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Date : 20021224

Dossier : IMM-3962-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1326

ENTRE :

                                                                      SAEID RIVAN

                                                                                                                                               Demandeur

ET

                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 De par sa demande de contrôle judiciaire, Saeid Rivan, un citoyen de l'Iran, recherche la cassation de la décision du 23 juillet 2001 rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « le tribunal » ) qui lui refuse l'inclusion, c'est-à-dire, la reconnaissance comme réfugié et le juge exclu en raison de l'article 1F(b) de la Convention ayant des raisons sérieuses de croire qu'il a commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada.

[2]                 M. Rivan craint d'être persécuté par les autorités en Iran pour trois raisons:


1)         les autorités le soupçonnent de collaborer à l'extérieur du pays avec les Mojahedines, un mouvement d'opposition;

2)         il n'a pas respecté les conditions de remise en liberté après avoir été mis en détention par le Sepah, l'organisation de renseignements des « Gardiens de la Révolution » autrement appelés « Pasdarans » conditions qui exigeaient qu'il collabore avec ce dernier; et

3)         il a déposé une plainte auprès des tribunaux judiciaires de son pays réclamant avoir été victime d'une détention arbitraire infligée par le Sepah.

[3]                 Le récit de M. Rivan comporte plusieurs étapes dont celles-ci:

1)         À l'âge de 16 ans, il se porte volontaire durant la guerre de l'Iran avec l'Iraq se joignant aux Bassij (partisan volontaire du régime) et est au front pendant un an et demi sur une période de six ans entre 1981 et 1987.

2)         Après avoir reçu son diplôme d'études secondaires, il complète son service militaire entre 1987 et 1989. Perçu comme partisan du régime, il est choisi par le Sepah pour faire partie de son unité de sécurité. Après un mois de service, il demande d'être transféré, encore une fois, au front. Dans sa Formule de Renseignements Personnels ( « FRP » ), il se dit dégoûté des crimes commis par le Sepah dans leur centre de détention.


3)         En 1990, il est admis à l'Université de Téhéran dans le contingent réservé pour le Sepah. Éprouvant des difficultés académiques, il demande un congé à la fin de sa première année.

4)         En 1991, avec deux amis, il se rend en Roumanie et établit une société commerciale d'exportation-importation vers l'Iran. En 1992, il est en Iran, travaille pour son frère, se marie et s'établit à Téhéran.

5)         En novembre 1992, il se rend dans sa ville natale d'Ahvaz pour visiter son père malade. Là, il reçoit un appel téléphonique d'une ancienne connaissance, membre du Sepah, un dénommé Hossein Behbahani qui semble connaître ses activités commerciales roumaines et lui suggère une rencontre avec lui et un autre individu intéressé afin de monter un projet. Le 4 novembre 1992, au lieu du rendez-vous et en attente de M. Behbahani, lui et le tiers parti sont arrêtés par le Sepah.

6)         Il écrit avoir été battu, torturé et interrogé pendant quatorze jours et que beaucoup de questions portaient sur les Mojahedines. Pendant son interrogatoire, ses assaillants auraient amené son épouse devant lui afin de le forcer d'avouer et l'auraient informé que son père était décédé. Il aurait été transféré, après promesse de collaborer avec le Sepah, au tribunal révolutionnaire qui prononce sa libération à condition qu'il ne quitte ni Ahvaz ni l'Iran.


7)         C'est après sa libération que M. Rivan dit avoir appris que son épouse avait été détenue et interrogée pendant une nuit dans une maison privée, propriété d'un membre du Sepah. M. Rivan et son épouse portent plainte contre le Sepah pour sa propre détention arbitraire et l'autre pour séquestration illégale de son épouse par le Sepah dans une maison privée.

8)          Au printemps de 1993, après plusieurs tentatives, le demandeur obtient l'autorisation d'un juge du tribunal révolutionnaire de retourner à Téhéran pour rejoindre sa femme enceinte.

9)         En novembre 1993, il fuit l'Iran et s'installe en Roumanie après avoir appris que le Sepah avait descendu sur la maison familiale à Ahvaz et arrêté pendant 24 heures son frère Omid, maintenant porté disparu après une tentative de le rejoindre en Roumanie.

10)        De novembre 1993 à mai 1999, son FRP indique qu'il séjourne en Roumanie avec statut de visiteur. Début juin 1999, il quitte la Roumanie, transige l'Allemagne et le 4 juin atterrit à Montréal pour revendiquer le statut de réfugié quelques jours plus tard.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL


[4]                 Le tribunal juge que le revendicateur n'était pas « un témoin crédible, sa revendication n'avait pas de caractère objectif ni subjectif et, s'il avait été crédible, le tribunal l'aurait exclu comme auteur et complice d'entrave à la justice, de méfait public et de trafic de stupéfiants » .

[5]                 La décision du tribunal comprend vingt-deux pages dont quinze sont consacrées à une analyse sur la non-crédibilité du revendicateur. De plus, le tribunal conclut à l'absence de caractère objectif et subjectif de sa crainte: le tribunal est d'avis que le revendicateur n'a pas réfuté la présomption de la capacité de l'État iranien à le protéger. Quant à l'absence de crainte subjective, le tribunal se base sur le fait qu'il n'a pas demandé le statut de réfugié en Roumanie.

a)         La crédibilité

[6]                 Le tribunal fonde sa conclusion d'absence de crédibilité sur plusieurs facteurs, notamment:

i)          omissions dans son FRP;

ii)         contradictions entre son FRP et son témoignage ainsi que des contradictions à l'intérieur de son témoignage;

iii)         invraisemblances;

iv)        obscurités;

v)         comportement du revendicateur.

