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Date: 19990408


Dossier: IMM-2476-98

ENTRE

                 VALENTIN ZUEVICH

                 ALEXEI ZUEVICH

     Demandeurs

ET                  LE MINISTRE

     Défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision du Statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié en date du 16 avril 1998, statuant que les demandeurs ne sont pas réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs demandent que la décision soit cassée et que l"affaire soit renvoyée devant un tribunal nouvellement constitué.

FAITS

[2]      Les demandeurs, Valentin Zuevich, né en 1952, et son fils de 19 ans Alexei Zuevich, sont ressortissants de l"ex-Union soviétique. M. Zuevich a émigré en Israël en 1991 et son fils l"a rejoint en 1995. Ils ont quitté Israël le 20 juin 1996 pour le Canada.

[3]      Les demandeurs allèguent craindre d"être persécuté en raison de leur nationalité, leur religion, et leur appartenance à un groupe social, russes. De plus, Alexei a soulevé des objections de conscience à l"encontre du service militaire israélien.

[4]      M. Zuevich explique être né en Union des Républiques socialistes soviétiques d"une mère juive, mais avoir été baptisé dans la religion orthodoxe. Il explique avoir dû quitter la Russie en raison des comportements à son endroit parce qu"on le considérait juif. Il a été battu à deux reprises par des membres du mouvement fasciste et a émigré en Israël en 1991 pour échapper à la persécution dont l"État ne pouvait le protéger.

[5]      Dès son arrivé en Israël, il raconte qu"on a tenté de l"assimilé au judaïsme en le forçant à suivre des cours de judaïsme parce qu"il était chrétien, afin d"obtenir une attestation gouvernementale. Il raconte que l"avocat qu"il a consulté lui a recommandé d"accepter le judaïsme ainsi que de suivre le cours puisque les chrétiens n"avaient pas le droit d"obtenir la citoyenneté israélienne. Après avoir suivi le cours, les autorités ont ensuite fixé une date pour sa circoncision et insisté pour qu"il change son nom. Il a refusé et est déménagé de Tel-Aviv à Bat-Galim où il a trouvé un emploi dans un atelier de construction.

[6]      Au travail, ses compagnons l"ont insulté en le traitant de chrétien et de sale russe. À la suite d"un incident au cours duquel un employé arabe a été blessé, les dirigeants de l"entreprise ont tenté de l"intimider et de lui offrir des pots-de-vin pour qu"il témoigne que l"incident avait eu lieu par la faute d"un employé arabe. Il a refusé et a été harcelé, intimidé et assailli par des hommes qui lui ont donné des coups de pied en le menaçant. Le demandeur raconte qu"il s"est adressé à un policier qui a pris attentivement des notes et constaté les traces que l"agression avait laissées sur son corps, pour changer rapidement d"attitude à son égard lorsqu"il a constaté qu"il était chrétien. Il est devenu méfiant. Par la suite, le policier a dit au demandeur que son témoignage n"avait pas été confirmé. Cette intervention a aggravé la situation et le demandeur a subi d"autres menaces au travail. Il a décidé de quitter la ville et de chercher du travail à Haifa. En février 1996, le demandeur a été convoqué au syndicat de Tel-Aviv concernant l"incident survenu chez son ancien employeur. Son ancien supérieur l"a alors menacé. En mars 1996, le demandeur et son fils ont été abordés par trois hommes près de leur domicile. Le demandeur s"est plaint à la police mais en vain. Peu de temps après, les mêmes hommes se sont attaqués à lui et l"ont frappé à la tête et l"ont mené en voiture. Ils ont mis une bouteille de vodka dans sa bouche et lui ont tordu les bras. Ils l"ont aussi battu et l"ont menacé de lui crever les yeux. Lorsqu"il s"est plaint à la police, on lui a dit qu"il avait tout inventé et qu"il s"était simplement cogné la tête en tombant. Il s"est ensuite adressé au centre d"Aide juridique pour les nouveaux rapatriés et un avocat a communiqué avec le département central des affaires intérieures à Tel-Aviv. Il a été convoqué et on lui a dit que la police avait procédé d"une façon légale et que le centre n"avait aucun droit d"intervenir dans les dossiers de la police.

