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Date : 20040929

Dossier : T-709-03

Référence : 2004 CF 1334

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2004

En présence de Monsieur le juge Mosley                            

ENTRE :

LE SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE,

LE CONSEIL DES CANADIENS, LA COALITION CANADIENNE DE LA SANTÉ,

LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER ET LA FÉDÉRATION CANADIENNES DES SYNDICATS D'INFIRMIÈRES

ET D'INFIRMIERS

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Les demandeurs, un groupement de syndicats et d'organismes de défense de l'intérêt public, prétendent que le ministre de la Santé n'exerce pas les fonctions de sa charge qui sont imposées par la Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, ch. C-6 (la LCS), alléguant qu'il ne surveille pas adéquatement le respect des exigences prévues par la Loi et qu'il ne fait pas dûment rapport de son application au Parlement comme il en a l'obligation. Ils affirment plus particulièrement qu'il n'a pas examiné la mesure dans laquelle les régimes provinciaux d'assurance-santé ont satisfait aux conditions d'octroi relatives aux normes nationales établies par la Loi et dans laquelle les provinces ont respecté les conditions obligatoires auxquelles est assujetti le versement de la contribution financière fédérale.

[2]                Les demandeurs prient la Cour de rendre un jugement déclaratoire portant que le ministre a fait défaut d'exécuter les obligations prévues par la Loi et portant que le rapport annuel qu'il doit déposer en application de la Loi omet des renseignements pertinents et de prononcer une ordonnance de la nature d'un mandamus enjoignant au ministre de faire dûment enquête sur le non-respect de la Loi par les provinces et de faire rapport à ce sujet[1].

[3]                Les prétentions des demandeurs et les réparations qu'ils recherchent se rattachent à d'importantes questions d'intérêt public touchant de près les Canadiens. Dans sa réponse, le ministre reconnaît l'importance des questions en cause, mais fait valoir que la Cour n'est pas le lieu où elles doivent être abordées. Se pose donc la question préliminaire de savoir si les prétentions des demandeurs sont des questions justiciables. Le défendeur conteste également la reconnaissance aux demandeurs de la qualité pour agir dans l'intérêt public.


[4]                Les parties ayant consenti à l'instruction accélérée de toutes les questions soulevées dans les actes de procédure, j'ai entendu l'argumentation sur le fond des demandes ainsi que les objections du défendeur et j'ai examiné la preuve soumise. Comme je suis parvenu à la conclusion que les questions soulevées par les demandeurs ne sont pas justiciables, seul ce point sera abordé dans les présents motifs.

CONTEXTE

Les demandeurs

[5]                Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) compte environ 180 000 membres travaillant dans le secteur des soins de la santé, dont des infirmières, des radiologistes, des travailleurs paramédicaux et des employés de buanderie et de cuisine d'hôpitaux. La directrice générale des services nationaux du SCFP, Morna Ballantyne, déclare dans son affidavit que le syndicat doit affronter [traduction] « un nombre sans précédent d'initiatives visant à confier en sous-traitance ou à privatiser des fonctions accomplies par ses membres » . Cette situation peut avoir des répercussions non seulement sur les droits de ces employés à la négociation collective, mais aussi sur leurs conditions d'emploi, sur la valeur de leur pension de retraite et sur leur sécurité d'emploi.


[6]                Le Conseil des Canadiens réunit actuellement plus de 100 000 membres dans tout le Canada, répartis en cinquante sections locales. L'objet principal de l'organisme, tel qu'il est défini dans l'affidavit souscrit pas sa présidente nationale, Maude Barlow, est la promotion de la justice économique, le renouvellement de la démocratie, l'affirmation de la souveraineté canadienne, la protection de l'environnement et la présentation de solutions de rechange au libre-échange tel qu'il est privilégié par les entreprises. Le Conseil effectue des recherches, dirige des campagnes d'information et publie des rapports pour stimuler le débat chez les Canadiens sur des sujets comme la protection et l'accroissement des soins de santé financés par l'État.

[7]                La Coalition canadienne de la santé rassemble des organismes représentant des syndicats, des personnes âgées, des femmes, des églises, des étudiants, des consommateurs et des professionnels de la santé de tout le Canada. L'un des buts principaux que poursuit cet organisme est la protection et l'amélioration du régime public de soins de santé au profit de tous les Canadiens.

[8]                Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCCEP) représente 150 000 travailleurs des secteurs des pâtes et papiers, de la téléphonie et des industries pétrolière, gazière, chimique et minière. Il compte également des membres dans beaucoup d'autres domaines de travail. Le président du SCCEP, Brian Payne, déclare dans son affidavit que le régime canadien de soins de santé financés par l'État est une question primordiale pour les membres du Syndicat.


[9]                Enfin, la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et infirmiers est le plus important organisme d'infirmières et infirmiers au Canada. Elle compte environ 122 000 membres appartenant à neuf syndicats et provenant de tout le Canada. Elle veut, par son action, s'assurer que les politiques de santé tiennent compte des priorités du personnel infirmier et des patients.

La Loi canadienne sur la santé                                

[10]            Le préambule de la LCS énonce que le gouvernement du Canada n'a pas l'intention d'abroger les pouvoirs dévolus aux provinces sous le régime de la Loi constitutionnelle de 1867 ni d'y déroger. Ce texte de loi, édicté en 1984, énonce cinq conditions d'octroi fondamentales et fixe les conditions de versement auxquelles les régimes provinciaux d'assurance-santé[2] doivent satisfaire pour recevoir l'intégralité des contributions pécuniaires prévues sous le régime de Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS).

[11]            Le TCSPS est autorisé par la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, L.R.C. 1985, ch. F-8. En 1999, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont négocié l'Entente-cadre sur l'union sociale, laquelle comprend un mécanisme non obligatoire de « prévention et règlement des différends » visant à résoudre les litiges intergouvernementaux. Au mois d'avril 2002, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux (sauf celui du Québec) se sont entendus sur un mécanisme de prévention et de règlement des différends relatifs à la LCS.