  

i)          Omissions dans son FRP

[7]                 Le tribunal reproche M. Rivan d'avoir omis plusieurs faits de son FRP y inclus les suivants:

a)         le revendicateur, selon le tribunal, a omis de mentionner dans son FRP ses activités de trafic de devises à Téhéran afin de masquer le fait que ce trafic ne pouvait se faire qu'avec l'approbation du Sepah;

b)         le revendicateur a omis d'indiquer que son épouse travaillait à Téhéran depuis quinze ans comme « administrateur du bureau » du directeur d'une société d'État dans le secteur du pétrole, à savoir la compagnie pétrolière Behran;

c)         le fait de n'avoir mentionné dans son FRP le moyen lui permettant de rester si longtemps en Roumanie (environ six ans) et d'obtenir des prolongements sur son passeport iranien par le billet de visa falsifiés;


d)         l'entière omission de décrire la nature de ses activités en Roumanie entre novembre 1993 lorsqu'il a fui l'Iran, et juin 1999 lorsqu'il quitte ce pays pour le Canada, notamment: (1) le fait que le revendicateur a travaillé en temps qu'interprète pour Interpol Roumanie et pour la police civile à Bucarest entre 1996 et 1999; (2) qu'Interpol Roumanie a illégalement prolongé ses autorisations de séjour; (3) que durant son séjour en Roumanie, il s'est mis à la disposition d'un fonctionnaire de l'Ambassade de l'Iran pour trouver un client à qui ce dernier pourrait vendre ses deux kilos d'héroïne et que son implication au début était de développer une amitié avec cet homme influent qui pourrait lui renouveler son passeport; (4) qu'après que l'ambassadeur lui ait refusé une extension, il a procédé à cette transaction par vengeance et a entamé la collaboration d'Interpol pour monter une opération « sting » ; et (5) finalement, que le revendicateur a travaillé en temps que garde-corps pour un capitaliste iranien résident en Roumanie à partir du moment où son restaurant a fait faillite en 1996-1997;

e)         le fait d'avoir omis de mentionner dans son FRP qu'à Montréal, il a rencontré l'ancien directeur du Sepah de tous les Komiteh de la ville d'Ahvaz qui, d'après son témoignage, est un parent de l'Imam du vendredi (les autorités religieuses en Iran, pour toute la province du Kuzhestan). Il a aussi omis d'indiquer qu'à Montréal il a fait la connaissance des membres du Hezbollah.

ii)         Contradictions

[8]                 Le tribunal relève plusieurs contradictions dans la preuve surtout entre le témoignage de M. Rivan et son FRP dont celles-ci:


a)         contradiction entre son témoignage où il dit qu'il était réticent de recevoir l'appel de M. Behbahani et de prendre rendez-vous avec lui - antipathie qui a pris naissance durant son service militaire en apprenant que M. Behbahani torturait les gens - et la référence dans son FRP que celui-ci était « an old friend from the time of the military service » ;

b)         la déclaration du revendicateur durant son témoignage qu'il avait été obligé de se joindre au Bassij contredisant son écrit dans son FRP que « I was a supporter of the Islamic regime and volunteered for service in the war front » et tantôt a déclaré qu'il était entré volontairement dans les Bassij, contredisant sa déclaration antérieure concernant le caractère involontaire de son engagement;

c)         contradiction interne dans le témoignage du tribunal sur sa présence sur le territoire irakien durant la guerre. Le tribunal souligne que lors de la première audience, le revendicateur a précisé que sur le front, il faisait partie des commandos de reconnaissance en territoire ennemi et se battait contre les Mojahedines mais que, lors de la dernière audience, il a nié avoir pénétré le territoire irakien pendant la guerre durant des missions de reconnaissance;

d)         une contradiction interne dans le témoignage du revendicateur à savoir s'il s'est battu contre les Mojahedines et s'il avait tué de ses membres. Le tribunal est d'avis que pendant la dernière audience il a déclaré n'avoir pas tué de Mojahedines ni rien eu à voir avec eux en combat alors qu'il avait déclaré le contraire au cours de la première audience;


e)         le tribunal repère une contradiction sur la durée de ses études à l'université. Le tribunal explique que « ... à la ligne 4 de la question 17 de son FRP le revendicateur a écrit qu'il était resté à l'université de septembre 1990 à juin 1991, alors qu'en audience il a dit qu'il n'avait étudié à l'université que 2 à 3 mois » ;

f)          une contradiction entre son FRP et son témoignage si, oui ou non, il était obligé de passer un examen pour entrer à l'université. Dans son FRP, le revendicateur dit « Sepah had some places in the universities reserved for its members and other people who had fought in the war. I was not required to pass the university entry test, which was compulsory for all the other candidates » . À l'audience, le revendicateur s'est contredit en disant qu'il a dû passer un concours pour entrer à l'université.


g)         contradiction entre son témoignage et la preuve présentée par le représentant du ministre. Tel que noté, le revendicateur a témoigné des activités qu'il réclame avoir exercé avec les autorités policières roumaines et les services d'Interpol en Roumanie (interprète et collaborateur dans une opération « sting » ) avec les diplomates iraniens ( « middleman » dans une transaction de trafic de deux kilos d'héroïne) et avec un capitaliste iranien en Roumanie (travaille comme garde de corps). Or, le tribunal souligne, à la page 11 de sa décision que le représentant du ministre a effectué des enquêtes auprès des autorités roumaines, le résultat étant que le nom et les empreintes digitales de M. Rivan étaient inconnus au service d'Interpol en Roumanie, ce qui amène le tribunal à conclure que le revendicateur « a menti, par action ou par omission, quant à la nature de ses activités en Roumanie, et notamment ses relations contradictoires avec les autorités de police de ce pays ainsi qu'avec les autorités diplomatiques iraniennes » ;

h)         une contradiction dans son exposé des événements concernant la séquestration. Le tribunal trouve que le revendicateur s'est contredit dans son témoignage quant à la connaissance que son épouse aurait eu des lieux où elle avait été séquestrée après son arrestation et qu'en effet, ce serait tantôt elle et tantôt lui qui aurait identifié le lieu de sa détention, qui aurait été tantôt un domicile privé, tantôt une prison.

