérieux. Autrement dit, elle disposait des ressources nécessaires pour recourir aux services de la WAJU. Cela vient confirmer ses propos indiquant qu'elle n'était pas familière avec la WAJU, mais que si elle avait décidé de consentir les efforts nécessaires, elle aurait pu la connaître.

[18]            Mme Kwayisi a produit deux articles dont elle prétend que la Commission n'a pas tenu compte. Bien que la SPR ne se reporte pas précisément au contenu de ces articles dans ses motifs, elle mentionne qu'elle a pris en considération les documents produits par l'avocat de Mme Kwayisi. Quoi qu'il en soit, les documents ne sont pas très utiles à la cause de Mme Kwayisi. Dans un de ces documents, on mentionne simplement que certains agents de police considèrent toujours les questions de violence familiale comme des problèmes purement familiaux ou domestiques qui ne nécessitent pas l'intervention de la police. Le défendeur fait valoir que cette perception n'est pas forcément celle de tous les agents de police et que les réussites attribuées aux agents des unités de la WAJU prouvent le contraire. Le deuxième article signale une augmentation des cas de violence contre les femmes, mais rapporte plutôt une augmentation du nombre de femmes qui signalent les cas de violence familiale.

[19]            Enfin, après avoir examiné la preuve documentaire et la preuve produite par Mme Kwayisi, la SPR a conclu que, bien que son système ne soit pas parfait, le Ghana prouve qu'il est en mesure et désireux d'aider les femmes victimes de violence. La SPR a conclu que Mme Kwayisi n'a pas réfuté la présomption de protection de l'État. Ayant examiné le contenu du dossier, je ne peux conclure qu'il n'était pas loisible à la Commission de conclure ainsi. Même suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter, je suis tenue d'appliquer le critère énoncé dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, où, au paragraphe 55, le juge Iacobocci a dit ceci :

La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

[20]            La décision de la SPR répond à ce critère et mon intervention n'est donc pas justifiée. Les avocats n'ont pas formulé de question à être certifiée et aucune question n'est soulevée à cet égard.

ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

      « Carolyn Layden-Stevenson »

                         Juge                  

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3756-04

INTITULÉ :                                        VIDA KWAYISI

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 13 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

EN DATE DU :                                   20 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Y. A. Atuobi-Danso

K. Ackaah-Boafo                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yiadom A. Atuobi-Danso

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                       POUR LE DÉFENDEUR

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