[12]            Le ministre de la santé est tenu, en vertu de l'article 23 de la LCS de faire rapport chaque année au Parlement de l'application de la Loi. La présente instance a pour objet le rapport 2001-2002 qu'il a déposé devant la Chambre des communes le 14 février 2003. Voici le texte de l'article 23 :


23. Au plus tard pour le 31 décembre de chaque année, le ministre établit dans les meilleurs délais un rapport sur l'application de la présente loi au cours du précédent exercice, en y incluant notamment tous les renseignements pertinents sur la mesure dans laquelle les régimes provinciaux d'assurance-santé et les provinces ont satisfait aux conditions d'octroi et de versement prévues à la présente loi; le ministre fait déposer le rapport devant chaque chambre du Parlement dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant son achèvement.

23. The Minister shall, as soon as possible after the termination of each fiscal year and in any event not later than December 31 of the next fiscal year, make a report respecting the administration and operation of this Act for that fiscal year, including all relevant information on the extent to which provincial health care insurance plans have satisfied the criteria, and the extent to which the provinces have satisfied the conditions, for payment under this Act and shall cause the report to be laid before each House of Parliament on any of the first fifteen days on which that House is sitting after the report is completed.



[13]            Le rapport annuel se compose de données et de descriptions concernant les régimes provinciaux d'assurance-santé, compilées par les provinces à l'aide du Guide de l'utilisateur préparé à leur intention par Santé Canada. Ce guide énumère les renseignements relatifs aux régimes provinciaux d'assurance-santé que le ministre considère pertinents pour la préparation du rapport qu'il doit déposer sur le respect de la LCS. Selon les demandeurs, il arrive souvent que les provinces ne donnent pas de réponses complètes ou uniformes aux questions formulées dans le Guide et que le rapport annuel ne renferme pour ainsi dire aucune évaluation ou analyse de la façon dont chaque province se conforme aux conditions prévues par la LCS. D'importants aspects comme les périodes d'attente et la mesure dans laquelle des particuliers font appel à des ressources privées de soins de santé plutôt qu'au régime public ne sont pas traités. Pour les demandeurs, il s'agit là de « lacunes informationnelles » .

[14]            Les articles 3 et 4 de la LCS exposent les objectifs de la politique canadienne de la santé et le but de la Loi. Ils sont ainsi conçus :


3. La politique canadienne de la santé a pour premier objectif de protéger, de favoriser et d'améliorer le bien-être physique et mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d'ordre financier ou autre.

4. La présente loi a pour raison d'être d'établir les conditions d'octroi et de versement d'une pleine contribution pécuniaire pour les services de santé assurés et les services complémentaires de santé fournis en vertu de la loi d'une province.

3. It is hereby declared that the primary objective of Canadian health care policy is to protect, promote and restore the physical and mental well-being of residents of Canada and to facilitate reasonable access to health services without financial or other barriers.

4. The purpose of this Act is to establish criteria and conditions in respect of insured health services and extended health care services provided under provincial law that must be met before a full cash contribution may be made.


[15]            Les cinq conditions fondamentales auxquelles doivent satisfaire les régimes provinciaux d'assurance-santé pour être admissibles aux contributions pécuniaires fédérales sont énumérées à l'article 7 de la Loi. Les articles 8 et 12 détaillent les modalités d'observations de chacune de ces cinq conditions :



7. Le versement à une province, pour un exercice, de la pleine contribution pécuniaire visée à l'article 5 est assujetti à l'obligation pour le régime d'assurance-santé de satisfaire, pendant tout cet exercice, aux conditions d'octroi énumérées aux articles 8 à 12 quant à :

a) la gestion publique;

b) l'intégralité;

c) l'universalité;

d) la transférabilité;

e) l'accessibilité.

8. (1) La condition de gestion publique suppose que :

a) le régime provincial d'assurance-santé soit géré sans but lucratif par une autorité publique nommée ou désignée par le gouvernement de la province;

b) l'autorité publique soit responsable devant le gouvernement provincial de cette gestion;

c) l'autorité publique soit assujettie à la vérification de ses comptes et de ses opérations financières par l'autorité chargée par la loi de la vérification des comptes de la province.

(2) La condition de gestion publique n'est pas enfreinte du seul fait que l'autorité publique visée au paragraphe (1) a le pouvoir de désigner un mandataire chargé :

a) soit de recevoir en son nom les montants payables au titre du régime provincial d'assurance-santé;

b) soit d'exercer en son nom les attributions liées à la réception ou au règlement des comptes remis pour prestation de services de santé assurés si la désignation est assujettie à la vérification et à l'approbation par l'autorité publique des comptes ainsi remis et à la détermination par celle-ci des montants à payer à cet égard.

Intégralité

9. La condition d'intégralité suppose qu'au titre du régime provincial d'assurance-santé, tous les services de santé assurés fournis par les hôpitaux, les médecins ou les dentistes soient assurés, et lorsque la loi de la province le permet, les services semblables ou additionnels fournis par les autres professionnels de la santé.

Universalité

10. La condition d'universalité suppose qu'au titre du régime provincial d'assurance-santé, cent pour cent des assurés de la province ait droit aux services de santé assurés prévus par celui-ci, selon des modalités uniformes.