iii)        Invraisemblances

[9]                 Le tribunal tire les invraisemblances suivantes:

a)         le tribunal trouve invraisemblable que la femme de M. Rivan continue à occuper "un poste de confiance" au sein d'une entreprise d'État et ce depuis quinze ans, alors que le régime iranien cherche à persécuter son mari. Il s'appuie notamment sur son expertise du contexte social iranien pour énoncer la conclusion suivante:


Et compte tenu du mode d'organisation sociale, politique et pénale en Iran, où les femmes occupent systématiquement des positions subordonnées aux hommes, au travail comme dans la famille, et sont tenues pour responsables des actes de leurs maris, il apparaît au tribunal bien peu probable que l'épouse du revendicateur ait pu conserver un tel poste de confiance si son mari ou elle-même faisaient l'objet de soupçons de complicité avec les Mojahedines de la part des services de sécurité.

b)         d'après le tribunal, il est peu probable que le revendicateur ait pu se livrer, et ce sans difficulté des autorités iraniennes, à des activités de trafic de dollars américains sur le marché noir depuis le moment où il a arrêté ses études universitaires. D'après le tribunal, ce qui est incroyable dans les propos du revendicateur est que cette activité est « strictement interdite en Iran, sous peine de mort »

c)         le tribunal trouve invraisemblable son témoignage sur les circonstances de son entrée au Canada et, à cet égard, le tribunal explique son incrédulité de la façon suivante:

Lors de la dernière audience, suite à une question du représentant de la Ministre relativement aux circonstances de son entrée au Canada, le revendicateur a déclaré qu'il était entré au pays sans faire viser son passeport ni faire aucune déclaration aux autorités d'immigration en se faisant passer, sur la recommandation de son passeur, pour un muet.

Or, le tribunal est de l'opinion que cette prétention du revendicateur d'avoir évité les questions des autorités d'immigration en se faisant passer pour un muet est totalement invraisemblable eu égard à la présomption, que le revendicateur n'a pas réfutée, que soulèvent les dispositions explicites des articles 12 et suivants de la Loi sur l'immigration qui assujettissent à l'interrogatoire d'un agent d'immigration quiconque cherche à entrer au pays.

(d)       L'établissement des contacts du revendicateur avec les membres du Pasdarans à Montréal est qualifié d'invraisemblable par le tribunal. Il en fait le constat suivant:


Or, le tribunal doit qualifier d'invraisemblable la probabilité que le revendicateur, d'une part, rencontre à Montréal au sein d'une population de plus de deux millions d'habitants et quelques jours à peine après son arrivée au Canada un responsable des Pasdarans de sa ville natale en Iran et, d'autre part, offre à cet individu une transaction illégale pour faire rentrer un membre de sa famille au Canada en échange de services concernant les autorités judiciaires ou d'immigration iraniennes.

(iv)      Silences et obscurités

[10]            Le tribunal constate, d'après son appréciation du témoignage du revendicateur, qu'il demeure muet ou est obscur sur un certain nombre de points. Il s'agit de:

a)         la vraie nature de la relation entre le revendicateur et M. Behbahani. Le tribunal croit que M. Rivan a minimisé, durant l'audience, ce qui était effectivement une « vielle amitié » entre lui et M. Behbahani. Le tribunal s'explique de la façon suivante:

Et pour expliquer la reprise de ses relations avec M. Behbahani en dépit de son animosité envers ce dernier du fait de la brutalité de ses méthodes, le revendicateur a dit qu'il n'était allé au rendez-vous fixé par M. Behbahani qu'à cause de l'insistance de sa propre mère à laquelle cet individu fournissait gratuitement des bonbonnes de gaz propane pour la cuisine.

                                                 . . .

Par conséquent, le tribunal ne peut s'expliquer de manière satisfaisante pourquoi le revendicateur aurait repris contact avec un individu qui aurait été associé dans son esprit à de si mauvais souvenirs dans le seul but de plaire à sa mère.


En effet, ou bien le revendicateur aurait agi pour faire plaisir à sa mère - auquel cas il n'a pas expliqué comment celle-ci aurait pu connaître M. Behbahani ou garder contact avec lui après la soi-disant rupture avec le revendicateur à la suite du départ de ce dernier de l'unité des services de renseignement dans laquelle il exerçait les fonctions de garde. Ou bien le revendicateur avait gardé contact avec M. Behabahani et souhaitait renouer des relations approfondies avec celui-ci après son service militaire - auquel cas le revendicateur est demeuré obscur tant en ce qui concerne la durée de la relation avec M. Behabahani, qu'en ce qui concerne les moyens qu'avait ce dernier de se tenir au courant du domicile et des activités du revendicateur, et qu'en ce qui concerne la nature et la portée des relations qu'ils souhaitaient tous deux établir après la guerre de 1979 à 1990.

                                                 . . .

