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Date : 20060530

 

Dossier : T‑66‑86A&B

 

Référence : 2006 CF 656

 

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

LA BANDE DE SAWRIDGE

                                                                                                                                    demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

et

 

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA,

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA),

LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA et

L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

            intervenants

et

 

LA PREMIÈRE NATION TSUU T’INA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                             et

 

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA,

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA),

LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA et

L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

            intervenants


 

TABLE DES MATIÈRES

 

LES REQUÊTES RELATIVES AUX DÉPENS........................................................................... 3

 

LE CONTEXTE............................................................................................................................. 5

 

LES QUESTIONS RELATIVES AU COMPORTEMENT...................................................... 32

 

Aspects généraux..................................................................................................................... 32

Les officiers de justice............................................................................................................. 33

Le comportement des avocats et les dépens.......................................................................... 41

 

LA POSSIBILITÉ POUR LES INTERVENANTS D’OBTENIR DES DÉPENS................... 46

 

LA FONCTION ET L’OBJET DES DÉPENS........................................................................... 50

 

Aspects généraux..................................................................................................................... 50

Au‑delà de l’indemnisation....................................................................................................... 53

Conclusion sur les principes généraux.................................................................................... 63

 

LES DEMANDES RELATIVES AUX DÉPENS DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE : LES QUESTIONS COMMUNES............................................................................................................................... 65

 

Indemnisation ou taxation objective........................................................................................ 65

Les autres facteurs................................................................................................................... 73

 

(i) Les redites........................................................................................................................ 74

(ii) La position des intervenants et de la Couronne............................................................ 80

(iii) Cinq mémoires de dépens.............................................................................................. 82

(iv) La question interlocutoire.............................................................................................. 84

(v) La perception des dépens pour la Couronne................................................................. 86

(vi) Le CNAC........................................................................................................................ 87

(vii) Les contre‑interrogatoires au sujet des affidavits...................................................... 88

(viii) Le sténographe judiciaire............................................................................................ 91

(ix) Les avocats ayant assisté à l’audience......................................................................... 93

(x) Les offres de règlement.................................................................................................. 95

 

LES DIFFÉRENTES DEMANDES........................................................................................... 96

 

LA NSIAA................................................................................................................................ 96

LE CNAC(A)............................................................................................................................ 99

L’AFAC................................................................................................................................... 105

LE CNAC................................................................................................................................ 106


 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LES REQUÊTES RELATIVES AUX DÉPENS

 

[1]               Chacun des intervenants a présenté une requête dans laquelle il demande à la Cour de fixer les dépens concernant la requête relative à la crainte de partialité présentée par les demanderesses et que la Cour a entendue du 29 mars au 1er avril 2005 (requête relative à la partialité).

 

[2]               Dans les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance datés du 3 mai 2005, j’ai rejeté la requête relative à la partialité parce qu’elle était « dénuée de tout fondement et injustifiée » et donné aux parties à l’instance la possibilité de saisir la Cour de la question des dépens.

 

[3]               Les demanderesses et la Couronne en sont arrivées à une entente au sujet de la requête relative à la partialité mais les demanderesses et les intervenants n’ont pas réussi à le faire; c’est ce qui explique les présentes requêtes.

 

[4]               Les intervenants n’ont pas adopté à l’égard des dépens une position identique, mais ils ont tous soulevé des questions complexes touchant le processus judiciaire et le comportement des demanderesses et de leurs avocats au cours de l’instruction de la requête relative à la partialité, questions auxquelles j’ai fait référence dans ma décision du 3 mai 2005. C’est la raison pour laquelle il a paru approprié d’instruire ces requêtes conjointement et de les aborder ensemble dans des motifs s’appliquant à toutes ces requêtes.

 

[5]               La Non‑Status Indian Association of Alberta (NSIAA) a demandé à la Cour de fixer les dépens de la requête relative à la partialité sur la base avocat‑client, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause. À titre subsidiaire, la NSIAA estime qu’elle devrait au moins recevoir une somme globale représentant une fois et demie les montants de la colonne V du tarif B, ainsi que les débours, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause. La NSIAA a également demandé à la Cour de lui accorder une somme globale de 1 500 $ pour les dépens découlant de la requête distincte présentée par la demanderesse concernant les résumés de témoignage anticipé de la Couronne et des intervenants et sur laquelle la Cour s’est prononcée le 18 novembre 2005.

 

[6]               Le Conseil national des Autochtones du Canada (Alberta) (CNAC(A)) a demandé à la Cour d’établir les dépens de la requête relative à la partialité à une fois et demie les montants maximum de la colonne V du tarif B, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause.

 

[7]               Tout comme l’a fait le CNAC(A), l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) a demandé à la Cour de lui accorder une somme globale pour les dépens de la requête relative à la partialité correspondant à une fois et demie les montants maximum de la colonne V du tarif B (ou, à titre subsidiaire, aux montants de la colonne V du tarif B), payable sans délai et quelle que soit l’issue de la cause.

 

[8]               Le CNAC, qui a moins participé que les autres intervenants à l’instruction de la requête relative à la partialité, demande des dépens partie‑partie taxés selon la colonne III du tarif B et comprenant les frais de déplacement et de logement de leur avocat principal, dépens payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause.

 

[9]               Les demanderesses reconnaissent que la NSIAA, le CNAC(A) et l’AFAC ont droit à des dépens pour la requête relative à la partialité, mais ils en contestent le montant et le mode de calcul. Les demanderesses estiment que le CNAC n’a pas droit à des dépens pour la requête relative à la partialité parce que le CNAC n’a pas déposé de mémoire ni présenté de plaidoirie à l’instruction de la requête relative à la partialité. À titre subsidiaire, les demanderesses soutiennent que le CNAC ne devrait avoir droit qu’à des dépens taxables [traduction] « selon la valeur médiane des montants de la colonne I sans que leur soit appliqué un multiplicateur ».

 

LE CONTEXTE

 

[10]           Les intervenants utilisent chacun des méthodes différentes pour calculer les dépens de la requête relative à la partialité mais ils font tous état de conclusions et de directives importantes qu’a formulées la Cour dans sa décision du 3 mai 2005, pour justifier l’attribution de dépens plus élevés qu’ils ne le seraient normalement si l’indemnisation, intégrale ou partielle, était la principale considération.

 

[11]           Les conclusions qu’a formulées la Cour dans sa décision sur la requête relative à la partialité, décision qui a fait l’objet d’un appel dont se sont désistées par la suite les demanderesses, revêtent une telle importance pour les motifs invoqués dans les présentes requêtes qu’il convient de reproduire ici certains paragraphes pertinents de ma décision du 3 mai 2005 de façon à replacer la discussion dans son contexte :

[...]

 

L’IMPASSE ACTUELLE

 

106. Comme l’aperçu précédent le révèle, on a introduit la présente requête à un moment où existe une importante divergence d’opinion entre les demanderesses et la Couronne quant à la portée des actes de procédure et à la pertinence d’une preuve d’envergure que les demanderesses se proposent de présenter au procès. Cette mésentente est inextricablement liée à la question des résumés de témoignage anticipé et au déroulement général du procès.

 

107. La présente requête a été soumise avant que la Cour ait eu l’occasion d’être saisie des questions – et de les trancher – soulevées dans la requête pendante de la Couronne au sujet de cette portée et de cette pertinence, et au sujet des résumés de témoignage anticipé produits par les demanderesses.

 

108. Il ne fait aucun doute que les demanderesses sont bien conscientes de ce fait, le dossier faisant voir qu’à la conférence du 7 janvier 2005, M. Healey, avocat des demanderesses, a confirmé à la Cour qu’il comprenait bien qu’il serait traité des préoccupations de la Couronne quant à la portée et à la pertinence dans la requête de celle‑ci.

 

109. Bien que la Cour n’ait pas eu encore l’occasion d’examiner ces questions et d’en traiter, les demanderesses ont allégué une crainte de partialité – et intégré des allégations de partialité réelle – dans la documentation produite aux fins de la présente requête.

 

110. Le dossier révèle que les demanderesses ont sans cesse tenté de décourager la Cour d’instruire la requête de la Couronne. Comme le fait voir leur proposition de « solution viable » pour pallier la violation par elles de l’ordonnance préparatoire du 26 mars 2004, les demanderesses ne se sont pas opposées aux normes imposées par le juge Russell pour les résumés de témoignage anticipé. Elles ont dit qu’elles les respecteraient et iraient même au‑delà. Ce à quoi elles se sont opposées, et qu’elles ont tenté d’empêcher, c’est l’examen approfondi des préoccupations de la Couronne quant à la portée et à la pertinence et une décision de la Cour quant à ce que les actes de procédure pourraient englober en lien avec l’autonomie gouvernementale. Il sera donc utile d’examiner si, à ce stade‑ci, il y a véritablement un fondement quelconque aux arguments de la Couronne sur la portée des actes de procédure et la question de l’autonomie gouvernementale, ou si la requête pendante de la Couronne, tout simplement, vise à faire obstruction ou est futile.

 

[...]

 

116. Comme le précisent les motifs du 25 novembre 2004 du juge Russell, la Cour n’a pas l’intention de trancher les questions soulevées dans la requête de la Couronne avant d’avoir entendu l’ensemble de l’argumentation des avocats. Comme les passages précités le font voir, toutefois, le différend au sujet de la portée et de la pertinence ne peut pas être simplement passé sous silence à ce stade par la Cour au motif que la Couronne n’aurait pas de raison valable de la saisir de telles questions. Les objections à ce titre de la Couronne ne semblent être ni futiles ni sources d’obstruction.

 

117. D’ailleurs, faire abstraction du différend et aller en procès de la manière souhaitée par les demanderesses aurait d’énormes conséquences sur le plan des ressources et du temps requis pour toutes les parties concernées, de même que pour la Cour.

 

[...]

 

121. Pour mettre les choses en contexte et pour avoir une juste perspective au sujet de la présente requête, il y a lieu d’examiner quelles conséquences pourrait avoir l’octroi par la Cour de la mesure de redressement sollicitée par les demanderesses.

 

122. La conséquence minimale, si le juge Russell devait se récuser, serait de ramener l’instance, tout au moins, à l’étape de l’ordonnance préparatoire du 26 mars 2004 du juge Hugessen. Cela voudrait dire que les parties seraient toujours confrontées aux questions de portée et de pertinence soulevées par la Couronne, et qu’il serait loisible aux demanderesses de débattre de nouveau de questions comme les modifications aux actes de procédure, les résumés de témoignage anticipé et le rôle des intervenants au procès.

 

123. Comme conséquence maximale (les demanderesses allèguent la crainte raisonnable de partialité de la part du juge Hugessen et de la Cour fédérale), accorder la mesure de redressement ramènerait l’instance au stade où elle en était après la décision de 1997 de la Cour d’appel fédérale. En d’autres termes, toutes les avenues seraient possibles et les parties devraient emprunter de nouveau la voie tortueuse faite de la confrontation au sujet des actes de procédure, de la preuve, des interrogatoires préalables et, en fait, de tout ce qui a pu se produire depuis 1997.

 

124. Ces conséquences ne devraient pas nous arrêter s’il existait bel et bien une crainte raisonnable de partialité, mais elles incitent la Cour à faire preuve d’une extrême prudence avant de faire se produire un résultat aussi dévastateur pour toutes les parties au présent litige.

 

LA DOCUMENTATION DES DEMANDERESSES

 

125. La Cour est fortement préoccupée par les documents de base réunis par Mme Twinn et M. Healey, avocats des demanderesses, aux fins de la présente requête. La Cour a fait part de ces préoccupations à M. Shibley, qui plaidait en faveur des demanderesses à l’audience relative à la requête, à Edmonton. Le problème fondamental, c’est que la documentation des demanderesses ne renferme aucune preuve objective ou fiable pouvant aider la Cour à apprécier les très graves accusations portées dans le cadre de la présente requête. La preuve des demanderesses, pour l’essentiel, ne consiste guère davantage qu’en des opinions subjectives, souvent fondées sur de fausses hypothèses et des renseignements inexacts au sujet du déroulement de l’instance à ce jour. La documentation est autoréférente. En bout de ligne, on n’a rien de plus que des avocats soumettant à la Cour des prétentions, à l’appui desquelles ils présentent des affidavits fondés eux‑mêmes sur des opinions.

 

126. La Cour ne peut s’appuyer sur aucune véritable preuve indépendante, sauf ce qu’elle peut elle‑même trouver au dossier.

 

127. Le malaise de la Cour à cet égard s’est accentué lorsque Mme Eberts, avocate de l’Association des femmes autochtones du Canada, lui a fait remarquer avec force détails les circonvolutions de structure dans la documentation des demanderesses et lui a signalé l’entremêlement de la preuve et de l’argumentation et la confusion qui en résultait. Il y a tant de renvois croisés, entre les affidavits ainsi qu’entre les affidavits et l’exposé des arguments et d’autres documents, qu’il est difficile d’établir qui donne son opinion sur quoi, et où se termine la preuve et commence l’argumentation.

 

128. Ces préoccupations ne sont pas simplement d’ordre technique. L’essentiel des prétentions des demanderesses se trouve dans les affidavits qu’elles ont déposés et dans leurs observations écrites. Ces documents ont été réunis par Mme Twinn et M. Healey et les personnes sous leur supervision.

 

129. Mme Twinn est membre d’une des bandes demanderesses. Elle est l’avocate commise au dossier dans la présente instance. Elle est témoin dans le cadre de la présente requête, en plus de compter parmi les avocats qui ont établi la plaidoirie écrite.

 

130. M. Healey est l’avocat principal dans la présente instance. C’est le témoin et l’ordonnateur principal de la présente requête. De concert avec Mme Twinn, il a réuni la plaidoirie écrite dont la Cour est saisie. Le comportement de M. Healey, en outre, ainsi que la réaction de la Cour face à ce comportement constituent un élément important de l’objet même de la présente requête.

 

131. Lorsqu’on s’interroge sur les conséquences de l’octroi de la mesure de redressement demandée, la Cour ne peut faire abstraction de ces questions au motif qu’elles seraient purement techniques. Ce n’est pas sans raison que les avocats ne devraient pas à la fois témoigner et présenter une argumentation fondée sur leur témoignage. Les problèmes qui en découlent inévitablement sont plus que manifestes dans les documents déposés par les demanderesses dans le cadre de la présente requête : la preuve et l’argumentation se confondent, le contexte nécessaire est laissé dans l’ombre et les interprétations données sont biaisées et fortement subjectives. La preuve présentée à l’appui de la présente requête n’est souvent que le reflet de l’état d’esprit subjectif de M. Healey et de Mme Twinn. Ce n’est pas là un fondement satisfaisant pour l’examen par la Cour d’une requête pour crainte de partialité.

 

132. Le fait que M. Shibley présente l’exposé oral à l’audience ne vient pas écarter non plus ces préoccupations. M. Shibley a admis de bonne grâce que Mme Twinn et M. Healey avaient réuni la plaidoirie écrite, qu’il n’a pas connaissance de l’ensemble du dossier et que ce qu’il présentait à la Cour reposait pour grande part sur les efforts de M. Healey et Mme Twinn. M. Shibley a fait sienne leur argumentation écrite (sous réserve de nombreuses exceptions, toutefois, dont je traiterai par la suite), qu’il a adaptée, bien qu’il ait tenté magistralement dans son exposé oral d’en éviter les excès et déformations. De fait, ce sont Mme Twinn et M. Healey qui ont établi l’argumentation, et M. Shibley a tenté de la mettre en meilleur ordre et d’aider la Cour à en comprendre les éléments complexes. M. Shibley n’a pas passé le dossier en revue à nouveau ni n’a fait part à la Cour de sa propre appréciation objective. Il a simplement tenté de présenter de meilleure manière l’argumentation de M. Healey et de Mme Twinn, qui s’appuie sur leurs propres affidavits.

 

133. Lorsque la Cour a fait part de ces préoccupations à M. Shibley, il a dit que ce qui importait c’était le dossier de la Cour, et que je devrais y concentrer mon attention. Quoique j’estime comme lui que la Cour doit examiner avec soin ses propres décisions ainsi que les transcriptions, je ne crois pas que cela mette fin au problème.

 

134. C’est aux demanderesses qu’il incombe de faire la preuve à la Cour de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Une part importante de l’argumentation et de la preuve des demanderesses consiste en une interprétation hautement subjective et sélective de la part de Mme Twinn et de M. Healey, qui agissent en de bien trop nombreuses qualités, au goût de la Cour, dans le cadre de la présente requête. Qui plus est, même les témoins profanes proposés par les demanderesses sont totalement dépendants de Mme Twinn et M. Healey quant à leur interprétation des conséquences des ordonnances et actions de la Cour, et ils ont signé des affidavits qu’avaient établis pour eux M. Healey ou Mme Twinn, ou encore une personne supervisée par eux deux ou l’un d’eux.

 

135. M. Shibley a mis la Cour en garde de ne pas s’appuyer sur des « questions techniques », lui conseillant de s’attaquer plutôt aux véritables questions en litige aux présentes. J’estime, toutefois, qu’une preuve fiable et une argumentation objective ne constituent pas de simples questions techniques. C’est là plutôt le principe vital qui anime la Cour, et le seul fondement possible de ses décisions.

 

136. De fait, l’article 82 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit qu’un avocat ne peut pas, sauf avec l’autorisation de la Cour, à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit. Il est vrai que M. Shibley a semblé plaider la cause à l’audience, mais il a alors dit simplement présenter les arguments de Mme Twinn et M. Healey qu’il avait adaptés à son mode de présentation. Il a également fait sien l’exposé des arguments établi par Mme Twinn et M. Healey. Essentiellement, par conséquent, Mme Twinn et M. Healey ont fourni l’argumentation aux fins de la présente requête, argumentation se fondant sur leurs propres affidavits ou ceux de tiers qu’ils ont établis et dont la teneur découle presque totalement de ce qu’ils ont dit à ces tiers. En l’espèce, on n’a jamais demandé d’autorisation à la Cour pour ce qui a été déposé, et une telle autorisation n’a certes pas été donnée. J’ai fait savoir très clairement dans le passé aux avocats des demanderesses – d’ailleurs à toutes les parties – que toute pratique et procédure non conforme aux Règles de la Cour fédérale (1998) était inacceptable. Dans le cadre de la requête des demanderesses en vue de la modification des actes de procédure, que j’ai instruite en juin 2004, les avocats des demanderesses ont produit un affidavit signé par l’un d’eux, bien que le juge Hugessen ait dans le passé critiqué le recours à une telle pratique. Dans mes motifs du 29 juin 2004 traitant des modifications proposées, j’ai donné la directive suivante (paragraphes 22 et 23) :

 

La bande demande l’autorisation de la Cour de déposer l’affidavit de son avocat. Toutefois, comme il ressort clairement des réponses de la Couronne et de la NSIAA, certaines des modifications proposées par la bande sont hautement litigieuses et, en toute objectivité, je crois que l’avocat de la bande aurait dû tenir compte de ce fait.

 

Au vu de l’historique de ce dossier et du long chemin qui reste à parcourir, je crois qu’il est préférable d’indiquer clairement à toutes les parties que les pratiques et procédures qui ne sont pas conformes aux Règles de la Cour fédérale (1998) ne sont pas acceptables. En conséquence. L’affidavit de l’avocat de la bande n’est pas acceptable et ne peut servir de fondement à la requête de la bande, dans la mesure où il traite de questions qui ne sont pas simplement de nature technique et non litigieuses.

 

137. Je ne crois donc pas que les demanderesses seront trop surprises d’apprendre que la Cour demeurera fidèle à cet avertissement et refusera de recevoir les affidavits de Mme Twinn et de M. Healey et les parties de la plaidoirie adoptées comme preuve et intégrées à ces affidavits. Les questions dont la Cour est saisie dans la présente requête sont hautement litigieuses et les affidavits de Mme Twinn et de M. Healey ne sont le reflet pour grande part que de leurs propres sentiments et opinions à l’égard de questions de comportement et de procédure qui les concernent de très près. Cela ne constitue pas, à mon avis, un fondement acceptable sur le plan de la preuve dans le cadre d’une requête tendant à démontrer la partialité (appréhendée ou non) de juges particuliers, voire de la Cour fédérale même. La Cour doit dire à tout le moins qu’il faut considérer cette preuve comme très peu fiable et donc peu probante, même si c’est M. Shibley qui a présenté l’exposé oral.

 

138. Il y a une certaine ironie dans le présent problème qui place la Cour en position très difficile. Il s’agit en effet d’une requête où l’on allègue notamment que le juge de première instance, le juge Russell, a utilisé deux poids deux mesures à l’égard de documents produits par les demanderesses, d’une part, et de documents produits par la Couronne et les intervenants, d’autre part. On a allégué que le juge Russell avait favorisé à ce titre la Couronne et les intervenants. Malgré cela, dans une requête où octroyer intégralement la mesure de redressement demandée aurait tout simplement des conséquences dévastatrices à l’égard des droits des autres parties et du difficile travail accompli à ce jour par l’ensemble des parties, on semble s’attendre d’une certaine manière à ce que la Cour ferme les yeux sur les problèmes occasionnés, sur les plans de la preuve et de la procédure, par la documentation de la demanderesse et tranche d’une autre manière quelconque la question en litige.

 

139. La Cour ne peut pas, bien sûr, faire cela. Elle est impartiale, et ne peut donc tout simplement intervenir pour corriger les lacunes des demanderesses dans la présentation de la présente requête et le déroulement de la procédure. C’est aux demanderesses qu’il incombe de prouver l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, ainsi que de fournir à la Cour les documents dont elle a besoin pour examiner l’allégation extrêmement sérieuse qu’elles font dans la présente requête.

 

140. Si la Cour avait suspendu l’application des règles de preuve et de procédure en faveur de la Couronne et des intervenants pour une question aussi importante que celle visée par la présente requête, je n’ai aucun doute que les demanderesses auraient cité cela comme un clair exemple de crainte raisonnable de partialité de la part de la Cour.

 

141. Je suis par conséquent d’avis que la Cour doit considérer comme non admissibles les affidavits de Mme Twinn et de M. Healey ainsi que la preuve tirée de l’exposé des arguments qu’ils y intègrent. En outre, dans la mesure où les témoins profanes ne font que relater les opinions et les faits que leur ont communiqués Mme Twinn et M. Healey, ces témoignages constituent des ouï‑dire et des opinions et sont par conséquent non admissibles.

 

142. Cela étant dit, bien qu’il faille à la Cour signaler ces problèmes et en arriver à cette conclusion, personne (et je suis persuadé que cela comprend la Couronne et les intervenants) ne souhaite le rejet de la présente requête pour de seules questions de preuve et de procédure. Si la Cour agissait de la sorte, l’instance continuerait d’être stagnante et il deviendrait beaucoup moins probable d’en arriver à l’étape du procès dans un proche avenir. Je crois au contraire que toutes les parties estiment nécessaire, à ce stade, une mise au point nécessaire d’une manière ou d’une autre.

 

143. J’ai donc l’intention d’aborder l’exposé oral de M. Shibley et l’argumentation écrite de Mme Twinn et M. Healey figurant dans l’exposé des arguments des demanderesses en me référant directement au dossier de la Cour, tout en ayant présent à l’esprit le fait, toutefois, que ces observations sont fortement entachées par les problèmes que j’ai tout juste mentionnés. Ce que la Cour fera véritablement ici, en fait, c’est procéder à son propre examen du dossier en tenant compte des préoccupations exprimées par les demanderesses. La Cour ne peut pas dire que les demanderesses se sont acquittées du fardeau que la loi leur impose pour une requête de cette nature, et le fait que la Cour aille plus avant dans ses motifs ne doit pas être interprété comme voulant dire qu’elle admet les documents déposés ni qu’elle a choisi de faire abstraction des problèmes de preuve tout juste mentionnés.

 

LE DROIT

 

[...]

 

156. Je voudrais toutefois souligner deux points soulevés par Mme Eberts dans son mémoire et donner des précisions à leur sujet. Premièrement, un postulat sur lequel repose notre système juridique c’est qu’il y a lieu de présumer l’impartialité des juges. Il n’en découle pas que les avocats doivent hésiter à contester des décisions ou le comportement de juges lorsque les circonstances le justifient, ou être intimidés face à une telle possibilité. Notre système présume l’impartialité des juges, mais son bon fonctionnement requiert également que des avocats francs et intrépides sonnent l’alarme lorsqu’ils croient que le processus est entaché par une crainte raisonnable de partialité. Tout cela dépend pour une grande part du discernement et de la bonne foi des avocats. Un système de freins et contrepoids devrait garantir que des demandes ne sont présentées à cet égard que lorsque les circonstances le justifient. Si, toutefois, la Cour estime que les allégations faites sont inopportunes, elle doit tout aussi franchement signaler ce qu’elle considère être des abus, de la mauvaise foi ou un manque de responsabilité de la part des avocats. Le rôle tant du juge que des avocats requiert d’eux une grande franchise à l’égard de questions qui peuvent s’avérer quelque peu délicates. À mon avis, toutefois, le caractère équitable et l’intégrité de notre système judiciaire exigent qu’on ne joue pas les timides lorsqu’on traite les demandes relatives à la crainte raisonnable de partialité. Ces demandes touchent au coeur même de l’administration de la justice et minent la confiance du public en l’impartialité et l’intégrité du système judiciaire. Les allégations sont faciles à faire, mais plus difficiles à retirer. On doit en traiter de manière ferme et ouverte.