[7]      Quant au fils du demandeur, il soutient aussi avoir été victime de persécution. Dès son arrivé en Israël, il a été humilié, ridiculisé et battu après les classes par des élèves juifs. Une rencontre avec la directrice, qui a insisté que son fils prenne des cours de judaïsme, n"a pas arrangé les choses et les insultes ont continué. Le fils du demandeur allègue aussi avoir été agressé par de nouveaux immigrants de l"école. Ils l"auraient insulté, lui aurait enlevé son pantalon et menacé de le circoncire et de le violer. Le demandeur est allé à la police pour porter plainte. Un policier s"est rendu à l"école mais a dit au demandeur quelques jours plus tard qu"il n"y avait pas de fondement pour mener une enquête puisque son fils n"avait pas d"ecchymose et que les adolescents refusaient d"avouer les faits. Après avoir consulté un psychologue et suivant ses recommandations, le demandeur a décidé de faire suivre son fils par un psychothérapeute.

[8]      Le demandeur s"est aussi adressé à un journal Maariv, au bureau du maire de Haifa et au Mitsne et on refusait de les aider dès qu"on apprenait qu"ils étaient chrétiens d"origine russe. Le demandeur s"est aussi adressé au département municipal du Ministère de l"éducation pour demander que son fils soit transféré d"école. Après le transfert, la situation ne s"est pas améliorée et il a été victime de moqueries et d"insultes de ses camarades de classe.

[9]      En avril 1996, le fils du demandeur a été agressé dans la rue par trois jeunes croyants. Suite aux coups qu"il a reçus il a dû consulter un médecin en raison de douleurs continuelles à la cage thoracique. Ce même soir, il a reçu un appel téléphonique menaçant son fils de mort s"il restait en Israël. Après avoir consulté un avocat pour porter plainte au tribunal en raison de l"inaction de la police, l"avocat l"a avisé qu"il était incapable de trouver des éléments de preuve étant donné que la police n"avouerait rien. Impuissant, le demandeur a décidé de quitter Israël.

Décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié

[10]      La Commission a rejeté la revendication des demandeurs pour trois motifs principaux. La Commission a jugé que les objections de conscience contre le militarisme soulevées par le fils du demandeur n"étaient pas fondées puisqu"il n"a pas invoqué ou démontré de principes religieux ou philosophiques pour étayer ses objections. La Commission a aussi jugé que les demandeurs n"ont pas démontré par une preuve claire et convaincante l"incapacité de l"État d"Israël de les protéger. De plus, la Commission a jugé que le comportement du demandeur qui est demeuré en Israël pendant trois ans et qui a parrainé son fils pour qu"il vienne le rejoindre en Israël est incompatible avec les allégations de persécution.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[11]      Les demandeurs soumettent essentiellement trois arguments. Premièrement, la Commission a erré dans l"interprétation et l"application de la jurisprudence en exigeant que les demandeurs prouvent que les autorités israéliennes étaient complices et en jugeant qu"ils n"avaient pas démontré l"incapacité de l"État de les protéger. Le demandeur soutient qu"il n"a pas à démontrer que l"État était complice de la persécution dont il se plaint et que la preuve "claire et convaincante" de l"incapacité de l"État peut être faite par différents moyens, notamment, par son propre témoignage. Le demandeur allègue que son témoignage au sujet des nombreuses plaintes à la police démontre amplement l"incapacité de l"État à protéger ses citoyens. Deuxièmement, les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur de droit en tenant pour acquis que l"État d"Israël est un État démocratique au sens où l"entendait la Cour suprême du Canada dans l"affaire Canada c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689. Troisièmement, les demandeurs allèguent que la Commission a erré en rejetant les objections de conscience soulevées contre le militarisme. Notamment, la Commission n"a pas appliqué le test objectif prévu à l"article 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Genève, 1979) afin de déterminer si la preuve démontrait que l"armée israélienne pose des gestes condamnés par la communauté internationale puisque contraires aux règles de conduite les plus élémentaires.

[12]      Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission est fondée en droit puisque les demandeurs n"ont pas démontré qu"il existe une possibilité raisonnable ou sérieuse d"être persécuté advenant leur retour en Israël.

