Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060725

Dossier : IMM-6516-05

Référence : 2006 CF 914

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

NASIMA AKHTER

REZWAN ABBAS

SHANEWAZ ABBAS

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]                La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse, une citoyenne du Bangladesh, ainsi que ses deux fils à charge. Comme fondement de la demande d’asile, la demanderesse a fait valoir qu’elle craignait d’être persécutée du fait qu’elle est une femme non mariée, qui a des enfants et qui possède des biens. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de rejeter la demande d’asile.

 

II.         Les faits

[2]               La Commission a rejeté la demande d’asile parce qu’elle a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau lui incombant de démontrer, grâce à suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi, qu’elle-même et ses fils seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution s’ils devaient retourner au Bangladesh.

 

[3]               L’élément central de la demande d’asile de la demanderesse est qu’elle et les membres de sa famille avaient été persécutés [traduction] « par des voyous, des "mastans" [mafia] et autres individus », tout cela du fait qu’elle était propriétaire d’un terrain. Après avoir déposé son FRP, la demanderesse l’a modifié afin d’inclure un incident au cours duquel elle aurait été violée.

 

[4]               La Commission doutait sérieusement de la crédibilité de la demanderesse. La Commission a fondé sa décision sur les diverses lacunes entachant la preuve de la demanderesse et qui ont eu pour effet de réfuter la présomption de véracité. Parmi ces lacunes, ont trouve :

·                    la question de savoir si la demanderesse était mariée ou divorcée, notamment au vu de l’Avis de divorce déposé aux fins de corroborer son état matrimonial;

·                    l’absence d’authenticité des autres documents corroborants;

·                    les contradictions dans le témoignage de la demanderesse;

·                    son comportement;

·                    l’absence d’explication crédible quant au long délai pour demander l’asile;

·                    le défaut de présenter une preuve au soutien de la demande fondée sur l’article 97.

Les demandes d’asile des enfants ont également été rejetées du fait qu’elles reposaient sur la demande de leur mère.

 

III.       Questions en litige

[5]               On peut résumer comme suit les questions en litige :

a)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans le traitement de la preuve documentaire produite par les demandeurs?

b)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur quant à divers aspects des nombreuses inférences défavorables tirées relativement à la crédibilité des demandeurs?

c)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant les demandes d’asile des demandeurs mineurs?

d)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile du mineur?

e)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas satisfait aux exigences liées à l’article 97 de la Loi?

 

IV.       Analyse

A.        Norme de contrôle

[6]               L’admission ou le rejet de la preuve est une question relevant de la compétence de la Commission, de même que celle de la valeur probante de la preuve documentaire. La Commission ne peut toutefois faire abstraction d’éléments de preuve clés liés au fondement même de la demande ni omettre d’expliquer pourquoi ces éléments de preuve ne sont pas admis (voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. n° 598 (QL) et Menaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 1431 (QL)). La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux faits de la présente affaire, y compris la preuve documentaire, est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[7]               La Cour a statué de façon constante que les questions concernant la crédibilité appellent la norme de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315). Je ne vois aucun motif de m’écarter de cette norme.

 

B.         La preuve documentaire

[8]               La Commission a beaucoup insisté sur les prétendues contradictions entachant l’Avis de divorce produit pour démontrer que la demanderesse était une femme non mariée. Le Haut-commissariat du Canada au Bangladesh avait signalé que le document [traduction] « paraît être faux ». Le défendeur soutient que cette question ne constituait pas un élément central de la décision, mais il est manifeste que la Commission y voyait un élément décisif quant à la question de la crédibilité.

 

[9]               La demanderesse a directement mis en question le rapport produit par le Haut-commissariat, à la fois en expliquant pourquoi la conclusion tirée était erronée et en déposant de nouveaux documents venant réfuter cette conclusion et confirmer son allégation qu’elle était divorcée.

 

[10]           Alors que des éléments de preuve auraient permis à la Commission de mettre en cause la crédibilité de la demanderesse quant à cette question, et en conséquence l’authenticité de ses nouveaux documents (elle avait produit tant au Canada qu’aux États-Unis des documents où elle se décrivait comme étant mariée), la Commission n’a pas fait état de l’explication donnée par la demanderesse pour contester la conclusion du Haut-commissariat ni mentionné ces nouveaux documents ou expliqué en quoi elle les estimait insuffisants.

 

[11]           La Commission n’a pas mentionné, à titre d’exemple, une ordonnance de conciliation produite en preuve. Le Haut-commissariat a cité l’absence d’une telle ordonnance comme l’un des trois facteurs décisifs venant confirmer que la demanderesse pouvait ne pas être véritablement divorcée. L’ordonnance de conciliation a finalement été déposée auprès de la Commission mais, malgré cela, celle‑ci n’a nullement fait mention de ce document.

 

[12]           Vu selon moi l’importance accordée à toute la question de l’état matrimonial de la demanderesse, une pierre d’angle de sa demande, et vu les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées à cet égard, tant de manière générale qu’en contexte plus particulier, il était manifestement déraisonnable de ne pas faire mention de cette preuve.

 

[13]           On pourrait dire la même chose des questions liées aux rapports de police. La Commission était saisie de suffisamment d’éléments de preuve montrant que ces rapports de police étaient sujets à caution, comme le fait que les tampons utilisés n’étaient pas les mêmes que ceux employés par le poste de police. La Commission a toutefois tiré certaines conclusions difficiles à étayer relativement à la numérotation séquentielle des rapports de police et à la possibilité, par suite, que les rapports soient faux. Compte tenu de la décision à laquelle la Cour en arrive dans le cadre du présent contrôle judiciaire, il s’agit également là d’une question qui devra faire l’objet d’un nouvel examen.