Donc, le tribunal peut croire qu'en audience le revendicateur a délibérément sous-évalué et transformé la nature et la profondeur de sa relation avec les Bassij et avec M. Behabahani, minimisant ce faisant sa complicité avec ce dernier durant leur collaboration au sein de l'unité des services de sécurité des Pasdarans, puis après la guerre entre l'Iran et l'Iraq.

Le tribunal conclut que M. Rivan ne s'est pas éloigné du régime et note:

L'explication fournie au paragraphe 8 du FRP sur la « vieille amitié remontant au service militaire » entre les deux hommes fournirait une base beaucoup plus vraisemblable aux soupçons des autorités iraniennes et à des accusations contre le revendicateur du fait de l'imputation de complicité entre Behabahani et les Mojahedines Khalq, mais elle soulève la question de la nature et de l'ampleur des relations entre les deux hommes, que le revendicateur a délibérément laissée dans l'ambiguïté.


b)         la nature et la portée des relations du revendicateur avec le Sepah lui permettant d'entrer et de quitter l'université sans aucun problème. Le tribunal trouve que le revendicateur a entretenu l'obscurité à ce sujet. Il arrive à cette conclusion en se basant sur la contradiction entre la preuve écrite et orale du revendicateur - d'un côté, disant qu'il a dû passer un examen pour entrer à l'université, de l'autre disant que non, un tel examen n'a pas été requis. Concernant la deuxième conclusion, le tribunal y est arrivé en jugeant insatisfaisante l'explication du revendicateur quant à sa facilité de quitter l'université alors « qu'il y est entré comme membre de la catégorie des fidèles du régime » , qu'il y soit « sur le contingent du Sepah ou sur celui des Bassij » .

Le tribunal a questionné le revendicateur à plusieurs endroits sur le « comment » de son départ d'une force idéologique, sans qu'il ne se fasse considérer comme un infidèle du régime;

c)         les raisons pourquoi le revendicateur s'est dissocié du régime islamique et la façon dont il l'a fait. À la page 8 de sa décision, le tribunal énonce les propos suivants:

Mais le revendicateur n'a jamais expliqué au tribunal comment ni pourquoi il se serait dissocié par la suite du régime islamique iranien, sinon en déclarant vaguement qu'il avait pris ses distances au cours de son séjour en Roumanie qui l'avait amené à voir les choses autrement.

d)         selon le tribunal, plusieurs questions demeurent sans réponses: (1) la nature des activités économiques du revendicateur à la sortie de l'université; (2) l'origine des ressources lui permettant de monter une entreprise en Roumanie et de commencer à importer des produits vers l'Iran; et (3) la nature et l'étendue des relations probables de M. Rivan et des autorités iraniennes concernant ses activités économiques.


e)         la véritable nature et l'étendue des liens entre le revendicateur et le régime iranien lui permettant d'obtenir des prolongements de son visa sur son passeport de son séjour en Roumanie. À la page 10 de sa décision, le tribunal explique le manque de clarté à cet égard et écrit:

Par conséquent, le tribunal n'est pas en mesure de déterminer la nature ni l'étendue des relations du revendicateur avec des agents du gouvernement iranien qui lui ont permis d'obtenir illégalement la prorogation du visa sur son passeport iranien.

(v)       Son comportement

[11]            Le comportement du revendicateur fait aussi l'objet de remarques sévères de la part du tribunal l'amenant à conclure « l'absence générale de fiabilité du revendicateur » . Pour s'expliquer, le tribunal énonce ce qui suit:

En audience, le revendicateur est apparu au tribunal comme un manipulateur aguerri qui alternait sans raison ni transition les pleurs et les sourires, comme lorsqu'il parlait de la mort de son père ou d'une prétendue attaque contre son frère.

Ou bien qui faisait au tribunal des déclarations destinées à tester la réaction des commissaires, comme sa déclaration qu'il savait que sa revendication allait être rejetée ou bien sa proposition de dénoncer un membre du Hezbollah à Montréal dans le cadre d'une « entente » que le tribunal n'était pas compétent pour conclure avec lui.

Ou bien qui inventait au fur et à mesure des questions du tribunal et du représentant de la Ministre, comme le récit de l'arrestation de son frère dans l'autobus à quelque distance de Ahvaz et les explications embrouillées qui ont suivi quant au statut de son frère et au lieu de l'arrestation.

Dans l'ensemble, le tribunal est fort inquiet de l'absence de scrupules qu'a révélée l'attitude du revendicateur tout au long des débats, qui démontre une absence totale de fiabilité de ce dernier qui semble prêt à faite flèche de tout bois pour arriver à des fins qu'il refuse de partager. [je souligne]

[12]            Et, plus loin, dans une discussion concluant généralement le sujet de la crédibilité, le tribunal dit:

En effet, le tribunal conclut que le schéma (pattern) général de conduite du revendicateur lors des audiences laisse apparaître avec clarté une intention générale de l'induire en erreur. Ainsi que les agissements propres à mettre en oeuvre cette intention.

(b)       Absence de caractère objectif ou subjectif

[13]            Le tribunal juge que M. Rivan n'a pas réfuté la présomption que l'État iranien était capable de le protéger. Ici, le tribunal fait référence « à une impressionnante collection de pièces de procédure indiquant de nombreux transferts successifs de son dossier de plainte pour arrestation arbitraire entre divers ressorts des tribunaux militaires et des tribunaux révolutionnaires jusqu'à la saisine du Coroner général d'Ahvaz » (P-11 à P-22).

[14]            Le tribunal remarque que M. Rivan a reconnu qu'il avait été convoqué à Ahvaz pour donner suite aux plaintes de son arrestation arbitraire mais étant en Roumanie, ne s'est pas rendu.