Transférabilité

11. (1) La condition de transférabilité suppose que le régime provincial d'assurance-santé :

a) n'impose pas de délai minimal de résidence ou de carence supérieur à trois mois aux habitants de la province pour qu'ils soient admissibles ou aient droit aux services de santé assurés;

b) prévoie et que ses modalités d'application assurent le paiement des montants pour le coût des services de santé assurés fournis à des assurés temporairement absents de la province :

(i) si ces services sont fournis au Canada, selon le taux approuvé par le régime d'assurance-santé de la province où ils sont fournis, sauf accord de répartition différente du coût entre les provinces concernées,

(ii) s'il sont fournis à l'étranger, selon le montant qu'aurait versé la province pour des services semblables fournis dans la province, compte tenu, s'il s'agit de services hospitaliers, de l'importance de l'hôpital, de la qualité des services et des autres facteurs utiles;

c) prévoie et que ses modalités d'application assurent la prise en charge, pendant le délai minimal de résidence ou de carence imposé par le régime d'assurance-santé d'une autre province, du coût des services de santé assurés fournis aux personnes qui ne sont plus assurées du fait qu'elles habitent cette province, dans les mêmes conditions que si elles habitaient encore leur province d'origine.

(2) La condition de transférabilité n'est pas enfreinte du fait qu'il faut, aux termes du régime d'assurance-santé d'une province, le consentement préalable de l'autorité publique qui le gère pour la prestation de services de santé assurés facultatifs à un habitant temporairement absent de la province, si ces services y sont offerts selon des modalités sensiblement comparables.

(3) Pour l'application du paragraphe (2), « services de santé assurés facultatifs » s'entend des services de santé assurés, à l'exception de ceux qui sont fournis d'urgence ou dans d'autres circonstances où des soins médicaux sont requis sans délai.

Accessibilité

12. (1) La condition d'accessibilité suppose que le régime provincial d'assurance-santé :

a) offre les services de santé assurés selon des modalités uniformes et ne fasse pas obstacle, directement ou indirectement, et notamment par facturation aux assurés, à un accès satisfaisant par eux à ces services;

b) prévoie la prise en charge des services de santé assurés selon un tarif ou autre mode de paiement autorisé par la loi de la province;

c) prévoie une rémunération raisonnable de tous les services de santé assurés fournis par les médecins ou les dentistes;

d) prévoie le versement de montants aux hôpitaux, y compris les hôpitaux que possède ou gère le Canada, à l'égard du coût des services de santé assurés.

(2) Pour toute province où la surfacturation n'est pas permise, il est réputé être satisfait à l'alinéa (1)c) si la province a choisi de conclure un accord et a effectivement conclu un accord avec ses médecins et dentistes prévoyant:

a) la tenue de négociations sur la rémunération des services de santé assurés entre la province et les organisations provinciales représentant les médecins ou dentistes qui exercent dans la province;

b) le règlement des différends concernant la rémunération par, au choix des organisations provinciales compétentes visées à l'alinéa a), soit la conciliation soit l'arbitrage obligatoire par un groupe représentant également les organisations provinciales et la province et ayant un président indépendant;

c) l'impossibilité de modifier la décision du groupe visé à l'alinéa b), sauf par une loi de la province.

7. In order that a province may qualify for a full cash contribution referred to in section 5 for a fiscal year, the health care insurance plan of the province must, throughout the fiscal year, satisfy the criteria described in sections 8 to 12 respecting the following matters:

(a) public administration;

(b) comprehensiveness;

(c) universality;

(d) portability; and

(e) accessibility.

8. (1) In order to satisfy the criterion respecting public administration,

(a) the health care insurance plan of a province must be administered and operated on a non-profit basis by a public authority appointed or designated by the government of the province;

(b) the public authority must be responsible to the provincial government for that administration and operation; and

(c) the public authority must be subject to audit of its accounts and financial transactions by such authority as is charged by law with the audit of the accounts of the province.

(2) The criterion respecting public administration is not contravened by reason only that the public authority referred to in subsection (1) has the power to designate any agency

(a) to receive on its behalf any amounts payable under the provincial health care insurance plan; or

(b) to carry out on its behalf any responsibility in connection with the receipt or payment of accounts rendered for insured health services, if it is a condition of the designation that all those accounts are subject to assessment and approval by the public authority and that the public authority shall determine the amounts to be paid in respect thereof.

Comprehensiveness

9. In order to satisfy the criterion respecting comprehensiveness, the health care insurance plan of a province must insure all insured health services provided by hospitals, medical practitioners or dentists, and where the law of the province so permits, similar or additional services rendered by other health care practitioners.

Universality

10. In order to satisfy the criterion respecting universality, the health care insurance plan of a province must entitle one hundred per cent of the insured persons of the province to the insured health services provided for by the plan on uniform terms and conditions.

Portability

11. (1) In order to satisfy the criterion respecting portability, the health care insurance plan of a province

(a) must not impose any minimum period of residence in the province, or waiting period, in excess of three months before residents of the province are eligible for or entitled to insured health services;

(b) must provide for and be administered and operated so as to provide for the payment of amounts for the cost of insured health services provided to insured persons while temporarily absent from the province on the basis that

(i) where the insured health services are provided in Canada, payment for health services is at the rate that is approved by the health care insurance plan of the province in which the services are provided, unless the provinces concerned agree to apportion the cost between them in a different manner, or

(ii) where the insured health services are provided out of Canada, payment is made on the basis of the amount that would have been paid by the province for similar services rendered in the province, with due regard, in the case of hospital services, to the size of the hospital, standards of service and other relevant factors; and

(c) must provide for and be administered and operated so as to provide for the payment, during any minimum period of residence, or any waiting period, imposed by the health care insurance plan of another province, of the cost of insured health services provided to persons who have ceased to be insured persons by reason of having become residents of that other province, on the same basis as though they had not ceased to be residents of the province.

(2) The criterion respecting portability is not contravened by a requirement of a provincial health care insurance plan that the prior consent of the public authority that administers and operates the plan must be obtained for elective insured health services provided to a resident of the province while temporarily absent from the province if the services in question were available on a substantially similar basis in the province.

(3) For the purpose of subsection (2), "elective insured health services" means insured health services other than services that are provided in an emergency or in any other circumstance in which medical care is required without delay.

