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Date : 20060501

Dossier : IMM-2745-05

Référence : 2006 CF 550

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

HONG ZHANG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

DEMANDE

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision datée du 6 avril 2005 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse a la citoyenneté chinoise. Elle dit avoir pratiqué en public le Falun Gong en Chine entre octobre 1998 et juillet 1999, date à laquelle ce mouvement a été frappé d’interdiction. Elle soutient avoir continué de pratiquer le Falun Gong en secret et seule jusqu’à ce qu’elle se joigne à un groupe en mars 2003. Selon la demanderesse, l’endroit où ce groupe se réunissait a été l’objet d’une descente du Bureau de la sécurité publique (BSP) en août 2003, et elle a été arrêtée, gardée en détention, interrogée et battue par la police. Elle a été relâchée deux mois plus tard après avoir signé une déclaration condamnant le Falun Gong et promis de cesser de le pratiquer. Elle devait également ne pas quitter sa ville de résidence pendant deux ans et se présenter deux fois par semaine à un poste du BSP. La police l’a prévenue que si elle ne se soumettait pas à ces conditions, elle pourrait être à nouveau arrêtée et incarcérée.

 

[3]               Décidant qu’elle ne pouvait pas vivre sous les conditions imposées, la demanderesse a laissé son fils, alors âgé de huit ans, à la garde de ses parents et est arrivée au Canada, où elle a présenté une demande de statut de réfugié. Elle allègue avoir appris que le BSP a par la suite perquisitionné son domicile dans le but de la trouver, et que des membres du Comité de quartier se présentent périodiquement chez elle.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[4]               La Commission a jugé que la demande de la demanderesse n’était pas digne de foi. L’énoncé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) présentait une [traduction] « similitude frappante » avec celui de six autres FRP, et [traduction] « ressemble vraiment à un récit “passe-partout” » (décision, page 2). La Commission a présenté un tableau comparatif résumant la teneur de chaque énoncé portant sur le Falun Gong (décision, page 3). Il est allégué dans chacun que la personne en question pratiquait le Falun Gong et qu’elle a continué de le faire après l’interdiction de cette activité. Chaque personne s’est ensuite jointe à un groupe d’adeptes du Falun Gong, mais le lieu où se réunissait le groupe a été l’objet d’une descente du BSP. Dans chaque FRP, il est dit que la personne a été arrêtée, interrogée, battue et ensuite libérée. En outre, chacune a signé un formulaire préimprimé dénonçant le Falun Gong, et l’obligeant à se présenter régulièrement aux autorités. Chaque personne était également tenue de ne pas quitter son lieu de résidence.

 

[5]               Les six autres FRP ont été montrés à la demanderesse avant l’audience, et on lui a demandé ce qu’elle en pensait. Elle a expliqué que des co-adeptes du Falun Gong vivaient des expériences similaires à la sienne, et que leur maître, Li Hongzhi, leur enjoignait de dire la vérité. On lui a demandé d’expliquer la présence de fausses déclarations à propos de ses voyages au Canada. Elle a répondu que si elle était restée en Chine, on l’aurait battue. La Commission a jugé que ces réponses [Traduction] « dénotent que la demanderesse est capable de répondre rapidement et d’un ton assuré » (décision, page 4).

 

[6]               La Commission a signalé que le même traducteur, M. Mike Yang, avait signé les sept FRP et qu’il avait témoigné dans l’une des causes instruites avant l’audition de la demanderesse. M. Yang avait orienté les demandeurs vers M. Savaglio, l’avocat de la demanderesse. M. Yang a dit qu’il avait dressé une liste de questions sur le Falun Gong. La Commission a jugé que cette liste avait été utilisée entre le mois de février 2002 environ et la mi-mai 2004, malgré la prétention du traducteur qu’il ne s’était servi que peu de temps de ce questionnaire.