[15]            L'absence de crainte subjective est établie, selon le tribunal, du fait qu'il n'a pas demandé la protection de la Roumanie lorsqu'il y était pendant cinq ans et demi.


(c)       L'exclusion

[16]            L'article 1F(b) justifie, selon le tribunal, l'exclusion du revendicateur « même s'il était crédible » . Il a avoué avoir commis des actes de méfait public en Roumanie - il a incité un employé de l'ambassade d'Iran en Roumanie à commettre un acte de trafic de stupéfiants.

POINTS EN LITIGE

[17]            Les moyens soulevés par le demandeur à l'encontre de la décision du tribunal portent sur plusieurs plans.

(a)        Quant à l'inclusion


[18]            Premièrement, s'appuyant sur plusieurs arrêts de cette cour, le demandeur dit que le tribunal a commis une erreur de droit en omettant de se prononcer sur la preuve documentaire spécifique à lui comportant une trentaine de pièces. La procureure du demandeur allègue que le tribunal ne s'est pas prononcé sur le contenu, la valeur et la force probante de cette documentation qui corroborait plusieurs éléments importants de son témoignage portant au coeur de sa revendication. Spécifiquement, le tribunal, dit-on, n'a pas pris en considération (ou l'a mal considérée) la preuve médicale des docteurs Rongier et Renzi et de l'expertise psychologique.

[19]            Ensuite, le demandeur plaide que le tribunal a basé sa décision sur des conclusions de faits erronés, tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte de la preuve. Le demandeur conteste plusieurs omissions, contradictions, et invraisemblances tirées par le tribunal et soumet que celui-ci a mal lu la preuve citant, comme exemple, la conclusion du tribunal que le trafic de devises en Iran est strictement interdit sous peine de mort, une erreur qui fonde la conclusion du tribunal qu'il « est donc fort peu probable qu'un trafiquant de devises opère sans s'assurer de protections dans les services de sécurité » .

[20]            Troisièmement, le demandeur plaide que la conclusion du tribunal à l'absence de caractère objectif de la crainte du demandeur est erronée basée, comme elle l'était, sur la conclusion du tribunal que le revendicateur n'a pas réfuté la présomption de la capacité de l'État iranien à le protéger. Le demandeur cite une certaine preuve documentaire.

[21]            Quatrièmement, le demandeur soumet que les motifs allégués par les membres du tribunal pour refuser sa revendication constituent la confirmation ultime du sentiment que M. Rivan avait depuis le premier jour à l'effet que le tribunal, même avant de l'entendre, avait déjà décidé son sort.


[22]            Cinquièmement, le Président du tribunal durant le déroulement des audiences a demandé des renseignements du Centre de documentation sans divulgation.

b)         Quant à l'exclusion

[23]            Selon le demandeur, la conclusion du tribunal qu'il est exclu doit être cassée pour les motifs suivants.

[24]            Premièrement, l'exclusion du tribunal est conditionnelle - « s'il avait été crédible » . Une exclusion conditionnelle n'est pas permise tel que décidé par le juge Blanchard dans Hosseini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] C.F.P.I. 402.

[25]            Deuxièmement, le paragraphe 1F(b) n'a jamais été soulevé par la ministre. Pour justifier l'exclusion, elle a invoqué les paragraphes 1F(a) et 1F(c) de la Convention. Le demandeur n'a pas pu se défendre sur l'exclusion au paragraphe 1F(b) et, dans les circonstances, il y a un manquement à la règle de justice naturelle, ce qui est admis par l'intimé.


ANALYSE

(a)       L'inclusion

[26]            J'estime que l'essentiel de la décision du tribunal sur l'inclusion se retrouve dans sa conclusion que le demandeur n'est pas crédible. Le tribunal ne croit pas son histoire.

[27]            Il a été dit maintes fois par les juges de la Cour suprême du Canada et de cette cour, soit en appel ou en première instance, que les questions de crédibilité sont au coeur de la juridiction du tribunal et sont des conclusions de fait qui ne peuvent être infirmées que si le tribunal a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il dispose au sens de l'article 18.1(4)d) de la Loi sur la cour fédérale, une décision manifestement déraisonnable.

[28]            Dans l'arrêt Conseil de l'éducation de Toronto, (Cité) c. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487, le juge Cory s'exprime comme suit au paragraphe 45:


[45] Lorsqu'une cour de justice contrôle les conclusions de fait d'un tribunal administratif ou les inférences qu'il a tirées de la preuve, elle ne peut intervenir que "lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal".

[29]            Cet examen de la preuve est d'une portée limitée. Il écrit à la page 509:

[48] . . .Je précise que cela ne veut pas dire que la cour doit apprécier la preuve comme si elle avait été saisie de la question en premier lieu. Il faut se rappeler que, même si la cour de justice n'est pas d'accord avec la façon dont le tribunal administratif a apprécié la preuve et tiré ses conclusions, c'est uniquement dans le cas où la preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d'étayer les conclusions du tribunal que la cour peut substituer son opinion à celle du tribunal.

[30]            Ce même thème est repris par la juge L'Heureux-Dubé dans Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, où elle écrit au paragraphe 85 de son jugement:

[85] Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue. . .: les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait serait manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve . . . .

[31]            Dans cet exercice de la lecture de la preuve, le juge Laskin, plus tard juge en chef, nous conseille dans Boulis c. Le Ministre de l'Emploi et de l'immigration, [1974] R.C.S. 875:

[21] ...D'autre part, il faut accorder à la Commission la confiance que son statut de cour d'archives indépendante commande pour ce qui est d'un examen soigneux et juste des demandes de redressement ... . Il ne faut pas examiner ses motifs à la loupe, il suffit qu'ils laissent voir une compréhension des questions que l'article ... soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée. Le dossier est disponible pour fin de contrôle des conclusions de la Commission. [je souligne]

[32]            Au même effet est le jugement du juge Laskin dans Woolaston c. le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] R.C.S. 102, où il écrit:

[8] Je ne puis conclure que la Commission a méconnu ce témoignage et a ainsi commis une erreur de droit que cette Cour doit corriger. Le fait qu'il n'est pas mentionné dans les motifs de la Commission n'entache pas sa décision de nullité. Il figurait au dossier; sa crédibilité et sa force probante pouvaient être appréciées avec les autres témoignages en l'espèce et la Commission avait la faculté de ne pas en tenir compte ou de ne pas y ajouter foi.

[ 9] Après avoir étudié tout le dossier, je suis convaincu que ce qui a été présenté comme une erreur de droit est effectivement une question de fait à l'égard de laquelle aucun appel ne peut être interjeté à cette Cour.

[33]            La méthodologie suivie par le tribunal pour déterminer la non-crédibilité du demandeur en est une bien reconnue par la Cour. Le tribunal a fondé sa conclusion que le témoignage du demandeur n'était pas crédible sur la base de son comportement, sur des omissions dans son FRP, sur des conflits entre son FRP et son témoignage et une série d'invraisemblances ou de contradictions à l'intérieur de son témoignage. Le tribunal juge le témoignage confus et obscur. Dans Mostajelin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] F.C.J. no 28, le juge Décary écrit que ces conclusions de crédibilité « are beyond the review of this Court » .

[34]            Le juge Stone dans Wen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF no 907, encore au nom de la Cour d'appel fédérale, est au même effet. Il écrit:

[2] La décision rendue par la Section du statut découle entièrement du fait que celle-ci a conclu à la non-crédibilité de l'appelante. Cette conclusion était en partie fondée sur ce qui lui a semblé être certaines contradictions internes et certaines incompatibilités dans le récit de l'appelante. Bien que l'on puisse peut-être discuter de cette manière de percevoir les choses, il ne faut pas céder à la tentation de le faire dans les cas où il n'a pas été démontré que la Section du statut ne saurait raisonnablement parvenir à une telle conclusion.

[3] Cela dit, pour conclure à la non-crédibilité de l'appelante, la Section du statut s'est également fondée sur le fait que les réponses formulées par l'appelante étaient [TRADUCTION] "équivoques" et "évasives". La Cour, qui n'a pas à sa disposition les éléments dont pouvaient disposer les juges du fait, n'a pas à s'immiscer dans l'appréciation que ceux-ci ont portée sur le comportement ou l'attitude de telle et telle personne.

[35]            Dans sa plaidoirie devant la Cour, la procureure du demandeur a développé son attaque sur les motifs, erronés d'après elle, qui ont porté le tribunal à trouver M. Rivan non crédible. Elle plaide que:

(1)        les divergences identifiées entre son témoignage et son FRP ne sont pas des modifications mais de simples éclaircissements;

(2)        les omissions repérées ont été soit mentionnées (exemple, la sollicitation par le Sepah à l'université) ou sont non pertinentes (exemple, le trafic en devises) n'ayant aucun lien avec sa revendication;


(3)        plusieurs conclusions de fait ne sont pas basées sur la preuve ou bien le tribunal a mal saisi la preuve (exemple, M. Rivan n'a jamais témoigné de faire partie d'un commando de chasse, de s'être battu et d'avoir tué les Mojahedines, ou d'avoir assisté à des séances de torture);

(4)        le tribunal a mal apprécié la preuve (exemple, la peine de mort n'est pas infligée aux trafiquants de devises en Iran);

(5)        les contradictions trouvées ne le sont pas (exemple, le fait de s'être porté volontaire et le fait qu'il se sentait obligé d'aller au front ainsi que l'identification du lieu de détention); et

(6)        les obscurités soulevées ne le sont pas et relèvent d'une mauvaise appréciation de la preuve par le tribunal.

[36]            Après un examen approfondi du dossier certifié du tribunal et donc du témoignage du demandeur et de la preuve documentaire, je conclus que, malgré un vaillant effort, la procureure du demandeur ne m'a pas persuadé que la conclusion du tribunal à l'effet que M. Rivan était non-crédible doit être infirmée.


[37]            Parmi les nombreuses erreurs soutenues par le demandeur, j'estime qu'environ six d'entres-elles peuvent être qualifiées comme ne reposant pas sur la preuve ou être le résultat d'une mauvaise appréciation de celle-ci (exemple, omission de ne pas avoir identifié la demande de collaboration des Pasdarans à l'université, d'avoir tué des Mojahedines, d'avoir accès au lieu de détention durant son mois de service avec la Sepah et que sa mère a reçu gratuitement les bonbonnes de gaz).

[38]            Vu dans l'ensemble de la décision du tribunal, ces erreurs ne peuvent être qualifiées de centrales à celle-ci, à mon avis, et n'affectent pas sa réalité.

[39]            De plus, à mon avis, la très grande majorité des erreurs de fait que le demandeur veut que j'écarte sont soit basées sur des inférences raisonnablement tirées par le tribunal et appuyées sur la preuve ou exigeraient que je m'engage dans une nouvelle appréciation, ce que la jurisprudence m'interdit. Sur ses conclusions, le tribunal est à l'abri de l'intervention de cette Cour.