Accessibility

12. (1) In order to satisfy the criterion respecting accessibility, the health care insurance plan of a province

(a) must provide for insured health services on uniform terms and conditions and on a basis that does not impede or preclude, either directly or indirectly whether by charges made to insured persons or otherwise, reasonable access to those services by insured persons;

(b) must provide for payment for insured health services in accordance with a tariff or system of payment authorized by the law of the province;

(c) must provide for reasonable compensation for all insured health services rendered by medical practitioners or dentists; and

(d) must provide for the payment of amounts to hospitals, including hospitals owned or operated by Canada, in respect of the cost of insured health services.

(2) In respect of any province in which extra-billing is not permitted, paragraph (1)(c) shall be deemed to be complied with if the province has chosen to enter into, and has entered into, an agreement with the medical practitioners and dentists of the province that provides

(a) for negotiations relating to compensation for insured health services between the province and provincial organizations that represent practising medical practitioners or dentists in the province;

(b) for the settlement of disputes relating to compensation through, at the option of the appropriate provincial organizations referred to in paragraph (a), conciliation or binding arbitration by a panel that is equally representative of the provincial organizations and the province and that has an independent chairman; and

(c) that a decision of a panel referred to in paragraph (b) may not be altered except by an Act of the legislature of the province.


[16]            L'article 13 de la Loi énumère les exigences en matière de rapport auxquelles les provinces doivent satisfaire pour avoir droit à la pleine contribution pécuniaire et énonce que les modalités de communication de renseignements seront établies par règlement. Toutefois, aucun règlement n'a été pris. Voici le texte de cette disposition :


13. Le versement à une province de la pleine contribution pécuniaire visée à l'article 5 est assujetti à l'obligation pour le gouvernement de la province :

a) de communiquer au ministre, selon les modalités de temps et autres prévues par les règlements, les renseignements du genre prévu aux règlements, dont celui-ci peut normalement avoir besoin pour l'application de la présente loi;

b) de faire état du Transfert dans tout document public ou toute publicité sur les services de santé assurés et les services complémentaires de santé dans la province.

13. In order that a province may qualify for a full cash contribution referred to in section 5, the government of the province

(a) shall, at the times and in the manner prescribed by the regulations, provide the Minister with such information, of a type prescribed by the regulations, as the Minister may reasonably require for the purposes of this Act; and

(b) shall give recognition to the Canada Health and Social Transfer in any public documents, or in any advertising or promotional material, relating to insured health services and extended health care services in the province.


[17]            Sous le régime des articles 14 et 15, le gouverneur en conseil peut, lorsque le ministre lui renvoie un cas de non-respect de la LCS, exercer le pouvoir de réduire ou retenir la contribution pécuniaire fédérale s'il est d'avis que la province ne se conforme pas à la LCS :



14. (1) Sous réserve du paragraphe (3), dans le cas où il estime, après avoir consulté conformément au paragraphe (2) son homologue chargé de la santé dans une province :

a) soit que le régime d'assurance-santé de la province ne satisfait pas ou plus aux conditions visées aux articles 8 à 12;

b) soit que la province ne s'est pas conformée aux conditions visées à l'article 13,

et que celle-ci ne s'est pas engagée de façon satisfaisante à remédier à la situation dans un délai suffisant, le ministre renvoie l'affaire au gouverneur en conseil.

(2) Avant de renvoyer une affaire au gouverneur en conseil conformément au paragraphe (1) relativement à une province, le ministre :

a) envoie par courrier recommandé à son homologue chargé de la santé dans la province un avis sur tout problème éventuel;

b) tente d'obtenir de la province, par discussions bilatérales, tout renseignement additionnel disponible sur le problème et fait rapport à la province dans les quatre-vingt-dix jours suivant l'envoi de l'avis;

c) si la province le lui demande, tient une réunion dans un délai acceptable afin de discuter du rapport.

(3) Le ministre peut procéder au renvoi prévu au paragraphe (1) sans consultation préalable s'il conclut à l'impossibilité d'obtenir cette consultation malgré des efforts sérieux déployés à cette fin au cours d'un délai convenable.

15. (1) Si l'affaire lui est renvoyée en vertu de l'article 14 et qu'il estime que le régime d'assurance-santé de la province ne satisfait pas ou plus aux conditions visées aux articles 8 à 12 ou que la province ne s'est pas conformée aux conditions visées à l'article 13, le gouverneur en conseil peut, par décret :

a) soit ordonner, pour chaque manquement, que la contribution pécuniaire d'un exercice à la province soit réduite du montant qu'il estime indiqué, compte tenu de la gravité du manquement;

b) soit, s'il l'estime indiqué, ordonner la retenue de la totalité de la contribution pécuniaire d'un exercice à la province.

...

14. (1) Subject to subsection (3), where the Minister, after consultation in accordance with subsection (2) with the minister responsible for health care in a province, is of the opinion that

(a) the health care insurance plan of the province does not or has ceased to satisfy any one of the criteria described in sections 8 to 12, or

(b) the province has failed to comply with any condition set out in section 13,

and the province has not given an undertaking satisfactory to the Minister to remedy the default within a period that the Minister considers reasonable, the Minister shall refer the matter to the Governor in Council.

(2) Before referring a matter to the Governor in Council under subsection (1) in respect of a province, the Minister shall

(a) send by registered mail to the minister responsible for health care in the province a notice of concern with respect to any problem foreseen;

(b) seek any additional information available from the province with respect to the problem through bilateral discussions, and make a report to the province within ninety days after sending the notice of concern; and

(c) if requested by the province, meet within a reasonable period of time to discuss the report.

(3) The Minister may act without consultation under subsection (1) if the Minister is of the opinion that a sufficient time has expired after reasonable efforts to achieve consultation and that consultation will not be achieved.

