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Date : 20050315

Dossier : IMM-2254-04

Référence : 2005 CF 372

Toronto (Ontario), le 15 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                          IULIAN ISTRATE, VALERICA ISTRATE

                                                  et ANA ALEXANDRA ISTRATE

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Les faits

[1]                Le demandeur, Iulian Istrate, sa femme, Valerica Istrate, et leur fille, Ana Alexandra Istrate, sont tous citoyens de la Roumanie.


[2]                En 1990, le demandeur a été engagé par les Services de sécurité roumains. En 1998, il a été muté au Service du renseignement roumain, où il a été promu à la brigade anti-terroriste. Il a commencé par travailler dans un aéroport pour être ensuite muté au service postal où il était chargé d'inspecter les colis jugés suspects.

[3]                Le demandeur affirme que la procédure de contrôle de sécurité des passagers et des bagages n'était pas respectée. Lorsqu'il a signalé ce problème, on lui a dit de se tenir tranquille et ses tâches ont été considérablement réduites. On lui a également demandé de signer des rapports falsifiés. On l'a prévenu que s'il refusait de signer ces rapports, il serait accusé d'insubordination et qu'il pourrait être victime d'un accident regrettable. Il a été rétrogradé, il a subi une réduction de salaire, il a été victime de violences, de menaces et il a été suspendu sans solde à plusieurs reprises.

[4]                En juillet 2002, le demandeur a été averti par un ami qui travaillait à la Sûreté interne qu'on s'apprêtait à le traduire devant un tribunal militaire où il aurait probablement à répondre à des accusations de trahison. Après avoir discuté avec sa femme, ils ont décidé de faire le nécessaire pour quitter la Roumanie. Il a démissionné de son poste le 26 décembre 2002 et il a quitté la Roumanie en compagnie de sa femme le 17 janvier 2003.

Décision de la Commission

[5]         Dans une décision datée du 19 février 2004, la Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur au motif que son témoignage n'était pas crédible et que ses explications n'étaient pas vraisemblables.


[6]                En particulier, la Commission :

-      a estimé qu'il n'était pas concevable que le demandeur, pris de panique après avoir appris en juillet 2002 qu'il était sur le point d'être arrêté, ait attendu jusqu'en septembre 2002 pour demandeur un passeport, pour attendre ensuite jusqu'au 12 décembre 2002 pour demander un visa et pour ne quitter le pays qu'en janvier 2003;

            -      n'a ajouté foi ni à l'affirmation du demandeur suivant laquelle, selon les lois militaires, il ne pourrait pas se défendre car aucun procès ne serait tenu, ni à sa déclaration ultérieure qu'il aurait l'occasion de se disculper devant un juge en présence d'un avocat;

            -     n'a pas cru que le demandeur avait demandé et obtenu un passeport en septembre 2002, à un moment où, selon ses dires, sa ligne téléphonique était sur écoute, où il était suivi et où son arrestation était vraisemblablement imminente;

            -     n'a pas jugé crédibles les explications du demandeur selon lesquelles il aurait dit à ses collègues, à l'aéroport, lorsqu'il a quitté la Roumanie le 17 janvier 2003, qu'il allait travailler à l'ambassade, et ce, en dépit du fait qu'il avait quitté son emploi le 26 décembre 2002. La Commission a jugé invraisemblable que ses collègues acceptent une telle explication, sachant que le demandeur avait démissionné de son poste.

[7]                Finalement, la Commission a tiré une inférence négative du fait que le demandeur avait omis de signaler dans son formulaire de renseignements personnels que sa ligne téléphonique avait été mise sur écoute électronique et qu'il était suivi, et elle n'a pas accordé beaucoup de poids aux explications de son avocat qu'il est logique, si l'on fait l'objet d'une enquête, d'être suivi et d'avoir son téléphone sur écoute. La Commission a estimé que ses assertions visaient à donner plus de poids à la demande d'asile.