 

157. Deuxièmement, je crois qu’on n’insistera jamais assez pour dire que l’examen nécessité par une allégation de crainte raisonnable de partialité doit porter précisément sur les faits de l’espèce. Le contexte général de chaque situation et les circonstances particulières en cause sont de la plus haute importance. C’est la raison pour laquelle, selon moi, la Cour doit faire attention de ne pas relever le résultat dans une affaire et présumer, parce qu’on semble y aborder un certain point particulier, que cela peut servir pour le traitement de la demande en son entier. En effet, les faits varient à l’infini, l’assemblage particulier des faits visés doit être examiné avec soin et l’ensemble du dossier doit être pris en compte afin de pouvoir établir quel est l’effet cumulatif de toute transgression ou irrégularité alléguée.

 

[...]

 

LA PLAIDOIRIE DES DEMANDERESSES

 

160. Le ton de la plaidoirie des demanderesses différait beaucoup du ton de leurs observations écrites et l’accent n’y était nettement pas mis sur les mêmes choses. M. Shibley a beaucoup aidé la Cour en procédant à une nouvelle évaluation de la présente impasse. Il a en outre déployé des efforts soutenus pour dégager l’essentiel des préoccupations soulevées par les demanderesses et pour extrapoler ces préoccupations des exagérations contenues dans leur documentation et formulées de manière alambiquée.

 

161. Cependant, malgré ces tentatives de clarification, la plaidoirie ressemblait en plusieurs points à l’approche adoptée par les demanderesses dans leurs observations écrites : on n’a pas examiné l’ensemble du contexte ni tout le dossier et l’on a utilisé de façon très sélective et partielle certaines pièces au dossier en négligeant complètement de mentionner d’autres faits importants. Cette approche s’explique par le fait qu’au bout du compte, la plaidoirie reposait entièrement sur les observations écrites quant à son fondement et à ses références.

 

162. Dans une demande où le contexte est fondamental, une telle approche n’est guère utile à la Cour. Comme je l’ai indiqué plus tôt, M. Shibley s’est montré exemplaire en reconnaissant sans ambages ne pas connaître l’ensemble du dossier et dépendre de Mme Twinn et de M. Healey pour le guider.

 

163. C’est aux demanderesses qu’il incombe de prouver une crainte raisonnable de partialité. Si celles‑ci choisissent de ne pas tenir compte du contexte dans son intégralité, elles auront beaucoup de mal à convaincre la Cour qu’elles ont suivi la jurisprudence et satisfait au critère de la personne raisonnable.

 

[...]

 

LA RÉPRIMANDE

 

[...]

 

471. J’ai convenu avec M. Shibley que la présente requête n’était pas le moment approprié pour examiner les plaintes portées par les avocats adverses à l’endroit de M. Healey et, pour ce motif, je désire que mes propos sur le sujet demeurent aussi neutres que possible. Cela étant dit, les demanderesses ont elles‑mêmes mis de l’avant la question du comportement de leur avocat, et la Cour doit donc se pencher sur celle‑ci dans la mesure où elle a trait à la crainte raisonnable de partialité dont la Cour a été saisie et où elle a une incidence sur l’intégrité de la présente procédure judiciaire.

 

472. M. Shibley soulève deux points importants sur lesquels la Cour doit s’attarder. L’un d’eux c’est ce que M. Shibley nomme « problème unilatéral ». Une fois encore, M. Shibley ne tient pas compte du dossier dans son ensemble. Les directives générales de la Cour en matière de comportement étaient adressées aux avocats. Même dans ses motifs du 6 décembre 2004 (paragraphe 68), la Cour adressait ses commentaires « aux avocats ».

 

473. Cela ne veut cependant pas dire que tous les avocats ont eu un comportement inacceptable, et le dossier permet de constater quand un avocat en particulier a eu un comportement déplacé. Lorsqu’à l’avenir toute question de comportement deviendra objet de litige, c’est l’ensemble du dossier qu’il faudra examiner et non pas quoi que ce soit qui aura pu être dit pendant l’audience relative à la présente requête où tous les intéressés se sont conduits avec la plus parfaite courtoisie.

 

474. Des observations visent en particulier M. Healey dans les motifs du 6 décembre 2004 parce que la Cour estimait qu’à cette occasion son comportement était inacceptable. La Cour n’avait rien à redire du comportement des avocats adverses parce qu’ils ne se sont pas départis de leur professionnalisme et n’ont pas laissé leurs sentiments nuire au processus judiciaire ni dégénérer, devant la Cour, en une attaque personnelle contre M. Healey, malgré qu’ils se soient fortement opposés à ce qu’il avait dit.

 

475. Le second point d’importance, c’est l’assertion de M. Shibley portant que [traduction] « on ne semble pas s’être longuement penché sur le fondement probatoire ».

 

476. Or, la raison pour laquelle la Cour a estimé nécessaire de réprimander M. Healey ressort clairement des motifs du 6 décembre 2004 (paragraphe 35) : « Le litige n’a pas progressé et la Cour a consacré une partie du temps qui lui est précieux à régler des questions qui, après examen, se sont clairement avérées avoir force de chose jugée ».

 

477. La Cour a estimé avoir été induite en erreur quant à l’une des principales questions en litige dans le cadre de la requête, soit celle de la chose jugée ou res judicata. Face à l’allégation voulant que les intervenants aient induit la Cour en erreur sur cette question, la Cour a fait droit à une argumentation que les avocats des demanderesses n’auraient pas dû être autorisés à faire valoir parce qu’il s’agissait de questions « qui avaient déjà fait l’objet d’arguments qu’elle avait entendus à satiété » et sur lesquelles la Cour « ainsi que la Cour d’appel fédérale » s’étaient déjà prononcées.

 

478. L’objet de cet aspect de la réprimande, c’était que la Cour n’appréciait pas d’avoir à entendre des arguments sur des questions ayant force de chose jugée. Et cette conclusion est étayée par les motifs et dans la documentation présentée par les avocats dans le cadre de la requête.

 

479. Le second aspect de la réprimande avait trait aux attaques personnelles, ou ad hominem, de M. Healey à l’encontre des avocats des parties adverses. En d’autres termes, M. Healey a placé les choses sur un plan trop personnel.

 

480. Tout au long de l’audience des 18 et 19 novembre 2004, M. Healey a recouru fréquemment, et pas uniquement quant à une question litigieuse, à des expressions telles que [traduction] « fausse déclaration », « ils sont mal intentionnés », « ils sont prêts à dire n’importe quoi », « induire en erreur », « déclaration tout à fait inexacte », « mal intentionné », « tricherie », « prétention on ne peut plus ridicule », « faux » et « c’est tout simplement inventé ». Le juge Russell, dans ses motifs, n’a pas relevé chacun des recours à ces expressions. Le fondement probatoire de la réprimande, c’est tout ce que la Cour a entendu et qui figure dans la transcription. L’impression d’ensemble que M. Healey a communiqué, c’est que les intervenants étaient malhonnêtes et qu’ils s’efforçaient de duper la Cour sur des questions liées à leur rôle et à leur qualité en l’instance. Ce dont j’ai convenu avec les intervenants, après avoir entendu l’argumentation, c’est que des ordonnances antérieures de la Cour avaient abondamment traité de la question de leur rôle et qu’il n’y avait donc pas lieu de la débattre tout de bon à nouveau.

 

481. Le juge Russell n’a pas décelé une telle animosité de la part des intervenants lorsqu’ils commentaient les arguments de M. Healey, ni n’en a fait état, même si M. Healey faisait à nouveau valoir des questions qui étaient res judicata.

 

482. Il s’agit de ne pas oublier qu’aux paragraphes 34 et 35 des motifs, la Cour se penche tout particulièrement sur la question de la res judicata. Comme il ressort clairement des motifs, M. Healey a soutenu que la Cour d’appel fédérale avait enjoint de faire certaines choses, et le juge Russell a conclu que la Cour d’appel n’avait rien ordonné de tel. Les demanderesses ont cité hors contexte des passages de la décision de la Cour d’appel fédérale, puis ont prétendu que les intervenants avaient induit la Cour fédérale en erreur et qu’ils étaient mal intentionnés.

 

483. La preuve étayant les remarques de la Cour provient donc de décisions antérieures de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale auxquelles on renvoie dans les motifs. La Cour déclare (au paragraphe 34) avoir examiné les allégations faites par M. Healey (notamment celles, défavorables, visant M. Donaldson et M. Faulds) puis conclut que les intervenants n’étaient pas mal intentionnés ni n’avaient induit la Cour en erreur. Si M. Healey n’est pas d’accord avec cette conclusion, il lui est loisible d’en appeler à la Cour d’appel fédérale. Des interprétations divergentes ne devraient pas donner lieu à des attaques sans merci où l’on met en doute l’honnêteté même des avocats adverses. C’est pour cela qu’il y a eu réprimande. Des avocats peuvent être dans l’erreur (et je ne dis pas que tel était le cas en l’espèce) sans être malhonnêtes. J’ai d’ailleurs pu constater, lors du contre‑interrogatoire de M. Healey dans la présente requête, alors que M. Kindrake lui a remis en mémoire certaines déclarations inexactes qu’il avait faites à la Cour, à quel point il pouvait se montrer indulgent envers lui‑même. À ce qu’il disait, ces inexactitudes était de simples « erreurs ».

 

484. Selon moi, la personne raisonnable considérerait la réprimande comme une tentative faite pour préserver le décorum en salle d’audience dans une situation où, en raison de la mésentente régnant entre les avocats, l’un d’eux a recouru à des attaques ad hominem pour détourner l’attention de la Cour de la question de fond alors en jeu, soit celle de savoir si le rôle des intervenants était ou non res judicata. Tout comme les motifs permettent de le constater, toute la preuve pertinente a alors été prise en compte. La mesure prise était modérée et justifiée; je ne crois pas qu’une personne raisonnable et bien informée croirait que cela autorise une crainte raisonnable de partialité à l’endroit de M. Healey non plus que des demanderesses.

 

[...]

 

LA PLAIDOIRIE ÉCRITE DES DEMANDERESSES

 

496. Après avoir fait son exposé oral, M. Shibley a dit approuver la plaidoirie écrite des demanderesses et y souscrire, exception faite de deux importantes allégations auxquelles je vais bientôt revenir.

 

497. Ce n’est pas M. Shibley qui a rédigé la plaidoirie écrite des demanderesses et, à ce que je sache, celui‑ci a eu peu à voir, ou même rien du tout, dans l’établissement de cette plaidoirie. La plaidoirie écrite porte la signature de Mme Twinn et de M. Healey, et ce dernier a déclaré lors de son contre‑interrogatoire que tous deux (ainsi que les personnes supervisées par eux) en étaient les auteurs. M. Healey est le principal auteur de la plaidoirie écrite.

 

498. Les deux allégations auxquelles M. Shibley n’a pas donné son aval sont d’importance. La première est énoncée à l’alinéa a)(xv) de l’avis de requête et à l’alinéa 5j) de l’exposé des arguments des demanderesses. Elle porte que le juge Russell a eu des apartés avec des représentants de la Couronne, en vue de faire échec au dessein des demanderesses de produire une preuve sur la question de l’autonomie gouvernementale.

 

499. Il y a de clairs indices d’une profonde hostilité à l’endroit de la Cour et de sa procédure. Les avocats des demanderesses ont sans cesse allégué, jusqu’à la tenue de l’audience, que le juge Russell avait eu [traduction] « des apartés avec la Couronne en vue de la mise au rôle d’une requête sommaire présentée par les demanderesses, dans le but de faire obstacle à l’allégation principale des demanderesses dans la présente instance, qui consiste à faire valoir leur droit à l’autonomie gouvernementale [...] C’est par inadvertance que la Couronne a permis aux demanderesses d’avoir connaissance de ces conversations [...] Le juge Russell n’a pas informé les demanderesses de ces discussions, ou de leur teneur, au moment où elles ont eu lieu non plus que dans les jours qui ont suivi [...] Le juge Russell ne l’a mentionné que lorsque les demanderesses ont soulevé la question devant lui une semaine plus tard. »

 

500. Ces allégations sont horrifiantes, et c’est là le but visé par les demanderesses. Cela nous fait imaginer le juge Russell décrochant le téléphone et complotant avec M. Kimmis en vue de faire échec à la revendication d’autonomie gouvernementale des demanderesses.

 

501. Ce qui s’est produit, en fait, c’est que la date fixée pour le dépôt de documents de la Couronne tombait un samedi et qu’elle a communiqué avec le greffe de la Cour pour savoir ce qu’il lui fallait faire. Le greffe a appliqué la règle usuelle dans de tels cas, qui consiste à permettre le dépôt le premier jour ouvrable suivant. Le greffe a alors vérifié auprès du juge Russell si cela posait problème de suivre la procédure habituelle. De la sorte, les demanderesses affirment‑elles, le juge Russell a eu [traduction] « a des apartés avec la Couronne [...] ».

 

502. Les demanderesses devaient être informées sans délai qu’elles recevraient les documents en cause le lundi plutôt que le samedi et, dès que le juge Russell a eu vent des préoccupations des avocats des demanderesses, un document leur expliquant la situation en détail leur a été transmis immédiatement. L’allégation a néanmoins été faite. Qui plus est, les avocats des demanderesses ont attesté sous serment de sa véracité.

 

503. On peut ainsi constater qu’en cette occasion M. Healey et Mme Twinn ont perdu toute mesure et toute objectivité pour mettre en cause l’intégrité du juge de première instance sur un plan personnel. La preuve ne me permet toutefois pas d’établir avec certitude l’importance du rôle de Mme Twinn dans cette démarche.

 

504. La sagesse a heureusement prévalu, et M. Shibley a retiré cette allégation à l’audience. Le simple fait qu’elle ait été faite n’échapperait toutefois pas à notre personne raisonnable.

 

505. La présence de cette allégation dans l’avis de requête et l’exposé des arguments, alors même que des explications précises avaient été fournies sans délai, met en lumière les problèmes de taille qu’occasionne à la Cour la documentation des demanderesses. Cela fait également ressortir pourquoi l’argumentation (écrite ou orale) ne devrait pas être présentée par une personne qui, comme Mme Twinn, est membre de la bande, avocate inscrite au dossier et témoin ou qui, comme M. Healey, est l’avocat principal, agit comme témoin et est touché sur le plan personnel par nombre des questions soulevées en l’espèce.

 

506. Le deuxième élément important qu’on a retiré pose un problème encore plus sérieux à la Cour. Après qu’il eut fait son exposé oral, où il a dit approuver la plaidoirie écrite des demanderesses et y souscrire, M. Shibley a été renvoyé par la Cour à la phrase suivante du paragraphe 3 de cette plaidoirie :

 

            [traduction]

Elles [les demanderesses] ne demandent pas à la Cour de conclure en une partialité réelle. Des éléments de preuve permettent toutefois d’étayer une telle conclusion.

 

507. On ne dévoile jamais à la Cour cette preuve de l’existence d’une partialité réelle, bien que l’argumentation soit truffée d’allégations de partialité réelle plutôt qu’appréhendée. M. Shibley n’en assure pas moins la Cour que la présente requête a pour fondement la crainte appréhendée de partialité.

 

508. Une allégation non prouvée de partialité réelle n’est rien de plus qu’une insulte. Et alléguer de la sorte la partialité réelle dans le cadre d’une requête censée porter sur la partialité appréhendée n’est pas pertinent et constitue, ainsi, une insulte gratuite.

 

509. Il faut dire en faveur de M. Shibley qu’il a retiré l’allégation énoncée au paragraphe 3 dès que la Cour l’a portée à son attention, et je ne crois pas un instant qu’en donnant son aval à la plaidoirie écrite des demanderesses, M. Shibley entendait souscrire à cette allégation.

 

510. Je partage également l’avis de M. Shibley selon lequel il n’y a pas lieu, dans le cadre de la présente requête, de se pencher sur les plaintes portées par la Couronne ou les intervenants au sujet du comportement des avocats des demanderesses. Il faut faire une exception, bien sûr, lorsque ce comportement est invoqué expressément par les demanderesses elles‑mêmes, auquel cas la Cour est ainsi tenue d’en traiter, et lorsque la documentation elle‑même fait état de questions de comportement que la Cour ne peut pas passer sous silence.

 

511. Malgré le retrait effectué à l’audience, toutefois, le recours à une allégation de partialité réelle donne lieu à la même préoccupation générale que celle déjà exprimée par la Cour au sujet des documents établis par les avocats des demanderesses, et où ces derniers avaient renoncé dans leurs propos à toute objectivité et à tout sens de la mesure. D’ailleurs, les allégations de partialité réelle sont si profondément ancrées et entrelacées tout au long de l’exposé des arguments ainsi que du témoignage de M. Healey que le retrait d’une phrase au paragraphe 3 ne réglera pas à lui seul le problème.

 

512. L’exposé des arguments des demanderesses est une litanie d’allégations qui s’étend sur près de 100 pages. Il est malaisé de décoder ces allégations et les demanderesses n’ont offert aucune assistance à l’audience pour aider la Cour à y parvenir. La Cour doit se débrouiller seule pour tirer quelque chose de citations et d’accusations sans contexte, d’interprétations tendancieuses et hautement subjectives, de tentatives faites pour débattre à nouveau des positions intenables et d’un grand nombre de propos qu’on ne saurait qualifier que d’insinuations.

 

513. Il résulte d’une telle méthode, en bout de ligne, que la Cour et les autres parties doivent s’astreindre à établir le contexte d’ensemble permettant à la personne raisonnable d’apprécier les arguments des demanderesses selon une juste perspective. Or, la Cour ne saurait oublier qu’il incombe aux demanderesses de prouver la crainte raisonnable de partialité, et qu’il ne lui revient pas à elle ni aux autres parties d’essayer de rendre clair ce qu’obscurcit la documentation des demanderesses. Les allégations de partialité (réelle ou appréhendée) sont faciles à porter mais plus difficiles à faire se dissiper. Elles touchent au coeur même de notre système de justice et minent la confiance du public en l’intégrité de l’appareil judiciaire. C’est là pourquoi il ne faut pas faire de telles allégations de manière irresponsable et avant qu’on ait apprécié objectivement le dossier, la documentation ainsi que la position des avocats de qui elles émanent. La formulation irresponsable de telles allégations entraîne l’aliénation et la désaffection à l’endroit du système de justice en son entier.

 

514. On a accordé beaucoup de temps aux demanderesses pour qu’elles se préparent en vue de la présente requête et établissent leur documentation. Elles ont obtenu des prorogations de délai lorsqu’elles en ont demandé. Il y a eu suspension de toutes les autres affaires pendantes pour que les demanderesses puissent se concentrer sur la présente requête. M. Donaldson, qui représente la NSIAA, l’un des intervenants en l’espèce, est même allé jusqu’à aider les demanderesses et la Cour à réunir et mettre en ordre deux volumes de transcriptions, d’ordonnances préparatoires et de directives, qui sont essentiels pour bien comprendre tout le contexte où s’inscrit la présente demande. Malgré tout l’appui ainsi accordé aux demanderesses, le résultat obtenu en bout de ligne est confus et parfois même tout simplement déconcertant.

 

515. Le premier problème auquel la Cour est confrontée consiste à établir ce qu’est véritablement l’exposé des arguments des demanderesses et de quelle manière il peut être utilisé. Dans leurs affidavits, Mme Twinn et M. Healey ont adopté ce document comme preuve, du moins des parties du document. M. Shibley n’a pas été d’une aide très précieuse pour la Cour à ce sujet :

 

            [traduction]

Quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un factum au sens courant; c’est une argumentation écrite que j’ai trouvée utile, comme il en sera aussi pour vous j’espère. On ne peut pas dire le contraire, c’est plus exhaustif que de coutume. (Transcription, vol. 2, page 28 : 8‑13)

 

516. La Cour est donc laissée à elle‑même pour interpréter cette « argumentation écrite ». Le commentaire suivant de M. Shibley a toutefois fortement déconcerté la Cour :

 

            [traduction]

J’ai lu le document plus d’une fois, et même à quelques reprises. Je vous soumets d’ailleurs avec respect que la lecture en est très utile, M. le juge. C’est approfondi, tout comme parfois la reproduction de la transcription. Le document m’a été utile parce que je n’ai pas eu à lire la transcription, ni à en sortir les volumes. [Non souligné dans l’original.] (Transcription, vol. 2, page 32 : 3‑10)

 

517. La Cour ne peut que dire qu’il n’est guère réconfortant d’apprendre que M. Shibley n’a pas lu la transcription puisque, s’il l’avait fait, il aurait pu se rendre compte que les allégations et assertions figurant dans l’exposé des arguments sont difficiles à concilier avec ce qui figure véritablement au dossier.

 

518. M. Shibley déclare à la Cour dans son résumé que [traduction] « l’ensemble du dossier doit être pris en compte afin de pouvoir établir quel est l’effet cumulatif de toute transgression ou irrégularité ». Après avoir passé des semaines à faire précisément cela, je regrette sincèrement que les demanderesses n’aient pas suivi leur propre conseil.

 

[...]

 

556. M. Shibley a demandé que les critiques formulées par les avocats adverses visant le comportement de M. Healey en l’instance ne soient pas considéré l’élément central dans la présente requête; j’ai abondé dans son sens de manière générale. Toutefois, faire totalement abstraction du comportement de M. Healey, ce serait faire abstraction d’un élément fondamental de sa propre argumentation, puisque lui‑même invoque sans détours ce comportement devant la Cour et convie la Cour à le prendre en compte à l’appui de ses allégations de crainte raisonnable de partialité. Il fait voir aussi très clairement au paragraphe 20 précité que la présente requête comporte une importante composante personnelle, ce dont j’examinerai les conséquences par la suite.

 

[...]

 

559. Mis à part les allégations précises faites contre les juges Hugessen et Russell, ainsi, qu’est‑ce que les demanderesses ont bien pu soumettre à la Cour aux fins d’un examen par la personne raisonnable? Elles ont présenté des citations elliptiques hors contexte, des interprétations tendancieuses – pour bonne part sans aucune pertinence –, des citations d’une autre teneur que celle que lui prêtent les demanderesses, du ouï‑dire et des insinuations.

 

560. Rien de tout cela ne donnerait, à la personne raisonnable, lieu de croire qu’il est raisonnable de craindre en l’existence de partialité au sein de la Cour fédérale. Pour ce qui est des doutes des demanderesses de pouvoir obtenir une audience impartiale devant la Cour fédérale et de ce que je crois comprendre être leur sentiment d’« aliénation » par rapport aux processus de la Cour, je crois que les arguments avancés dans leur plaidoirie écrite n’aident en rien à les rassurer. Bien au contraire, en fait, ce sont de tels arguments qui me semblent renforcer et exacerber le sentiment d’aliénation.

 

561. Malgré toute cette toile de fond, il ressort clairement dans la documentation quelles craintes réelles les demanderesses nourrissent au sujet de la Cour fédérale. Le chef Roland Twinn est ainsi allé droit au but, avec une sincérité exemplaire, lorsqu’on l’a contre‑interrogé relativement à son affidavit dans la présente requête :

 

[traduction]

Q.        Bien. L’une des autres mesures de redressement sollicitées dans la présente affaire, c’est la possibilité d’un transfert à la Cour provinciale (le paragraphe 4 de votre affidavit). De quelle cour s’agit‑il alors?

 

R.         De la Cour du Banc de la Reine.

 

Q.        Songez‑vous à un juge de la Cour du Banc de la Reine en particulier?

 

R.         Non, à aucun juge en particulier.

 

Q.        Pouvez‑vous me dire pourquoi, selon vous, la Cour du Banc de la Reine serait plus susceptible que la Cour fédérale d’être équitable dans votre affaire?

R.         Selon moi, la Cour provinciale a rendu davantage de décisions favorables aux Premières nations.

 

(Contre‑interrogatoire de Roland Twinn, page 11 : 10‑23)

 

562. On ne peut reprocher au chef Twinn de désirer un juge qui verra les choses du même oeil que lui et lui accordera la mesure de redressement qu’il souhaite. C’est là son rôle et c’est ce que veulent tous les demandeurs. Il n’y a toutefois pas lieu à une crainte raisonnable de partialité lorsque, comme en l’espèce, un juge a un autre point de vue que les demanderesses quant à une décision particulière en matière de procédure. Les décisions défavorables aux demanderesses sur des questions de procédure ne donnent pas lieu non plus, en soi, à une crainte raisonnable de partialité. En demandant à la Cour d’avoir leur mot à dire dans le choix du juge qui instruira la présente action (même après modification à l’audience en une recommandation en ce sens, de ma part, au juge en chef de la Cour fédérale), les demanderesses sont clairement intéressées à trouver quelqu’un qui sera mieux disposé envers leur affaire que ne l’est, selon elles, le juge Russell. Le problème c’est que, dans Samson, la Cour d’appel – en qui les demanderesses semblent avoir confiance – s’est opposée à un tel procédé.

 

À notre avis, les appelants sollicitent ici le retrait du juge Teitelbaum à titre de juge de première instance et ils cherchent à ce qu’il soit remplacé par un juge qui leur convient, qui présiderait deux procès reconnus comme importants. Cette façon de choisir le juge de première instance ne correspond pas à la pratique de cette cour. Nous ne tenons aucunement à l’encourager.

 

[...]

 

577. Dans les 65 pages restantes du mémoire des demanderesses, on retrouve une attaque, parfois au vitriol, visant le rôle joué par le juge Russell depuis sa nomination comme juge d’instance en 2004.

 

578. On tente pour bonne part de ramener devant la Cour d’anciens arguments qu’elle a déjà rejetés dans ses décisions. Ce qu’on sous‑entend, c’est que la Cour s’est tellement fourvoyée que toute personne raisonnable craindrait qu’elle a été partiale.