15. (1) Where, on the referral of a matter under section 14, the Governor in Council is of the opinion that the health care insurance plan of a province does not or has ceased to satisfy any one of the criteria described in sections 8 to 12 or that a province has failed to comply with any condition set out in section 13, the Governor in Council may, by order,

(a) direct that any cash contribution to that province for a fiscal year be reduced, in respect of each default, by an amount that the Governor in Council considers to be appropriate, having regard to the gravity of the default; or

(b) where the Governor in Council considers it appropriate, direct that the whole of any cash contribution to that province for a fiscal year be withheld.

...


La preuve présentée

[18]            Les demandeurs ont déposé plusieurs affidavits. Le premier a été souscrit par Joan Gilmour, professeure spécialisée en droit et politique de la santé, qui a fait des recherches et publié plusieurs articles sur la réglementation et la politique de la santé ainsi que sur la privatisation des soins de santé. Mme Gilmour trace l'historique de la prestation des soins de santé au Canada et en décrit la situation actuelle, puis elle formule des commentaires sur les effets que la prolifération de cliniques de santé privées à but lucratif entraîne sur les conditions prévues par la Loi. Elle déclare qu'il est essentiel, selon elle, que tout jugement sur la conformité aux exigences de la LCS des services de santé provinciaux assurés fasse intervenir l'évaluation de la nature et des effets des tentatives et initiatives de privatisation dans chaque province.

[19]            Mme Gilmour se déclare d'opinion que le rapport annuel du ministre ne rend pas bien compte de l'évolution et des changements fondamentaux qu'a connus le domaine des soins de santé, notamment la multiplication des cliniques privées et des services à but lucratif, laquelle encourage la recherche de passe-droits et le paiement privé de services assurés et mine le régime public de soins de santé assurés par l'État. La déposante déclare également que le ministre se borne, dans son rapport, à décrire les régimes provinciaux d'assurance-santé en se fondant sur les données et les statistiques fournies par les provinces sans formuler aucune critique.


[20]            Le deuxième affidavit des demandeurs provient de la professeure Pat Armstrong, titulaire actuelle de la chaire de recherche sur les services de santé et les sciences infirmières subventionnée par la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé et les Instituts de recherche en santé du Canada. Elle décrit les problèmes et les lacunes qu'elle a observés dans les rapports annuels du ministre, comme l'absence de mention des plaintes formulées par des citoyens au sujet de cas de contravention potentielle. Elle indique que les vérificateurs généraux du Canada ont maintes fois signalé que les ministres de la Santé successifs ne se sont pas acquittés des obligations en matière de surveillance, de reddition de compte et d'application de la loi que leur impose la LCS, et affirme que le rapport annuel ne permet pas aux parlementaires de déterminer si les provinces emploient les milliards de dollars qui leur sont transférés à la prestation de soins de santé conformes à la Loi. Selon elle, l'information fournie par les provinces pour la confection du rapport n'est constituée que de [traduction] « renseignements disparates incomplets qui, souvent, ne sont pas comparables et qui varient considérablement d'une province à l'autre » . Mme Armstrong affirme également qu'à son avis le rapport annuel n'évalue pas dans quelle mesure les provinces se conforment à la LCS.


[21]            Les demandeurs ont également déposé l'affidavit du Dr Philip Devereaux, membre du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et chercheur clinicien et cardiologue au département de médecine de l'Université McMaster. Le déposant y fait des déclarations sur l'absence de renseignements comparatifs dans les rapports annuels présentés en application de la LCS, et il confronte l'information qu'ils renferment aux analyses comparatives qu'il a réalisées des résultats en matière de santé obtenus par des systèmes de soins de santé privés à but lucratif appartenant à des investisseurs et par des systèmes de soins de santé privés sans but lucratif. Ses études, fondées sur des données recueillies aux États-Unis, révèlent que, dans le cadre d'une entreprise à but lucratif, la prestation des soins de santé comporte [traduction] « un risque de décès sensiblement plus élevé pour le patient que si les mêmes soins étaient dispensés dans le cadre d'un système sans but lucratif » .

[22]            Des représentants de chacun des organismes demandeurs ont souscrit des affidavits dans lesquels ils exposent l'intérêt de leur organisme dans les questions soulevées par la présente instance.


[23]            Le défendeur a déposé trois affidavits. Le premier a été souscrit par Roger Guillemette, directeur adjoint de l'Unité d'analyse et de diffusion de l'information de la Division de la Loi canadienne sur la santé. Cette unité est chargée de la production du rapport annuel prévu par la LCS et, notamment, de la collecte, de l'analyse et du traitement de l'information se rapportant à l'application de la Loi. Dans son affidavit, M. Guillemette retrace l'évolution de l'obligation de faire rapport imposée à l'article 23 de la LCS et décrit son application; il fait l'historique des programmes fédéraux-provinciaux de soins de santé à frais partagés et qualifie la démarche suivie par Santé Canada pour la collecte de renseignements sur les régimes provinciaux d'assurance-santé de démarche coopérative et interactive. Il explique que le rapport annuel comporte trois parties : une description des systèmes de soins de santé provinciaux par rapport aux cinq conditions établies par la Loi, des renseignements confirmant le respect des conditions d'octroi et de versement et des statistiques illustrant des tendances dans les régimes provinciaux de soins de santé.