[40]            J'ai lu attentivement l'affidavit du demandeur à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire. Il critique sévèrement certaines conclusions de fait du tribunal mais, à mon avis, sa perspective repose sur une lecture microscopique de la décision du tribunal qui nécessairement fait abstraction de tous les autres éléments dans la preuve qui appuieraient les conclusions du tribunal.

[41]            La preuve, prise dans son ensemble, pouvait raisonnablement porter le tribunal à conclure à la non-crédibilité du témoignage du demandeur parce que les omissions dans son FRP étaient importantes, les invraisemblances tirées n'étaient pas déraisonnables et les contradictions étaient nombreuses. Qui est plus, cette conclusion de non-crédibilité est aussi fondée sur l'appréciation faite par le tribunal du comportement du demandeur durant son témoignage, une appréciation privilégiée du tribunal.

[42]            Finalement, sur ce point, je trouve les paroles du juge Hugessen, alors membre de la Cour d'appel fédérale, dans Owusu c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 434, applicables en l'espèce:

Dans tous les autres cas, sans exception, il s'agit de conclusions de fait que la Commission pouvait valablement tirer selon son appréciation de la preuve; eus-je siégé à leur place, il se peut fort bien que j'en sois venu à une conclusion différente mais il m'est tout simplement impossible de dire qu'en jugeant comme elle l'a fait la Commission a commis une erreur.

            Des erreurs invoquées par le requérant la seule qui soit réelle n'affecte donc qu'un des huit exemples donnés par la Commission pour appuyer sa conclusion que la version du requérant n'était pas digne de crédibilité, et cet exemple est loin d'être le plus important. Dans ces circonstances, on ne peut dire que la décision elle-même est fondée sur une conclusion de fait erronée au sens de l'alinéa 28(1)(c) de la loi sur la Cour fédérale.

[43]            Le tribunal n'a non seulement pas retenu les points essentiels de la revendication de M. Rivan pour cause de non crédibilité mais il l'a rejetée pour d'autres motifs: l'absence de crainte subjective et la protection de l'État iranien.

[44]            Je crois que les prétentions du défendeur sur l'absence d'une crainte subjective sont bien-fondées et permettent au tribunal de conclure que le revendicateur n'a pas établi une crainte bien-fondée de persécution s'il retournait en Iran. Il faut se rappeler que M. Rivan a fui l'Iran en 1993 et s'est établi en Roumanie pendant cinq ans et demi mais n'a pas demandé la protection de ce pays. Le tribunal pouvait raisonnablement conclure que le comportement de M. Rivan était incompatible avec la notion qu'il pensait être persécuté s'il retournait en Iran.

[45]            L'absence de crainte subjective est une lacune fatale à la revendication de M. Rivan (voir Fernando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] C.F.P.I. 759 et Maqdassy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] C.F.P.I. 182.

[46]            Le demandeur prétend que le fait que la Roumanie a adhéré à la Convention n'était pas en preuve devant le tribunal. Comme l'a fait le juge MacKay dans Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.F.C. No 1758, je rejette cette prétention sur la base du paragraphe 68(4) de la Loi sur l'immigration.


[47]            Dans les circonstances, je n'ai pas à traiter de l'argument avancé par le défendeur et retenu par le tribunal que, considérant les plaintes déposées par lui et son épouse devant plusieurs tribunaux iraniens, M. Rivan jouissait de la protection de l'État.

[48]            J'écarte brièvement trois autres arguments soulevés par le demandeur à l'encontre de la décision du tribunal.

[49]            Premièrement, citant une jurisprudence de cette cour, le demandeur prétend que le tribunal ne s'est pas prononcé sur le contenu, la valeur et la force probante de l'ensemble de la preuve spécifique au revendicateur (pièce P-1, à P-39).

[50]            Cette critique du demandeur n'est pas juste. Le tribunal s'est prononcé sur les pièces P-11 à P-22 et après lecture du témoignage de M. Rivan et de la décision, je pense qu'il a aussi pris en considération les pièces P-5 à P-7, (dossier du tribunal page 19). Le tribunal s'exprime comme suit:

En audience, le revendicateur a déposé une impressionnante collection de pièces de procédure indiquant de nombreux transferts successifs de son dossier de plainte pour arrestation arbitraire entre divers ressorts des tribunaux militaires et des tribunaux révolutionnaires jusqu'à la saisine du Coroner général d'Ahvaz.

[51]            Le tribunal s'est aussi prononcé sur le rapport psychologique de Madame Lillo. Il y fait référence dans sa décision (pages 17 et 18 du dossier du tribunal) et a apprécié sa valeur probante d'une façon qui, à mon avis, n'était pas déraisonnable considérant la preuve au dossier vue dans son ensemble.

[52]            Certes, le tribunal n'a pas fait référence à toutes les autres pièces déposées par le demandeur mais la jurisprudence nous enseigne qu'il n'est pas obligé de le faire.

[53]              La Cour fédérale d'appel, dans l'affaire Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 282 N.R. 394, s'est récemment prononcée sur le point. Le juge Evans écrit aux paragraphes 9 et 10 comme suit:

[9] . . .Un décideur n'est pas tenu d'expliquer, pour chaque preuve produite, les raisons pour lesquelles il n'a pas accepté telle ou telle d'entre elles. Il faut considérer l'importance relative de cette preuve par rapport aux autres éléments sur lesquels est fondée la décision.