 

[7]               M. Yang a soutenu qu’il ne proposait pas aux gens un récit à raconter, et qu’il n’aidait que les personnes qui, selon lui, étaient d’authentiques demandeurs d’asile. Il consignait les déclarations des demandeurs de façon à former un récit, mais jamais il ne mettait en doute ou ne contestait ce qu’ils disaient. La Commission a fait remarquer que la prétention de M. Yang selon laquelle il évaluait l’authenticité d’un demandeur d’asile ne cadrait pas avec son affirmation selon laquelle il ne mettait pas en doute ni ne contestait les récits qu’on lui faisait. Confronté à certaines similitudes entre les sept énoncés circonstanciés, M. Yang a déclaré qu’à la longue son écriture est devenue automatique. La Commission n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité de M. Yang, mais elle a décrété qu’il serait inacceptable que M. Yang soit responsable s’agissant de la crédibilité de la demanderesse.

 

[8]               L’avocat de la demanderesse a fait valoir que la similitude entre les divers FRP est attribuable aux situations similaires que vivent les demandeurs d’asile, ainsi qu’au traitement similaire que les autorités chinoises leur réserve. Tout en admettant que les adeptes du Falun Gong courent le risque d’être persécutés en Chine et que les « déclarations de garantie » font partie du harcèlement et de la persécution qu’on leur fait subir, la Commission a signalé que la documentation, y compris divers dossiers d’information sur le pays et articles de journal, décrit une profusion d’expériences personnelles. Pour cette raison, la Commission a fait peu de cas des documents désignés sous la cote C-8.

 

[9]               La Commission a conclu que la demanderesse était responsable de son propre énoncé circonstancié écrit. Vu les similitudes entre les déclarations faites dans les FRP, la Commission a décidé que l’énoncé circonstancié figurant dans le FRP de la demanderesse n’était pas assez personnel pour être digne de foi, et elle a tiré une inférence négative au sujet de la véracité de son récit.

 

[10]           La Commission a conclu aussi que l’explication de la demanderesse au sujet de sa décision de quitter la Chine n’est pas digne de foi. Elle a laissé son fils au pays. Elle a dit qu’elle craignait que ses migraines et ses douleurs au cou (dont elle souffrait avant de devenir une adepte du Falun Gong) réapparaissent. Lorsqu’on lui demandé pourquoi elle ne pouvait pas continuer de pratiquer le Falun Gong en privé dans son pays, elle a répondu que lorsqu’elle faisait le cinquième exercice (une position assise, les jambes croisées), elle était incapable de se lever et que, s’il fallait que des agents du BSP se présentent à l’improviste, ils penseraient qu’elle pratiquait le Falun Gong. La Commission a trouvé cette explication invraisemblable car la demanderesse avait pu faire des exercices en privé, sans se faire remarquer, pendant 32 mois. Elle a indiqué que la demanderesse lui demandait essentiellement de croire que les difficultés qu’elle avait à recommencer à pratiquer en secret le Falun Gong l’emportaient sur les avantages qu’il y avait à rester en Chine avec son fils.

 

[11]           La Commission a également exprimé des doutes au sujet du comportement de la demanderesse. Il lui arrivait parfois d’avoir une attitude affirmative, mais elle interrompait aussi l’interprète avant qu’il puisse finir de traduire une question. Elle a témoigné de façon peu cohérente, disant qu’il fallait qu’elle se présente au Comité de quartier, plutôt qu’au BSP. Elle a tout d’abord confondu la date de son arrestation avec celle de sa libération, et elle a changé l’année où elle disait avoir obtenu des photographies montrant qu’elle pratiquait le Falun Gong à Toronto. Elle a aussi omis initialement de mentionner que, par précaution, son groupe de Falun Gong changeait le lieu et le moment des réunions.

 

[12]           La Commission a également mis en doute l’explication donnée par la demanderesse pour ne pas avoir lu Zhuan Falun, un ouvrage écrit par le maître Li Hongzhi. Elle a soutenu qu’elle ne le comprenait pas. La Commission a trouvé cette réponse étrange, vu les onze années d’études scolaires de la demanderesse (décision, page 10). La Commission a également noté que plusieurs parties de l’ouvrage contiennent des exposés intéressants et non abstraits, et elle a conclu que les réponses de la demanderesse minaient sa crédibilité.