[13]      Premièrement, les demandeurs n"ont pas démontré l"incapacité de l"État à protéger ses citoyens et en l"absence d"une preuve claire et convaincante, l"État est présumé capable de protéger ses citoyens. Le défendeur soutient qu"il était loisible à la Commission de conclure que les demandeurs n"ont pas fait la preuve de l"incapacité de l"État puisque les demandeurs n"ont jamais signé de rapport ou présenté une plainte écrite et qu"ils auraient pu entreprendre d"autres démarches, notamment le dépôt d"une plainte contre la police auprès du ministère de la justice. Deuxièmement, la Commission était fondée de conclure que l"État d"Israël est un État démocratique tel que jugé par la jurisprudence puisque les demandeurs n"ont pas démontré au moment de l"audience qu"il y avait un effondrement complet de l"État israélien. Troisièmement, le fils du demandeur n"a pas fait la preuve que ses objections de conscience étaient fondées puisqu"il n"a pas soulevé de principes religieux ou philosophiques contre le militarisme. D"une part, suivant la conclusion que le demandeur n"était pas un objecteur de conscience, la Commission n"était pas tenu de pousser son analyse plus loin. D"autre part, la Cour fédérale s"est prononcée sur le fait que l"armée israélienne ne contrevient pas aux normes internationales acceptables, et les demandeurs n"ont pas fait la preuve de l"opprobre de la communauté internationale.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]      Le demandeur soulève trois questions:

     1)      La Commission a-t-elle erré en interprétant et en appliquant la jurisprudence en ce qui a trait à la complicité de l"État à la persécution et à la preuve de l"incapacité de l"État d"assurer la protection ses citoyens?                 
     2)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en tenant pour acquis que l"État d"Israël est un État démocratique?         
     3)      La Commission a-t-elle erré en rejetant les objections de conscience contre le militarisme invoquées par le fils du demandeur?                 

DISCUSSION

Incapacité de l"État d"Israël de protéger ses citoyens

[15]      La Commission a rejeté les prétentions des demandeurs que l"État d"Israël était incapable de les protéger au motif qu"ils n"ont pas soumis de preuve claire et convaincante à cet effet. Cet énoncé est conforme aux principes énoncés dans l"affaire Ward , supra.

[16]      Dans Ward, supra, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Laforest, a déclaré ce qui suit en ce qui a trait à la preuve requise pour démontrer l"incapacité de l"État de protéger ses citoyens, à la page 689:

         Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.                 
         (C"est moi qui souligne)                 

[17]      La Commission justifie sa conclusion en précisant que les demandeurs n"ont pas signé de rapport ou n"ont jamais présenté de plainte écrite. En outre, la Commission précise, en s"appuyant sur les propos du juge Décary dans Kadenko c. M.C.I. (1997) 206 N.R. 272 que dans un État démocratique, il n"est pas suffisant de démontrer que les demandeurs se sont uniquement adressés à certains membres de la police et que ces démarches ont été infructueuses.

[18]      Dans l"affaire Kadenko , supra, la Cour d"appel fédérale du Canada a considéré la question certifiée par le juge de première instance et s"est prononcée comme suit:

         Once it is assumed that the state (Israel in this case) has political and judicial institutions capable of protecting its citizens, it is clear that the refusal of certain police officers to take action cannot in itself make the state incapable of doing so. The answer might have been different if the question had related, for example, to the refusal by the police as an institution or to a more or less general refusal by the police force to provide the protection conferred by the country's political and judicial institutions.                 
         In short, the situation implied by the question under consideration recalls the following comments by Hugessen J.A. in Minister of Employment and Immigration v. Villafranca: [See: (1992), 150 N.R. 232, at p. 233 (F.C.A.)]                 
             No government that makes any claim to democratic values or protection of human rights can guarantee the protection of all its citizens at all times. Thus, it is not enough for a claimant merely to show that his government has not always been effective at protecting persons in his particular situation. . . .                         
         When the state in question is a democratic state, as in the case at bar, the claimant must do more than simply show that he or she went to see some members of the police force and that his or her efforts were unsuccessful. The burden of proof that rests on the claimant is, in a way, directly proportional to the level of democracy in the state in question: the more democratic the state's institutions, the more the claimant must have done to exhaust all the courses of action open to him or her. [See: Minister of Employment and Immigration v. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, at p. 176 (F.C.A.), approved by Canada (Attorney General) v. Ward, [1993] 2 S.C.R. 689, at p. 725.]                 