 

579. Des citations sont présentées hors contexte, ou on ne fournit tout simplement pas l’essentiel du contexte dont aurait besoin une personne raisonnable pour juger des allégations. On recourt parfois à des citations elliptiques. On fait aussi des assertions non corroborées qui sont tout bonnement inexactes. Les avocats des demanderesses ont choisi en des endroits divers du dossier certains mots et extraits pour en faire un assemblage révisionniste de ce qui s’est produit.

 

580. Il faudrait à la Cour fournir un effort colossal pour tenter de citer au long les passages pertinents du dossier afin de rendre le contexte d’ensemble où s’inscrivent les positions avancées par les demanderesses. Dans le cadre d’une requête relative à la crainte de partialité, où tout est affaire de contexte, les avocats des demanderesses ont réussi à se dépenser sans réserve pour relater avec très peu d’objectivité le fil des faits. Comme je l’ai déjà mentionné, cela semble inévitable comme conséquence lorsque les avocats s’octroient autant de rôles à la fois. Il ne peut plus alors y avoir d’objectivité ni de sens de la mesure.

 

581. Par contre, les allégations faites sont si graves (certaines allant jusqu’à la partialité réelle) que la Cour doit s’efforcer de comprendre la documentation. Faute d’un tel exercice, on pourrait penser que qui ne dit mot consent, et les nations demanderesses pourraient croire que la Cour ne se soucie guère de ces questions et ne plus avoir confiance en l’intégrité du processus.

 

[...]

 

593. Il est impossible pour la Cour de traiter séparément dans les présents motifs de chaque allégation et de chaque citation qui figure dans l’exposé des arguments des demanderesses.

 

594. La Cour a essayé de se « débrouiller » au mieux, mais les problèmes sur les plans de la preuve et du raisonnement qui entachent la documentation rendent fortement sujettes à caution les positions avancées; même si l’exposé des arguments était acceptable quant à la forme, d’ailleurs, il serait très difficile pour la personne raisonnable d’accorder une véritable force probante aux allégations qu’il renferme.

 

595. À un égard, toutefois, la documentation des demanderesses a une très forte valeur probante qui n’échapperait pas à la personne raisonnable.

 

596. Les problèmes que la Cour a tenté de régler depuis qu’on a renvoyé à nouveau procès la présente affaire en 1997 sont moins liés aux questions sous‑jacentes en litige qu’à la procédure et au comportement des avocats. À ce titre, la documentation fournie constitue une preuve pour la personne raisonnable qui doit comprendre quels sont et continuent d’être certains de ces problèmes.

 

597. Ce que l’exposé des arguments permet facilement de constater, en outre, c’est l’insistance démontrée par les avocats des demanderesses pour débattre de nouveau des questions déjà tranchées et constituant donc une res judicata. Ce problème était au coeur même de la décision du 6 décembre 2004 de la Cour, qui portait sur le rôle des intervenants. Et dans le cadre de la présente requête relative à une crainte de partialité, par exemple, nous voyons les avocats des demanderesses en revenir encore aux questions liées aux résumés de témoignage anticipé, en vue de démontrer que la décision de la Cour était manifestement erronée, de sorte que la personne raisonnable craindrait qu’il y ait eu partialité. C’est toutefois là une décision dont les demanderesses (que n’effraie pourtant pas la perspective de porter en appel des décisions de la Cour) n’ont pas interjeté appel. En regard de cette décision, de plus, les avocats des demanderesses ont dit à la Cour que leurs clientes étaient d’accord avec les normes qu’elle avait établies et, d’après des lettres de Mme Twinn, les demanderesses ont de fait achevé d’établir des résumés de témoignage anticipé conformes à ces normes.

 

598. Les juges ne sont pas infaillibles. Il peut leur arriver de faire des erreurs. La Cour d’appel fédérale est là pour corriger de telles erreurs. Si les demanderesses désapprouvent une décision de la Cour fédérale, ils peuvent la porter en appel. Alléguer la crainte de partialité après l’expiration du délai d’appel, c’est tout simplement une façon d’éviter la Cour d’appel fédérale et d’essayer de faire de nouveau valoir la question en litige, à partir de zéro, devant un nouveau juge de première instance.

 

599. On peut également constater dans ces documents à quel point peuvent être inutiles des citations elliptiques. J’ai déjà donné un exemple flagrant de recours à ce procédé au paragraphe 15 de l’exposé des arguments des demanderesses, mais ce n’est pas là le seul exemple disponible.

 

600. Il y a aussi eu constamment dans le cadre de la présente requête, bien sûr, une tendance généralisée à présenter des citations de manière sélective, à sortir de leur contexte des éléments du dossier et à recourir à des insinuations et à des commentaires révisionnistes.

 

601. Des citations elliptiques, des insinuations et des commentaires révisionnistes ne constituent ni une preuve ni une argumentation. Ils ne contribuent en rien à la solution du litige.

 

602. Lorsqu’on a affaire à une requête unique, de tels procédés peuvent sembler ne pas être un obstacle majeur. Dans le cadre toutefois d’un long différend (qui a pris naissance en 1986, pour lequel il y a eu renvoi à nouveau procès depuis déjà 1997 et à l’égard duquel le procès semble devoir durer longtemps), de tels procédés constituent un problème majeur parce qu’ils sont un frein à la bonne administration de la justice. L’ensemble des documents produits par les demanderesses pour la présente requête manquent d’objectivité et d’impartialité, ainsi que de crédibilité, laquelle repose sur ces deux premiers attributs. On tente d’y discréditer le plus possible les personnes prises pour cible et, pour cette raison, ces documents ne peuvent servir de fondement valable pour le jugement d’une personne raisonnable bien informée et qui a examiné la question en profondeur.

 

603. Je crois que la personne raisonnable prendrait en compte ces facteurs additionnels pour apprécier certains des commentaires sévères que les juges Hugessen et Russell ont estimé devoir formuler pour faire obstacle à des comportements, des pratiques et des arguments qui, selon eux, n’aidaient pas à en arriver au procès.

 

604. C’est avec une certaine réticence que j’aborde ici ces questions en raison de l’atmosphère déjà trop lourde qui prévaut dans la présente affaire, mais la nature des allégations portées dans le cadre de la présente requête oblige la Cour à en traiter. M. Healey, en outre, l’avocat des demanderesses, a choisi de mettre directement en cause son propre comportement. Il est aussi nécessaire de dire clairement, enfin, que ces pratiques, ces excès et cette verbosité contestables tout étalés dans la documentation obligent les avocats adverses et la Cour à consacrer beaucoup de temps pour les corriger et freinent considérablement le progrès de l’instance. Cela devra manifestement être pris en compte au moment de l’adjudication des dépens.

 

[...]

 

LES QUESTIONS RELATIVES AU COMPORTEMENT

 

[...]

 

621. Bien qu’elle ait comme sentiment général que le moment n’est pas opportun pour aborder de front les questions de comportement, la Cour n’en est pas moins confrontée à un problème. Après examen en profondeur de la documentation présentée dans le cadre de la présente requête, en effet, un important problème se pose qu’on ne peut passer sous silence. Il est maintenant temps que la Cour s’exprime bien franchement, et cela est, comme je l’ai déjà dit, absolument essentiel, selon moi, dans le présent type de requête pour éviter que, tout simplement comme si cela allait de soi, on fasse valoir la partialité (appréhendée ou non). On ne compte plus les avertissements dans la jurisprudence selon lesquels il ne faut pas porter à la légère une allégation de partialité (appréhendée ou non), et ne le faire que si une preuve suffisante permet de l’étayer. La raison en est que de telles allégations touchent au coeur même de l’administration de la justice et minent la confiance du public en l’impartialité et l’intégrité du système judiciaire. Sur le plan personnel, dire qu’un juge a de la sorte violé son serment professionnel, c’est bien sûr lui adresser la critique la plus sévère qui soit. Comme on a pu le constater dans le cadre de la présente requête, de telles allégations sont faciles à faire mais plus difficiles à réfuter.

 

622. Après avoir confronté au dossier l’argumentation écrite et orale des avocats des demanderesses, j’en suis venu à certaines conclusions profondément troublantes qu’il m’est nécessaire de maintenant aborder, en fonction de ce dont j’ai été saisi.

 

623. M. Healey est l’ordonnateur de la présente requête. Son affidavit est le principal élément de preuve présenté à l’encontre des juges Hugessen et Russell, et il est l’auteur de l’exposé des arguments où sont précisées les plaintes des demanderesses à l’endroit de la Cour et des juges concernés. Il a établi les affidavits des témoins profanes, qui prennent la forme de formules stéréotypées, de nature identique, et qui ne sont guère plus que des répétitions d’opinions qu’il a lui‑même exprimées. Ces témoins ne sont pas des observateurs objectifs de la situation qui peuvent traiter des questions substantielles que M. Healey et Mme Twinn n’ont pas fait passer à travers leur filtre. Cette dernière déclare d’ailleurs avoir lu l’affidavit de Philip Healey et être d’accord avec sa teneur. En bout de ligne, donc, tout a pour source M. Healey.

 

624. M. Healey a dit clairement, pour ce qui est du juge Russell, que ce dernier l’a toujours traité avec la courtoisie requise lorsqu’il comparaissait devant la Cour. Il a également dit ne pas croire que le juge Russell avait agi ou s’était exprimé d’une quelconque manière pouvant laisser croire en de l’animosité personnelle à son endroit ou en de la partialité contre lui dans ses fonctions d’avocat.

 

625. Le fondement de sa plainte c’est que, selon lui, le juge Russell a une prédisposition défavorable à ses clients quant à la question de l’autonomie gouvernementale, et aussi qu’il n’aime pas le « ton » adopté par la Cour dans certaines de ses décisions. On peut présumer qu’il n’a pas à se plaindre de la Cour lorsque ses décisions sont en accord avec les positions qu’il a défendues quoique, même alors, il semble laisser entendre qu’il n’y a pareil accord que lorsque la jurisprudence est tellement bien établie que la Cour ne peut suivre son penchant naturel et favoriser la Couronne. Ce qu’il n’aime vraiment pas, toutefois, c’est le « ton » exprimé dans certains des motifs où la Cour a rejeté ses arguments.

 

626. Il me semble manifeste après examen de la documentation que M. Healey n’aime pas se faire dire que des arguments soumis par lui à la Cour sont insoutenables. Il n’aime pas se faire dire qu’il ne doit pas tirer profit de la violation par ses clients d’une ordonnance préparatoire pour faire abstraction des droits des autres parties. Il n’aime pas se faire dire que la Cour juge inacceptables ses attaques ad hominem contre les avocats adverses. Il n’aime pas se faire dire, enfin, que la Cour n’apprécie guère qu’il débatte de nouveau devant elle de questions qu’elle estime clairement constituer des res judicata.

 

627. Bien sûr, s’il est en désaccord quant aux décisions de la Cour, il peut conseiller à ses clients d’interjeter appel. Dans le cadre de la présente requête, toutefois, on s’attaque de manière indirecte à plusieurs décisions dont on n’a pas fait appel, en invoquant plutôt comme recours la crainte appréhendée, parfois même réelle, de partialité.

 

628. Selon la documentation soumise dans le cadre de la présente requête, M. Healey, plutôt que d’apporter remède aux sujets de préoccupation signalés par la Cour et de faire appel de certaines décisions, a choisi de mettre en question l’impartialité de divers juges de la Cour fédérale, et ce, parfois sur un plan personnel.

 

629. Dans son témoignage et son exposé des arguments, M. Healey recourt à des propos et à des méthodes laissant voir qu’il tente de mettre en doute l’intégrité du juge de première instance tout particulièrement, et cela ne peut être effacé par le retrait de la simple allégation selon laquelle le juge Russell a eu [traduction] « des apartés avec la Couronne [...] ». La documentation est profondément empreinte d’attaques personnelles, ce qui en explique les excès, les interprétations tendancieuses et les inexactitudes. Il n’est pas possible de se tromper sur ce qu’on laisse entendre : [traduction] « il exerçait de la pression sur nous et en avait conscience, et il savait que vous et les avocats adverses exerciez de la pression sur nous ». Il ne peut y avoir de doute non plus sur la personne que M. Healey croit défendre : [traduction] « jamais il n’a été traité de cette manière ni ses arguments décrits comme ils l’ont été ».

 

630. Le message transmis dans la documentation est on ne peut plus clair : non seulement M. Healey considère‑t‑il la présente instance comme une bataille personnelle l’opposant aux avocats adverses, mais il estime aussi être en situation d’affrontement personnel avec la Cour.

 

631. Un tel esprit de confrontation et l’empressement à mettre en doute d’une manière personnelle l’intégrité de juges nommément désignés n’ont pas leur place dans une cour de justice. Ils n’y ont pas leur place parce que cela fait obstacle à l’administration juste et efficace de la justice et menace directement les droits de toutes les parties concernées. La Cour doit s’assurer que ce qu’un avocat en est venu à considérer comme son conflit personnel ne porte pas atteinte aux droits de toutes les parties. Ce qui ressort clairement de la documentation, selon moi, c’est la mise en échec du processus judiciaire. Dans la présente requête, M. Healey ne s’acquitte pas de manière détachée de ses devoirs envers la Cour, et son comportement n’est pas empreint de l’objectivité requise par notre système accusatoire.

 

632. Les demanderesses et la Couronne en sont venues à un stade en l’instance où une question d’importance extrême doit être tranchée avant que le procès débute : dans quelle mesure la question de l’autonomie gouvernementale est‑elle soulevée dans les actes de procédure? La réponse à cette question aura une incidence directe sur la préparation en vue du procès et sur la nature de la preuve que chacune des parties décidera de présenter.

 

633. La présente requête fait obstacle au règlement de l’impasse par la Cour. Il est extrêmement injuste pour toutes les parties que des décisions sur d’importantes questions soient reportées parce que M. Healey n’aime pas le « ton » parfois employé par la Cour, à moins, bien entendu, que ce ton ne constitue la preuve d’un type quelconque de partialité à l’endroit des demanderesses. L’examen du dossier m’a convaincu que, eu égard au critère du point de vue de la personne raisonnable, absolument aucun motif ne permet de croire que la Cour n’est pas pleinement consciente des droits des demanderesses ou qu’elle n’a pas veillé à les protéger, et ce, alors que le comportement de M. Healey était parfois inconséquent voire même extrêmement décourageant. Ce « ton » n’a pas mis en péril les droits respectifs des parties; de fait, il compte parmi les tentatives menées par la Cour pour s’assurer qu’un conflit personnel ne porte pas atteinte à ces droits.

 

634. M. Healey semble aussi croire qu’il peut faire changer d’avis le juge Russell et le faire se ranger à ses arguments s’il allègue la crainte de partialité dans un avis d’appel. En d’autres termes, alors qu’en un premier temps le juge Russell a été manipulé par la Couronne et les intervenants de manière à ce qu’il exclue des éléments de preuve pertinents aux fins de la demande des demanderesses, on pourrait ensuite faire en sorte qu’il se range du côté des demanderesses et soit équitable pour une fois.

 

635. On met ainsi directement en question l’intégrité d’un juge et le respect par lui de son serment professionnel. De telles opinions ne sont pas particulièrement agréables à entendre, il va sans dire, mais ce n’est pas là mon véritable sujet de préoccupation.

 

636. Ce que cela révèle à la Cour à ce stade – et c’est là mon sujet de préoccupation – c’est qu’un comportement que la Cour a tenté de corriger comme étape préalable à un long procès ne sera pas en fait corrigé, et que M. Healey demeure impénitent et tout disposé à affronter la Cour d’une manière personnelle plutôt que de suivre les procédures et directives énoncées dans les décisions de la Cour.

 

637. Je ne crois pas que les droits des parties puissent être pleinement protégés si l’on mène l’instance sur un tel plan. Il faut prendre en compte, tout d’abord, l’énorme gaspillage de ressources ainsi occasionné, qu’on peut compenser en partie, mais pas entièrement, au moyen des dépens. Il faut aussi tenir compte du fait qu’un affrontement inutile se produit si un avocat se met à juger acceptables les attaques personnelles visant les avocats adverses et la mise en question de l’intégrité du juge de première instance. Et il y a enfin le fait, bien sûr, qu’on fait beaucoup de tort aux parties lorsqu’on perd de vue leurs droits, et lorsque la Cour est entraînée malgré elle à trancher des questions dont elle ne devrait pas être saisie, en plus d’être déviée de sa route par des attaques personnelles.

 

638. La présentation impeccable de la plaidoirie par M. Shibley à l’audience ne peut faire oublier les véritables problèmes qui entachent la présente instance. Comme je l’ai déjà dit à ce moment‑là, M. Shibley a davantage aidé la Cour qu’il en a conscience. En effet, quoiqu’il ne connaissait pas le dossier et qu’il dépendait de Mme Twinn et de M. Healey pour son argumentation et son interprétation des faits, il a fait se rappeler à la Cour à quel point un avocat peut se montrer efficace et coopératif, même lorsque les autres parties sont considérées être des adversaires, dans le contexte d’une requête à forte charge contentieuse.

 

639. J’ai dit à l’audience que quelque chose de constructif devait, dans l’intérêt des parties, se dégager de la présente requête. Je ne puis me récuser puisque, selon moi, il est clairement établi en droit que j’ai l’obligation de ne pas me désister dans pareilles circonstances. En même temps, toutefois, je ne vois pas comment la présente instance peut aller de l’avant si l’on abandonne toute objectivité et tout détachement et si on laisse les attaques personnelles prendre tout le terrain.

 

640. J’aurai besoin des conseils de tous les avocats sur cette question. J’espérais pouvoir éviter une telle conclusion et que le problème se réglerait de lui‑même. Toutefois, l’examen attentif de la documentation qu’on m’a présentée dans le cadre de la présente requête m’a convaincu que fermer les yeux sur le problème n’était pas la façon la plus appropriée de protéger les droits de toutes les parties et de garantir que le procès sur le fond soit équitable et que son déroulement soit efficace.

 

 

 

LES QUESTIONS RELATIVES AU COMPORTEMENT

        Aspects généraux

 

[12]           Les demanderesses ont elles‑mêmes tenté de régler en partie les graves questions de comportement dont j’ai parlé dans ma décision du 3 mai 2005. M. Molstad du cabinet Parlee McLaws LLP a remplacé M. Healey à titre d’avocat principal des demanderesses. Cependant, Mme Twinn, qui a joué un rôle essentiel dans la préparation des documents concernant la requête relative à la partialité et qui a approuvé les déclarations de M. Healey, est toujours l’avocate inscrite au dossier pour le compte des demanderesses et assiste à toutes les audiences de la Cour. Certains éléments donnent également à penser que M. Healey continue à travailler pour les demanderesses, mais son rôle exact n’a pas été précisé.

 

[13]           Ni M. Healey ni Mme Twinn, en qualité d’officiers de justice, n’ont fourni d’explications au sujet des conclusions très graves qu’a formulées la Cour au sujet de leur rôle pendant l’instruction de la requête relative à la partialité. La Cour n’a donc aucune raison pour le moment de remettre en question ou d’atténuer les conclusions auxquelles elle en est arrivée au sujet de ces deux avocats et leur silence ne fait que confirmer les pires soupçons de la Cour. Ils ne semblent pas estimer que leur qualité d’officier de justice les oblige à expliquer un comportement qui m’a paru déplorable.

 

[14]           Aux fins des présentes requêtes concernant les dépens, les intervenants ont convenu avec les demanderesses qu’en échange des engagements suivants pris par celles‑ci, ils ne demanderaient pas des dépens visant personnellement les avocats aux termes de l’article 405 des Règles de la Cour fédérale (1998) :

            [traduction]

1.                  Les demanderesses sont responsables du comportement qu’a adopté M. Healey dans la présentation de la requête relative à la partialité et au cours des étapes qui l’ont précédée, et sont liées par ce comportement, qui englobe notamment ce qui suit :

 

a)      L’ensemble des observations écrites déposées à l’appui de cette requête;

 

b)      La teneur de l’affidavit de M. Healey et celui du contre‑interrogatoire;

 

c)      Les observations présentées oralement.

 

2.                  Les demanderesses ne demanderont pas que le montant des dépens soit réduit dans le cas où la Cour conclurait que c’est le comportement de M. Healey et non pas celui des demanderesses qui constitue un facteur aggravant.

 

        Les officiers de justice

 

[15]           La Cour est favorable à cette entente et aux motifs qui la sous‑tendent – [traduction] « le fait d’ajouter les anciens avocats des demanderesses à titre de parties à la présente requête risquerait de compromettre gravement le climat de courtoisie qui semblent commencer à s’instaurer entre les avocats tant à l’intérieur de la salle d’audience qu’à l’extérieur de celle‑ci » –, mais elle doit néanmoins examiner le comportement des avocats par rapport aux questions touchant les dépens soulevées dans les présentes requêtes et aux obligations qui incombent à M. Healey et à Mme Twinn en qualité d’officiers de justice. Cela vient du fait que M. Healey et Mme Twinn continuent à participer à l’instance pour le compte des demanderesses. Il ressort clairement de ma décision du 3 mai 2005 que la Cour a estimé très préoccupantes les questions de comportement découlant de la requête relative à la partialité et que c’était là une question qu’il fallait examiner. M. Healey et Mme Twinn ont été informés du dépôt des présentes requêtes relatives aux dépens et ils savent que leur comportement constitue un élément important. Ni l’un ni l’autre n’a décidé de répondre à ces requêtes, bien que Mme Twinn ait assisté à toutes les audiences.

 

[16]           Je sais que, vu qu’aucune requête relative aux dépens n’a été déposée aux termes de l’article 405 des Règles et qu’aucune poursuite pour outrage au tribunal n’a été instituée, M. Healey et Mme Twinn n’ont pas encore été, officiellement du moins, invités à répondre de leur comportement devant la Cour. Mes conclusions du 3 mai 2005 demeurent néanmoins et M. Healey et Mme Twinn se sont abstenus d’expliquer à la Cour les raisons de leur comportement.

 

[17]           M. Healey et Mme Twinn ont décidé d’alléguer dans l’avis de requête de la requête relative à la partialité que j’ai, en qualité de juge de première instance dans la présente affaire, [traduction] « eu des apartés avec la Couronne dans le but de faire obstacle à l’allégation principale des demanderesses dans la présente instance, qui consiste à faire valoir leur droit à l’autonomie gouvernementale [...] ».

 

[18]           Comme je l’ai mentionné au paragraphe 502 des motifs de ma décision du 3 mai 2005, cette allégation ne figurait pas seulement dans les documents relatifs à la requête mais « les avocats des demanderesses [avaient] attesté sous serment de sa véracité ». Ni les demanderesses, ni leur nouvel avocat, M. Molstad, n’ont remis en question mes constatations ou mes conclusions sur ce point, et ils ne les ont même pas mentionnées expressément.

 

[19]           Pourtant, M. Healey et Mme Twinn savaient que cette allégation était fausse puisque la Cour avait expliqué par écrit à tous les avocats que la Couronne avait simplement communiqué avec le greffe de la Cour pour savoir si, étant donné que la date prévue pour le dépôt des documents tombait un samedi, le greffe appliquerait la règle habituelle et accepterait de recevoir le jour ouvrable suivant les documents que la Couronne souhaitait déposer.

 

[20]           M. Healey et Mme Twinn ont pourtant décidé de formuler et de maintenir une accusation surprenante qui constituait non seulement un propos diffamatoire visant M. Kimmis (le procureur de la Couronne concerné) et le juge de première instance mais constituait également une allégation de faute professionnelle de la part de M. Kimmis et de faute judiciaire de ma part.

 

[21]           Pourquoi ont‑ils porté de telles accusations? Ils ont refusé de le préciser. Il ne peut y avoir que deux raisons. La première possibilité est qu’il y a deux avocats qui, malgré leur connaissance des faits, étaient prêts à faire de fausses représentations (même sous serment) en vue d’essayer de discréditer M. Kimmis et le juge de première instance, en portant notamment contre eux des accusations de faute. C’est une conclusion très troublante. Mais la seule autre explication possible est encore plus troublante : c’est qu’après avoir obtenu des précisions de la part de la Couronne et de la Cour sur la raison pour laquelle la Couronne avait communiqué avec le greffe et s’était informée de la date du dépôt de certains documents, M. Healey et Mme Twinn voulaient que l’on pense qu’ils estimaient que cette explication était mensongère et que c’est la raison pour laquelle ils ont continué à affirmer officiellement que j’avais eu des [traduction] « apartés avec la Couronne [...] ».

 

[22]           Il y a donc non seulement le fait que deux officiers de justice ont formulé des allégations de faute grave visant le procureur de la Couronne et le juge de première instance, accusations qui ne reposaient sur aucun fondement factuel, mais aussi celui que ces personnes ont également décidé de maintenir ces allégations après avoir reçu des explications complètes, aggravant ainsi leurs insultes et déclarations mensongères initiales en refusant d’accepter les explications fournies et de retirer leurs allégations.

 

[23]           Il est difficile de savoir ce qu’il faut penser des avocats et des officiers de justice qui adoptent ce genre de comportement et quelles sont les mesures qu’il faut prendre à leur endroit. Lorsque j’ai posé la question à M. Shibley, qui a présenté oralement les arguments des demanderesses à l’audience concernant la requête relative à la partialité, il n’a guère été en mesure d’offrir de véritables explications, si ce n’est de dire que les allégations n’auraient jamais dû être faites :

[traduction]

M. Shibley : Je ne sais pas comment je qualifierais ceci, Votre Honneur, mais tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il ne s’agit pas de notre affaire. D’après moi, cela n’aurait jamais dû être mentionné ici.