 

[13]           Somme toute, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le récit de la demanderesse n’était pas digne de foi. Elle n’a pas cru que cette dernière avait été arrêtée parce qu’elle pratiquait le Falun Gong, ou que les autorités étaient à sa recherche parce qu’elle avait quitté la Chine.

 

[14]           Pour arriver à cette conclusion, la Commission a pris note du document d’assignation original fourni par la demanderesse, mais elle y a accordé peu d’importance parce que, dans ce genre de situation, il est facile d’obtenir de faux documents. Il en a été de même des photographies de la demanderesse pratiquant le Falun Gong, parce que n’importe qui peut se joindre à un groupe de Falun Gong au Canada et que la demanderesse avait eu environ quinze mois après son arrivée au Canada pour apprendre le Falun Gong. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait probablement appris le Falun Gong en vue d’étayer sa demande d’asile.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           La demanderesse soulève une seule question générale :

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en fondant sa décision sur une conclusion erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition?

 

PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[16]           La demanderesse dit qu’il était manifestement déraisonnable de conclure que son récit n’était pas digne de foi en raison du caractère « passe-partout » de l’énoncé circonstancié inclus dans son FRP. L’explication de l’interprète de même que la preuve au dossier qui corrobore les mauvais traitements que l’on fait systématiquement subir aux adeptes du Falun Gong expliquent de manière raisonnable les similitudes relevées entre les FRP.

 

[17]           La demanderesse dit aussi que la Commission, en n’accordant aucun poids aux photographies prouvant sa participation à des activités du Falun Gong à Toronto, a rendu une décision arbitraire. Est également arbitraire et manifestement déraisonnable la conclusion selon laquelle, en Chine, la citation à comparaître en cour qui lui avait été signifiée pour ne pas s’être présentée aux autorités après avoir été relâchée avait peu d’importance. En outre, même s’il s’avérait que la demanderesse n’a commencé à pratiquer le Falun Gong qu’après son arrivée au Canada, la Commission a omis d’apprécier convenablement le risque de persécution ou de préjudice qu’elle courrait si elle retournait en Chine.

 

[18]           Si les points qui précèdent ne constituent pas, séparément, des erreurs de droit, il convient alors d’infirmer la décision en considérant les erreurs cumulativement (Molina c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) (1975), 12 N.R. 317 (C.A.F.)).

 

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

 

[19]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à la Commission de conclure que les énoncés circonstanciés « passe-partout » n’auraient pas pu exister séparément. Vu la similarité des récits, y compris la parfaite similitude de certaines parties, la Commission avait une preuve suffisante pour inférer qu’il était peu plausible que l’on dépose sept demandes similaires (Aguebor c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.F.)).

 

[20]           Il était loisible à la Commission d’accorder peu d’importance aux photographies montrant la demanderesse pratiquer le Falun Gong au Canada. La Commission n’a tout simplement pas ajouté foi au récit de la demanderesse. Elle n’a pas cru que cette dernière laisserait son enfant en Chine, ou qu’elle serait incapable de se relever après s’être assise les jambes croisées dans une position du Falun Gong si des agents du BSP se présentaient à l’improviste.

 

ANALYSE

[21]           Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité doivent être appréciées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor, précité; Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2001 (QL) (1re inst.); Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 17 (QL) (C.F.)). La Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité mais, à mon sens, les motifs donnés à l’appui de ses conclusions sont insuffisants. Bien que la norme de la décision manifestement déraisonnable exige un degré élevé de déférence envers la Commission, il convient néanmoins d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen.

 

[22]           Deux constatations de la Commission sont, selon moi, défendables. Il était raisonnable de n’accorder aucune importance aux photographies de la demanderesse. Ces dernières montrent la demanderesse pratiquant le Falun Gong à Toronto; elles ne prouvent aucunement qu’elle le faisait en Chine.