         (C"est moi qui souligne)

[19]      À cet égard, le demandeur soutient que la preuve de l"incapacité de l"État peut être faite par différents moyens et qu"il a démontré en demandant de l"aide à la police "dix ou douze fois" et ce, en vain, que l"État est incapable d"assurer sa protection. En outre, on soutient que la Commission et la Cour d"appel fédérale ont erré en statuant que l"État d"Israël est un État démocratique et que les démarches entreprises auprès des autorités dépassent amplement les normes établies par la jurisprudence. Je ne peux accepter cette soumission.

[20]      En l"espèce, les demandeurs soutiennent avoir soumis de nombreux éléments de preuve étayant leurs prétentions qu"Israël n"est pas un État démocratique, notamment, l"affidavit de Lynda Brayer fait sous serment le 5 décembre 1993, quelques quatre ans et demi avant l"audition devant le tribunal, un membre du barreau pratiquant le droit en Israël et Directrice exécutive des services juridiques de la Société St. Yves, un centre de ressources pour les droits de la personne (Dossier de la Cour, page 168). Dans cet affidavit, Lynda Brayer affirme qu"Israël est un État juif. Elle ajoute que ce n"est pas un État démocratique pour la population hétérogène constituée de juifs, chrétiens, islamiques et autres. On cite aussi un passage d"un article intitulé Discrimination in the State of Israël? paru dans le Globe and Mail en date du 20 décembre 1991 et figurant à la page 137 du Dossier de la Cour. Le demandeur cite aussi un passage d"une allocution présentée par Lynda Brayer dans le cadre d"une conférence sur Israël qui a eu lieu à la Commission canadienne de l"immigration.

[21]      Malgré les prétentions soumises par les demandeurs, je ne suis pas persuadé que la Commission a commis une erreur en jugeant, comme l"avait fait la Cour fédérale dans l"affaire Kadenko , supra, qu"Israël est un État démocratique. Toutefois, selon Kadenko , supra, le fardeau de preuve qui incombe aux demandeurs est directement proportionnel au degré de démocratie d"un État: Maximilok c. Canada (M.C.I.) (IMM-1861-97, 14 août 1998). Je suis convaincu que l"État d"Israël est un État démocratique avec toutes les institutions d"un État démocratique.

[22]      En outre, je suis convaincu que la Commission a correctement interprété les faits, en jugeant qu"il n"était pas suffisant de simplement déposer des plaintes à la police pour ensuite déclarer que l"État n"offre pas de protection parce que les résultats obtenus ne sont pas ceux auxquels on s"attend.

[23]      Il est manifeste à la lecture de la transcription d"une conférence tenue à Montréal le 19 août 1994 par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié sur l"État d"Israël dont le but était "d"obtenir le plus de renseignements possible sur les demandes de reconnaissance du statut de réfugié présentées au Canada par des citoyens d"Israël ayant vécu auparavant dans l"ex-Union soviétique" que les demandeurs en l"espèce ont omis d"épuiser tous les recours possibles après que leurs démarches auprès de la police se sont avérées infructueuses.

[24]      Me Irwin Cotler, professeur à l"Université McGill et bien connu à l"échelle nationale et internationale dans le domaine des droits de la personne, a discuté de personnes venant d"Israël au Canada après avoir obtenu leur citoyenneté en Israël.

[25]      Le professeur Cotler, à la page 7 de la transcription de la conférence, déclare:

             Comme certains d"entre vous le savez déjà, j"ai eu l"occasion, dans le passé, de participer à d"autres colloques sur la situation qui existe dans certains pays, notamment en ce qui a trait à l"ancienne Union soviétique, et de comparaître en qualité de témoin expert au cours d"audiences concernant le statut de réfugié.             

[26]      À la lecture des remarques du professeur Cotler, il est manifeste et hors de tout doute que l"État d"Israël est un État démocratique avec un gouvernement élu de façon démocratique auquel les citoyens peuvent s"adresser pour obtenir réparation. En outre, il ne fait aucun doute qu"il existe de la discrimination en Israël, comme dans d"autres pays, incluant le Canada.

[27]      À la lecture des remarques de Me Lynda Brayer, avocate de Jérusalem exerçant maintenant le droit à la Société Saint-Yves, j"en conclus qu"elle parle de discrimination et non de persécution.