Question en litige

[8]         Le demandeur soutient que la décision de la Commission devrait être infirmée pour les raisons suivantes :

            a) la transcription est tellement déficiente qu'il est impossible de savoir si la décision correspond à ce qui s'est passé à l'audience;

            b) la Commission a interrompu son témoignage de façon constance et intempestive, l'empêchant ainsi de faire valoir son point de vue;

            c) la décision n'est pas libellée en des termes clairs et non équivoques;

            d) la Commission a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

Analyse

[9]         Comme la présente affaire porte principalement sur des conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17 (QL)).

[10]            Bien que la transcription comporte effectivement certaines lacunes, ce défaut n'est pas fatal à condition que la transcription soit suffisante pour permettre à la Cour de répondre adéquatement aux questions suivantes :

            a) Les témoignages et la preuve permettaient-ils raisonnablement à la Commission d'arriver aux conclusions qu'elle a tirées?


            b) Le demandeur a-t-il eu la possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue?

[11]            Après avoir lu attentivement la transcription en entier, j'en viens à la conclusion que les deux conditions susmentionnées sont remplies. La présente espèce se distingue donc de l'affaire Voslaev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 928, que le demandeur a invoquée.

[12]            Le demandeur n'a pas non plus été victime d'un déni de justice naturelle ou d'équité procédurale qui l'aurait empêché de faire valoir son point de vue. J'estime plutôt que l'extrait suivant des propos que le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel) a tenus dans l'affaire Ambros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 299 (QL) s'appliquerait également à la présente affaire :

3. ...Un tribunal est en droit de poser des questions pour s'assurer qu'il comprend, surtout en cas de témoignage qui crée de la confusion, et il lui est bien judicieux de le faire. L'avocat n'a fait voir rien qui semble être de l'hostilité ou un interrogatoire inopportunément agressif.


[13]            Je ne vois pas non plus comment on pourrait prétendre que la décision n'est pas libellée en des termes clairs et non équivoques. Le demandeur cite des passages comme « La propension au mensonge décelée dans le témoignage du demandeur d'asile est révélatrice d'une histoire inventée de toutes pièces » et « J'ai examiné le document non daté qui serait une lettre écrite par la fille des demandeurs d'asile qui demeure toujours en Roumanie. En plus de sa nature intéressée, cette lettre n'offre aucune précision quant aux mandats, aux accusations et aux menaces de préjudices dont auraient fait l'objet le demandeur d'asile ou sa famille » . Il souligne que c'est une lapalissade de dire que la propension au mensonge permet de conclure à l'existence d'une histoire inventée de toutes pièces. Il se demande aussi comment on peut considérer qu'une lettre écrite par sa fille était une lettre intéressée.

[14]            Bien que les cas précis cités par le demandeur puissent révéler un choix de mots inusité, la décision est dans l'ensemble claire et non équivoque. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et elle a estimé que divers aspects de sa version des faits manquaient de vraisemblance.

[15]            En se prononçant ainsi sur la crédibilité et la vraisemblance, la Commission a rempli sa principale fonction. Ainsi que le juge Décary l'a expliqué dans l'arrêt Aguebor c. (Canada) Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 :

4. Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.


[16]            Enfin, le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire qui lui avaient été soumis au sujet de la corruption des tribunaux et des institutions en Roumanie. Il importe peu que la Commission ait tenu compte ou non de ces éléments de preuve. En effet, ayant conclu que le demandeur ntait pas crédible et que divers aspects de sa version des faits manquaient de vraisemblance, la Commission est arrivée à la conclusion que le demandeur ntait pas victime de persécution en Roumanie. Dans ces conditions, ltat de la corruption en Roumanie n'avait aucun rapport avec sa décision.

Dispositif

[17]       Pour les motifs qui viennent dtre exposés, la présente demande ne peut être accueillie.

                                        ORDONNANCE

LA COUR REJETTE la demande.

« K. von Finckenstein »

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.                     


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-2254-04

INTITULÉ :               IULIAN ISTRATE, VALERICA ISTRATE

et ANA ALEXANDRA ISTRATE

demandeurs

et                                   

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 15 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Howard P. Eisenberg POUR LES DEMANDEURS

A. Leena Jaakkimainen                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard P. Eisenberg POUR LES DEMANDEURS

Hamilton (Ontario)

John H. Sims, c.r.         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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