 

[23]           Je crois aussi qu’il était loisible à la Commission de faire abstraction du témoignage de la demanderesse selon lequel celle-ci croyait qu’elle ne pouvait pas pratiquer le Falun Gong en privé en Chine. Je ne suis pas forcément d’accord avec la conclusion de la Commission, mais il n’est pas manifestement déraisonnable de conclure que l’explication de la demanderesse n’est pas digne de foi. Je signale cependant que même si les questions de la Commission sur la raison pour laquelle la demanderesse ne pouvait pas pratiquer le Falun Gong l’ont peut-être aidée à déterminer la crédibilité de cette dernière, je trouve ces questions perturbantes dans le contexte d’une audience relative au statut de réfugié. Les questions de ce genre présupposent qu’il pourrait être acceptable qu’une personne soit forcée à pratiquer le Falun Gong en privé. Un adepte du Falun Gong ne devrait pas avoir à choisir entre la pratique individuelle et la pratique ouverte en groupe. Quoi qu’il en soit, la question a été posée, la réponse a été quelque peu déroutante, et une inférence négative en a été tirée. Je ne suis pas convaincu que la conclusion de la Commission, lue dans ce contexte, soit manifestement déraisonnable.

 

[24]           Examinons maintenant les points problématiques. La conclusion de la Commission selon laquelle le récit de la demanderesse n’est pas digne de foi à cause de la nature « passe-partout » de son FRP me cause beaucoup de difficulté. Dans les circonstances, cette conclusion ne cadre pas avec le bon sens et la rationalité et, à mon sens, elle est manifestement déraisonnable. La Commission a déclaré ceci :

[traduction]  Je suis conscient de l’obligation d’ajouter foi aux dires d’un revendicateur à moins qu’il y ait lieu de croire le contraire (Maldonado); cependant, le bon sens me dit que sept énoncés circonstanciés similaires ne peuvent pas provenir séparément de sept revendicateurs différents qui ne se connaissent pas, qui ignorent pourquoi les énoncés circonstanciés sont à ce point similaires, qui, dans bien des cas, ont vécu dans des villes chinoises très éloignées les unes des autres, et qui, par hasard, ont tous eu affaire au même interprète et au même avocat. Compte tenu de la production de sept énoncés circonstanciés présentant une similitude frappante, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’énoncé circonstancié de la revendicatrice n’est pas assez personnel pour être digne de foi. Les similitudes sont si frappantes que je tire une inférence défavorable à propos de la véracité du récit de la revendicatrice en l’espèce. [Notes de bas de page omises.]

 

[25]           Il va sans dire que la Commission a le droit de se fonder sur des critères tels que la rationalité et le bon sens (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (QL) (C.A.), pour tirer des inférences défavorables. Cependant, dans l’affaire qui nous occupe ici, je ne crois pas qu’il soit conforme au bon sens de dire que du simple fait que les sept FRP sont similaires, il est plus que probable que l’énoncé circonstancié de la demanderesse n’est pas véridique. Et je crois qu’une telle conclusion ne tient pas compte de la preuve soumise à la Commission pour expliquer pourquoi les FRP sont similaires.

 

[26]           La Commission a conclu à juste titre que les énoncés circonstanciés figurant dans sept FRP présentent une « similitude frappante ». Cependant, le simple fait que les énoncés circonstanciés aient été écrits sous une forme « passe-partout » ne veut pas dire que les revendicateurs utilisaient tous un récit préparé à l’avance. Il ressort plutôt des faits de l’espèce que la forme « passe-partout » des énoncés circonstanciés a été établie par le traducteur.

 

[27]           Le traducteur, M. Yang, a admis s’être servi d’une liste de questions pour faciliter le travail de consignation des demandes d’asile. Même s’il a dit n’avoir utilisé la liste que pendant un court laps de temps, la Commission a conclu qu’il semble que cette liste ait été utilisée entre le mois de février 2002 et la mi-mai 2004 (décision, page 5). La liste de questions figure à la page 299 du dossier certifié du tribunal. L’ordre des questions vaut la peine d’être signalé, et il concorde avec la nature schématique des FRP qui ont été produits.