 

[24]           M. Shibley a également clairement indiqué à l’audience qu’il estimait personnellement que ce genre de comportement irrespectueux adopté par des avocats était tout à fait inapproprié. Malheureusement, les rétractations et les admissions de M. Shibley ne remédient pas à cette situation. Comme je l’ai signalé dans ma décision du 3 mai 2005, les documents des demanderesses étaient tellement marqués par l’animosité personnelle de M. Healey (appuyé par Mme Twinn) qu’il était impossible d’en faire abstraction. M. Healey était tout à fait disposé, et appuyé sur ce point par Mme Twinn, à affirmer sous serment, par exemple, que [traduction] « il [le juge] exerçait de la pression sur nous [les demanderesses] et en avait conscience et il savait que vous et les avocats adverses exerciez de la pression sur nous » et à concocter une version révisionniste et tout à fait déformée de l’instance qui ne ressemblait guère au dossier factuel. Mme Twinn et M. Healey ont formulé d’autres accusations de partialité réelle dans leurs documents écrits et j’en ai mentionné un certain nombre dans ma décision du 3 mai 2005. Il est vrai que M. Shibley a retiré (mais à l’audience seulement) l’allégation relative à une partialité réelle, mais la requête relative à la partialité repose néanmoins sur cette allégation, étant donné que les documents déposés par les demanderesses reflétaient manifestement une animosité personnelle visant les avocats adverses et la Cour, et les défauts que contenaient ces documents faisaient clairement transparaître le désir de présenter faussement le dossier de la Cour dans le but de discréditer le juge de première instance, et la Cour fédérale en général, et de compromettre l’équité procédurale dans la présente instance.

 

[25]           Même si M. Shibley a officiellement retiré à l’audience les allégations concernant [traduction] « les apartés avec la Couronne » et s’il a reconnu qu’elles n’auraient jamais dû être formulées, le fait d’avoir fabriqué et publié de telles allégations, dépourvues de toute base factuelle, de les avoir répétées sous serment et de continuer à les affirmer après avoir obtenu des explications complètes, constitue certainement les insultes et les accusations de calomnie professionnelle les plus graves qui aient jamais été portées contre des avocats adverses et contre la Cour. C’est sans doute l’allégation la plus calomnieuse que contiennent les documents, mais ce n’est pas la seule. Et pourtant, M. Healey et Mme Twinn ne se sentent aucunement obligés d’expliquer leur conduite. Ils semblent penser que la Cour ne devrait plus s’intéresser à leur comportement, étant donné que les demanderesses ont convenu d’assumer leurs obligations financières à ce sujet dans le cas où la Cour déciderait que leur comportement constitue un facteur dont il y a lieu de tenir compte dans l’adjudication des dépens.

 

[26]           Les demanderesses ne sont toutefois pas des officiers de justice. Les obligations qui incombent à un officier de justice ne peuvent pas être rachetées. Cela vient du fait que ces obligations exigent une confiance absolue. Il n’est pas possible d’en faire fi ou de s’y soustraire en s’entendant avec le client pour qu’il accepte d’assumer les conséquences financières du comportement de l’avocat.

 

[27]           Il ne faudrait donc pas que Mme Twinn et M. Healey déduisent du fait que la Cour a accepté l’entente intervenue entre les demanderesses et les intervenants au sujet des conséquences du comportement de M. Healey sur les dépens qu’ils sont à l’abri, en qualité d’officiers de justice, des conséquences que pourrait avoir leur comportement.

 

[28]           Dans l’intérêt du déroulement de l’instance et de la protection des droits des demanderesses, de la Couronne et des personnes représentées par les intervenants, je ne pense pas que la Cour devrait intenter à ce moment‑ci une poursuite pour outrage au tribunal ou pour faute professionnelle contre M. Healey et Mme Twinn. M. Molstad m’a fait savoir que les demanderesses et lui‑même étaient très occupés à l’heure actuelle par la préparation du procès et qu’ils allaient veiller à ce qu’il puisse commencer en janvier 2007. Je ne voudrais pas les empêcher de se concentrer sur cette tâche en les obligeant à s’occuper de requêtes et de questions qui ne portent pas directement sur le fond du litige, tel que formulé dans les actes de procédure. Compte tenu du lourd historique de la présente instance qui a été marquée par de nombreux affrontements, il est essentiel, au moment où les demanderesses viennent de retenir les services de nouveaux avocats, de prendre le temps de créer une atmosphère de travail qui permette à tous les avocats de travailler ensemble. Il demeure que M. Healey et Mme Twinn continuent à participer à l’instance et qu’il n’est donc pas possible de voir dans leur comportement une chose du passé. Il est assez paradoxal, voire injuste, de soustraire aux conséquences de leur propre inconduite des personnes qui se sont montrées tout à fait prêtes dans cette instance à ternir la réputation d’autres personnes, qui ont empêché le processus judiciaire de se dérouler de façon équitable et efficace. Les nécessités actuelles du présent litige exigent que ces aspects soient mis de côté, du moins pour le moment. Il ne faudrait pas que l’animosité personnelle et l’intention subversive de M. Healey et de Mme Twinn, qui ont eu pour effet de bloquer le déroulement de l’instance, comme je l’ai conclu dans ma décision du 3 mai 2005, l’emportent sur les droits des parties et entravent le déroulement de la présente instance plus que cela n’a déjà été fait. C’est pourquoi le règlement des questions concernant les comportements, dans la mesure où ils touchent personnellement M. Healey et Mme Twinn, devra attendre que les demanderesses et la Couronne aient eu la possibilité de faire examiner leur litige au fond.

 

[29]           Pour les fins qui nous occupent actuellement, nous constatons que M. Healey et Mme Twinn ont décidé de laisser les choses en l’état, sans formuler d’objection ou d’explication, et en particulier, qu’ils n’ont pas laissé entendre que la Cour avait commis une erreur ou avait été trop sévère lorsqu’elle a tiré les conclusions de sa décision du 3 mai 2005 qui les concernent. Ils semblent satisfaits de laisser les documents qu’ils ont préparés pour la requête relative à la partialité ainsi que les conclusions de la Cour au sujet de l’intention que reflètent ces documents et de leur effet constituer l’épitaphe de leur service à titre d’officiers de justice. Qu’il en soit alors ainsi. Ces documents montrent que M. Healey, avec l’appui de Mme Twinn, n’a aucunement hésité à faire de fausses déclarations sous serment, à citer à la Cour de façon trompeuse des décisions publiées, à sortir de leur contexte des passages du dossier du tribunal pour fabriquer une version inexacte et révisionniste de l’instance et à attaquer sur un plan très personnel l’intégrité professionnelle des avocats de la partie adverse et celle du juge de première instance. J’ai signalé dans ma décision du 3 mai 2005 que les requêtes relatives à la partialité ne devraient pas être utilisées pour subvertir notre système juridique qui repose sur l’idée que les avocats doivent s’acquitter de leurs responsabilités de façon appropriée. Ce qui est en jeu dans la présente affaire ne peut être qualifié de conduite aberrante mais compréhensible et pardonnable de la part des avocats concernés. Le but recherché et la méthode utilisée étaient bien trop évidents. Ce genre de comportement n’a pas sa place dans notre système judiciaire.

 

[30]           Il n’est pas facile de dire de telles choses, mais comme je l’ai clairement fait savoir dans ma décision du 3 mai 2005, la Cour a le devoir de parler en termes clairs lorsqu’on lui présente une requête dénuée de fondement et injustifiée qui laisse l’animosité personnelle qu’entretiennent les avocats des demanderesses l’emporter sur les droits des parties, l’intégrité des avocats de la partie adverse et de la Cour.

 

        Le comportement des avocats et les dépens

 

[31]           Pour ce qui est des questions touchant les dépens soulevées dans les présentes requêtes, les passages de ma décision du 3 mai 2005 cités ci‑dessus montrent clairement que la Cour a estimé que les documents présentés par les demanderesses à l’appui de la requête relative à la partialité ne constituaient guère qu’une énumération incohérente de faussetés et d’inexactitudes qui avaient non pas pour but de faciliter l’examen de l’affaire au fond mais d’intimider la Cour et de subvertir le processus judiciaire lui‑même de façon à échapper aux conséquences des décisions et des ordonnances rendues contre elles. Après avoir essayé en vain de convaincre deux juges de la Cour fédérale, et la Cour d’appel fédérale à quelques reprises, du bien‑fondé de requêtes et d’appels qui ont fait l’objet d’une instruction complète et équitable, les demanderesses ont essayé de discréditer la Cour fédérale dans son ensemble, et les juges Hugessen et Russell en particulier. Tout cela a entraîné un gaspillage considérable de temps et de ressources. Il est impossible de ne pas sanctionner ce gaspillage et ce comportement. Il convient de prendre une mesure dissuasive pour éviter que ce genre de situation se reproduise. Il ne faudrait pas laisser les demanderesses poursuivre le présent litige en ayant l’impression qu’il leur est possible d’intimider le juge de première instance et la Cour fédérale et de les empêcher de se prononcer sur le fond de l’affaire.

 

[32]           J’affirme ces choses en étant très conscient de la phrase que j’ai empruntée à Mme Eberts dans les motifs de la décision relative à la requête sur la partialité qui concerne le « sentiment d’aliénation, sur lequel on a beaucoup écrit, des premières nations face au système juridique du Canada [...] ». À mon avis, aucun sentiment d’aliénation, aucun grief historique ne peut justifier ou expliquer le mépris de la vérité et de l’exactitude, ni les attaques personnelles sans fondement visant les avocats de la partie adverse et la Cour, qu’ont portées les demanderesses dans la requête relative à la partialité.

 

[33]           La requête relative à la partialité présentée par les demanderesses ne reflètent pas un « sentiment d’aliénation ». Comme je l’ai déclaré dans ma décision du 3 mai 2005, cette requête avait manifestement pour but d’attaquer de façon indirecte des ordonnances de la Cour déjà prononcées et qui n’avaient pas été annulées en appel. Elle constituait une tentative « dénuée de tout fondement et injustifiée » visant à discréditer la Cour fédérale et ses juges, motivée par une animosité personnelle et par le dépit.

 

[34]           Notre système permet déjà de contester les décisions défavorables à une partie; il prévoit un droit d’appel et les demanderesses n’ont jamais hésité à exercer ce droit. Rien n’empêchait les demanderesses de porter en appel les décisions prononcées par les juges Hugessen et Russell qu’elles voulaient contester.

 

[35]           Dans la requête relative à la partialité, les demanderesses ont décidé d’essayer de réduire à néant des jugements qui n’avaient pas été portés en appel – et même des jugements de la Cour d’appel défavorables aux demanderesses – en invoquant tardivement des arguments visant à établir l’existence d’une crainte de partialité systémique de la part de la Cour fédérale, et des juges Hugessen et Russell en particulier, qui, s’ils avaient été retenus, auraient ramené l’instance (au moins) à l’arrêt de la Cour d’appel de 1997. Pour obtenir ce résultat, elles étaient disposées à faire des allégations de crainte de partialité et même de partialité réelle que la Cour a estimées être « dénuée[s] de tout fondement et injustifiée[s] ».

 

[36]           Les constatations et les conclusions auxquelles la Cour en est arrivée dans sa décision du 3 mai 2005 sont toutes valables, mais les aspects suivants revêtent une importance particulière pour les questions de dépens soulevées dans les présentes requêtes. Il est inacceptable que les demanderesses et leurs avocats aient agi de la façon suivante :

(a)                ils ont présenté de façon trompeuse les faits figurant dans le dossier de la Cour (p. ex., en affirmant que la Cour avait suscité une crainte raisonnable de collusion avec la Couronne et les intervenants pour que les demanderesses n’aient pas suffisamment de temps pour rédiger les résumés de témoignage anticipé et préparer le procès avant le 10 janvier 2005, alors que le dossier indique clairement que les demanderesses ont eu le temps qu’elles souhaitaient pour préparer ces résumés et que ce sont les demanderesses qui ont demandé à ce que l’instruction débute le 10 janvier 2005;

(b)               ils ont présenté de façon trompeuse la portée d’une décision judiciaire en espérant que la Cour ne s’en apercevrait pas (p. ex., l’utilisation qu’ont faite les demanderesses de l’affaire Paulette);

(c)                ils ont fait perdre délibérément du temps à la Cour et aux avocats de la partie adverse en présentant des interprétations révisionnistes et biaisées et en formulant des allégations dénuées de fondement et sans aucun rapport avec l’ensemble du dossier (voir l’ensemble du mémoire des demanderesses et les arguments oraux fondés sur celui‑ci);

(d)               ils ont essayé de débattre à nouveau, malgré des avertissements répétés, de questions qui sont manifestement visées par le principe de la chose jugée et pour lesquelles ils n’ont pas obtenu satisfaction en appel;

(e)                ils ont attaqué la réputation et l’intégrité du juge de première instance sans raison valable et sans aucune preuve;

(f)                 ils ont attaqué la réputation et l’intégrité des avocats de la partie adverse sans raison valable, réitéré ces attaques sous serment alors que la Cour s’était déjà prononcée sur la question et avait demandé aux avocats de cesser ce genre de comportement;

(g)                ils ont attaqué l’ensemble de la Cour fédérale dans un accès de dépit, sans aucune justification;

(h)                ils ont formulé des accusations dénuées de fondement et injustifiées relatives à une partialité réelle ou appréhendée;

(i)                  ils ont abusé de la confiance que place la Cour dans les avocats en qualité d’officiers de justice pour tromper la Cour au sujet de la portée d’autres décisions de la Cour (voir, par exemple, l’utilisation qu’ont faite les demanderesses de l’affaire Chef Victor Buffalo);

(j)                 ils ont retardé indûment l’instance et gaspillé le temps de la Cour et des avocats de la partie adverse en présentant des documents mal classés, inexacts, incompréhensibles, en contravention des ordonnances antérieures de la Cour et inadmissibles, et en obligeant ensuite la Cour et les avocats de la partie adverse à reconstituer le dossier et à réfuter les insinuations et les insultes gratuites dont fait état le dossier public.

 

[37]           En fin de compte, ce sont là des choses qu’il faut éviter, ce que font d’ailleurs naturellement la plupart des avocats. Sans ces restrictions, notre système judiciaire ne pourrait pas fonctionner. En outre, les demanderesses ont déjà été averties du fait que le comportement de leurs avocats posait des problèmes, ce qui ne les a pas empêchées d’aller pour une bonne part à l’encontre de ce que la Cour leur avait demandé et ordonné de ne pas faire lorsqu’elles ont présenté leur requête relative à la partialité. Il s’agit là d’un problème grave que la Cour doit essayer de circonscrire et les dépens constituent un des rares outils pratiques que la Cour peut utiliser, dans les circonstances présentes, pour dissuader les avocats d’avoir un comportement qui, comme j’en ai fait le constat dans ma décision du 3 mai 2005, a entraîné la paralysie complète du processus judiciaire en l’espèce.

 

[38]           J’ai formulé les commentaires qui précèdent au sujet du comportement des avocats des demanderesses et de la décision qu’elles ont prise d’assumer leur responsabilité financière à l’égard de ce comportement dans les présentes requêtes, mais je tiens à préciser très clairement que la Cour vise uniquement le comportement de M. Healey et de Mme Twinn. Comme je l’ai fait savoir dans mes motifs du 3 mai 2005, la façon dont M. Shibley a présenté la requête relative à la partialité pour le compte des demanderesses n’est pas en question ici, même si la Cour n’a pas souscrit à ses arguments et estime qu’il a accordé une place trop grande dans ses arguments aux observations écrites de M. Healey et de Mme Twinn. De plus, il convient de préciser que M. Molstad et son équipe du cabinet Parlee McLaws LLP, qui sont désormais les avocats principaux des demanderesses, jouissent de l’entière confiance de la Cour, même s’il demeure préoccupant qu’ils continuent de s’appuyer sur les arguments de Mme Twinn et de M. Healey comme l’a fait M. Shibley. Il existe toutefois des éléments qui donnent à penser que M. Molstad procède à un examen détaillé et indépendant du dossier et du travail effectué par les avocats précédents, ce que la Cour estime très encourageant.

 

LA POSSIBILITÉ POUR LES INTERVENANTS D’OBTENIR DES DÉPENS

 

[39]           Selon l’article 400 des Règles de la Cour fédérale (1998), la Cour a entière discrétion en matière de dépens et l’article 401 précise que la Cour « ordonne que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai » lorsqu’elle est convaincue que la requête n’aurait pas dû être présentée. J’ai déjà déclaré dans ma décision du 3 mai 2005 que la requête relative à la partialité était « dénuée de tout fondement et injustifiée »; elle n’aurait jamais dû être présentée.

 

[40]           Pour ce qui est des intervenants, il ressort de la jurisprudence que, s’ils n’ont pas généralement droit à des dépens, ils peuvent en obtenir lorsque leurs droits sont directement affectés par l’instance et que d’autres éléments militent en faveur de l’attribution de dépens. Par exemple, dans l’affaire récente Lynnview Ridge Residents’ Action Committee c. Imperial Oil, 2005 ABCA 375, la Cour d’appel de l’Alberta a attribué aux intervenants des dépens taxés selon la colonne la plus élevée du tarif de l’Alberta. Après avoir cité de nombreuses décisions dans lesquelles les tribunaux avaient accordé des dépens aux intervenants, la juge Hunt a formulé des directives utiles aux paragraphes 25 et 26 :

[traduction]

Je conclus qu’il existe des situations dans lesquelles il est approprié d’accorder des dépens à un intervenant qui invoque un droit spécial. Ces situations peuvent varier, mais les facteurs qu’il convient de prendre en considération pour décider, le cas échéant, d’écarter la règle générale sont notamment les suivants :

 

·        L’intervenant a‑t‑il participé aux délibérations de la Cour en présentant un point de vue qui n’aurait pas été autrement pris en considération? Subsidiairement, les parties ont‑elles elles‑mêmes présenté les mêmes arguments ou points de vue?

 

·        Existe‑t‑il des dispositions légales ou réglementaires qui se rapportent à l’affaire et qui montrent que l’intervenant a un droit spécial ou un rôle important à jouer?

 

·        Quelle est la nature exacte du droit spécial de l’intervenant? Le droit peut être de nature financière, patrimoniale, non pécuniaire ou autre.

 

D’une façon générale, il n’y a pas lieu de prendre en compte les ressources des intervenants pour décider s’il y a lieu de leur attribuer des dépens : B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, précité, motifs de la juge L’Heureux‑Dubé, au paragraphe 161. D’autres principes peuvent s’appliquer aux affaires qui soulèvent des questions constitutionnelles, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[41]           Dans la présente instance, tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont à plusieurs reprises reconnu le rôle unique qu’ont joué les intervenants dans les requêtes qui ont été présentées successivement ainsi que leur intérêt direct dans celles‑ci et elles leur ont attribué des dépens distincts pour cette raison. Dans mon ordonnance du 19 janvier 2006, par exemple, j’ai conclu de la façon suivante au sujet des dépens relatifs à la requête concernant la « solution viable » présentée par les demanderesses :

[traduction]

La longue histoire de la présente instance a fait constamment ressortir le rôle unique qu’y jouent les intervenants et la reconnaissance qui a été accordée au fait que la demande des demanderesses a un effet direct sur les personnes particulières au nom desquelles les intervenants participent à l’instance. Les intervenants représentent des personnes dont l’appartenance à une bande a été touchée par le projet de loi C‑31 et qui seront directement touchées par l’issue du présent litige.

 

Tout comme la requête relative à une « solution viable » – mais dans une mesure encore plus
large –, la requête relative à la partialité a eu des répercussions importantes sur le déroulement et la conduite de l’instance qui ont directement touché les intérêts des personnes que représentaient les intervenants; en outre, ces intérêts ne coïncidaient pas avec les intérêts ni avec la position de la Couronne.

 

[42]           Interprétée très largement, la requête relative à la partialité avait pour effet de contester de façon indirecte de nombreuses décisions prises par les juges Russell et Hugessen remontant jusqu’en 1997. Si elle avait été accueillie, on pourrait certainement soutenir (et, à mon avis, cela était clair) qu’elle aurait eu pour résultat d’annuler les ordonnances et les directives de la Cour concernant la conduite et le déroulement du procès, la méthode, le contenu et le déroulement de la communication des preuves envisagées ainsi que les modalités et la nature de la participation des intervenants au procès. En effet, dans leurs observations écrites et orales, les demanderesses visaient directement les intervenants et portaient des accusations précises à leur endroit. Cette situation a amené les intervenants à présenter une réponse vigoureuse, détaillée et complète qui allait bien au‑delà des aspects que la Couronne aurait pu aborder dans sa réponse à la requête relative à la partialité déposée par les demanderesses. En outre, dans leur requête relative à la partialité, les demanderesses ont tenté de prendre les devants en y présentant leur position sur l’autonomie gouvernementale, une question d’importance vitale pour les intervenants et au sujet de laquelle la Cour avait besoin de leurs commentaires respectifs.

 

[43]           Grâce au stratagème que constituait la présentation de la requête relative à la crainte de partialité, requête que la Cour a jugée « dénuée de tout fondement et injustifiée », les demanderesses ont lancé une attaque indirecte très large contre les différentes décisions judiciaires prises depuis la décision de la Cour d’appel de 1997 qui renvoyait l’affaire pour nouveau procès. Elles sont mal venues de soutenir aujourd’hui que les intervenants n’auraient pas dû répondre comme ils l’ont fait à une tentative d’une portée si considérable visant à annihiler les fruits de tant d’efforts et de tant de dépenses.

 

[44]           Les demanderesses reconnaissent clairement dans les présentes requêtes, et cela est tout à leur honneur, que [traduction] « la NSIAA, le CNAC(A) et l’AFAC ont droit aux dépens de la requête relative à la partialité ». Elles reconnaissent également que [traduction] « les conclusions de la Cour par lesquelles celle‑ci a rejeté la requête [la requête relative à la partialité] justifient l’attribution de dépens à la NSIAA et au CNAC(A) sur la base avocat‑client à l’égard des aspects de la requête contenant les allégations d’inconduite visant leurs avocats ». Il semble donc, en théorie du moins, que les demanderesses admettent que les intervenants ont droit aux dépens, et à des dépens avocat‑client. Ce qu’elles contestent, c’est l’attribution de [traduction] « dépens avocat‑client pour l’ensemble de la requête aux quatre intervenants » :

[traduction]

7. Les demanderesses ne contestent pas que certaines conclusions de la Cour sur lesquelles celle‑ci s’est fondée pour rejeter la requête relative à la partialité répondent aux conditions d’attribution de dépens avocat‑client à la Couronne. Les demanderesses n’ont pas l’intention d’aborder ou de débattre à nouveau ces conclusions dans le contexte des requêtes relatives aux dépens.

 

8. Il convient toutefois de noter que la Couronne ne demande pas à la Cour de lui attribuer des dépens. La question des dépens de la Couronne a été résolue.

 

9. Les demanderesses soutiennent que la plupart des aspects du comportement des avocats que la Cour estime justifier l’attribution de dépens avocat‑client justifient l’attribution de dépens avocat‑client à la Couronne mais non pas aux quatre intervenants. Elles prétendent que le seul comportement qu’ait mentionné la Cour dans le contexte de la requête relative à la partialité qui soit expressément préjudiciable aux intervenants et non pas à la Couronne était des allégations d’inconduite visant les avocats des intervenants.

 

10. Là encore, les demanderesses admettent que les conclusions de la Cour au sujet des allégations d’inconduite visant les avocats des intervenants justifient l’attribution de dépens avocat‑client pour ce qui est de cet aspect de la requête relative à la partialité. Elles soutiennent toutefois qu’il serait excessif d’attribuer des dépens avocat‑client pour l’ensemble de la requête aux quatre intervenants. À part ces allégations précises, la Couronne a effectivement présenté une réponse à la requête relative à la partialité et la Cour n’est pas saisie de la question du droit de la Couronne à obtenir des dépens.

 

[45]           L’affirmation des demanderesses selon laquelle les quatre intervenants sollicitent des dépens avocat‑client pour l’ensemble de la requête est inexacte. Seule la NSIAA demande des dépens avocat‑client. Le CNAC(A) et l’AFAC demandent des dépens majorés, calculés selon le tarif B, et le CNAC demande des dépens partie‑partie taxés selon les montants de la colonne III du tarif B. Malgré cette inexactitude, je vais examiner les requêtes en tenant pour acquis que les demanderesses proposent que [traduction] « le montant maximum des dépens à attribuer aux intervenants, la NSIAA, le CNAC(A) et l’AFAC à l’égard de la requête relative à la partialité soit calculé selon les valeurs médianes de la colonne V du tarif B, sans application d’un multiplicateur » et que [traduction] « le CNAC n’a pas droit à des dépens pour la requête relative à la partialité » ou tout au plus [traduction] « à des dépens taxés selon les valeurs médianes de la colonne I, sans application d’un multiplicateur ».

 

LA FONCTION ET L’OBJET DES DÉPENS

        Aspects généraux

 

[46]           Les demanderesses font l’affirmation générale que, pour se prononcer sur le droit des intervenants à obtenir des dépens à l’égard des présentes requêtes, la Cour devrait se fonder sur le « principe de l’indemnisation » et ne devrait pas attribuer de dépens [traduction] « supérieurs à une indemnité correspondant aux montants réels qui ont été facturés et versés pour la requête relative à la partialité. Autrement dit, les intervenants ne devraient pas faire de bénéfices grâce à la requête relative à la partialité. »

 

[47]           Les demanderesses soutiennent que, même si la conduite des avocats au cours de la présentation de la requête relative à la partialité justifie l’attribution de dépens avocat‑client à la Couronne, elle ne justifie pas l’attribution par voie de conséquence de dépens avocat‑client, ou de dépens majorés, aux intervenants.

 

[48]           La justification présentée à l’appui de cette position est que [traduction] « le seul comportement qu’ait mentionné la Cour dans le contexte de la requête relative à la partialité qui soit expressément préjudiciable aux intervenants et non pas à la Couronne était des allégations d’inconduite visant les avocats des intervenants ».