[24]            M. Guillemette déclare que chaque année on met le Guide de l'utilisateur à jour et on lui apporte les précisions que Santé Canada estime nécessaires par suite de son examen des renseignements de l'année précédente, après discussion et évaluation du contenu des modifications avec les fonctionnaires provinciaux de la santé; cette opération vise également à clarifier les exigences en matière d'information pour répondre à des préoccupations provinciales ou fédérales. Des rencontres, des téléconférences et des consultations se tiennent toute l'année concernant la préparation du rapport de l'année suivante. M. Guillemette indique également qu'en 2000, le personnel et les fonds consacrés à la préparation du rapport annuel ont été augmenté, pour améliorer l'application de la LCS et pour permettre à Santé Canada de mieux évaluer et surveiller le respect de la Loi. Il signale aussi que depuis la présentation du premier rapport en 1984-1985, la longueur du document a triplé. Il conclut en affirmant que le rapport [traduction] « n'est pas une liste de vérification des irrégularités ni un instrument servant à exposer de présumées déficiences des régimes provinciaux d'assurance-santé, pas plus qu'il ne sert à dresser l'inventaire des questions de conformité et de surveillance qui font ou feront l'objet de discussions. À mon avis, il a pour fonction de fournir des renseignements objectifs sur la mesure dans laquelle les régimes provinciaux ont satisfait aux conditions d'octroi et de versement énoncés dans la LCS » .

[25]            Le deuxième affidavit est celui de Gigi Mandy, directrice de la Division de la Loi canadienne sur la Santé de Santé Canada. Mme Mandy décrit la Division comme l'organisme auquel a été délégué le pouvoir du ministre de veiller à l'application de la LCS et qui, à ce titre, est chargé de son application courante. La production du rapport annuel relève principalement de l'Unité d'analyse et de diffusion de l'information (UADI) de la Division. Dans son affidavit, Mme Mandy a fait des commentaires sur l'application de la LCS par Santé Canada. Selon elle, la Division se tient informée, comme elle le doit, des nouvelles questions soulevées en matière d'assurance-santé au Canada, elle surveille l'administration provinciale des soins de santé, elle reçoit les plaintes se rapportant aux soins de santé et à l'application de la Loi et elle les traite en vérifiant les faits auprès des provinces et, si les problèmes ne sont pas réglés, en demandant à la province de faire enquête et de lui faire rapport. Le ministre fédéral de la Santé n'est saisi d'un problème que s'il n'a pas été réglé à la satisfaction de la Division après toutes ces étapes.


[26]            Mme Mandy déclare qu'au sein de la Division, c'est l'Unité de l'interprétation et de la conformité qui relève les problèmes relatifs au respect par les provinces des conditions d'octroi et de versement de la LCS et qui tente, au nom du ministre, de les résoudre par la collaboration et la coopération. Elle atteste que, pour parvenir à l'opinion visée à l'article 14, le ministre peut prendre en considération [traduction] « les questions relatives au système de santé, les pressions et les priorités, l'état des relations intergouvernementales dans le domaine de la santé, les questions financières et budgétaires et les effets que l'opinion du ministre aura sur les autres activités relatives à la LCS » . Elle déclare également que, pour le ministre, le rapport ne sert pas à déterminer s'il y a eu contravention à la Loi, car ce type de surveillance et de consultation au sujet de plaintes et de contraventions possibles a lieu pendant toute l'année.

[27]            Mme Mandy signale que les accords fédéraux et provinciaux de 2002 ont eu pour effet de rendre plus transparent le processus suivi par le ministre pour formuler une opinion au sujet de la conformité des régimes provinciaux d'assurance-santé aux conditions d'octroi ou de versement prévues par la LCS. Il ne reste pas moins que le ministre n'est pas lié par le rapport de prévention des différends et qu'il conserve la totalité de son pouvoir discrétionnaire de formuler une opinion sur la non-conformité d'une province.


[28]            Le troisième affidavit du défendeur provient de David Kelly, ancien sous-ministre de la Santé en Colombie-Britannique, qui a été sous-ministre adjoint de la Santé, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et en Alberta entre 1980 et 1990. M. Kelly a également écrit et prononcé des allocutions sur la question de la politique des soins de santé. Dans son affidavit, il donne un aperçu des questions qui se sont posées au cours des dernières années et met l'accent sur la complexité de l'administration de la prestation des soins de santé. Selon lui, le rapport annuel n'a pas pour but d'analyser les tendances actuelles ou futures du système de santé canadien, car le ministre peut obtenir ces renseignements de nombreuses autres sources, dont l'Institut canadien d'information sur la santé, créé par Santé Canada, notamment, en 1994. À son avis, le rapport annuel a pour but de décrire les modalités d'organisation et de prestation mises en place par les régimes d'assurance-santé provinciaux pour se conformer aux conditions d'octroi et de versement prévues par la Loi fédérale, et il le fait en présentant des renseignements pertinents indiquant comment les provinces satisfont aux conditions et aux dispositions de la Loi.                     

La position des parties

[29]            Les demandeurs ont mis en lumière, au moyen des affidavits de leurs témoins experts, les lacunes dans la nature et dans la substance de l'information fournie par les provinces et incorporée dans le rapport annuel de Santé Canada. Ils allèguent que le rapport ne rend pas complètement et clairement compte des changements opérés dans les régimes provinciaux d'assurance-santé, changements qui semblent permettre, et même, faciliter la privatisation de services assurés, notamment la prestation privée à but lucratif et le paiement privé de services de santé. Ils affirment aussi que le rapport passe sous silence des questions importantes et pressantes, comme la pénurie de médecins, d'infirmières et d'autres professionnels de la santé dans beaucoup de régions, les listes d'attente pour des diagnostics ou des interventions chirurgicales et les programmes visant à retirer des soins de santé aux hôpitaux, même si ces questions dominent les débats publics. Remontant jusqu'à 1987, ils citent des rapports de vérificateurs généraux du Canada critiquant l'absence dans le rapport annuel d'évaluation et d'analyse au sujet de l'observation de la LCS par les provinces.


