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Date : 20020712

Référence neutre : 2002 CFPI 789

Ottawa (Ontario), le 12e jour de juillet 2002

En présence de : L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                                                                                              Dossier: IMM-1211-01

                                                               ACHOT SARKISSIAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

Dossier: IMM-1212-01

                                                             ARTOUR SARKISSIAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur


Dossier: IMM-1216-01

                                                               ABRIK SARKISSIAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de révision judiciaire à l'encontre des trois décisions de l'agent des visas, Valérie Feldman, rendues le 8 février 2001, refusant les demandes de résidence permanente présentées par les demandeurs à titre d'investisseurs.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                 L'agent des visas a-t-elle rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que les demandeurs n'ont pas démontré la légalité de la provenance de leurs fonds?

[3]                 La décision est-elle suffisamment motivée pour permettre aux demandeurs d'exercer leurs moyens à l'encontre de celles-ci?

[4]                 La réponse à la première question est négative. La réponse à la deuxième question est positive.


FAITS

[5]                 Les trois demandeurs sont frères, citoyens de la Russie, provenant de Bakou en Azerbaidjan.

[6]                 Comme les demandeurs désirent établir leur résidence permanente au Québec, ils obtiennent le 2 juillet 1999, trois certificats de sélection du ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration du Québec.

[7]                 Le 7 juillet 1999, l'ambassade du Canada à Paris reçoit les demandes de résidence permanente des demandeurs à titre d'investisseurs et déclenche le processus d'évaluation.

[8]                 Les 6 et 12 octobre 1999, des décisions préliminaires sont prises par rapport aux demandes de résidence permanente des demandeurs.

[9]                 Le 30 juin 2000, après étude du dossier, la section des vérifications sécuritaires détermine qu'une étude approfondie des demandes de résidence permanente s'impose et convie les demandeurs à une entrevue pour le 17 octobre 2000.

[10]            Le but de cette entrevue est de vérifier leur admissibilité en vertu de l'article 19 de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (ci-après la "Loi").

[11]            Au début de chacune des entrevues, l'agent des visas informe les demandeurs de ses préoccupations concernant la provenance des fonds qu'ils ont déclarés.

[12]            Aucun des trois demandeurs n'est en mesure de satisfaire les préoccupations de l'agent des visas.

[13]            Cette dernière rejette les demandes déclarant que les demandeurs ne sont pas capables de justifier la source de leurs fonds, ce qui donne lieu à des questions quant à la légitimité et à la légalité des moyens qu'ils ont employés pour obtenir cet argent.

[14]            Elle conclut que les demandeurs n'ont pu démontrer de manière documentée et satisfaisante qu'ils n'appartenaient pas à une des catégories de personnes non admissibles décrites à l'article 19 de la Loi.

DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS

[15]            Valérie Feldman rédige trois lettres en date du 8 février 2001 à chacun de ses demandeurs. Dans la lettre à Artour Sarkissian, elle écrit:

La Loi sur l'immigration stipule très clairement qu'il est de la responsabilité du requérant de démontrer que son admission ne serait pas contraire à la Loi et ses règlements. Votre incapacité à justifier l'origine de vos ressources personnelles donnent lieu à des questions quant à la légitimité et à la légalité des moyens que vous avez employés pour obtenir cet argent. [je souligne]

[16]            Semblablement dans sa lettre adressée au demandeur Abrik Sarkissian, elle écrit:

Au cours de l'entrevue à Paris le 17 octobre 2000, vous avez déclaré avoir accumulé vos ressources financières grâce à votre implication dans votre propre compagnie. Vos réponses n'étaient pas cohérentes et vos déclarations contredisaient celles de vos frères. Vos avoirs actuels sont importants et n'ont pas été justifiés logiquement au cours de l'entrevue. [je souligne]

[17]            Ces mêmes paragraphes se trouvent aussi dans la lettre adressée au demandeur Achot Sarkissian.

POSITION DU DEMANDEUR

[18]            Les demandeurs soutiennent qu'ils ont répondu à toutes les questions posées lors de l'entrevue de façon honnête et franche.

[19]            Les demandeurs allèguent que la preuve soumise à l'agent des visas n'a pas fait l'objet d'une appréciation négative de la part de cette dernière et qu'elle devait retenir cette preuve comme étant valable, valide et authentique.

[20]            Les demandeurs allèguent aussi que les décisions rendues sont erronées car les questions posées par l'agent des visas quant à la légitimité et la légalité des moyens employés par les demandeurs pour obtenir leur argent n'est fondé que sur de la spéculation ou des conjectures.

[21]            En dernier lieu, les demandeurs prétendent que l'agent des visas a rejeté leurs demandes au motif qu'ils appartiennent à l'une des catégories de personnes inadmissibles en vertu de l'article 19 de la Loi.