 

[49]           J’ai déjà dit que je ne pouvais souscrire à une formulation aussi étroite des éléments de la requête relative à la partialité qui touchaient les intervenants. Avec le recul, il semble que la requête relative à la partialité n’ait été qu’un stratagème visant à contester de façon indirecte les ordonnances judiciaires prononcées par les juges Hugessen et Russell depuis 1997 (certaines ont été confirmées par la Cour d’appel, d’autres n’ont jamais été portées en appel). Et cette contestation indirecte a été lancée malgré les avertissements et les ordonnances de la Cour qui enjoignaient aux demanderesses de cesser de débattre à nouveau de questions qui avaient déjà été tranchées et pour lesquelles elles n’avaient pas eu gain de cause en appel. En plus, comme la Cour l’a déclaré dans ses motifs du 3 mai 2005, cette attaque indirecte visait à saper non seulement toutes les décisions rendues en faveur de la Couronne depuis 1997 mais également toutes les ordonnances et les directives de la Cour visant les intervenants ainsi que leur statut et leur rôle dans cette instance rendues depuis 1997.

 

[50]           Dans le cadre des présentes requêtes relatives aux dépens, les demanderesses ont admis qu’elles étaient responsables du comportement que M. Healey avait eu dans le cadre de la requête relative à la partialité et au cours des étapes qui l’avait précédée. Les observations orales et écrites qu’elles ont fournies à la Cour ne contiennent aucune explication au sujet de la requête relative à la partialité qui soit susceptible d’atténuer de quelque façon que ce soit les conclusions formulées par la Cour dans cette requête ou d’indiquer à la Cour que la requête relative à la partialité avait un autre objet que celui d’être un stratagème permettant d’attaquer de façon indirecte les droits que les intervenants ainsi que la Couronne avaient durement obtenus.

 

[51]           D’une certaine façon, cela est tout à fait louable. Sous la direction de M. Molstad, les demanderesses affirment maintenant qu’elles [traduction] « n’ont pas l’intention d’aborder ou de débattre à nouveau ces conclusions [c.‑à‑d. celles de la requête relative à la partialité] dans le contexte des requêtes relatives aux dépens ». Mais cela veut également dire que pour se prononcer sur le droit des intervenants à obtenir des dépens, la Cour est liée par les conclusions qu’elle a formulées dans le cadre de la requête relative à la partialité et qu’elle doit tirer ses propres déductions du fait que les demanderesses et leurs avocats n’ont pas réagi à ces conclusions. À part l’entente conclue avec les intervenants visant à assumer les conséquences du comportement de M. Healey sur les dépens, les demanderesses n’ont aucunement tenté de se distancier de quelque façon que ce soit de ce comportement. À propos du déplorable mémoire qui accompagnait la requête relative à la partialité, M. Molstad s’est contenté de dire : [traduction] « Il dit ce qu’il dit ». Étant donné que les demanderesses n’ont fourni aucune explication au sujet des graves écarts de comportement liés à la requête relative à la partialité, et compte tenu du fait que M. Healey et Mme Twinn continuent à représenter les demanderesses, rien n’indique que les demanderesses éprouvent le moindre regret au sujet de la requête relative à la partialité, à part le fait qu’elle n’a pas été accueillie. Ceci étant, la Cour doit agir en conséquence et utiliser tous les moyens à sa disposition pour éviter que ne se répète un comportement aussi subversif, perturbateur et excessif que celui que reflète la requête relative à la partialité.

 

        Au‑delà de l’indemnisation

 

[52]           Les demanderesses affirment que la Cour ne devrait pas s’écarter du principe de l’indemnisation pour attribuer et fixer les dépens accordés aux intervenants. Les intervenants, et la NSIAA en particulier, affirment que la Cour peut utiliser les dépens comme une sanction et un moyen dissuasif dans un cas où le comportement reproché justifie l’attribution de dépens avocat‑client ou la majoration des dépens en utilisant un multiplicateur. Les intervenants se fondent principalement, sur ce point, sur l’arrêt qu’a prononcé la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Fullerton c. Matsqui (District) (1992), 74 B.C.L.R. (2d) 311 (C.A.), et sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371.

 

[53]           Dans Fullerton, le juge Cumming, parlant au nom de la majorité, a déclaré ce qui suit à ce sujet aux paragraphes 24 et 25 :

[traduction]

24. À mon avis, la position du service de police de Matsqui est intenable. M. Seckel demande l’application de la jurisprudence relative aux dépens partie‑partie à une situation où d’autres considérations jouent un rôle plus important. Il a raison de soutenir que les dépens partie‑partie n’ont pas pour but de permettre d’accorder un avantage pécuniaire à la partie qui a obtenu gain de cause, mais il ne tient pas compte des motifs précis pour lesquels la Cour a attribué des dépens spéciaux, ni du principe général qui justifie l’adjudication de dépens spéciaux.

 

25. Lorsqu’un tribunal rend une ordonnance adjugeant des dépens spéciaux, il écarte le principe selon lequel les dépens constituent une indemnité et passe à un domaine que j’ai appelé les « dépens au‑delà de l’indemnisation ». Étant donné que les facteurs déterminants ne sont plus l’indemnisation mais la punition et la dissuasion, il importe peu que la partie ayant obtenu gain de cause n’ait aucuns honoraires à payer. C’est ainsi, à mon avis, qu’il convient d’aborder la présente affaire. C’est pour cette raison que Fullerton devrait récupérer des honoraires tant pour le procès de première instance que pour l’appel.

 

[54]           La NSIAA cite également à la Cour le juge LeBel, s’exprimant au nom de la majorité, dans l’arrêt Okanagan, aux paragraphes 22 à 25 :

22. Ces principes fondamentaux continuent à régir les règles de droit relatives à l’attribution de dépens dans les affaires où aucun facteur particulier ne justifierait qu’on y déroge. Le pouvoir d’adjudication de dépens demeure discrétionnaire, mais c’est un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé de façon judicieuse et il faut donc suivre les règles ordinaires relatives à cette question à moins que les circonstances ne justifient une approche différente. Depuis un certain temps, toutefois, les tribunaux reconnaissent que l’indemnisation de la partie victorieuse ne constitue pas le seul objectif et, dans certains cas, pas même l’objectif principal de l’attribution de dépens. Voici ce qui est écrit dans Orkin, op. cit., p. 2‑24.2 :

 

[traduction] Le principe de l’indemnisation, bien que primordial, n’est pas la seule considération retenue par le tribunal appelé à rendre une ordonnance de paiement des dépens; ce principe a même été qualifié de « désuet » puisqu’une telle ordonnance peut servir d’autres fins, par exemple encourager les règlements, prévenir les litiges futiles ou vexatoires et décourager les démarches inutiles.

 

23. Le principe de l’indemnisation a été qualifié de « désuet » dans la décision Fellowes, McNeil c. Kansa General International Insurance Co. (1997), 37 O.R. (3d) 464 (Div. gén.), p. 475. Dans cette affaire, la partie victorieuse était un cabinet d’avocats. L’un de ses associés avait agi pour le compte de ce dernier. Traditionnellement, les tribunaux qui appliquent le principe de l’indemnisation permettent à une partie non représentée de taxer uniquement les débours et non les honoraires d’avocats, la partie ne pouvant être indemnisée des honoraires d’avocats qu’elle n’a pas payés. La juge Macdonald a estimé que, d’une manière générale, le principe de l’indemnisation demeurait toujours une considération primordiale en matière de dépens, mais que son application était « désuète » dans une affaire de cette nature. La cour devrait également recourir à l’attribution des dépens afin d’encourager les règlements, de prévenir les actions et les défenses frivoles et de décourager les démarches futiles dans le cadre du litige. Ces objectifs pourraient être atteints au moyen d’une ordonnance de paiement de dépens en faveur d’une partie qui n’y aurait peut‑être pas droit selon le seul principe de l’indemnisation de la partie victorieuse.

 

24. De même, dans Skidmore c. Blackmore (1995), 2 B.C.L.R. (3d) 201, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a affirmé au par. 28 que [traduction] « le principe selon lequel les dépens sont accordés dans le seul but d’indemniser la partie gagnante des honoraires et débours d’avocats est maintenant périmé ». La cour a conclu que le profane non représenté par avocat devrait avoir le droit de taxer les frais du recours à la justice, écartant ainsi sa décision dans Kendall c. Hunt (No. 2) (1979), 16 B.C.L.R. 295. Selon la cour, il s’agissait là d’un changement progressif en common law [traduction] « lorsqu’on l’examine dans le contexte global de la tendance à accorder des dépens pour encourager ou décourager certains types de comportement et non simplement pour indemniser la partie gagnante » (par. 44).

 

25. Comme l’illustrent les décisions Fellowes et Skidmore, les règles modernes d’attribution des dépens visent des objectifs divers outre le traditionnel objectif de l’indemnisation. Une ordonnance d’adjudication des dépens peut viser à pénaliser la partie qui a refusé une offre de règlement raisonnable; cette politique a été codifiée dans les règles de pratique des tribunaux de plusieurs provinces (voir, p. ex., les Rules of Court de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, par. 37(23) à 37(26); les Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, par. 49.10; les Règles de la Cour du Banc de la Reine, Règl. du Man. 553/88, règle 49.10). L’attribution des dépens peut également servir à sanctionner des conduites qui ont prolongé la durée du litige, ou en ont augmenté le coût ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires. Bref, les tribunaux utilisent maintenant couramment le pouvoir d’adjudication des dépens comme un instrument destiné à favoriser l’administration efficace et ordonnée de la justice.

 

[55]           Les demanderesses cherchent à établir une distinction d’avec l’arrêt Fullerton en se fondant sur les faits de cette affaire et affirment que l’arrêt Okanagan confirme que [traduction] « le principe de l’indemnisation continue à jouer un rôle ‘primordial’ dans les règles en matière de dépens » et que la Cour n’a le pouvoir d’écarter le principe de l’indemnisation qu’en présence de « facteurs particuliers ». Les demanderesses affirment que [traduction] « ces facteurs particuliers existent lorsque la partie qui a droit aux dépens ne recevrait rien si l’on appliquait strictement le principe de l’indemnisation [...] ».

 

[56]           Il me semble que, dans l’arrêt Okanagan, la Cour suprême du Canada n’a pas limité l’utilisation des dépens comme mesure d’intervention judiciaire comme le prétendent les demanderesses.

 

[57]           La Cour suprême du Canada a précisé les aspects suivants dans l’arrêt Okanagan :

(a)                « Depuis un certain temps, toutefois, les tribunaux reconnaissent que l’indemnisation de la partie victorieuse ne constitue pas le seul objectif et, dans certains cas, pas même l’objectif principal de l’attribution de dépens » (par. 22);

(b)               « Comme l’illustrent les décisions Fellows et Skidmore, les règles modernes d’attribution des dépens visent des objectifs divers outre le traditionnel objectif de l’indemnisation » (par. 25);

(c)                « L’attribution des dépens peut également servir à sanctionner des conduites qui ont prolongé la durée du litige, ou en ont augmenté le coût ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires » (par. 25);

(d)               « Bref, les tribunaux utilisent maintenant couramment le pouvoir d’adjudication des dépens comme un instrument destiné à favoriser l’administration efficace et ordonnée de la justice » (par. 25);

(e)                « [...] ce souci se situe dans la ligne de l’évolution naturelle du droit de reconnaître les objectifs connexes d’intérêt public que favorise l’approche moderne de l’attribution des dépens » (par. 26);

 

[58]           Les situations précises qu’a mentionnées la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Okanagan visent manifestement à illustrer l’approche moderne à l’attribution de dépens et non pas à en limiter la portée. S’il est possible d’utiliser les dépens, comme la Cour suprême le donne à penser, pour « sanctionner des conduites qui ont prolongé la durée du litige, ou en ont augmenté le coût ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires », alors faire de l’indemnisation le principal objectif des dépens ôterait toute utilité à ce type de sanction.

 

[59]           Comme il ressort clairement de mes conclusions au sujet de la requête relative à la partialité, il est difficile d’imaginer un acte de procédure qui puisse être plus nettement dénué de tout fondement, qui ait davantage prolongé de façon déraisonnable la durée et augmenté le coût de l’instance ou qui ait été aussi déraisonnable et vexatoire que cette requête. Les demanderesses elles‑mêmes admettent qu’il ne fait aucun doute que [traduction] « certaines conclusions de la Cour sur lesquelles celle‑ci s’est fondée pour rejeter la requête relative à la partialité répondent aux conditions d’attribution de dépens avocat‑client à la Couronne ».

 

[60]           Les demanderesses affirment cependant qu’elles en sont arrivées à un règlement sur cette question avec la Couronne et que [traduction] « la plupart des aspects du comportement des avocats que la Cour estime justifier l’attribution de dépens avocat‑client justifient l’attribution de dépens avocat‑client à la Couronne mais non pas aux quatre intervenants ».

 

[61]           Je dirais pour commencer que je ne pense pas que l’on puisse présenter de cette façon les conclusions auxquelles j’en suis arrivé dans la requête relative à la partialité. Ces conclusions ne sont pas, comme le donnent à penser les demanderesses, que [traduction] « le seul comportement qu’ait mentionné la Cour dans le contexte de la requête relative à la partialité qui soit expressément préjudiciable aux intervenants et non pas à la Couronne était des allégations d’inconduite visant les avocats des intervenants ».

 

[62]           La Cour a expressément déclaré au paragraphe 123 de son examen de la requête relative à la partialité que, comme conséquence maximale, accorder la mesure de redressement sollicitée par les demanderesses « ramènerait l’instance au stade où elle en était après la décision de 1997 de la Cour d’appel fédérale » de sorte que « toutes les avenues seraient possibles et les parties [et cela comprend les intervenants] devraient emprunter de nouveau la voie tortueuse faite de la confrontation au sujet des actes de procédure, de la preuve, des interrogatoires préalables et, en fait, de tout ce qui a pu se produire depuis 1997 ». La Cour a également déclaré ce qui suit aux paragraphes 380 à 383 de sa décision du 3 mai 2005 :

[...]

 

380. M. Shibley a affirmé à maintes reprises qu’il n’attaquait pas les ordonnances rendues dans le cadre de la présente action et qu’il ne demandait pas à les faire annuler. Il soutient que ces ordonnances ne sont que des faits et il vise à démontrer que leur contenu et leur effet peuvent être cernés et, le cas échéant, autoriser une crainte raisonnable de partialité :

 

            [traduction]

Notre demande ne vise pas à faire annuler ces ordonnances. Ce que nous disons, c’est que les conséquences – et les circonstances entourant la formulation de ces commentaires et des ordonnances en soi, tout cela est pertinent quant à la question sur laquelle porte la présente demande, car ce sont toutes des circonstances factuelles que la personne raisonnable est censée connaître.

 

[...]

 

On dit que c’est res judicata, bien sûr que ce l’est, et puis après? On dit qu’il n’y a pas eu appel, et puis après?

 

(Transcription, vol. 2, page 29 : 25 à 30‑24)

 

381. Je rejette cet argument, car si je me récuse, cela entraînera l’annulation des ordonnances que j’ai rendues, y compris celles d’entre elles que les demanderesses ont acceptées et n’ont pas portées en appel. Les ordonnances sont donc contestées et la méthode utilisée est la récusation, ce qui, le cas échéant, aurait pour effet de permettre aux demanderesses de faire valoir leur argumentation auprès d’un autre juge, tout de bon, sans avoir à se soucier des inconvénients d’un appel. En outre, les demanderesses veulent maintenant avoir leur mot à dire sur le choix du nouveau juge.

 

382. Contrairement à ce que soutiennent les demanderesses, le principe de la res judicata n’est pas une simple question « technique ». Si elles peuvent contourner la Cour d’appel fédérale et faire valoir leur cause de novo auprès d’un juge dont elles approuvent le choix, alors le principe de la res judicata perd sa valeur cardinale dans l’administration de la justice.

 

383. Contrairement à ce qu’elles prétendent, les demanderesses ont entrepris en l’espèce une démarche qui a toutes les allures d’une attaque collatérale et d’arrière‑garde contre les ordonnances du juge Russell.

 

[63]           Les demanderesses ont décidé de ne pas contester ces conclusions et elles doivent maintenant s’en accommoder. Interprétée très largement, on pourrait bien sûr voir dans la requête relative à la partialité une attaque collatérale et d’arrière‑garde contre les ordonnances prononcées par le juge Hugessen. Les demanderesses n’ont pas non plus sérieusement contesté ces conclusions. En fait, elles n’ont fourni aucune excuse ni aucune explication au sujet du comportement de leurs avocats dans la préparation et la conduite de la requête relative à la partialité. Ce sont les demanderesses qui ont décidé de formuler la requête relative à la partialité de façon tellement large qu’elle risquait de remettre en question toutes les mesures prises au moins depuis 1997 dans l’instance. Ce n’est qu’aujourd’hui que, prenant conscience des répercussions pécuniaires de leur attaque, elles cherchent à en minimiser les conséquences.

 

[64]           Ce sont également les demanderesses qui ont décidé de placer encore une fois les intervenants dans une position qui les obligeait à défendre de façon vigoureuse et générale leur statut et le rôle qu’ils jouaient dans l’instance. Les demanderesses ne peuvent affirmer aujourd’hui que la requête relative à la partialité ne touchait les intervenants que dans la mesure où les allégations visaient expressément les [traduction] « avocats des intervenants ».

 

[65]           Pour ce qui est du type de sanction que la Cour pourrait estimer nécessaire en l’espèce, la Cour n’a aucune connaissance des ententes qui ont pu intervenir entre les demanderesses et la Couronne et elle ne sait pas si ces ententes constituent, à elles seules, un élément dissuasif approprié dans les circonstances. Ce n’est pas parce que la Couronne est satisfaite que la Cour doit estimer que le comportement inqualifiable qu’ont eu les demanderesses dans le cadre de la requête relative à la partialité a été sanctionné de façon satisfaisante et que cela favorisera « l’administration efficace et ordonnée de la justice », comme l’a précisé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Okanagan.

 

[66]           En fait, le silence des demanderesses, tout comme celui de Mme Twinn et de M. Healey, au sujet des conclusions concernant la requête relative à la partialité, indique à la Cour qu’ils n’ont aucun regret et qu’il serait bon que la Cour prenne les mesures nécessaires pour éviter que ne se répète une conduite qui pourrait découler à l’avenir d’une attitude marquée par une absence totale de regrets. C’est un aspect particulièrement important puisque les demanderesses, malgré la nomination de M. Molstad, poursuivent la présente action avec le concours de Mme Twinn en qualité d’avocate inscrite au dossier et (apparemment) avec celui de M. Healey comme membre de l’équipe. Leur influence est donc toujours possible et il convient par conséquent de la surveiller soigneusement et de la circonscrire.

 

[67]           Il convient également de rappeler que, dans le cadre de la requête relative à la partialité, les demanderesses ont adopté diverses formes de comportement que la Cour leur avait déjà ordonné d’éviter. Elles ont repris des accusations dénuées de fondement contre les avocats de la partie adverse, et ce, sous serment. Elles ont gaspillé le temps et les ressources en présentant des documents et des arguments prolixes et trompeurs; elles ont déposé des documents en violation de l’article 82 des Règles; elles ont contesté de façon indirecte des ordonnances et des questions qui avaient été tranchées en leur défaveur il y a bien longtemps et qui étaient visées par le principe de la chose jugée. Ce comportement a directement touché les intervenants et leurs droits. Il est difficile d’imaginer comment la Cour peut respecter son obligation d’apporter au litige la solution qui soit la plus juste, la plus expéditive et la plus économique possible alors que les demanderesses ne semblent pas estimer qu’elles sont liées par les ordonnances de la Cour. Je ne suis pas non plus le premier juge dans la présente instance à penser que jusqu’ici, les demanderesses ne semblent pas estimer que les ordonnances de la Cour veulent dire quelque chose. C’est un problème récurrent auquel il faut remédier. Il est déjà arrivé au juge Hugessen de constater à l’occasion que les ordonnances et les règles n’étaient pas respectées et « une tendance au manque de collaboration et à l’obstruction de la part de l’avocat du demdandeur ».

 

[68]           Il se pourrait que les faits de la présente affaire justifient que soient officiellement intentées des poursuites pour faute professionnelle et outrage au tribunal mais, comme je l’ai déjà mentionné, j’estime que cela ne serait pas souhaitable à ce moment‑ci, étant donné que les demanderesses ont déclaré à la Cour qu’elles étaient surchargées de travail à cause du grand nombre de requêtes présentées et que, jusqu’à l’arrivée de M. Shibley et de M. Molstad, le déroulement de l’instance était entravé par des questions reliées au comportement des avocats. La situation a changé du tout au tout depuis que M. Molstad a assumé le rôle d’avocat principal pour les demanderesses. La Cour ne souhaite pas compromettre les progrès réalisés sur ce point en détournant les énergies et les ressources des parties et de la Cour du déroulement du procès et en rouvrant de vieilles blessures qu’il est préférable de laisser en l’état. Dans les circonstances actuelles, l’adjudication de dépens appropriés est la seule façon efficace de trancher les questions de comportement mises en relief par la requête relative à la partialité et parallèlement d’aller de l’avant dans l’esprit de collaboration que M. Molstad semble avoir établi avec les avocats de la Couronne et des intervenants, ce dont je les félicite tous.

 

        Conclusion sur les principes généraux

 

[69]           Je ne vois aucune décision ou précédent qui empêcherait par principe la Cour de suivre les directives qu’a formulées la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Okanagan au sujet de l’utilisation des dépens comme sanction, même dans le cas où des dépens sont accordés aux intervenants, dans une situation comme celle‑ci :

(a)                La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toujours reconnu que les intervenants invoquaient dans la présente affaire des droits précis qui justifiaient l’adjudication de dépens en leur faveur;

(b)               La requête relative à la partialité concernait directement les intérêts généraux des intervenants, ce que les demanderesses devaient manifestement savoir;

(c)                Il était raisonnable de s’attendre à ce que les intervenants répondent, ce qu’ils ont fait de façon raisonnable, à la requête relative à la partialité de façon à protéger leurs intérêts, leur statut et le rôle que leur avait assigné la Cour dans la présente affaire;

(d)               La requête relative à la partialité était dénuée de tout fondement et injustifiée et n’aurait jamais dû être présentée; de plus, le comportement de M. Healey, conforté par celui de Mme Twinn, était répréhensible, scandaleux et outrageant;

(e)                Les répercussions sur les dépens du comportement inqualifiable des avocats dans le cadre de la requête relative à la partialité ont été assumées par les demanderesses;

(f)                 Les demanderesses ont déjà à plusieurs reprises refusé de respecter les ordonnances de la Cour et n’ont exprimé aucun regret, ni fourni d’explication pour la présentation de la requête relative à la partialité qui, en plus d’être entièrement déraisonnable, outrageante et vexatoire, a augmenté le coût et les frais de l’instance de façon tout à fait injustifiée.

 

[70]           La Cour n’adjuge des dépens avocat‑client que si elle estime que le comportement en cause est répréhensible, scandaleux ou outrageant. Comme les demanderesses l’ont admis, ma décision du 3 mai 2005 contient diverses conclusions qui vont en ce sens. La chose la plus répréhensible est peut‑être d’avoir porté des allégations de partialité et d’inconduite infondées contre les avocats de la partie adverse et la Cour. Comme l’a déclaré le juge Galligan dans l’affaire Chin c. Salvation Army Scarborough Grace General Hospital (1988), 28 O.A.C. 388 (C. div. Ont.), au paragraphe 39 :

[traduction]

[...]

 

39. La Cour ne peut empêcher les parties de formuler des allégations dénuées de fondement comme celles‑ci, mais elle peut néanmoins pénaliser celles qui le font. Les cours de justice ont depuis longtemps l’habitude d’adjuger des dépens avocat‑client contre les parties qui formulent, dans le cadre d’une instance judiciaire, des allégations de fraude dénuées de tout fondement. Il me semble que le principe qui sous‑tend cette pratique s’applique avec une force égale, voire supérieure, aux personnes qui formulent des allégations de partialité, d’arbitraire et de malhonnêteté dénuées de tout fondement contre les tribunaux qui exercent des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires.

 

[...]

 

 

LES DEMANDES RELATIVES AUX DÉPENS DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE : LES QUESTIONS COMMUNES

 

 

        Indemnisation ou taxation objective

 

[71]           À cause des facteurs aggravants mentionnés ci‑dessus, chacun des intervenants a présenté une demande de dépens concernant la requête relative à la partialité qui sont supérieurs, affirment les demanderesses, aux montants qui ont effectivement été facturés et versés.

 

[72]           Les demanderesses invoquent, à titre de principe général, le fait que [traduction] « les intervenants ne devraient pas obtenir des dépens supérieurs à une indemnité correspondant aux montants réels qui ont été facturés et versés pour la requête relative à la partialité. Autrement dit, les intervenants ne devraient pas faire de bénéfices grâce à la requête relative à la partialité. » Là encore, il me semble que les demanderesses tentent de limiter les dépens par l’application du principe de l’indemnisation dans une situation qui exige une sanction.

 

[73]           Les dépens demandés par les intervenants sont supérieurs aux montants réels facturés et payés parce qu’apparemment, le taux horaire utilisé est fondé sur les taux de facturation raisonnables pour les avocats principaux et les avocats adjoints (350 $ et 175 $ de l’heure respectivement dans le cas de la NSIAA) plutôt que sur les taux horaires fixés dans les ententes de financement d’une cause type aux termes desquelles les intervenants participent à l’instance.