[28]      Me Jonathan Livny, fondateur et ancien secrétaire parlementaire du Mouvement pour la protection des droits des citoyens, exerce le droit à Jérusalem. Il déclare, à la page 67 de la transcription:

             Je passe 80 p. 100 de mon temps à travailler avec des immigrants olim en provenance de l"ex-URSS. Je m"occupe de la réinstallation des Russes; en fait, mon intérêt pour cette question remonte à l"époque où j"étais étudiant à l"Université de Pennsylvanie, en 1979. J"étais l"un de ceux qui ont formé, sur le campus, un groupe appelé Lutte étudiante pour les Juifs soviétiques (Tripe S J ou Student Struggle for Soviet Jewry).             

[29]      À la page 70, il déclare:

             Je passe maintenant tout mon temps à venir en aide aux immigrants soviétiques en Israël. Ce n"est pas payant, mais c"est vraiment très agréable et c"est, à mon sens, la chose la plus importante que je puisse faire dans ma vie, et je veux partager cette expérience avec vous.             

[30]      Après avoir lu la transcription, j"en conclus que Me Livny est quelqu"un qui dépense son temps et son énergie pour les arrivants Juifs et non-Juifs qui viennent de l"ex-URSS.

[31]      Me Livny déclare à la page 77 que la discrimination existe en Israël. Je crois que ceci est un acquis.

             Tout d"abord, je tiens à préciser que les gens en Israël ont des préjugés contre n"importe quel groupe de nouveaux arrivants, que ceux-ci soient Juifs, à moitié Juifs ou pas Juifs du tout. Je n"aurais pas de travail en tant qu"avocat représentant d"anciens réfugiés soviétiques si tout allait pour le mieux. Ce n"est pas le cas.             

[32]      De plus, il fait état, aux pages 79 et 80, du traitement réservé aux personnes telles que les demandeurs:

             Je peux vous assurer que je ne connais aucun non-Juif russe qui n"a pas reçu l"aide de l"État, que ce sit pour louer un appartement ou obtenir une hypothèque afin d"acheter un appartement, ou encore pour obtenir un emploi, justement parce qu"il n"était pas Juif. Par contre, je suis gêné de dire que certains employeurs israéliens préfèrent embaucher des non-Juifs. Ils me disent : Écoutez, les non-Juifs ont une meilleure éthique du travail. Les Juifs veulent seulement devenir ingénieur, avocat ou médecin. Je préférerais embaucher quelqu"un qui n"est pas Juif.             
             Par ailleurs, lorsque vous obtenez un emploi dans l"État d"Israël, personne ne regarde jamais votre carte d"identité. Ce qu"on vous demande, après qu"on vous a embauché, c"est de remplir un document dans lequel vous devez indiquer le numéro de votre carte d"identité, parce que tous les paiements sociaux, salariaux, fiscaux entres autres sont effectués avec ce numéro que tout citoyen israélien possède.             
             Je vais vous dire une autre chose. Pas une seule - et je le dis parce que je m"occupe de ces questions quotidiennement - pas une seule personne en provenance de l"ex-URSS, qu"elle soit juive ou non juive, ne se trouve sans carte d"identité en Israël.             

[33]      Le témoignage du demandeur démontre qu"en plus de s"être adressé à la police à quelques reprises, le demandeur a fait bien peu si ce n"est de consulter divers organismes. À la lumière de l"ensemble de la preuve, la conclusion de la Commission est raisonnable.

[34]      En outre, la Commission semble aussi avoir exigé d"après ses motifs que les demandeurs démontrent la complicité de l"État. Il est reconnu depuis la décision de la Cour suprême dans l"affaire Ward , supra, qu"il n"est pas nécessaire de démontrer que les autorités sont complices de la persécution. Il s"agit d"une erreur qui importe peu dans la conclusion à laquelle le tribunal en est arrivé.

[35]      Le défendeur soutient qu"il ne s"agit pas là d"une erreur déterminante de nature à justifier l"intervention de cette Cour. Selon le défendeur, la lecture du dossier démontre qu"il n"était pas déraisonnable pour la Commission de conclure à l"absence de possibilité raisonnable de persécution. Je suis d"accord avec cette prétention.