POSITION DU DÉFENDEUR

[22]            Le défendeur allègue que l'Accord Canada-Québec prévoit qu'il revient à la province du Québec de veiller à la sélection des immigrants à destination de cette province, mais que l'admission des immigrants demeurent sous la compétence exclusive du gouvernement fédéral.

[23]            Le défendeur ajoute que c'est à la charge des demandeurs de prouver la légalité et la légitimité des sources des fonds à l'agent des visas en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi.

[24]            Le défendeur mentionne que l'agent des visas a examiné la preuve soumise par les demandeurs et elle a trouvé que cette preuve était insuffisante.

[25]            De plus, l'agent des visas était bien fondée de conclure que les demandeurs n'avaient pas démontré de manière documentée et satisfaisante la légalité de la provenance de leurs fonds.

[26]            En concluant, le défendeur déclare que la documentation produite par les demandeurs ne démontre d'aucune façon la provenance de leurs fonds, et n'explique aucunement les nombreuses contradictions dans leurs témoignages au sujet de la provenance de leurs fonds.


ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire applicable

[27]        La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chiu Chee To c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no. 696 (QL) (C.A.F.), énonce la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'égard des décisions discrétionnaires d'un agent des visas en ce qui concerne les demandes d'immigration, comme étant celle de manifestement déraisonnable. D'ailleurs, le juge McIntyre dans Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 écrit aux pages 7 et 8:

[...] C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilitélui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. [...] (je souligne)

Questions en litige

[28]            L'agent des visas a-t-elle erré en concluant que les demandeurs n'ont pas démontré la légalité de la provenance de leurs fonds?

[29]            Je crois que l'agent des visas était bien fondée de s'interroger de la provenance des fonds des demandeurs et de se déclarer insatisfaite de la preuve qu'ils ont présenté à cet égard.

[30]            Dans le cadre du paragraphe 9(4) de la Loi, l'agent pouvait vérifier la provenance d'argent accumulé appartenant aux demandeurs et questionner ces derniers à ce sujet.

[31]            Je mentionne ci-dessous quelques extraits des notes STIDI (Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration) de l'agent des visas qui démontrent clairement qu'elle éprouve des préoccupations quant à la légalité et la légitimité de la provenance des fonds des demandeurs. À la partie II, aux pages 5-6 du dossier certifié du demandeur, Abrik Sarkissian, se trouve ce qui suit:

Answers are vague and discrepancies raised again between answers from three brothers.    Having reviewed the documents on file and after the interview I have concerns that the sole activity is not the furniture manufacturing (and his distribution company). Is not able to answer questions on his company in a coherent manner. At times all are running the business (combined business) at other times during the interview he states that they each have their own business. Declared funds not in line with potential earnings from the companies. Net worth over 6 million for 3. [...] I have serious doubts as to the credibility of the applicant. He has not been able to disabuse me of my concerns has in fact only raised them.

I informed applicant that I had concerns about the source of funds and funds declared. He had no comments. [je souligne]

[32]            Quant à Achot Sarkissian, à la partie II, à la page 18 de son dossier certifié, on peut lire ce qui suit:

I told the applicant that I would be reviewing the information on his application and the information he gave me at the interview but that I still had some serious concerns about the funds that they had been able to accumulate in such a short period of time. No response.

I have reviewed the elements obtained form [sic] the interview and also the documents on file and I find that I have not been disabused of my concerns over the question of source of funds and actual funds. [...] I am not convinced that he is telling my [sic] the truth and I find it worrisome that he would be able to transfer one million dollars out of Russia in such a short period of time from revenues generated from a furniture business. Applicant hesitates before answering, sometime [sic] does not answer the questions. [je souligne]


[33]            Quant à Artour Sarkissian, à la partie II, à la page 12 de son dossier certifié, on peut lire ce qui suit:

Declared net worth and potential earnings do not fit. Applicants [sic] hesitates when he responds, answers are vague. [...] Applicant has not disabused me of my concerns over the source of funds declared has in fact raised them. Applicant informed of my concerns. He states that they are honest people, he cannot understand why I would doubt this. Would not accept refusal based on assumption that they are dishonest people.[...] [je souligne]

[34]            D'après ces trois extraits, il est évident que l'agent des visas éprouvait des préoccupations quant à la légalité et la légitimité de la provenance des fonds des demandeurs.

[35]            La cause Biao c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 348 (1re instance), ressemble énormément aux faits sous étude. Le juge Nadon (tel était alors son titre) opine au paragraphe 24:

Eu égard aux circonstances de l'espèce, il était à mon avis approprié pour l'agent des visas de vérifier la source des fonds du demandeur, étant donné l'écart important entre le revenu annuel et la valeur nette personnelle. La demande de l'agent des visas était légitime et raisonnable puisque les pièces demandées se rapportaient à la question de l'admissibilité. [je souligne]

[36]            Également dans Biao, supra, le juge Nadon fait référence à la cause Kaur c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et al (1995), 98 F.T.R. 91 (C.F. 1re instance) et mentionne au paragraphe 22:

Cette Cour a statuéque l'agent des visas a le droit et l'obligation d'exiger que le demandeur produise les pièces qui, selon lui, sont nécessaires à l'examen de la demande. Dans la décision Kaur c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et al. (1995), 98 F.T.R. 91 (C.F. 1re inst.), à la page 92 le juge Rothstein a fait remarquer ce qui suit:


Lorsque l'agent des visas demande à juste titre d'obtenir diverses pièces et que ces dernières ne sont pas produites, le requérant ne peut obtenir son admission, car il ne s'est pas conformé à une demande faite légitimement en vertu de la Loi sur l'immigration. [je souligne]

[37]            Le juge Pinard a aussi affirmé dans la cause Hao c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 2013 (QL) (C.F. 1re instance), ce qui suit au paragraphe 10:

À mon avis, la prétention de l'agent des visas était correcte et il a refusé le visa pour des motifs appropriés, à savoir que, en l'absence de la documentation qu'il avait demandée, il ne pouvait pas vérifier l'admissibilité du demandeur conformément à l'article 19 de la Loi. [je souligne]

[38]            Je considère que l'agent des visas était justifiée de refuser la demande de résidence permanente. Il n'y a rien dans le dossier des demandeurs qui permet de conclure à des transactions légitimes. Les documents soumis sont des états financiers et des relevés de comptes bancaires. Il n'y a aucun reçu ou document démontrant livraison, connaissement, récépissé, paiement de frais de transport qui pourrait permettre de démontrer l'existence de vente de meubles.

[39]            Je considère aussi pertinent le questionnement de l'agent des visas sur la provenance des sommes importantes acquises par les demandeurs et sa conviction que ces derniers ne l'ont pas convaincu que ces montants d'argent ne provenait pas de source illicite ou illégale.

[40]            Les décisions rendues par l'agent des visas sont-elles suffisamment motivées pour permettre aux demandeurs d'exercer leurs moyens à l'encontre de celles-ci?

[41]            Quant à moi, la décision rendue est suffisamment motivée. À la lecture des décisions contestées, je peux constater que les demandeurs pouvaient exercer tous les moyens pour convaincre l'agent des visas d'expliquer l'origine de leurs ressources financières.

[42]            Les notes STIDI constituent les fondements des décisions prises par l'agent des visas. Ce principe a été confirmé par le juge Blanchard dans Nooshinravan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 909 (QL) (C.F. 1re instance), paragraphe 10:

À mon avis, les notes consignées dans le STIDI ne font pas partie du dossier du tribunal, mais constituent plutôt des motifs à l'appui de la décision. Telle est l'approche qui a été adoptée, entre autres, par Madame le juge Reed dans la décision Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [Voir Note 4 ci-dessous], et par Monsieur le juge Pelletier dans la décision Tajgardoon c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration). [...] [Note au bas de la page omise; je souligne]

[43]            Je suis satisfait qu'en lisant les décisions contestées, les demandeurs étaient en mesure de comprendre pourquoi l'agent des visas a conclu que ces derniers ne s'étaient pas déchargés de leur fardeau de démontrer que leur admission au Canada ne contreviendrait pas à la Loi ou à ses règlements car ils ont été incapables de justifier l'origine ou la provenance des sommes considérables dont ils ont prétendu être propriétaires.


LÉGISLATION PERTINENTE

[44]            Le paragraphe 8(1) de la Loi énonce le fardeau de preuve qui incombe à celui qui veut entrer au Canada.


8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.


[45]            L'article 9 de la Loi traite des demandes de visas et autorisations spéciales. Le paragraphe 9(3) oblige toute personne à répondre franchement aux questions de l'agent des visas.


9(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

                       

9(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.


[46]            Le paragraphe 9(4) concerne l'émission d'un visa lorsque l'agent des visas est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur ne contrevienne pas à la Loi ni à ses règlements.



9(4) Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements.

                                  

9(4) Subject to subsection (5), where a visa officer is satisfied that it would not be contrary to this Act or the regulations to grant landing or entry, as the case may be, to a person who has made an application pursuant to subsection (1) and to the person's dependants, the visa officer may issue a visa to that person and to each of that person's accompanying dependants for the purpose of identifying the holder thereof as an immigrant or a visitor, as the case may be, who, in the opinion of the visa officer, meets the requirements of this Act and the regulations.


[47]            Dans une affaire semblable récente, le juge Blais s'est prononcé dans l'arrêt Martirossian c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1538 (QL) (C.F. 1er instance) aux paragraphes 15, 18, 19, 22 et 35, et a donné raison à l'agent des visas qui questionnait la provenance des fonds du demandeur. Je partage les commentaires du juge Blais et je suis d'avis que l'agent des visas était bien fondée dans le cas sous étude de rendre les décisions concernant les demandeurs.

[48]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale.

[49]            Pour ces raisons, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée, le tout sans frais.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1.                    Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée, le tout sans frais.

   (signé) Michel Beaudry

Juge

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