 

C.        Inférences défavorables

[14]           Comme pour ce qui est de la preuve documentaire, la conclusion de la Commission au sujet des contradictions et de la crédibilité reposait sur certains fondements. Le problème qui se pose toutefois, c’est que des explications fournies par la demanderesse sur des questions clés semblent ne pas avoir été prises en compte.

 

[15]           Premièrement, la Commission a conclu à une contradiction entre la déclaration de la demanderesse selon laquelle son père lui avait donné un terrain en 1991 et celle selon laquelle elle avait eu le terrain en sa possession entre 1992 et 2002. La demanderesse a donné comme explication à cet égard qu’il existait une différence entre le moment du transfert du titre à son profit et le moment de sa prise de possession du terrain. Bien qu’il s’agisse là d’un concept juridique bien connu, la Commission n’a pas traité de cette explication, et le rejet de celle‑ci méritait des éclaircissements.

 

[16]           Deuxièmement, la Commission n’a pas prêté foi à la demanderesse lorsque, dans son témoignage, elle a déclaré ne pas avoir révélé son viol à quiconque hors de sa famille parce que cela n’était pas indiqué dans une société musulmane conservatrice.

 

[17]           À ce sujet, contrairement à ce qu’a conclu la Commission, il n’y avait aucune contradiction entre le témoignage de la demanderesse selon lequel seuls son frère et sa belle-sœur étaient au courant du viol et sa déclaration portant qu’elle n’en avait parlé qu’à des « membres de sa famille ».

 

[18]           La Commission n’a pas prêté foi non plus à la demanderesse lorsqu’elle a dit craindre d’être humiliée par les membres de sa famille si son viol était révélé à davantage de gens. La Commission a déclaré ceci lorsqu’elle a rejeté cette explication :

L’on ne peut raisonnablement s’attendre, surtout de citoyens canadiens et de résidents permanents scolarisés, que les frères et sœurs de la famille humilient une femme parce qu’elle a été violée.

 

[19]           La question n’était pas de savoir ce que feraient des citoyens canadiens et des résidents permanents scolarisés, mais plutôt ce que pourraient faire les frères et sœurs de la demanderesse au Bangladesh. La Commission n’a pas tenu compte de ses propres Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et n’a pas apprécié la réponse donnée en fonction des normes culturelles de la demanderesse et de sa famille. Ce n’est pas à dire qu’il faut nécessairement croire la demanderesse, mais simplement que l’analyse de sa crédibilité par la Commission devait prendre en considération les normes culturelles.

 

[20]           Troisièmement, la Commission a conclu que la demanderesse avait fait des déclarations contradictoires quant aux motifs pour lesquels elle n’avait pas vendu sa propriété au Bangladesh. Selon la Commission, la demanderesse avait déclaré que la « mastan » lui prendrait tout son argent, alors qu’elle avait dit dans son FRP qu’elle aurait eu à payer à la « mastan » une commission de 50 pour cent. Or la preuve révèle que la demanderesse n’a fait ni l’une ni l’autre de ces déclarations.

 

[21]           Bien que la Cour comprenne qu’une évaluation de la crédibilité générale de la demanderesse pourrait étayer la conclusion de la Commission, elle n’est toutefois pas certaine que cela serait le cas si celle‑ci n’avait pas tiré les trois conclusions en cause.

 

D.        Comportement

[22]           Cette question relève entièrement de la compétence de la Commission et une grande retenue judiciaire est indiquée à son égard. J’estime qu’il n’existe aucun fondement pour conclure que la conclusion à ce sujet était manifestement déraisonnable.

 

E.         Délai

[23]           Le défaut de la demanderesse de demander l’asile aux États-Unis est un facteur pertinent. Ce ne fut toutefois nullement un facteur déterminant dans l’appréciation de la crédibilité de la demande d’asile. Rien dans la prise en compte de ce facteur par la Commission n’avait un caractère déraisonnable.

 

F.         La demande d’asile du demandeur mineur

[24]           C’est à tort que la demanderesse fait valoir la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1187 (QL). En l’espèce, bien que la demande d’asile du fils de 13 ans ait comporté des éléments particuliers, celle‑ci reposait pour une large part sur la demande de la mère demanderesse. Il n’était pas erroné de rejeter cette demande d’asile en pareilles circonstances.

 

G.        La demande fondée sur l’article  97

[25]           La demanderesse ne peut avoir gain de cause sur ce motif. Il est manifeste que la Commission a pris en considération la demande fondée sur l’article 97. Nonobstant la concision des conclusions tirées à cet égard, elles font voir que la Commission a examiné la question de l’article 97 sur le fond et non seulement quant à la forme.

 

IV.       Conclusion

[26]           Vu les inquiétudes de la Cour quant à certaines des conclusions de la Commission, mais non toutes ces conclusions, il y a lieu d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6516-05

 

INTITULÉ :                                       NASIMA AKHTER

                                                            REZWAN ABBAS

                                                            SHANEWAZ ABBAS

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 JUILLET 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 25 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amina Sherazee

 

POUR LES DEMANDEURS

Vanita Goela

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GALATI, RODRIGUES & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.