Objection de conscience contre le militarisme

[36]      La Commission a conclu que le fils du demandeur n"avait pas démontré qu"il avait des objections de conscience contre le militarisme. La Commission a précisé sa conclusion comme suit:

         Les articles 170 et 171 proposés par le procureur cite des revendications fondées sur des convictions pour expliquer l"aversion au service militaire. Le revendicateur ne nous a pas fait part des principes religieux ou philosophiques pour son objection de conscience contre le militarisme: il a simplement dit que c"était sa religion grecque orthodoxe. Demandé de s"expliquer, il n"a donné aucune réponse. Quand on a demandé au père pourquoi l"objection de conscience n"était pas inscrite dans le FRP, il a répondu que "je pourrai le dire en mots à l"audience". Cette réponse ne justifie pas l"absence de cet aspect dans le FRP.                 

[37]      Le demandeur soutient que la Commission a erré en négligeant de déterminer si la preuve démontrait que l"armée israélienne posait des gestes condamnés par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, test objectif énoncé aux articles 170 et 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié .

[38]      À l"appui de ses prétentions, le demandeur cite un passage de l"affidavit de Lynda Brayer dans lequel elle affirme que l"armée refuse de reconnaître et de veiller au respect des normes de base reconnues par les conventions des Nations-unies, et que l"attitude et le traitement de l"armé à l"endroit des civils palestiniens est empreint d"agressivité, d"abus et qu"il est fréquemment meurtrier. Le demandeur cite aussi quelques articles dans lesquels on dénonce le nombre d"enfants et d"adultes palestiniens tués par les soldats israéliens.

[39]      Dans l"affaire Al-Maisri c. Canada (M.E.I.), [1995] F.C.J. No.642 (A-493-92) la Cour d"appel fédérale, sous la plume du juge Stone, a indiqué ce qui suit:

         Ce qui est, selon moi, plus important, c'est le fait que la Section du statut de réfugié a mal appliqué les critères énoncés à l'article 171 du Guide du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en statuant que l'invasion du Koweït par l'Iraq n'a pas été "condamné[e] par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires" malgré le fait que, comme elle l'a conclu, l'invasion et l'occupation du Koweït avaient été condamnées par les Nations Unies et que l'annexion de ce pays par l'Iraq avait été déclarée "nulle et non avenue" par ce même organisme. Dans son ouvrage intitulé The Law of Refugee Status (Toronto, 1991), le professeur Hathaway déclare, aux pages 180 et 181 :                 
             [TRADUCTION]                         
             [...] Il y a un éventail d'activités militaires qui ne sont tout simplement jamais justifiées, parce qu'elles violent les normes internationales élémentaires. Entrent dans cette catégorie les actions militaires visant à porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne,      les opérations qui violent les critères posés dans la Convention de Genève en ce qui concerne le déroulement de la guerre, et les incursions non défensives en territoire étranger. Lorsqu'une personne refuse d'accomplir un service militaire qui est contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l'insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [C'est moi qui souligne; renvois omis]                                         
         Sur le fondement de ces opinions, dont la justesse n'a pas été contestée, je suis persuadé que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en concluant que les actions de l'Iraq n'étaient pas contraires aux règles de conduite les plus élémentaires. En conséquence, j'estime que la peine prévue pour la désertion qui serait probablement infligée au requérant s'il devait retourner au Yémen équivaudrait, indépendamment de la nature de cette peine, à une persécution que l'appelant a raison de craindre de subir.                 

[40]      Dans une autre décision qu"invoque le défendeur, le juge Reed dans un jugement rendu oralement dans l"affaire Popov c. Canada (M.E.I.) (1ere instance, IMM-2567-93, le 22 mars 1994), précisait ce qu"il faut démontrer pour tomber sous le coup des articles 170 et 171 du Guide de procédure précité:

         With respect to the obligations to serve in the military, I start from the position that it is not persecution to have compulsory military service. Clearly, that alone cannot be a ground for Convention Refugee status.                 
         The Board referred to the position of a conscientious objector and said that it could not accept that this Applicant objected to serving in the military on the grounds of being a conscientious objector because he had served in the army in Russia. This decision is soundly based insofar as the Board was considering whether he was a conscientious objector in the usual sense of that phrase, for example because he was a pacifist or was against war and all militarism on the grounds of principle, either religious or philosophical. The Board's decision in this regard is quite a credible conclusion.                 
         What is more, there is no evidence that the Applicant claimed exemption from military service in Israel on the ground that he was a conscientious objector and was refused exemption from military service. One would not be surprised to find that there are in Israel alternative methods of service for individuals falling into that category. But that aside, we simply do not know and as I have said there is no evidence that he objected to serving in the military as a conscientious objector when he was in Israel, so what disposition might be made by the Israeli government in such a case is not known.                 
             