[10] Lorsqu'une preuve en particulier n'est pas expressément examinée dans les motifs d'une décision, la juridiction de contrôle n'en déduira pas nécessairement qu'elle a dû échapper au décideur, si la preuve en question confère peu de valeur probante aux faits qu'elle était censée établir, ou si elle se rapporte à des faits qui sont d'une importance mineure pour la décision ultime, étant donné les autres éléments qui soutiennent la décision. [je souligne]


[54]            Je considère les pièces non mentionnées par le tribunal, y inclus les rapports médicaux, d'une importance mineure pour la décision ultime. Le rapport médical du docteur Rongier établit que M. Rivan a été exposé à des gaz toxiques durant la guerre Iran-Iraq. Le tribunal n'a pas mis cela en doute lors de son évaluation de la crédibilité. Aussi, cette exposition à des gaz toxiques ne constitue pas le fondement ou l'une des bases de sa revendication. J'arrive à une conclusion semblable sur le rapport du Docteur Renzi. Les autres pièces n'ajoutent rien.

[55]            Deuxièmement, la procureure du demandeur plaide apparence de partialité mais elle le soulève d'une façon particulière « que les motifs allégués par les membres du tribunal pour refuser sa revendication au statut de réfugié constituent la confirmation ultime du sentiment qui l'a habité depuis le premier jour de son audition à l'effet que ces derniers s'étaient formés une opinion négative à son égard avant même de l'entendre » et se fie à l'affaire Valtchev c. le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] C.F.P.I. 776, qu'elle dit s'applique puisque le tribunal a omis d'analyser les documents qui corroborent sa revendication, a imputé au demandeur plusieurs affirmations qu'il n'a pas faites à l'audience, a omis de prendre en considération l'expertise psychologique et a tiré des inférences négatives qui sont contredites dans la preuve documentaire.

[56]            J'écarte ce deuxième moyen soulevé par le demandeur. L'arrêt Valtchev, précité, est complètement différent. Dans Valtchev, le juge Muldoon pouvait conclure à l'apparence de partialité du fait même des nombreuses et très sérieuses erreurs commises par le tribunal dans ce cas. J'ai déjà expliqué que ce n'est pas le cas en l'espèce.


[57]            Je ne peux retenir le dernier argument soulevé par le demandeur à l'audience même de sa demande de contrôle judiciaire. Il dit que le président du tribunal, au temps où il était saisi de sa revendication du 6 décembre 1999 au 31 mai 2001, demandait des renseignements de la Section des services de renseignements de la Commission de l'Immigration et du Statut de réfugié, qu'il n'a pas dévoilé les renseignements recueillis et que ceci démontre la partialité du tribunal. Tel qu'il appert au dossier du tribunal, pages 198 à 209, le Président a fait deux demandes de renseignements: une sur les liens entre les Pasdarans et la Roumanie ainsi que la Sécuritate, relativement au réseau logistique établit par les Pasdarans en Europe de l'Est ainsi que des renseignements au sujet des Pasdarans ayant combattu auprès des musulmans en ex-Yougoslavie. La deuxième demande portait sur le supplice de la suspension et les conséquences physiologiques et psychologiques d'une telle pratique.

[58]            Le défendeur soumet que le demandeur n'a pas subi de préjudices puisque le tribunal n'a pas fondé ses motifs sur ces renseignements, motifs qui n'ont rien à voir avec les informations recueillies. Le demandeur réplique en disant que ces renseignements et surtout le deuxième aurait pu avoir une influence sur l'évaluation de sa revendication.

[59]            L'argument du demandeur, à mon avis, est spéculatif et même s'il était bien fondé ne serait, dans l'ensemble des motifs du tribunal, déterminant de l'inclusion.

[60]            Pour ces motifs, je considère que la conclusion du tribunal à la non-inclusion est bien fondée.

(b)        L'exclusion

[61]            Même si je n'ai pas l'obligation de me pencher sur l'exclusion, une circonstance particulière m'incite à le faire.

[62]            La ministre convient que, lors des audiences, le tribunal n'a pas averti le demandeur qu'il allait considérer l'application de l'alinéa 1F(b) de la Convention. Selon la ministre, il s'agit là d'une violation du droit du demandeur d'être entendu, une des règles faisant partie des principes de la justice naturelle.

[63]            Cependant, la ministre plaide que ce manquement n'entraîne pas automatiquement la nullité de cette exclusion puisqu'une autre formation devrait également conclure à cette même exclusion.


[64]            Cet argument du ministre n'est pas pertinent dans les circonstances de la cause devant moi puisque j'ai conclu à la non-inclusion du revendicateur et, de ce fait même, je ne peux infirmer la conclusion du tribunal « que M. Saeid Rivan n'est pas un réfugié au sens de la Convention » . De plus, comme l'a plaidé le demandeur, la conclusion du tribunal sur l'exclusion était une exclusion conditionnelle « ... s'il avait été crédible » , chose que le juge Blanchard dans Hosseini, précité, décide ne peut servir à exclure le demandeur de la protection internationale aux termes de la Convention.

[65]            La conclusion du tribunal quant à l'exclusion de M. Rivan est cassée.

[66]            Pour tous les motifs exprimés, la conclusion du tribunal quant à l'exclusion du demandeur est cassée mais, dans les circonstances, vu le bien-fondé de la décision du tribunal quant à l'inclusion, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question certifiée s'impose.

                                                                                                                           « François Lemieux »

                                                                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                               J u g e          

Ottawa (Ontario)

le 24 décembre 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR :             IMM-3962-02

INTITULÉ :                  SAEID RIVAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :        26 FÉVRIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX   

EN DATE DU                  24 DÉCEMBRE 2002

COMPARUTIONS :

ME ANNIE BÉLANGER                          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

ME NORMAND LEMYRE                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

ET

SHERRY RAFAI FAR                     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ME ANNIE BÉLANGER                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

MONTRÉAL (QUÉBEC)                   

M. MORRIS ROSENBERG                   POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE   

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA          

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