 

[74]           La Cour doit donc décider si, en tenant pour acquis, comme je l’ai fait, que les faits de l’espèce exigent que soit prise une sanction sous la forme de l’attribution aux intervenants de dépens majorés, cette sanction peut dépasser ou non les montants réellement facturés et versés.

 

[75]           D’un côté, le fait d’utiliser des taux objectifs et raisonnables plutôt que les taux effectivement facturés peut amener les intervenants à faire une sorte de bénéfice. Par contre, établir la sanction en fonction d’un taux horaire plus faible que le taux habituel permettrait aux demanderesses de tirer avantage des ententes de financement des causes types dans un cas où elles ont obligé la Cour et les intervenants à supporter des coûts importants, leur ont causé de graves inconvénients à cause d’une requête dénuée de fondement et injustifiée, où elles ont lancé des accusations outrageantes contre la réputation du juge de première instance et des avocats de la partie adverse, où elles n’ont fourni aucune explication ou réponse aux conclusions du 3 mai 2005 de la Cour, et où elles ont démontré qu’elles étaient capables de ne tenir aucun compte des ordonnances de la Cour et de n’éprouver aucun regret à ce sujet. En fait, s’il a jamais existé une affaire dans laquelle il faut clairement indiquer à une des parties au litige qu’elle ne peut conduire une instance comme cela est décrit dans la décision de la Cour du 3 mai 2005, c’est bien la présente.

 

[76]           L’avocat de la NSIAA a attiré mon attention sur les ressemblances qui existent entre la présente affaire et la situation à laquelle faisait face la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Chin, dans laquelle le juge Galligan a tenu le raisonnement suivant aux paragraphes 38, 40 et 41 :

[traduction]

38. Il reste une question à aborder. Le principal moyen d’appel n’était pas seulement que la commission d’appel avait fait preuve de partialité, mais qu’elle avait agi de façon arbitraire et malhonnête. C’est là une allégation très grave. À l’exception d’une allégation concernant l’acceptation de pots‑de‑vin, c’est peut‑être l’allégation la plus grave qui puisse être faite contre les personnes qui exercent des fonctions judiciaires. L’objectivité, la sagesse et l’honnêteté sont des éléments fondamentaux de la fonction judiciaire. Il serait inacceptable qu’un de ces éléments soit absent. Outre le caractère insultant de ces allégations non fondées pour la fonction judiciaire, elles portent également gravement atteinte à l’honneur des personnes qui composaient la commission d’appel dans cette affaire.

 

[...]

 

40. Il est possible que le DChin soit déçu qu’un tribunal administratif indépendant ait estimé que sa demande de poste à l’hôpital n’ait pas été jugée aussi méritoire que les deux autres et conclu qu’en raison de sa personnalité, il n’était pas un candidat aussi approprié que les autres. Le fait que sa candidature n’ait pas été retenue ne veut pas dire que les personnes qui se sont prononcées à ce sujet ont fait preuve de partialité, d’arbitraire et de malhonnêteté. Ses reproches m’apparaissent n’être en fait que les lamentations pitoyables d’un mauvais perdant. Si, par dépit, il décide de lancer des accusations calomnieuses en qualifiant de partiales, arbitraires et malhonnêtes les personnes exerçant des fonctions publiques et qui doivent agir à ce titre de façon juste, sage et honnête, il ne peut s’attendre à le faire en toute impunité pour le seul motif que ses allégations sont présentées dans le cadre d’une instance judiciaire. Pour sanctionner le fait qu’il a formulé des allégations dénuées de fondement en matière de partialité, d’arbitraire et de malhonnêteté, je me propose d’accorder au défendeur les dépens du présent appel sur la base avocat‑client. Cette adjudication des dépens pourrait avoir un effet dissuasif sur ceux qui envisageraient de formuler des allégations dénuées de fondement en matière de partialité, d’arbitraire et de malhonnêteté contre des personnes qui exercent des fonctions judiciaires.

 

41. Lorsqu’il existe des motifs raisonnables de présenter ce genre d’allégations, alors bien sûr il faut les présenter sans craindre quoi que ce soit. L’adjudication des dépens en l’espèce ne vise pas à dissuader les personnes qui ont de bonnes raisons d’attaquer un tribunal administratif dont les membres auraient fait preuve de partialité, d’arbitraire ou de malhonnêteté. J’estime cependant que le fait de formuler sans fondement des allégations de ce genre est répréhensible.

 

[77]           Je reconnais que le comportement des avocats dans le cadre de la requête relative à la partialité est suffisamment grave pour justifier l’octroi aux intervenants de dépens avocat‑client, mais la Cour doit décider ici si elle doit accepter une demande de dépens fondée sur des taux horaires objectivement raisonnables plutôt que sur les montants effectivement facturés et payés. Dans l’arrêt Lynnview, la juge Hunt de la Cour d’appel de l’Alberta a fait remarquer que [traduction] « D’une façon générale, il n’y a pas lieu de prendre en compte les ressources des intervenants pour décider s’il y a lieu de leur attribuer des dépens : B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, précité, motifs de la juge L’Heureux‑Dubé, au paragraphe 161 ».

 

[78]           Les intervenants signalent que les juridictions de la Colombie‑Britannique et de l’Ontario ont décidé que les ententes de financement conclues par une partie n’étaient pas pertinentes quant à une demande de dépens et qu’il n’était pas nécessaire de les divulguer; ils citent à la Cour les décisions Rohani c. Rohani, 2003 BCSC 1500 (C.S.C.‑B.), et Ramcharitar c. Ramcharitar (2002), 62 O.R. (3d) 107 (C.S. Ont.). Ils mentionnent également d’autres affaires dans lesquelles il a été décidé que, même lorsque le tribunal est au courant des modalités des ententes spéciales de financement, il ne doit pas en tenir compte dans l’attribution des dépens. Voir Rogers c. Sudbury (Administrator of Ontario Works) (2001), 57 O.R. (3d) 467 (C.S. Ont.); Young c. Toronto Star Newspapers Ltd., [2003] O.J. no 5092; Fullerton c. Matsqui (District) (1992), 74 B.C.L.R. (2d) 311, 12 C.P.C. (3d) 319, 19 B.C.A.C. 284, 34 W.A.C. 284; et Skidmore c. Blackmore 2 B.C.L.R. (3d) 201, [1995] 4 W.W.R. 524, (1995) 122 D.L.R. (4th) 330, 35 C.P.C. (3d) 28, 27 C.P.R. (2d) 77, 55 B.C.A.C. 191, 90 W.A.C. 191. Je note que le juge LeBel a examiné la décision Skidmore dans l’arrêt Okanagan.

 

[79]           Le registraire Blok, dans la décision Rohani (une affaire dans laquelle le tribunal a accordé des dépens avocat‑client), semble conforter la position des intervenants au sujet du caractère objectif de la taxation, aux paragraphes 31 et 32 :

[traduction]

31. La jurisprudence citée par le demandeur m’a convaincu du fait que les dépens spéciaux sont des dépens qui vont au‑delà de l’indemnisation et qu’ils doivent être évalués de façon objective sans tenir compte des frais judiciaires effectivement versés. Comme l’a déclaré le juge Bouck dans la décision Bradshaw Construction Ltd. c. Bank of Nova Scotia, au paragraphe 27 :

 

[traduction] En fait, les dépens spéciaux sont les honoraires qu’un client raisonnable verserait à un avocat raisonnablement compétent pour fournir les services décrits dans le mémoire.

 

32. Par conséquent, tout comme une partie ne peut présenter de preuve concernant les frais judiciaires effectivement payés pour demander une majoration des dépens spéciaux, il n’est pas non plus approprié d’utiliser ce genre de preuve pour demander de réduire le montant des dépens accordés. Ces preuves ne sont pas pertinentes.

 

[80]           Dans la décision Ramcharitar, la juge Wein examinait l’effet de l’existence d’un régime d’aide juridique sur le calcul des dépens, mais j’estime que les observations qu’elle a formulées dans cette affaire sont utiles pour la présente instance dans laquelle une ordonnance du protonotaire Giles prononcée le 27 avril 2000 établit que [traduction] « les contrats conclus entre l’AFAC et le Programme canadien de contestation judiciaire ainsi qu’entre l’AFAC et le Programme de financement des causes types du ministère des Affaires indiennes sont visés par le secret professionnel et les parties concernées n’y ont pas renoncé » :

[traduction]

10. Dans la décision O’Sullivan c. Lindley, [2000] O.J. no 3965 (C.J. Ont. [en chambre]), la Cour a jugé que les dépens devaient être taxés sans tenir compte du fait que le plaideur bénéficiait d’une aide juridique.

 

[traduction] La jurisprudence est très claire sur ce point : le tribunal doit taxer les dépens en ne tenant aucun compte du fait que le plaideur reçoit peut‑être une aide juridique.

 

La Cour est allée plus loin et a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Lorsque l’existence d’un certificat d’aide juridique a été divulguée, il est inapproprié de mentionner, au cours des débats sur les dépens, l’existence de ce certificat de l’aide juridique.

 

[...]

 

26. L’article 89 de la Loi sur l’aide juridique précise que toutes les communications d’ordre juridique entre Aide juridique Ontario et l’auteur d’une demande de services d’aide juridique sont protégées par le secret professionnel de la même manière et dans la même mesure que les communications entre un procureur et son client. L’article 90 de la Loi interdit la divulgation de ces renseignements confidentiels sans l’assentiment de l’auteur de la demande.

 

27. Il a été jugé que, si le fait qu’une partie est bénéficiaire de l’aide juridique est communiqué à la Cour de façon délibérée ou non, celle‑ci a l’obligation de ne pas tenir compte de ce renseignement dans l’adjudication des dépens : voir O’Donnell c. O’Donnell, [1996] O.J. no 2498 (Div. prov. Ont.) et O’Sullivan c. Lindley (précitée). Par conséquent, Aide juridique Ontario ne peut divulguer aucun renseignement ni aucun document sans le consentement du bénéficiaire. Un tribunal ne doit donc pas ordonner à Aide juridique de divulguer ce type de document.

 

[...]

 

29. Dans le cas d’un bénéficiaire de l’aide juridique, étant donné que les dépens devraient être taxés comme si l’aide juridique n’avait pas été accordée, il n’est pas nécessaire de divulguer l’existence d’une entente relative aux honoraires conclue par le bénéficiaire et Aide juridique Ontario et il n’y a pas lieu d’écarter le principe de la confidentialité des communications entre un procureur et son client qui est reconnu par la Loi sur l’aide juridique.

 

30. Par conséquent, le demandeur présentera un mémoire des dépens qui mentionnera le montant total des honoraires facturés au taux habituel demandé par le procureur.

 

[81]           Les demanderesses tentent de réfuter cette argumentation et d’écarter ces décisions en attirant l’attention de la Cour sur une série d’affaires qui donneraient à penser que les ententes financières constituent un facteur pertinent quant à l’adjudication des dépens par les tribunaux et que la Cour doit en tenir compte. Il s’agit des affaires Lawyers’ Professional Indemnity Co. c. Geto Investments Ltd., [2002] O.J. no 921 (C.S.J.); TransCanada Pipelines Ltd. c. Potter Station Power Limited Partnership, [2003] O.J. no 2440 (C.A.); Stellarbridge Management Inc. c. Magna International (Canada) Inc., [2004] O.J. no 2102 (C.A.); Ross c. Welsh, [2003] O.J. no 4659 (C.S.J.).

 

[82]           La Cour note cependant que cette série de décisions traite de « l’indemnisation » dans les situations partie‑partie. Les juridictions mentionnées cherchaient à accorder une indemnité, totale ou partielle, correspondant aux montants effectivement dépensés. Elles n’envisageaient pas d’utiliser les dépens comme sanction, cas auquel d’autres principes s’appliquent. J’estime par conséquent que ces affaires ne sont pas d’un grand secours dans le cas où le tribunal a décidé qu’il était justifié d’attribuer des dépens avocat‑client ou des dépens majorés à titre de sanction.

 

[83]           Les demanderesses affirment également que l’officier taxateur Stinson de la Cour a remis en question le principe « des dépens au‑delà de l’indemnisation » énoncé dans l’arrêt Fullerton, dans les motifs qu’il a prononcés dans l’affaire Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1996] A.C.F. no 760 (1re inst., Off. taxateur, au par. 24).

 

[84]           Pour ce qui est de l’utilisation des dépens à titre de sanction, je suis lié par l’arrêt Okanagan de la Cour suprême du Canada, cité ci‑dessus, et tenu d’en appliquer les directives. Pour ce qui est du recours à une taxation objective, je ne pense pas que l’officier taxateur Stinson ait été appelé à aborder cette question dans la décision Byers et j’estime que les observations qu’il formule dans cette affaire ne sont pas applicables ici.

 

[85]           Dans l’ensemble, j’estime que la jurisprudence citée par les intervenants sur ce point est convaincante et devrait être appliquée ici. Mais au‑delà de ces arguments, j’estime que le recours à une taxation objective convient aux faits de la présente affaire et aux objectifs que recherche la Cour en attribuant des dépens en faveur des intervenants.

 

[86]           Dans le cas où la Cour estime qu’il est nécessaire de sanctionner un comportement méprisant, outrageant et particulièrement excessif pour éviter que ne se répète ce genre de choses, l’utilisation de taux horaires inférieurs à ce qui est habituel et raisonnable pour les avocats concernés et des taux prévus par les ententes financières relatives aux causes type qui ont été conclues dans l’intérêt public ne transmettrait pas aux demanderesses le message que la Cour estime devoir leur envoyer, parce que ces taux auraient pour effet de réduire le montant des dépens attribués en l’espèce.

 

[87]           En outre, vu les faits de la présente affaire, l’attribution des montants effectivement facturés et versés ne tiendrait pas compte du gaspillage tout à fait injustifié, des troubles et des répercussions financières qu’a occasionnés la requête relative à la partialité aux intervenants, à leurs avocats et au trésor public. Il y a lieu de dissuader des plaideurs, qui ont été sommés à plusieurs reprises de s’amender, de gaspiller inutilement les ressources judiciaires et, dans le contexte de la présente instance, qui exigera que soit accompli un travail énorme avant que le procès puisse commencer et qui exigera de nombreuses audiences de la Cour, le seul outil pratique dont dispose la Cour est l’imposition d’une sanction sévère, évaluée de façon objective.

 

        Les autres facteurs

 

[88]           La principale raison avancée par les demanderesses pour montrer que les demandes de dépens présentées par les intervenants sont excessives et déraisonnables est que [traduction] « la Couronne a effectivement présenté une réponse à la requête relative à la partialité et la Cour n’est pas saisie de la question du droit de la Couronne à obtenir des dépens ». J’ai déjà expliqué clairement pourquoi je ne pouvais retenir cet argument et pourquoi je ne pensais pas que, comme le prétendent les demanderesses, [traduction] « le seul comportement qu’ait mentionné la Cour dans le contexte de la requête relative à la partialité qui soit expressément préjudiciable aux intervenants et non pas à la Couronne était des allégations d’inconduite visant les avocats des intervenants ». J’ai expressément conclu dans ma décision sur la requête relative à la partialité que les demanderesses avaient lancé une attaque « dénuée de tout fondement et injustifiée » contre la Cour fédérale et certains juges et que cette attaque aurait pu faire en sorte, comme conséquence maximale, que « toutes les avenues [soient] possibles », et que les parties, ce qui comprend les intervenants, soient obligées d’« emprunter de nouveau la voie tortueuse faite de la confrontation au sujet des actes de procédure, de la preuve, des interrogatoires préalables et, en fait, de tout ce qui a pu se produire depuis 1997 ». Les demanderesses n’ont pas contesté par la voie autorisée ces conclusions, de sorte qu’elles demeurent aux fins des présentes requêtes relatives aux dépens. Il en va de même de mes conclusions selon lesquelles « ces pratiques, ces excès et cette verbosité contestables tout étalés dans la documentation obligent les avocats adverses et la Cour à consacrer beaucoup de temps pour les corriger et freinent considérablement le progrès de l’instance. Cela devra manifestement être pris en compte au moment de l’adjudication des dépens ».

 

[89]           À l’audience relative aux requêtes sur les dépens, les demanderesses ont été au‑delà de leurs arguments écrits et, outre ce qui est mentionné ci‑dessus, elles ont invité la Cour à tenir compte d’autres facteurs pour établir les dépens et pour ne pas adjuger aux intervenants les montants qu’ils réclament dans leur projet de mémoire de dépens. Cependant, ces motifs supplémentaires sont tous liés à l’argument général des demanderesses selon lequel la requête relative à la partialité ne touchait les droits des intervenants que de façon très incidente et que la réponse de la Couronne était la seule véritablement exigée.

 

                (i) Les redites

 

[90]           Dans leurs observations écrites et orales, les demanderesses affirment que la Couronne a effectivement présenté une réponse à la requête relative à la partialité et que celle des intervenants était en quelque sorte inutile, ou du moins reprenait la plupart des arguments déjà présentés et que les demanderesses ne doivent donc pas avoir à assumer leurs dépens.

 

[91]           Il est vrai que la Cour a clairement fait savoir aux intervenants que leur participation à l’instance devait être en rapport avec leurs propres intérêts et qu’ils devaient éviter les redites.

 

[92]           Depuis ma participation à la présente affaire en tout cas, les intervenants ont pris soin de respecter les paramètres fixés par la Cour. C’est ce qu’ils ont fait également pour leur préparation et leur participation à l’instruction de la requête relative à la partialité. Si ce n’avait pas été le cas, je suis convaincu que M. Shibley aurait attiré l’attention de la Cour sur ce point et que s’il ne l’avait pas fait, la Cour aurait signalé les difficultés éventuelles qu’elle aurait constatées. L’avis de la requête relative à la partialité visait aussi bien les intervenants que la Couronne et les avocats des demanderesses n’ont aucunement tenté de limiter de quelque façon que ce soit la participation des intervenants; il y avait une excellente raison pour cela, à savoir que la requête soulevait des questions fondamentales touchant directement les intervenants.

 

[93]           La transcription de l’audience relative à la partialité montre très clairement que M. Shibley estimait que la réponse présentée par la Couronne contenait [traduction] « très peu » d’arguments portant sur le fond de la demande des demanderesses et que ce jour‑là, il a éprouvé quelques difficultés à réfuter les arguments présentés par les intervenants dans leurs réponses. La raison pour laquelle il a éprouvé ces difficultés est qu’il ne connaissait pas le dossier. Il a admis ce fait sans hésitation et reconnu qu’il se fondait uniquement sur ce que lui disaient Mme Twinn et M. Healey pour savoir ce qui s’était passé dans l’affaire jusqu’à ce moment‑là. Ces personnes n’étaient pas des observateurs objectifs et fiables. C’est pourquoi M. Shibley a été quelque peu pris par surprise lorsque les avocats respectifs des intervenants ont attiré son attention sur le contenu du dossier concernant certaines questions importantes. Il n’aurait pas dû s’en remettre à Mme Twinn et à M. Healey comme il l’a fait. Il a invité la Cour à lire le dossier mais il ne l’a pas fait lui‑même. La faute n’en revient pas aux intervenants qui ont réfuté ses arguments et qui lui ont montré que ses affirmations n’étaient pas conformes au dossier et que les documents présentés par les demanderesses soulevaient de graves problèmes de preuve qu’il n’avait pas abordés.

 

[94]           Je n’ai pas souscrit à l’opinion qu’a exprimée M. Shibley au sujet de la réponse de la Couronne, mais il a reconnu à juste titre que les intervenants avaient présenté leurs propres arguments et leur propre position, de façon détaillée et vigoureuse, à l’audience concernant la requête relative à la partialité ainsi que dans leurs documents écrits et que ces interventions avaient été d’une grande utilité pour la Cour lorsqu’elle a formulé ses conclusions dans la décision du 3 mai 2005.

 

[95]           Bien sûr, lorsque l’on prépare des documents écrits et des arguments comme ceux qu’ont utilisés les intervenants dans le cadre de la requête relative à la partialité, il faut signaler les ressemblances et les points communs mais cela ne veut pas dire que cela a entraîné ici de nombreuses redites.

 

[96]           Pour ce qui est du lien entre la réponse des intervenants et leurs droits respectifs mis en jeu par la poursuite en cause, j’ai déjà mentionné que la façon dont les demanderesses ont choisi de formuler la requête relative à la partialité avait obligé les intervenants à préparer une réponse globale et vigoureuse de façon à protéger leurs intérêts et à veiller à ce que tout le travail qu’ils avaient effectué pour définir leur statut et leur rôle, et pour se préparer à cette poursuite, ne soit pas perdu parce qu’une attaque indirecte visant les ordonnances et les directives de la Cour touchant directement leurs intérêts aurait réussi. Les demanderesses auraient dû prévoir une telle réponse et ne devraient pas alléguer aujourd’hui, au moment de la taxation des dépens, que cette réponse n’était pas nécessaire ou qu’elle ne faisait que reprendre ce qu’avait déclaré la Couronne. Ce n’est pas le cas.

 

[97]           Il existe toutefois un autre facteur important dont les demanderesses ne tiennent pas compte lorsqu’elles se plaignent du fait que la réponse des intervenants contenait des redites et allait au‑delà de ce qui était nécessaire. Les demanderesses ont décidé de présenter la requête relative à la partialité de façon très étrange. Elles avaient obtenu des délais supplémentaires importants pour préparer et déposer des arguments écrits et des documents. Cependant, le jour de l’audience, M. Shibley a fait une plaidoirie qui différait sur de nombreux points importants des arguments écrits. Autrement dit, la Couronne et les intervenants n’ont pris connaissance de tous les arguments des demanderesses que lorsque M. Shibley les a présentés à l’audience. Il s’est plaint du fait que les intervenants mentionnaient des aspects qu’il n’avait pas prévus. Le fait est cependant que personne n’aurait pu prévoir la teneur et l’ampleur de la plaidoirie de M. Shibley parce que les intéressés n’en ont pris connaissance qu’au moment où elle a été présentée et tous les avocats des parties adverses ont dû faire de leur mieux pour y répondre ce jour‑là. Les avocats des parties adverses ne savaient pas quels seraient les arguments présentés par M. Shibley; ils ne savaient pas non plus qu’il modifierait les observations écrites : il en a retiré certains éléments, il a modifié la réparation sollicitée et sa façon d’aborder la requête était tout à fait différente de celle que les observations écrites des demanderesses pouvaient laisser entrevoir. À la fin de sa plaidoirie, il a mentionné à la Cour le mémoire des demanderesses comme s’il s’agissait d’un complément aux arguments écrits et aux points abordés oralement. Il a déclaré qu’il avait trouvé le mémoire fort utile mais il est apparu clairement que sa teneur était différente des arguments présentés dans sa plaidoirie. En procédant de cette façon, les demanderesses devaient savoir que la Couronne et les intervenants seraient obligés d’effectuer un travail approfondi pour être prêts à répondre à tout ce que M. Shibley pourrait dire à l’audience. Si les demanderesses avaient clairement fait savoir à l’avance les arguments qu’elles entendaient invoquer, elles auraient épargné beaucoup de travail aux avocats des parties adverses. Mais la façon dont elles ont procédé a obligé tous les avocats des partie adverses à prendre connaissance de l’ensemble du dossier, parce qu’ils ne pouvaient prévoir comment les demanderesses modifieraient les arguments contenus dans les documents écrits, de sorte que, si les demanderesses ont estimé nécessaire d’avoir recours aux services de M. Shibley pour qu’il présente sa propre interprétation à l’audience, elles ne peuvent maintenant se plaindre de la façon dont les avocats des parties adverses ont dû réagir à cette stratégie, ni de la préparation qu’ont dû effectuer tous les avocats des parties adverses pour être en mesure de répondre à cette stratégie.

 

[98]           Le fait que le CNAC n’ait présenté aucune observation écrite ou orale au sujet de la requête relative à la partialité indique clairement que les intervenants, comme un groupe, ont mis en commun leurs ressources et leurs arguments et ont présenté des observations qui venaient compléter ce que les autres intervenants avaient à dire.

 

[99]           Il est vrai que M. Molstad a raison de soulever la question des redites inutiles et du gaspillage, question dont la Cour doit tenir compte lorsqu’elle adjuge les dépens. Je reconnais avec lui que, même lorsqu’il s’agit d’imposer une sanction, il doit y avoir des limites et que la Cour ne devrait pas se contenter d’accorder automatiquement les demandes de dépens présentées par les intervenants. Je pense néanmoins que la situation actuelle est très défavorable aux demanderesses sur ce point.

 

[100]       Ce sont les demanderesses qui ont choisi de formuler la requête relative à la partialité comme elles l’ont fait. Elles ont sollicité, et invoqué des moyens dans ce but, une réparation extraordinaire, notamment le renvoi de l’instance [traduction] « devant la Cour de l’Alberta (Banc de la Reine) ». Elles n’ont pas mentionné dans leur requête, ni dans leurs observations écrites ou orales, que, si la réparation sollicitée était accordée, les ordonnances de la Cour demeureraient en vigueur et le statut et le rôle des intervenants demeureraient inchangés.

 

[101]       Il appartenait aux demanderesses – et à personne d’autre – d’indiquer clairement les éléments des ordonnances antérieures qu’elles jugeaient acceptables et ceux qui ne l’étaient pas. Elles ont néanmoins formulé leur requête et les documents à l’appui de telle façon que toutes les mesures qui avaient été prises avant le dépôt de la requête relative à la partialité risquaient d’être annulées ou remises en question.