         What the Applicant asserts is that he objects to serving in the military because of Israeli military activity against the Palestinians which he asserts contravenes acceptable international standards. I do not think the evidence supports a conclusion that the activity of the Israeli military falls into that category.                 
         It is true that the evidence contains accounts of violations from time to time, or allegations, at least, of violations from time to time. And one would not be too surprised if the allegations were substantiated. But an isolated incident or incidents of the violation of international standards is not the kind of activity which the Federal Court of Appeal was referring to in the jurisprudence which has been cited. [See Note 1 below] One is talking about military activity which is condoned in a general way by the state, by the military forces. One thinks of places like El Salvador.                 

[41]      Comme le précise le juge Reed, il n"est pas suffisant de soumettre des éléments de preuve en vue de démontrer que le comportement de l"armée israélienne est déplorable ou même lamentable envers les palestiniens. Conformément aux articles 170 et 171 du Guide de procédure précité, il faut démontrer que les activités soulèvent l"opprobre de la communauté internationale. Les demandeurs n"ont pas fait cette preuve et il n"existe au dossier aucune preuve à cet effet.

CONCLUSION

[42]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

QUESTION À CERTIFIER

[43]      La question suivante a été soumise pour certification:

         Puisque " (L)e fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l"État en cause "                 
             Le tribunal, pour déterminer si un revendicateur du statut de réfugié a renversé la présomption selon laquelle les autorités de son pays sont capables de le protéger, doit-il évaluer le degré de démocratie atteint chez l"État en cause?                         

[44]      Je ne vois pas l"utilité de certifier la question précitée. Je suis convaincu qu"il n"incombe pas au tribunal de déterminer le "degré" de démocratie d"un pays. Ce qui doit être déterminé, selon Ward , supra, c"est la capacité de l"État de protéger ses citoyens. Si une telle protection existe, le demandeur ne saurait être reconnu réfugié au sens de la Convention.

[45]      Dans l"affaire Kadenko , supra, la Cour d"appel devait répondre à la question certifiée suivante:

             "En l"absence d"un effondrement complet de l"appareil étatique et dans la mesure où un État possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, le refus de certains policiers d"intervenir est-il suffisant pour démontrer que l"État en question est incapable ou refuse de protéger ses ressortissants?             

[46]      La Cour d"appel fédérale a répondu négativement. Monsieur le juge Décary déclare aux pages 273 et 274:

         Le juge des requêtes avait elle-même, dans ses motifs, laissé entendre que cette question devait recevoir une réponse affirmative et que dès que certains policiers, dans un État démocratique, refusaient d"intervenir, il y avait automatiquement incapacité de l"État.                 
         Telle que formulée, cette question ne peut à notre avis qu"entraîner une réponse négative. Dès lors, en effet, qu"il est tenu pour acquis que l"État (en l"espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d"intervenir ne saurait en lui-même rendre l"État incapable de le faire. La réponse eût peut-être été différente si la question avait porté, par exemple, sur le refus de l"institution policière en tant que telle ou sur un refus plus ou moins généralisé du corps policier d"assurer la protection accordée par les institutions politiques et judiciaires du pays.                 
         Bref, la situation que suppose ici la question nous ramène à ces propos du juge Hugessen dans Minister of Employment and Immigration v. Villafranca (1992), 150 N.R. 232, à la p. 233 (C.A.F.):                 
             "No government that makes any claim to democratic values or protection of human rights can guarantee the protection of all its citizens at all times. Thus, it is not enough for a claimant merely to show that his government has not always been effective at protecting persons in his particular situation [...]"                         
         Lorsque l"État en cause est un état démocratique comme en l"espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu"il s"est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l"État en cause: plus les institutions de l"État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s"offrent à lui. (Voir Minister of Employment and Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, à la p. 176 (C.A.F.), approuvé par Canada (Attorney General) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; 153 N.R. 321, à la p. 725).                 

[47]      Il est donc maintenant établi, selon les mots du juge Décary, qu"Israël est un État démocratique.

[48]      Je ne vois donc pas l"utilité qu"un tribunal détermine le "degré" de démocratie qui existe en Israël.

                             "Max M. Teitelbaum"

                        

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 8 avril 1999

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