[30]            Les demandeurs n'ont pas abordé directement la question de la justiciabilité dans leur plaidoyer écrit. À l'audience, ils ont soutenu que toutes les questions de fond soulevées nécessitaient une intervention judiciaire. Partant de la prémisse qu'en vertu de l'article 23 de la LCS le ministre a l'obligation, et non pas simplement le pouvoir discrétionnaire, de présenter un rapport au Parlement contenant tous les renseignements pertinents sur la mesure dans laquelle les provinces ont satisfait aux conditions d'octroi et de versement prévues par la LCS, ils prétendent que les présumées « lacunes informationnelles » relevées dans le rapport empêchent le Parlement et le public d'évaluer valablement dans quelle mesure les provinces observent la Loi. Ils ajoutent que le ministre a irrégulièrement délégué aux provinces son pouvoir de rendre compte en cédant la responsabilité de rédiger la plus grande partie du rapport à des fonctionnaires provinciaux et qu'il a accepté que les provinces exercent dans les faits un droit de veto sur les renseignements qu'elles fourniront.


[31]            Selon les demandeurs, la Cour pourrait déduire que le ministre de la Santé a décidé de ne pas tenir compte du pouvoir qui lui est dévolu à l'article 14 et qu'il a ainsi exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon qui est incompatible avec l'objet de la Loi et qui y porte atteinte. Les facteurs énumérés dans l'affidavit Mandy ([traduction] « les questions relatives au système de santé, les pressions et les priorités, l'état des relations intergouvernementales dans le domaine de la santé, les questions financières et budgétaires et les effets que l'opinion du ministre aura sur les autres activités relatives à la LCS » ) ne sont pas des facteurs prescrits au paragraphe14(1) comme exigences préalables à l'envoi aux provinces de l'avis relatif à un problème qui ouvre le processus prévu à l'article 14 en cas de non-conformité. Les demandeurs soutiennent donc que le ministre a modifié la procédure que le législateur a prévue à l'article 14 et limité le pouvoir discrétionnaire qu'il peut exercer pour l'application de cette disposition.

[32]            Les parties conviennent que, depuis l'édiction de la LCS en 1984, le ministre n'a jamais transmis à une province d'avis relatif à un problème sous le régime de l'article 14, pas plus qu'il n'a renvoyé une question au gouverneur en conseil, en dépit du fait, prétendent les demandeurs, que l'observation de la Loi par les provinces a suscité des préoccupations qui ont été largement diffusées. Les demandeurs prétendent que le ministre a [traduction] « abdiqué ses responsabilités » en n'envoyant pas d'avis relatif à un problème aux provinces. De nombreuses plaintes ont été formulées au sujet du non-respect par les provinces des conditions prévues par la Loi, y compris des plaintes portant sur les passe-droits que le paiement privé de services assurés par l'État permet d'obtenir. Les demandeurs se reportent à une déclaration faite par le vérificateur général dans son rapport de 2002, selon laquelle il n'y a pas eu d'enquête sur de possibles cas de non-respect des conditions prévues par la Loi depuis 1999.


[33]            Les demandeurs reconnaissent que les responsabilités qu'assume le ministre relativement à l'application de la LCS sous le régime de l'article 14 comportent un caractère discrétionnaire, mais ils soutiennent que les tribunaux ont un rôle de supervision à jouer et qu'ils peuvent enjoindre au ministre de ne pas limiter sa compétence en refusant de l'exercer. De plus, le ministre ne doit faire intervenir que des facteurs pertinents dans les décisions discrétionnaires qu'il prend, et il doit écarter les facteurs non pertinents. Selon les demandeurs, la Cour peut accepter que la norme applicable au contrôle de l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel soit empreinte de retenue, mais la preuve démontre que les ministres qui se sont succédé ont illégalement limité leur obligation de déterminer s'il y a lieu d'appliquer les dispositions de l'article 14 de la LCS.

[34]            Le défendeur soutient quant à lui que la Cour devrait refuser de se prononcer sur les questions relatives aux articles 14 et 23 de la LCS, car ils portent sur un processus politique dans lequel interviennent la consultation intergouvernementale et la prise de décisions discrétionnaires par le ministre. En outre, l'obligation de faire rapport au Parlement sur l'observation des conditions par les provinces est d'ordre strictement politique. Il invoque les arrêts Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441 et Lexogest Inc. c. Manitoba (Attorney General) (1993), 101 D.L.R. (4th) 523, 85 Man. R. (2d) 8 (C.A.) à l'appui de son argument.


[35]            Le défendeur prétend que le créancier de l'obligation imposée au ministre par l'article 23 est le Parlement et non le public en général ou les demandeurs au nom de l'intérêt public. Il s'ensuit que tout recours institué par suite du non-respect de l'article 23 relève aussi du Parlement. Le demandeur cite à cet égard la décision La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Ltée c. Canada (Ministre du Revenu national), [1976] 1 C.F. 314, (1975), 60 D.L.R. (3d) 650 (1re inst.), conf. par [1976] 2 C.F. 500 (C.A.).

[36]            Selon le défendeur, le ministre doit, pour s'acquitter de son obligation de faire rapport au Parlement, tenir compte d'une multitude de questions de politique en plus de prendre en considération les dispositions de la LCS. Le ministre a la latitude de faire appel à d'autres moyens pour promouvoir la conformité à la Loi, et il ne conviendrait pas que le pouvoir discrétionnaire du ministre d'entreprendre un processus de consultation avec une province en cas de contravention potentielle aux conditions prévues par la Loi soit soumis au contrôle de la Cour. L'article 14 de la Loi confie à une autre branche du gouvernement, soit l'exécutif, représenté par le ministre, puis par le gouverneur en conseil, la compétence pour traiter des questions de conformité, et la Cour ne devrait pas intervenir. Citant les arrêts Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49 et Thorne's Hardware Ltd. c. Canada, [1983] 1 R.C.S. 106, le défendeur affirme que les questions soulevées au sujet de l'article 14 de la Loi sont de nature politique puisqu'elles se rapportent aux relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et à leurs conceptions respectives de leurs responsabilités.