 

[102]       De plus, les demanderesses ont délibérément formulé la requête, les documents et leurs arguments de façon à obliger la Couronne et les intervenants à effectuer un travail considérable et à assumer des dépenses importantes pour corriger les déformations des faits, les omissions et les obscurités qui constituaient un élément essentiel de leur attaque générale contre l’instance et les ordonnances de la Cour en vigueur. Les demanderesses ont choisi de formuler la requête relative à la partialité d’une façon telle qu’elle a paralysé le déroulement de l’instance et a placé tous les avocats des parties adverses dans une grande incertitude pour ce qui est de l’organisation de leur travail.

 

[103]       Elles affirment maintenant qu’il y a eu des redites et du gaspillage de la part des parties adverses, que la Couronne aurait pu présenter en réponse les arguments nécessaires et que les intervenants n’auraient pas dû participer à l’instruction de la requête autant qu’ils l’ont fait. J’estime qu’il s’agit là d’une affirmation tout à fait contraire aux faits de l’affaire et cet argument est particulièrement désagréable à entendre parce qu’il est présenté par des demanderesses qui ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour formuler la requête relative à la partialité de façon à obliger la Couronne et les intervenants à effectuer un travail considérable et à assumer des frais importants pour répondre au défi que posait la réparation demandée (et ses conséquences) et résoudre les difficultés que posaient des arguments écrits volumineux (et les arguments oraux modifiés) qui ne tenaient aucun compte du dossier et reflétaient plutôt un révisionnisme intéressé, et présentaient les faits de façon carrément trompeuse.

 

                (ii) La position des intervenants et de la Couronne

 

[104]       Dans sa plaidoirie, M. Molstad a beaucoup insisté sur le fait qu’en fin de compte, la Couronne et les intervenants se trouvaient dans la même position dans ce litige parce qu’ils voulaient tous s’opposer à la contestation constitutionnelle du projet de loi C‑31 par les demanderesses. Il affirme que [traduction] « pour ce qui est de la demande présentée par les intervenants pour obtenir leurs dépens dans la présente action [...] la Cour devrait être sensible au fait qu’en fin de compte, la position des intervenants est identique à celle de la Couronne ». M. Molstad attire sur ce point mon attention sur l’alinéa 400(3)l) des Règles.

 

[105]       Cet argument ne tient cependant pas compte de certains facteurs très importants :

(a)                Des décisions de la Cour ont déjà reconnu le fait que les intervenants apportaient à la présente instance une perspective différente de celle de la Couronne. Si les intervenants n’ajoutaient rien aux observations que la Couronne pouvait présenter à la Cour, ils n’auraient pas obtenu le statut d’intervenants;

(b)               La Cour a toujours reconnu que les intervenants avaient apporté un point de vue qui venait compléter celui de la Couronne lorsqu’elle leur a attribué des dépens dans plusieurs requêtes (sur une base distincte). La Cour d’appel fédérale a régulièrement agi de la même façon;

(c)                Pour décider si les intervenants devaient participer à l’action en cause, il importait peu qu’ils appuient dans leur position les objectifs de la Couronne qui consistent à confirmer la validité des dispositions légales attaquées. Ils participent à l’action pour fournir à la Cour des points de vue différents;

(d)               Il ressort très clairement de ma décision du 3 mai 2005 que les observations présentées à la Cour par les intervenants lui ont été très utiles et venaient compléter celles de la Couronne;

(e)                M. Shibley, qui représentait les demanderesses pour la requête relative à la partialité, a effectivement reconnu que les observations présentées par les intervenants n’étaient pas identiques à celles qu’avait présentées la Couronne.

 

[106]       Cet élément n’ajoute pas grand‑chose à l’argument concernant les redites soulevé par les demanderesses. Le fait que dans l’action principale les intervenants souhaitent s’opposer à la contestation constitutionnelle du projet de loi C‑31 par les demanderesses, tout comme le souhaite la Couronne, ne constitue pas vraiment une question distincte dans les présentes requêtes. Ils ont obtenu le statut d’intervenants dans le but d’assister la Cour. Si la requête relative à la partialité avait été accueillie, ce statut aurait été compromis. Ils auraient pu perdre le droit de présenter à la Cour leurs différents points de vue et de défendre les intérêts directs des personnes qu’ils représentent. C’est la raison pour laquelle ils ont été obligés de répondre à la requête relative à la partialité comme ils l’ont fait.

 

                (iii) Cinq mémoires de dépens

 

[107]       M. Molstad déclare que [traduction] « il est manifestement inéquitable d’obliger les demanderesses à payer les dépens de cinq mémoires – à des intervenants qu’elles [les demanderesses] n’ont pas désignés en qualité de parties dans les questions interlocutoires préalables au procès, en tant que principe général [...] ». Autrement dit, étant donné que les demanderesses [traduction] « ne reçoivent pas les dépens de cinq mémoires » si elles obtiennent gain de cause dans une requête, elles ne devraient pas [traduction] « payer les dépens de cinq mémoires » lorsqu’elles perdent.

 

[108]       Cette affirmation soulève en fait plusieurs questions mais je pense que la question hypothétique que soulève M. Molstad au sujet du traitement différent accordé en matière de dépens est une question importante. Il est effectivement possible de minimiser l’importance de la requête relative à la partialité et des conséquences qu’elle aurait pu avoir, en parlant de mesures « simplement interlocutoires », mais je pense que tous les participants savaient ce qui était en jeu, comme je l’ai déjà mentionné.

 

[109]       Je commencerais par dire que cet argument hypothétique ne tient aucunement compte des faits et de la réalité de la présente affaire. La Cour n’a pas été appelée à examiner une situation où un intervenant, ou les intervenants, aurait présenté une requête contre les demanderesses qui serait dénuée de tout fondement, injustifiée et viciée par les autres facteurs aggravants présents ici. Tant que je ne me trouverai pas devant une telle situation et que je n’aurai pas entendu les arguments des avocats à ce sujet et pris connaissance de la jurisprudence sur ce point, je ne peux dire à quoi les demanderesses auraient droit dans ce genre de situation.

 

[110]       La règle générale selon laquelle la partie qui a obtenu le statut d’intervenant dans l’intérêt public n’a pas droit à des dépens, et ne peut être non plus condamnée à en payer, a été formulée par la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente, dans l’arrêt B. (R) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto (1995), 122 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.). À mon avis, ce principe repose sur l’idée qu’étant donné que le rôle des intervenants est d’aider la Cour, ces derniers ne devraient pas risquer d’être condamnés aux dépens alors qu’ils ont volontairement offert leur aide à la Cour.

 

[111]       Cependant, comme c’est le cas ici, il est clair qu’il peut exister des circonstances qui exigent que l’on s’écarte de la règle générale. Par exemple, comme c’était le cas dans l’affaire Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (1991), 81 D.L.R. (4th) 545, lorsqu’une partie intervient dans l’intérêt public mais est gravement touchée par le résultat de l’instance, en fait plus gravement touchée que d’autres membres du public, le tribunal peut accorder des dépens à l’intervenant ou le condamner à en verser. En outre, lorsqu’une entité intervient pour protéger ses propres intérêts ou prétend agir dans l’intérêt public mais n’agit pas uniquement dans cet intérêt, le tribunal peut condamner l’intervenant à payer des dépens (voir John Doe c. Ontario (Information and Privacy Commissioner) (1991), 87 D.L.R. (4th) 348).

 

[112]       Enfin, la Cour d’appel fédérale a estimé approprié dans la présente affaire d’attribuer des dépens distincts aux intervenants. Si la Cour d’appel fédérale estime qu’il est justifié dans certaines circonstances d’accorder aux intervenants des dépens distincts, alors je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas envisager de faire la même chose dans les requêtes dont il s’agit ici, alors que les faits exigent que les demanderesses soient sévèrement sanctionnées et qu’elles soient ainsi dissuadées de continuer à déformer les faits et à présenter des arguments excessifs comme elles l’ont fait dans la requête relative à la partialité, et dans un cas où la réponse des intervenants était nécessaire en raison de la nature de l’attaque lancée par les demanderesses contre la présente instance.

 

                (iv) La question interlocutoire

 

[113]       M. Molstad estime également que la Cour devrait tenir compte du fait que la requête relative à la partialité était [traduction] « une question interlocutoire qui a été examinée avant le procès ». Je vois là une tentative de minimiser l’importance de la requête relative à la partialité et de ses conséquences, et j’ai déjà examiné cet argument.

 

[114]       Mais je pense également que M. Molstad affirme que la requête relative à la partialité [traduction] « ne concernait aucunement le point de vue des différents intervenants, tel qu’il apparaît dans leurs déclarations d’intervention ».

 

[115]       Je pense en avoir déjà dit suffisamment pour expliquer pourquoi j’estime que la requête relative à la partialité touchait le statut et le point de vue des intervenants à un point tel que chacun d’entre eux se devait de présenter une réponse complète et vigoureuse à la requête.

 

[116]       Comme je l’ai précisé dans ma décision du 3 mai 2005, décision que les demanderesses n’ont pas contestée, la requête relative à la partialité constituait une contestation indirecte des ordonnances et des directives de la Cour qui, si elle avait été accueillie, aurait eu un effet préjudiciable très important sur la situation des intervenants dans l’instance.

 

[117]       Par exemple, les demanderesses me demandaient de conclure que le juge Hugessen avait suscité une crainte raisonnable de partialité dans son rôle de juge responsable de la gestion de l’instance. Si j’avais conclu en ce sens, la validité de toutes les ordonnances et directives rendues par le juge Hugessen aurait été remise en question. C’est de plus le juge Hugessen qui avait accordé le statut d’intervenant à l’AFAC. La requête relative à la partialité, si elle avait été accueillie, aurait ainsi eu des conséquences fondamentales pour ce qui est du statut d’intervenant de l’AFAC, sans parler des autres sujets de préoccupation comme l’injonction accordée par le juge Hugessen pour protéger la situation des membres de l’AFAC.

 

[118]       Les demanderesses alléguaient également dans la requête relative à la partialité l’existence d’une partialité systémique au sein de la Cour fédérale et demandaient [traduction] « une ordonnance par laquelle la Cour consentait à renvoyer l’instance devant la Cour de l’Alberta (Banc de la Reine) ». Si cette ordonnance avait été accordée, on pourrait fort bien soutenir que l’ordonnance du 14 septembre 1989 prononcée par le juge McNair qui accordait le statut d’intervenants aux autres organismes que l’AFAC serait même devenue invalide.

 

[119]       Outre ces questions fondamentales touchant le statut des intervenants, si la requête relative à la partialité avait été accueillie, elle aurait à tout le moins eu pour effet d’empêcher l’application de mes ordonnances concernant la participation des intervenants. En outre, le juge Hugessen et moi‑même avions rendu de nombreuses ordonnances et directives qui touchaient le statut et le rôle des intervenants dans la présente instance. Tout cela était en jeu pour les intervenants.

 

[120]       Les demanderesses affirment maintenant que la requête relative à la partialité ne concernait aucunement [traduction] « le point de vue des différents intervenants » et constituait une simple requête interlocutoire; elles invitent ainsi la Cour à ne pas tenir compte du fait que si cette requête avait été accueillie, les intervenants auraient pu perdre le droit de présenter quelque « point de vue » que ce soit, tel que ce droit a été précisé par les ordonnances successives de la Cour.

 

                (v) La perception des dépens pour la Couronne

 

[121]       Un des aspects de l’argument des demanderesses qui portait sur le caractère inéquitable d’une condamnation aux dépens et sur la répétition des arguments est que le fait d’accorder des dépens distincts aux différents intervenants revenait en fait à attribuer des dépens [traduction] « à cinq participants qui essaient de percevoir des dépens pour le compte de la Couronne » dans une situation où [traduction] « les positions sont en fait identiques [...] ». Cet argument ne semble guère avoir convaincu la Cour, ni la Cour d’appel fédérale en d’autres occasions.

 

[122]       Cet argument reprend également les arguments présentés antérieurement par les demanderesses et la Cour estime que les positions adoptées par la Couronne et les intervenants au sujet de la requête relative à la partialité n’étaient pas véritablement identiques; le fait que les intervenants aient obtenu ce statut veut dire que la Cour a déjà jugé qu’ils apportaient des points de vue supplémentaires susceptibles d’assister la Cour. En outre, bien sûr, la Cour et la Cour d’appel fédérale ont déjà accordé à plusieurs reprises des dépens aux intervenants. Tout cela ne concerne pas la question de savoir si la Cour devrait même prendre en compte les ententes financières des intervenants pour adjuger les dépens dans la présente affaire, aspect que j’aborde ailleurs.

 

                (vi) Le CNAC

 

[123]       Les demanderesses affirment que le CNAC [traduction] « n’a rien fait ». Même en voyant là un effet de rhétorique, j’estime que les demanderesses souhaitent que la Cour prenne note du fait que le CNAC [traduction] « n’a pas déposé de mémoire, n’a pas participé aux contre‑interrogatoires au sujet des affidavits et n’a pas participé à l’audience ».

 

[124]       Je pense que le mémoire de dépens présenté par le CNAC tient parfaitement compte de ces facteurs. Mais je ne suis pas d’accord avec les demanderesses lorsqu’elles affirment que le CNAC « n’a rien fait ».

 

[125]       Le CNAC a fait ce que la requête relative à la partialité des demanderesses l’a obligé à faire et son projet de mémoire de dépens semble, à mon avis, indiquer qu’il a répondu à la requête de façon juste et efficace. Le CNAC ne demande pas de dépens avocat‑client. Il demande uniquement des dépens partie‑partie calculés selon la colonne III du tarif B et une ordonnance précisant que les dépens comprennent les frais de déplacement et de logement de leur avocat principal.

 

[126]       J’ai déjà clairement dit que la requête relative à la partialité mettait en danger le statut de tous les intervenants et avait été formulée pour obliger la Couronne et les intervenants à revoir un dossier volumineux pour pouvoir être en mesure de réfuter les affirmations trompeuses qui figuraient dans les documents des demanderesses et de rétablir les faits.

 

[127]       En outre, il y a aussi le fait que les demanderesses ont sensiblement modifié leurs arguments à l’audience. Elles affirment aujourd’hui que le CNAC n’aurait pas dû revoir le dossier et n’aurait pas dû demander à ses avocats d’assister à l’audience pour entendre des arguments que personne n’aurait pu vraiment prévoir avant que M. Shibley ne les ait présentés. Les demanderesses ayant décidé de procéder de cette façon, elles ne doivent pas se plaindre maintenant du fait que le CNAC ait demandé à un avocat d’assister à l’audience pour entendre ce qui pourrait s’y dire et conseiller le CNAC en conséquence.

 

[128]       Mme Eberts est la seule avocate qui ait contre‑interrogé les témoins profanes, de façon à éviter les répétitions et les coûts inutiles. Le fait que le CNAC n’ait pas déposé de mémoire ni présenté d’arguments à l’audience indique clairement, d’après moi, que les intervenants se sont efforcés, chaque fois que cela était possible, de ne pas répéter les mêmes arguments.

 

                (vii) Les contre‑interrogatoires au sujet des affidavits

 

[129]       Les demanderesses se plaignent du nombre des avocats qui ont participé aux contre‑interrogatoires de Mme Twinn et de M. Healey :

[traduction]

J’en arrive donc à huit avocats, je crois, y compris l’avocat de l’extérieur, qui ont participé aux contre‑interrogatoires au sujet d’affidavits qui ont en fin de compte été déclarés inamissibles. Nous affirmons que cela n’est pas seulement déraisonnable. Cela frôle vraiment le ridicule.

 

[130]       Le mot « ridicule » me vient également à l’esprit mais pas au sujet des intervenants. Le ridicule de cette situation venait du fait que les demanderesses avaient créé, à cause des allégations générales dénuées de fondement que contenait leur requête relative à la partialité, une situation qui exigeait la présence d’un aussi grand nombre d’avocats aux contre‑interrogatoires.

 

[131]       Je dirai pour commencer que le fait que ces affidavits aient finalement été déclarés inadmissibles n’est pas pertinent. Cela revient à demander à la Cour de tenir compte du fait que les intervenants auraient dû deviner dès le début comment la Cour allait finalement se prononcer au sujet de l’admissibilité de ces affidavits. Il est peut‑être très facile pour M. Molstad, qui examine ces affidavits avec un certain recul, de conclure qu’aucun tribunal n’aurait pu les déclarer admissibles mais je ne pense pas qu’il faille reprocher aux intervenants d’avoir veillé à ne pas anticiper sur la décision que la Cour prendrait.

 

[132]       De plus, les demanderesses se plaignent aujourd’hui d’une situation dont elles sont entièrement responsables et qu’elles auraient pu facilement éviter.

 

[133]       Pour ce qui est de la NSIAA, comme M. Molstad l’a admis, M. Millard a assisté au contre‑interrogatoire, mais pas M. Donaldson. De plus, il avait fallu engager un avocat de l’extérieur parce que M. Healey avait déclaré dans son affidavit que M. Donaldson avait trompé la Cour et que Mme Twinn avait répété cette allégation et l’avait reprise à son compte.

 

[134]       C’est une allégation que la Cour avait déjà jugée dénuée de fondement et pour laquelle M. Healey avait été réprimandé. Il a pourtant été jusqu’à la répéter sous serment et Mme Twinn l’a appuyé. Il était donc raisonnable de retenir les services d’un avocat de l’extérieur pour qu’il interroge Mme Twinn et M. Healey parce qu’il n’aurait pas été approprié que M. Donaldson, ou un avocat de son cabinet, le fasse. Personne n’a obligé M. Healey et Mme Twinn à répéter sous serment des accusations que la Cour avait déjà déclarées dénuées de fondement et qu’elle leur avait ordonné de ne pas répéter.

 

[135]       M. Faulds, l’avocat du CNAC(A) se trouvait dans la même situation. En fait, M. Donaldson et M. Faulds ont retenu les services de M. Corbett, le même avocat de l’extérieur, et ont partagé le coût de ses services. Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Corbett a abordé d’autres questions que celles que la Couronne avait abordées au cours de son contre‑interrogatoire. Ceci n’aurait été aucunement nécessaire s’il n’y avait pas eu ces allégations d’inconduite dénuées de fondement, allégations qui ont ensuite été répétées sous serment par M. Healey et Mme Twinn. Et bien sûr, il paraît difficile de voir comment M. Corbett aurait pu assister seul à ces contre‑interrogatoires. Il ne connaissait rien du contexte général de l’affaire. Il avait besoin d’être informé et guidé pour être en mesure de procéder à ces contre‑interrogatoires.

 

[136]       Outre les situations particulières de M. Donaldson et de M. Faulds – qui s’expliquaient entièrement par le comportement de M. Healey et de Mme Twinn – la requête reposait uniquement sur les affidavits de M. Healey et de Mme Twinn, qui revêtaient donc une importance essentielle pour tous les intervenants.

 

[137]       Je ne crois pas que les demanderesses puissent se plaindre de quoi que ce soit à ce sujet.

 

                (viii) Le sténographe judiciaire

 

[138]       Les demanderesses remettent aujourd’hui en question la nécessité d’avoir eu recours aux services d’un sténographe judiciaire à l’audience sur la requête relative à la partialité, ainsi que les frais de transcription qui figurent dans les mémoires de dépens des intervenants. D’après les demanderesses, cela revient à demander des dépens pour [traduction] « la transcription des arguments présentés oralement au sujet d’une requête alors qu’aucune preuve n’a été présentée » et les demanderesses estiment que cela n’est pas raisonnable.

 

[139]       Là encore, les demanderesses se plaignent maintenant des frais qu’a entraînés une situation dont elles sont les principales responsables. Dans la présente affaire, il a été nécessaire de retenir les services d’un sténographe judiciaire pour qu’il établisse une transcription de toutes les conférences téléphoniques, des réunions de gestion de l’instance auxquelles participaient les représentants des parties et de toutes les requêtes, pour favoriser le déroulement ordonné et efficace de l’instance et pour disposer d’un dossier fiable permettant de trancher les nombreux désaccords apparus entre les avocats au sujet de ce qui s’était passé antérieurement.

 

[140]       Mais au‑delà de tous ces éléments, il y a le fait qu’il ressort clairement des documents écrits concernant la requête relative à la partialité que M. Healey et Mme Twinn ne se préoccupaient guère de l’exactitude de leurs propos lorsqu’ils rapportaient et commentaient ce qui avait été dit à un moment donné. De plus, au cours des étapes qui ont précédé la requête relative à la partialité et au cours d’une conférence téléphonique, M. Healey a fait savoir qu’il ne présenterait pas toutes les parties pertinentes du dossier de la Cour dans le cadre de la requête relative à la partialité. Tous les autres participants comprenaient toute l’importance de disposer d’un dossier complet dans le cas d’une requête où le contexte jouait un rôle essentiel. M. Donaldson a accepté pour la NSIAA de confectionner et de produire un tel dossier. Avec le recul et compte tenu de ce que M. Healey et Mme Twinn ont déclaré sous serment et dans les documents écrits, il est tout à fait évident qu’il fallait établir un dossier complet et exact.

 

[141]       Il est extrêmement regrettable que les demanderesses allèguent maintenant qu’une transcription des débats n’était pas nécessaire dans le cadre d’une requête où M. Healey et Mme Twinn ont fourni une relation déformée et révisionniste du dossier antérieur, et pour laquelle les avocats avaient besoin d’une transcription exacte des débats à la fois pour répondre aux arguments oraux des demanderesses (présentés pour la première fois à l’audience et qui étaient différents des arguments écrits) ainsi que dans l’éventualité d’un appel. Cela m’amène à me demander si les demanderesses sont sérieuses lorsqu’elles disent remettre en question les projets de mémoire de dépens présentés par les intervenants.

 

                (ix) Les avocats ayant assisté à l’audience

 

[142]       Les demanderesses se plaignent également [traduction] « que six avocats aient assité à l’audience relative à la requête pour présenter des positions qui auraient pu facilement être présentées par un seul avocat et qui en fait, nous le prétendons, ont été avancées par la Couronne ».

 

[143]       M. Molstad adopte maintenant une position très différente de celle de M. Shibley, qui a assisté à l’audience relative à la requête sur la partialité pour le compte des demanderesses et qui a présenté oralement les arguments de ces dernières. M. Shibley a déclaré à la Cour que la Couronne n’avait pas répondu sur le fond à la requête des demanderesses et qu’il avait été lui‑même obligé d’aborder les questions soulevées par les intervenants. Étant donné qu’il a assisté à l’audience et qu’il a présenté les arguments pour le compte des demanderesses, j’estime que l’opinion de M. Shibley sur cette question doit être retenue plutôt que celle de M. Molstad.

 

[144]       J’ai déjà expliqué clairement pourquoi les avocats de chacun des intervenants avaient été obligés d’assister à l’audience concernant la requête relative à la partialité. Les intervenants n’ont pas présenté les mêmes points de vue, ni abordé les mêmes sujets que la Couronne et ils n’ont pas répété les mêmes arguments, si ce n’est pour préciser les points sur lesquels ils étaient d’accord ou non. Il ressort du dossier que, lorsque M. Healey et Mme Twinn ont représenté les demanderesses, ils n’ont pas hésité à présenter les faits et la jurisprudence de façon trompeuse, à altérer le dossier et à porter des accusations d’inconduite contre les avocats des intervenants. Les documents présentés à l’appui de la requête relative à la partialité démontrent qu’ils étaient disposés à faire tout cela sous serment. Ils avaient déjà lors d’une audience antérieure lancé des accusations contre les avocats adverses et la Cour leur avait ordonné de cesser ces attaques. M. Shibley n’était pas en mesure, comme sûrement il l’aurait fait s’il l’avait pu, de protéger la Cour et les avocats des intervenants contre ces attaques et ces déformations parce qu’il ne connaissait pas le dossier et qu’il devait s’en remettre entièrement à M. Healey et à Mme Twinn pour savoir ce qui s’était produit antérieurement. Face à un tel déluge de déformations et d’affirmations trompeuses et délibérées, il aurait été vraiment imprudent que les avocats des intervenants n’assistent pas à l’audience concernant la requête relative à la partialité. Ils auraient pris un risque personnel important étant donné que les avocats des demanderesses étaient disposés à attaquer l’intégrité personnelle des avocats adverses et ils n’auraient alors pas représenté comme ils le devaient leurs clients respectifs. En outre, compte tenu des observations écrites déposées, la Cour leur avait demandé d’assister à l’audience. Personne ne pouvait deviner ce qui pourrait être dit, ni ce que les demanderesses pourraient bien alléguer. Si le juge de première instance pouvait lui‑même être la cible de telles attaques, comment les avocats adverses auraient‑ils pu se sentir à l’abri?

 

[145]       Là encore, les demanderesses refusent simplement d’assumer leurs responsabilités pour la façon dont elles ont mené la requête relative à la partialité et la façon dont elles l’ont présentée. Personne ne savait exactement ce qu’allait déclarer M. Shibley avant qu’il présente ses arguments, ni comment il réussirait à atténuer pour les demanderesses les conséquences des excès et des lacunes manifestes des documents. La requête relative à la partialité soulevait des questions qui touchaient, notamment, la qualité pour agir des intervenants dans l’affaire. Il n’aurait pas été judicieux que les intervenants n’assistent pas à l’audience avec leurs avocats respectifs pour entendre les arguments qui n’avaient pas été couchés par écrit. Il était tout à fait raisonnable et tout à fait nécessaire que tous les avocats assistent à l’audience concernant la requête relative à la partialité.

 

                (x) Les offres de règlement

 

[146]       Les deux parties adverses aux requêtes ont tenté de s’entendre sur la question des dépens et ont présenté des offres « irrévocables ». M. Molstad affirme qu’il ne voulait pas saisir la Cour de la question, mais il est également évident que les intervenants étaient prêts à en arriver à un règlement à l’amiable si cela avait été possible.