 

[28]           Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’emploi d’un questionnaire-type est problématique, et ce pour plusieurs raisons. Mais, pour les besoins de la présente analyse, le facteur le plus important est l’évidente similitude entre les questions et la forme de chacun des sept FRP. Même s’il s’avérait que le traducteur ne s’est pas servi de la liste de questions pour le FRP de la demanderesse, il est possible, et hautement probable à mon sens, que le traducteur se soit servi d’un modèle. Ce raisonnement explique dans une large mesure pourquoi on relève des mots identiques à certains endroits dans les FRP. Il explique aussi pourquoi le domicile de chaque adepte du Falun Gong où la descente a eu lieu est mentionné dans tous les cas, ce qui est une constante que la Commission a qualifiée de suspecte. Le motif en est évident lorsqu’on note que la question no 10 du traducteur est la suivante : [Traduction] « Au domicile de quelle personne pratiquiez-vous quand la police est arrivée? ».

 

[29]           La Commission est demeurée [traduction] « perplexe et sans aucune explication suffisante à propos des similitudes relevées dans les énoncés circonstanciés des FRP, y compris celui dont il est question en l’espèce ». Cette perplexité est manifestement attribuable au fait qu’elle n’a tiré [traduction] « aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité ou à l’intégrité de M. Yang ». Ce dernier a expliqué qu’il finissait par écrire automatiquement et que le texte lui venait tout seul. La Commission semble avoir souscrit à ces explications. Il serait plus logique, et plus sensé à mon avis, d’inférer que le traducteur travaillait à partir d’une sorte de présentation type. Pourtant, elle a ensuite conclu ceci à propos de M. Yang :

[traduction] Indépendamment de ce qu’il a dit au sujet de la grande similitude des énoncés circonstanciés figurant dans les FRP, son explication est trop commode pour dégager les revendicateurs de leur responsabilité de fournir un énoncé circonstancié relatant de manière crédible ce qu’ils ont personnellement vécu.

 

[30]           La Commission a conclu qu’en raison de la similitude du FRP de la demanderesse avec d’autres FRP, le récit de cette dernière n’était [traduction] « pas assez personnel pour être digne de foi ». À mon avis, le pas qu’elle franchit en décidant que les FRP étaient similaires et en concluant ensuite que le récit exposé dans le FRP de la demanderesse ne reflétait pas son expérience personnelle est une erreur susceptible de contrôle. M. Yang a rédigé le récit de la demanderesse en se fiant à un modèle, mais ce que cette dernière a personnellement vécu est quand même évident. Le FRP indique la date à laquelle cette dernière s’est jointe à un mouvement clandestin, le Falun Gong, les faits qui ont mené à son arrestation, de même que sa libération.

 

[31]           En bref, je crois que la Commission a omis de faire preuve de bon sens en ne tenant pas compte des explications du traducteur au sujet des similitudes entre les FRP qu’il a rédigés. Elle a commis une erreur en concluant que le récit de la demanderesse n’est « pas assez personnel pour être digne de foi ». Bien qu’il faille faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité, dans les circonstances il était manifestement déraisonnable de tirer des inférences et des conclusions qui n’étaient pas fondées sur la rationalité ou le bon sens, comme le prescrit l’arrêt Shahamati.

 

[32]           J’aimerais mentionner deux autres exemples qui me convainquent que la Commission a agi de manière manifestement déraisonnable en faisant ressortir des incohérences mineures au moment d’apprécier la crédibilité de la demanderesse.

 

[33]           Premièrement, la Commission a dit que la demanderesse avait omis de mentionner que son groupe de Falun Gong se réunissait à 6 h 30 le matin, en partie au moins par précaution, pour éviter d’être repéré par le BSP. Mais la demanderesse a expliqué cette omission de façon claire et raisonnable. Elle a indiqué que le groupe se réunissait à cette heure-là pour permettre à ceux de ses membres qui avaient un emploi d’avoir le temps de se rendre au travail après la séance de Falun Gong. Elle a ensuite reconnu qu’il s’agissait aussi d’une mesure de précaution. À mon avis, il est compréhensible que la demanderesse ait oublié ce fait, puisqu’il remplissait une double fonction. Elle a clairement expliqué pourquoi la séance avait lieu à 6 h 30 et, selon moi, il était déraisonnable d’utiliser ce témoignage pour apprécier défavorablement sa crédibilité.