 

[147]       L’offre présentée par les demanderesses n’était pas vraiment définitive parce qu’elle n’était pas chiffrée et qu’il aurait fallu demander à la Cour d’examiner le caractère raisonnable des demandes de dépens. En outre, l’offre des demanderesses visait clairement à limiter les dépens à une « indemnisation ». Les intervenants ont estimé, de façon tout à fait raisonnable à mon avis, qu’un règlement qui ne contenait pas de chiffres définitifs et qui exigeait de toute façon que les parties saisissent le tribunal de cette question n’était guère acceptable. Les intervenants n’avaient rien à gagner d’une telle entente. Si la Cour devait examiner ces questions, alors il était aussi bien qu’elle examine l’ensemble de la question, en particulier étant donné que les demanderesses avaient adopté une position très différente, sur le plan des principes, de celle des intervenants sur la question des dépens et voulaient que les dépens se limitent à une « indemnisation ».

 

[148]       J’estime que les offres de règlement constituent un facteur tout à fait neutre. Il faut féliciter les parties du fait qu’elles aient essayé d’éviter la présentation des requêtes. Mais pour des raisons très compréhensibles pour les deux parties, cela n’a pas été possible.

 

LES DIFFÉRENTES DEMANDES

 

        LA NSIAA

 

[149]       La NSIAA demande des dépens avocat‑client pour la requête relative à la partialité et a préparé et présenté un mémoire de dépens pour un montant total de 93 941,60 $.

 

[150]       À titre subsidiaire, la NSIAA affirme que l’affaire justifie au moins un mémoire de dépens partie‑partie calculés selon un multiplicateur de 1,5 appliqué aux montants de la colonne V du tarif B. Cela donne un total de 76 532,70 $.

 

[151]       Les demanderesses ne contestent pas que certaines des conclusions que la Cour a exposées dans sa décision du 3 mai 2005 qui rejetait la requête relative à la partialité justifiaient l’adjudication de dépens avocat‑client à la Couronne, mais ils ne pensent pas que la décision justifie l’octroi de dépens avocat‑client à la NSIAA, si ce n’est, peut‑être, pour répondre aux allégations expresses d’inconduite qu’a faites M. Healey à l’endroit de M. Donaldson.

 

[152]       Quoi qu’il en soit, les demanderesses estiment que l’attribution de dépens à la NSIAA devrait viser à l’indemniser pour les montants effectivement facturés et payés et que la Cour devrait examiner soigneusement chaque article pour en vérifier le caractère raisonnable.

 

[153]       Pour les motifs déjà fournis, je ne pense pas que la Couronne devrait être la seule partie à obtenir des dépens avocat‑client dans la présente affaire. Les intervenants étaient directement intéressés par l’issue de la requête relative à la partialité et leurs réponses écrites et orales étaient tout à fait raisonnables et proportionnées aux intérêts en jeu. Ces réponses étaient celles que les demanderesses auraient dû prévoir et il est répréhensible, scandaleux et outrageant que les demanderesses aient obligé la NSIAA et les autres intervenants à défendre leurs droits dans le cadre d’une requête dénuée de tout fondement et injustifiée.

 

[154]       Dans la présente affaire, la Cour est obligée d’aller au‑delà des considérations uniquement liées à l’indemnisation pour veiller à ce que le comportement des demanderesses soit sanctionné et pour qu’elles soient suffisamment dissuadées d’adopter à l’avenir un comportement semblable et de ne pas respecter les ordonnances de la Cour.

 

[155]       Il est justifié d’attribuer à la NSIAA des dépens avocat‑client dans la présente affaire et pour calculer ces frais, il faut inclure les frais qu’un client raisonnable verserait à un avocat raisonnablement compétent pour exécuter le travail décrit dans le mémoire, sans tenir compte des ententes conclues au sujet des honoraires concernant cette cause type.

 

[156]       J’ai examiné, selon cette approche objective, le mémoire de dépens avocat‑client préparé et présenté par la NSIAA et je n’y ai trouvé aucun élément susceptible de m’amener à remettre en question le caractère raisonnable des honoraires et des débours. J’estime par conséquent que la NSIAA m’a convaincu de l’opportunité d’attribuer des dépens avocat‑client sur une base objective et les demanderesses sont donc condamnées à verser lui verser 93 941,60 $ sans délai, et quelle que soit l’issue de la cause.

 

[157]       La NSIAA demande également des frais d’un montant de 1 500 $ pour la requête des demanderesses au sujet des résumés de témoignage anticipé de la Couronne et des intervenants et cet aspect a été tranché par la Cour dans sa décision du 18 novembre 2005.

 

[158]       La NSIAA a entièrement obtenu gain de cause dans la requête des demanderesses concernant les témoignages anticipés. La Cour n’a trouvé aucun élément critiquable dans ces résumés de témoignage anticipé et la NSIAA n’aurait jamais dû être désignée en qualité de défenderesse dans cette requête. Les demanderesses ont sollicité une réparation de la part de la NSIAA, mais elles n’ont même pas essayé de préciser quelles étaient les lacunes que contenaient les résumés de témoignage anticipé préparés par la NSIAA, ni d’expliquer pourquoi une réparation était justifiée. Les demanderesses ont décidé, pour ce qui est des résumés de témoignage anticipé de la NSIAA, d’obliger celle‑ci à gaspiller du temps et des ressources pour répondre à une requête sur un plan qui était tout à fait inutile.

 

[159]       La NSIAA demande la somme globale de 1 500 $ pour la requête des demanderesses concernant les témoignages anticipés, chiffre qui représente un maximum de 11 unités dans la colonne V du tarif B, plus une somme minime pour les débours et la TPS.

 

[160]       Les demanderesses affirment qu’il n’y avait rien d’extraordinaire ou d’exceptionnel au sujet de la requête relative aux témoignages anticipés et que celle‑ci n’était ni déraisonnable, ni abusive. Elles estiment par conséquent qu’il y a lieu d’octroyer à la NSIAA des dépens pour cette requête calculés selon les valeurs médianes de la colonne III.

 

[161]       Je ne peux souscrire aux arguments des demanderesses sur ce point. Il n’y avait peut‑être rien d’extraordinaire à ce que les demanderesses présentent une requête concernant les témoignages anticipés, mais elle n’aurait jamais dû être présentée contre la NSIAA, et c’est là le point important. Les demanderesses ont désigné la NSIAA comme partie à la requête, sans toutefois préciser les lacunes que contenaient, d’après elles, les résumés de témoignage anticipé préparés par la NSIAA. Cela a entraîné pour la NSIAA un gaspillage inacceptable de temps et de ressources qui justifie l’adjudication de dépens aux termes du paragraphe 400(2) des Règles pour un montant de 1 500 $, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause.

 

        LE CNAC(A)

 

[162]       Le CNAC(A) demande des dépens, sous la forme d’une somme globale, calculés en appliquant un multiplicateur de 1,5 aux montants maximum de la colonne V du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

 

[163]       Outre les questions de comportement déjà mentionnées ci‑dessus, le CNAC(A) invite également la Cour à tenir compte des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles de la Cour fédérale (1998).

 

[164]       Au sujet de ces facteurs, la Cour souscrit aux arguments du CNAC(A) comme suit :

 

a)                  Le résultat de l’instance

i.                     La requête relative à la partialité a été rejetée entièrement. La Cour n’a pas formulé une seule conclusion favorable aux demanderesses;

 

b)                  L’importance et la complexité des questions en litige

i.                     Les allégations de crainte de partialité soulevées par les demanderesses dans la requête relative à la partialité revêtaient une importance fondamentale pour la poursuite de la présente affaire. Si la requête relative à la partialité avait été accueillie, les ordonnances relatives à la gestion de l’instance et du procès prononcées depuis l’ordre de tenir un nouveau procès auraient pu être entièrement annulées, ce qui aurait obligé toutes les parties à reprendre l’affaire à son début;

 

ii.                   Les demanderesses ont parallèlement mené une attaque indirecte contre la plupart des ordonnances importantes en matière de gestion de l’instance et de mesures préalables au procès. À cette fin, elles se sont fondées sur une partie importante des actes de procédure dans une affaire déjà complexe, qui dure depuis 20 ans;

 

iii.                  La simple ampleur du dossier sur lequel se fondaient les demanderesses, combinée aux interprétations souvent tortueuses et déformées qu’elles en ont données, ont fait de la requête relative à la partialité et des réponses à cette requête une entreprise inutilement complexe;

 

c)                  La charge de travail

i.                     Le fait que les demanderesses se soient fondées sur une partie aussi importante du dossier relatif à l’affaire a obligé les intervenants à examiner une quantité considérable de documents;

 

 

d)                  Le caractère inapproprié, vexatoire ou inutile de la requête

i.                     Les documents déposés par les demanderesses étaient obscurs et nébuleux. Dans certains cas, ils étaient tout simplement incompréhensibles. La Cour a déclaré ce qui suit :

 

L’exposé des arguments des demanderesses est une litanie d’allégations qui s’étend sur près de 100 pages. Il est malaisé de décoder ces allégations et les demanderesses n’ont offert aucune assistance à l’audience pour aider la Cour à y parvenir. La Cour doit se débrouiller seule pour tirer quelque chose de citations et d’accusations sans contexte, d’interprétations tendancieuses et hautement subjectives, de tentatives faites pour débattre à nouveau des positions intenables et d’un grand nombre de propos qu’on ne saurait qualifier que d’insinuations.

 

Il résulte d’une telle méthode, en bout de ligne, que la Cour et les autres parties doivent s’astreindre à établir le contexte d’ensemble permettant à la personne raisonnable d’apprécier les arguments des demanderesses selon une juste perspective. [...]

 

[...] Malgré tout l’appui ainsi accordé aux demanderesses, le résultat obtenu en bout de ligne est confus et parfois même tout simplement déconcertant.

 

ii.                   En dernière analyse, la Cour a estimé qu’il conviendrait de tenir soigneusement compte des lacunes des documents au moment d’adjuger les dépens :

 

[...] Il est aussi nécessaire de dire clairement, enfin, que ces pratiques, ces excès et cette verbosité contestables tout étalés dans la documentation obligent les avocats adverses et la Cour à consacrer beaucoup de temps pour les corriger et freinent considérablement le progrès de l’instance. Cela devra manifestement être pris en compte au moment de l’adjudication des dépens.

 

iii.                  Les nombreux problèmes et lacunes qui entachaient les documents des demanderesses reflètent un comportement à la fois inapproprié et vexatoire et ont eu pour effet de prolonger considérablement l’instance de façon tout à fait inutile;

 

iv.                 Les demanderesses ont formulé un certain nombre d’allégations d’inconduite contre les avocats des intervenants, et contre M. Faulds, personnellement. Ces allégations figurent à la fois dans les observations écrites des demanderesses et dans les preuves déposées à l’appui de la requête relative à la partialité;

 

v.                   En raison de ces allégations et du fait que l’avocat et l’avocate inscrite au dossier pour les demanderesses ont déposé des affidavits dans lesquels ils reprenaient à leur compte ces allégations, le CNAC(A) a dû retenir les services d’un avocat de l’extérieur pour procéder au contre‑interrogatoire sur les affidavits déposés par les avocats des demanderesses. Cet aspect a considérablement alourdi les dépenses engagées pour l’opposition à la requête relative à la partialité;

 

vi.                 Après avoir examiné en détail l’ensemble du dossier, la Cour a jugé qu’aucune de ces allégations n’était fondée. Elle a déclaré que les accusations de faute professionnelle étaient dénuées de fondement et donc inappropriées et vexatoires;

 

vii.                Pour ce qui est des affidavits déposés par l’avocat et l’avocate inscrite au dossier pour les demanderesses, la Cour a finalement refusé de les admettre en preuve, notant qu’aucune autorisation n’avait été demandée ou accordée aux termes de l’article 82 des Règles et que M. Shibley avait uniquement fondé ses observations orales sur les conseils et les observations écrites de M. Healey;

 

viii.              Dans le contexte des affidavits des avocats, la Cour a également noté qu’elle avait déjà averti les demanderesses du fait que les actes de procédure qui ne respectent pas les Règles n’étaient pas acceptables;

 

ix.                 Le CNAC(A) et la NSIAA ont pour cette raison été obligés de consacrer inutilement du temps et de l’argent à la contestation de ces preuves. La présentation de ces preuves par l’avocat et l’avocate inscrite au dossier était à la fois inappropriée et vexatoire;

 

x.                   Lorsque la Cour constate qu’une partie a inutilement prolongé la durée de l’instance ou pris une mesure inappropriée ou vexatoire, elle peut exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de dépens et attribuer des dépens supérieurs à ceux qui sont prévus au tarif B des Règles de la Cour fédérale :

 

Shibamoto & Co. c. Western Fish Producers Inc. (Syndic) (1991), 48 F.T.R. 176 (1re inst.), modifié par [1992] A.C.F. no 479 (C.A.) (adjudication des dépens confirmée)

 

Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada 3000 Airlines Ltd. (Affaire Nijjar), [1999] A.C.F. no 955 1re inst.)

 

                  NHM International Inc. c. F.C. Yachts Ltd., 2003 CFPI 373

 

                  Apotex Inc. c. Merck & Co., 2005 CAF 24

 

xi.                 Dans Shibamoto, la Cour a fait le commentaire suivant au sujet de la façon dont les parties défenderesses avaient conduit l’instance :

 

[...] les parties défenderesses ont pris une position qui a prolongé indûment la durée de l’instance. La déclaration et la déclaration modifiée étaient longues, traitaient de plusieurs questions accessoires et soulevaient un certain nombre de points n’ayant aucun lien avec le litige, pour lesquels aucune preuve n’a été présentée lors de l’instruction et dont les chances de succès étaient minimes. [...]

 

[...] Lors de l’instruction, beaucoup de temps a été consacré à des questions et à des arguments soulevés dans la défense et la demande reconventionnelle des parties défenderesses sans qu’aucune preuve ne soit produite à leur appui. [...]

 

Toutefois, l’aspect le plus gênant de cette affaire demeure les accusations générales et non étayées de fraude, de dol et de complot qu’ont portées les parties défenderesses, dans leur défense et leur demande reconventionnelle, à l’égard des parties demanderesses. En général, les tribunaux ne pardonnent pas aux parties d’avoir fait ce genre d’accusation en l’absence de preuve. [...]

 

                  P. 10 (QL)

xii.                Dans la décision Shibamoto, la Cour a tenu compte des dépenses inutiles que les demanderesses avaient été obligées d’engager en raison de la façon dont les parties défenderesses avaient conduit l’instance et a accordé des frais majorés pour certaines étapes du litige, au‑delà des montants prévus au tarif B. En plus de ces majorations, la Cour a ensuite accordé aux demanderesses un supplément de 50 p. 100 dans leur mémoire de frais après avoir inclus la majoration mentionnée ci‑dessus;

 

xiii.              Dans l’arrêt Apotex, la Cour d’appel a rejeté l’appel de l’appelante et a noté, au moment d’examiner la question des dépens, ce qui suit, en résumant la conduite de l’appelante :

 

[...] il est évident, comme le juge des requêtes et la protonotaire l’ont constaté, que l’appelante cherche tout simplement à remettre en cause une question qui a déjà été tranchée définitivement par le juge MacKay dans le jugement qu’il a rendu [...]

 

                  Paragraphe 3

xiv.              Dans l’arrêt Apotex, les intimées demandaient que les dépens soient majorés en raison de la conduite d’Apotex. La Cour d’appel a commenté de la façon suivante les observations des intimées :

 

Les intimées réclament à titre de dépens augmentés [...] Elles soutiennent [...] que les requêtes et les appels de l’appelante sont mal fondés, dilatoires et injustifiés. Elles affirment que les allégations de l’appelante ne sont pas justifiées et qu’elles sont dénuées de tout fondement. Finalement, elles affirment que les tentatives faites par l’appelante pour remettre en cause des questions qui ont été tranchées de façon définitive et concluante à son encontre constituent un abus de procédure. Nous avons entendu les observations des deux parties au sujet des dépens.

 

À notre avis, le grief formulé par les intimées n’est pas sans fondement. [...]

 

                  [...]

 

Nous sommes d’avis, eu égard aux circonstances de la présente affaire, que les intimées devraient recevoir une indemnité substantielle.

 

                  Paragraphes 14, 15 et 17

 

xv.               La Cour a attribué aux intimées une somme globale à titre de dépens;         

 

                  Paragraphe 17

 

xvi.              Comme dans les affaires Shibamoto et Apotex, les motifs de la Cour du 3 mai 2005 rendus dans la présente affaire contiennent de nombreux exemples de mesures inutiles, inappropriées et dilatoires qu’ont prises les demanderesses dans le cadre de la requête relative à la partialité;

 

xvii.            Dans sa conclusion sur le fond, la Cour a noté que la requête relative à la partialité était « dénuée de tout fondement et injustifiée » et qu’elle avait

 

[...] retardé le début du procès de près de quatre mois, ainsi que l’examen par la Cour d’autres importantes requêtes. Elle a obligé les autres parties et la Cour à consacrer beaucoup de temps et d’efforts pour répondre à des allégations ne constituant bien souvent que simples assertions fondées sur des insinuations, ou encore à des récits révisionnistes totalement à contre‑fil du dossier lorsqu’on l’examine en son entier.

 

                  Paragraphe 608

 

xviii.           En résumé, la requête relative à la partialité a été rejetée entièrement. Elle a été menée de façon à empêcher, en la dissimulant, toute interprétation objective et raisonnable du dossier. Les demanderesses sollicitaient des mesures de réparation très larges qui risquaient de modifier fondamentalement la portée et le but du litige ainsi que la position de tous les participants. Elles ont obligé tous les avocats à déployer des efforts prolongés et intenses pour comprendre la requête et y répondre. Elles ont tenté de contester de façon indirecte ou de débattre à nouveau de questions importantes qui étaient visées par le principe de la chose jugée. La requête contenait des allégations dénuées de fondement accusant les avocats et la Cour d’inconduite;

 

xix.              Tous ces éléments donnent à penser qu’il est justifié d’attribuer des dépens majorés.

 

[165]       Le CNAC(A) a présenté un mémoire de dépens concernant la requête relative à la partialité calculé en multipliant par 1,5 les chiffres de la colonne V, pour un montant total de 67 875,77 $. J’ai déjà clairement dit que j’estime que la façon dont les demanderesses ont conduit la requête relative à la partialité justifie l’adjudication de dépens avocat‑client, de sorte qu’il est difficile de ne pas reconnaître qu’un montant majoré n’est pas également approprié.

 

[166]       J’ai soigneusement examiné le projet de mémoire de dépens et les objections formulées par les demanderesses dans leurs observations écrites et orales. Je ne peux retenir ces objections. Le CNAC(A) a justifié, à mon avis, l’adjudication de dépens majorés et a droit à un montant de 67 875,77 $ payable sans délai et quelle que soit l’issue de la cause.

 

        L’AFAC

 

[167]       Tout comme le CNAC(A), l’AFAC demande, pour la requête relative à la partialité, des dépens, sous la forme d’une somme globale, calculés en multipliant par 1,5 fois les montants maximaux de la colonne V du tarif B et elle a présenté un mémoire de dépens en ce sens pour un montant total de 68 914,93 $.

 

[168]       Des considérations semblables au cas du CNAC(A) s’appliquent également et il n’y a pas de raison de les répéter ici. Il est vrai que Mme Eberts n’a pas fait l’objet d’attaques personnelles comme c’était le cas de M. Donaldson et de M. Faulds, mais l’AFAC a été obligée de défendre ses intérêts dans le cadre d’une requête très lourde de conséquences qui était dénuée de tout fondement et injustifiée.

 

[169]       Après avoir examiné le mémoire de dépens de l’AFAC et les objections soulevées par les demanderesses dans leurs observations écrites et orales, la Cour estime, pour les motifs exposés ci‑dessus, que l’AFAC a justifié sa demande de dépens majorés et doit recevoir le montant de 68 914,93 $ payable sans délai et quelle que soit l’issue de la cause.

 

        LE CNAC

 

[170]       Le CNAC demande des dépens partie‑partie calculés sur la base de la colonne III du tarif B et comprenant un montant correspondant aux frais de déplacement et de logement de son avocat principal.

 

[171]       Les demanderesses s’opposent à toute attribution de dépens au CNAC pour le motif que le CNAC n’a pas déposé de mémoire et qu’il n’a pas participé à l’instruction de la requête relative à la partialité, ni aux contre‑interrogatoires sur les affidavits des demanderesses. Les demanderesses affirment que le CNAC s’est contenté de jouer un rôle d’observateur.

 

[172]       J’ai déjà clairement dit que la requête relative à la partialité avait une portée tellement large et qu’elle déformait tellement les faits du dossier qu’elle a obligé tous les intervenants à préparer une réfutation et à assister la Cour. À tout le moins, ils ont dû revoir un nombre considérable de documents pour élaborer une position au sujet de la requête relative à la partialité et pour décider s’il y avait lieu de présenter des observations écrites et orales.

 

[173]       Le fait que le CNAC n’ait pas présenté de mémoire ni de plaidoirie complète ne veut pas dire que le CNAC s’est contenté d’observer le déroulement de l’instruction. Le CNAC a tout simplement agi conformément aux directives de la Cour en s’abstenant de répéter des arguments déjà présentés.

 

[174]       La façon dont le CNAC a répondu à la requête relative à la partialité ainsi que le projet de mémoire de dépens présenté indiquent clairement que les intervenants, considérés comme un groupe, ont coordonné leurs efforts de façon à éviter les redites. Cela ne veut toutefois pas dire que le CNAC n’a pas dû déployer des efforts considérables, dans le cadre d’une requête qui était dénuée de fondement et injustifiée, pour examiner les documents présentés et adopter une position lui permettant d’éviter de répéter les arguments des autres parties.

 

[175]       La complexité de la requête relative à la partialité, le nombre de documents à examiner, l’insuffisance troublante des documents préparés et signifiés par les demanderesses qui ont obligé toutes les autres parties à faire un travail supplémentaire, et tous les facteurs aggravants déjà mentionnés ci‑dessus, justifient le type de dépens demandés par le CNAC.

 

[176]       Par conséquent, j’estime que le mémoire de dépens présenté par le CNAC est raisonnable et approprié dans les circonstances et doit comprendre les frais de déplacement et de logement de son avocat principal, comme cela est indiqué.


 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

 

1.                     La NSIAA a droit à des dépens avocat‑client contre les demanderesses pour la requête relative à la partialité dont le montant est fixé à 93 941,60 $ conformément au projet de mémoire de dépens de la NSIAA, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause;

 

2.                     La NSIAA a droit à des dépens fixés à 1 500 $ pour la requête relative aux résumés de témoignage anticipé des demanderesses sur laquelle la Cour s’est prononcée le 18 novembre 2005, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause;

 

3.                     Le CNAC(A) a droit à des dépens contre les demanderesses pour la requête relative à la partialité calculés en multipliant par 1,5 les montants supérieurs de la colonne V du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) conformément au projet de mémoire de dépens présenté par le CNAC(A) et fixés à 67 875,77 $, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause;

 

4.                     L’AFAC a droit à des dépens contre les demanderesses pour la requête relative à la partialité calculés en multipliant par 1,5 les montants supérieurs de la colonne V du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) et fixés à 68 914,93 $, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause;

 

5.                     Le CNAC a droit à des dépens contre les demanderesses pour la requête relative à la partialité calculés selon la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) et fixés à 18 013,31 $ conformément au projet de mémoire de dépens présenté par le CNAC, comprenant les frais de transport, de logement et de déplacement, payables sans délai et quelle que soit l’issue de la cause;

 

6.                     Pour ce qui est des dépens pour les présentes requêtes, les parties auront jusqu’au 30 juin 2006 pour présenter des observations en sus de celles qui figurent dans leurs documents, à la suite de quoi la Cour fixera le montant des dépens pour ces requêtes, à moins que les avocats ne suggèrent une autre façon de procéder et que la Cour y consente.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑66‑86‑A

 

INTITULÉ :                                       LA BANDE DE SAWRIDGE

                                                            c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

DOSSIER :                                        T‑66‑86‑B

 

INTITULÉ :                                       LA PREMIÈRE NATION TSUU T’INA (antérieurement la bande indienne de Sarcee)

                                                            c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LES 8 ET 9 FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

                                                                              Catherine Twinn                             POUR LES DEMANDERESSES

 

Edward H. Molstad, c.r.                       POUR LES DEMANDERESSES

Nathan Whitling

 

                                                                              Dale Slaferek                                              POUR LA DÉFENDERESSE

 

Mary Eberts                                         POUR L’INTERVENANTE

                                                            L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

Derek Cranna                                       POUR L’INTERVENANT

Karen Scott                                          LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

 

Michael Donaldson                               POUR L’INTERVENANTE

Laura Snowball                                    LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

 

Janet Hutchison                                    POUR L’INTERVENANT

                                                            LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA

 

Ryan Flewelling                                    POUR L’INTERVENANT

                                                            LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Twinn, avocats                                     POUR LES DEMANDERESSES

Slave Lake (Alberta)

 

Parlee McLaws LLP                            POUR LES DEMANDERESSES

Edmonton (Alberta)                             

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous‑procureur général du Canada

 

Cabinet de Mary Eberts                        POUR L’INTERVENANTE

Toronto (Ontario)                                 L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

Field LLP                                             POUR L’INTERVENANT

Edmonton (Alberta)                              LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

 

Burnet Duckworth & Palmer LLP         POUR L’INTERVENANTE

Calgary (Alberta)                                  LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

 

Chamberlain Hutchison                         POUR L’INTERVENANT

Edmonton (Alberta)                              LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA

 

Avocat                                                 POUR L’INTERVENANT

Ottawa (Ontario)                                  LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA

 

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