 

[34]           Deuxièmement, je crois que la Commission a agi d’une façon abusive et manifestement déraisonnable en concluant que le fait d’admettre ne pas avoir lu le livre Zhuan Falun est signe d’un manque de crédibilité. La demanderesse a déclaré qu’elle n’avait pas lu cet ouvrage parce qu’il était [traduction] « difficile à comprendre » et [traduction] « très, très profond ». La Commission a analysé comme suit sa réponse :

[traduction] Là encore, cette réponse semble curieuse car l’intéressée a suivi onze années d’études scolaires, et est censément si engagée dans le FG qu’elle a quitté la Chine et sa famille pour continuer de le pratiquer. Bien des demandeurs disent que le principal avantage de la pratique collective, outre la synergie physique, est les bienfaits que l’on tire des discussions sur les écrits du maître Li. Il y a bien quelques passages de Zhuan Falun que l’on peut considérer comme philosophiques ou abstraits, mais il y a de nombreux exposés intéressants qui ne sont pas abstraits du tout et, à cet égard, les commentaires de l’intéressée sont peu logiques, ce qui dénote là encore un manque de crédibilité de sa part (décision, p. 10 et 11, citations omises).

 

[35]           Ces commentaires incluent la note de bas de page no 22, où la Commission donne un exemple d’un exposé intéressant et non abstrait tiré du livre Zhuan Falun. À mon avis, ces commentaires débordent le cadre d’une analyse appropriée en procédant à un traitement hautement relatif et conjectural de ce qui constitue l’adhésion à un groupe d’adeptes du Falun Gong. Pour certains demandeurs, les discussions concernant les écrits du maître Li sont un avantage important de la pratique collective, mais cela ne veut pas dire que, pour la demanderesse, il s’agissait là du principal avantage d’adhérer au Falun Gong. En fait, la demanderesse a expliqué que le grand avantage qu’elle en retirait était que, depuis qu’elle avait commencé à pratiquer le Falun Gong, ses douleurs physiques avaient diminué. Les commentaires de la Commission au sujet des lectures « intéressantes » que l’on trouve dans le livre Zhuan Falun ne tiennent pas compte, selon moi, du caractère raisonnable de la réponse de la demanderesse, à savoir que, pour cette dernière, les écrits sont en général complexes et abstraits.

 

[36]           Je conclus que la façon dont la Commission a considéré les réponses de la demanderesse au sujet des séances tenues à 6 h 30 est un effort inapproprié et exagérément minutieux pour relever des exemples de contradictions dans son témoignage. La manière dont elle a traité, d’une part, la réponse de la demanderesse au sujet des heures de séance et, d’autre part, les raisons pour lesquelles cette dernière n’a pas lu Zhuan Falun est le reflet d’un examen à la loupe, et par trop vigilant, de la preuve en vue de conclure que la demanderesse n’est pas digne de foi (Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (QL) (C.A.)).

 

[37]           À mon avis, même si ces conclusions relatives à la crédibilité ne portent pas en soi un coup fatal à la décision, leur effet cumulatif constitue en l’espèce une erreur susceptible de contrôle (Molina).

 

[38]           Quant à la similitude des énoncés circonstanciés figurant dans les FRP, je constate que le juge Campbell, dans Bao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 301, est arrivé à des conclusions similaires au sujet d’une série similaires de faits. Je suis certainement d’accord avec lui que la conclusion de crédibilité erronée qui a été tirée en rapport avec les FRP similaires occupe une place si cruciale dans la décision dans son ensemble qu’il serait extrêmement risqué de maintenir cette dernière.

 


 

ORDONNANCE

 

 

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision datée du 6 avril 2005 est annulée et l’affaire est renvoyée à une formation différemment constituée de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’elle statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                           « James Russell »

                                                                                                                                    Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2745-05

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        HONG ZHANG

 

DEMANDERESSE

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DÉFENDEUR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 mars 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 1er mai 2006

 

COMPARUTIONS :

 

John Savaglio                                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

Catherine Vasilaros                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Savaglio

Avocat

Pickering (Ontario)                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR

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