[37]            Le défendeur soutient que les articles 14 et 15 de la Loi portent sur un processus politique qui fait intervenir des consultations intergouvernementales, une décision discrétionnaire du ministre fondée sur les consultations et la possibilité d'un renvoi au gouverneur en conseil. Le juge en chef Scott de la Cour d'appel du Manitoba, devant un processus similaire intéressant l'échelon provincial, a conclu dans les motifs dissidents qu'il a prononcés dans l'affaire Lexogest Inc., précitée, que ce processus n'était pas justiciable. Les juges majoritaires n'ont pas abordé cette question. Le juge Hunter de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a repris son raisonnement dans la décision Brown c. British Columbia (Attorney General) (1997), 41 B.C.L.R. (3d) 265, [1998] 5 W.W.R. 312, qui portait sur le plafonnement des prestations d'assurance-santé se rapportant à des traitements reçus hors du Canada.

[38]            Enfin, le défendeur fait valoir à la Cour que si elle statuait que l'obligation du ministre de faire rapport est justiciable, sa décision aura des effets importants dépassant le cadre de la présente affaire, car cette obligation n'est pas unique et que plusieurs textes de loi imposent des obligations semblables à divers ministres.

ANALYSE

[39]            Comme l'a exprimé le juge en chef Dickson dans l'arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources), précité, aux pages 90-91, l'examen de la justiciabilité consiste :

... d'abord et avant tout, en un examen normatif de l'opportunité pour les tribunaux, sur le plan de la politique judiciaire constitutionnelle, de trancher une question donnée ou, au contraire, de la déférer à d'autres instances décisionnelles de l'administration politique [...] Il existe tout un éventail de questions litigieuses exigeant l'exercice d'un jugement judiciaire pour déterminer si elles relèvent à bon droit de la compétence des tribunaux. Finalement, un tel jugement dépend de l'appréciation par le judiciaire de sa propre position dans le système constitutionnel.


[40]            En ma qualité de membre de l'appareil judiciaire, j'estime que même si la présente demande soulève d'importantes questions, elles sont intrinsèquement de nature politique, et c'est devant un forum politique et non devant les tribunaux qu'elles doivent être examinées.

[41]            La Loi exige que le rapport annuel établi par le ministre soit déposé devant chaque chambre du Parlement, indiquant par là l'intention du législateur que le contenu du rapport soit examiné et discuté par le Parlement lui-même. C'est donc à cette branche du gouvernement qu'il appartient d'examiner les allégations de lacunes informationnelles et non aux tribunaux. Le pouvoir judiciaire ne doit pas usurper le rôle du Parlement dans la détermination de la nature et de la qualité des renseignements qu'il a estimés nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions. Comme l'a indiqué la juge McLachlin (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, à la page 389 :

... Notre gouvernement démocratique comporte plusieurs branches : la Couronne représentée par le gouverneur général et ses homologues provinciaux, l'organisme législatif, l'exécutif et les tribunaux. Pour assurer le fonctionnement de l'ensemble du gouvernement, il est essentiel que toutes ces composantes jouent le rôle qui leur est propre. Il est également essentiel qu'aucune de ces branches n'outrepasse ses limites et que chacune respecte de façon appropriée le domaine légitime de compétence de l'autre.


[42]            L'obligation du ministre de faire rapport annuellement au Parlement de la mesure dans laquelle les provinces satisfont aux conditions établies par la Loi est claire. C'est au ministre qu'il revient de déterminer ce qui constitue « tous les renseignements pertinents » à inclure pour satisfaire à l'obligation de rendre compte, après consultation avec les provinces, et cette détermination fait intervenir des questions de principe et de politique dont il n'appartient pas aux tribunaux de fixer les paramètres. Le ministre est responsable devant le Parlement de la portée et de l'exactitude des renseignements contenus dans le rapport. Je conviens avec le défendeur que le créancier de l'obligation énoncée à l'article 23 est le Parlement et non les demandeurs ou le public en général, même si l'obligation de présenter un rapport annuel contribue certainement au débat public sur la question. Tout recours relatif à l'accomplissement de l'obligation imposée à l'article 23 relève donc du Parlement et non des tribunaux.

[43]            L'argument des demandeurs selon lequel les provinces décident de la nature et de la substance des renseignements qu'elles fournissent au ministre fédéral repose, selon moi, sur la contestation sous-jacente du fait que le gouverneur en conseil n'a pas pris de règlement prescrivant les renseignements qu'elles doivent fournir au sujet de leur régime d'assurance-santé. Un tel argument ne saurait fonder la justiciabilité d'une question. Les tribunaux n'ont pas à se prononcer sur l'absence de règlement, car la LCS n'oblige pas le ministre à en proposer ni le gouverneur en conseil à en prendre. Le pouvoir réglementaire conféré par l'alinéa 22(1)c) est d'ordre strictement permissif et non obligatoire.


[44]            Pour ce qui est de l'argument des demandeurs reprochant au ministre et à ses prédécesseurs de ne pas avoir pris de mesures d'application en vertu des articles 14 et 15 de la LCS, il s'agit encore là, à mon avis, d'une question non justiciable. En effet, le processus par lequel le ministre entreprend une enquête puis transmet un avis relatif à un problème portant sur un cas possible de non-respect de la LCS par la province est un processus de nature politique orienté vers des programmes, qui mène à la prise d'une décision discrétionnaire, savoir : déterminer s'il convient de retenir en totalité ou en partie le financement fédéral des soins de santé. Comme le juge en chef Scott l'a affirmé dans la décision Lexogest Inc., précitée, à la p. 542, les conséquences du non-respect des exigences de la LCS sont prévues par la Loi elle-même et sont de nature politique.

[45]            Dans l'affaire Cameron c. Nova Scotia (Attorney General) (1999), 204 N.S.R. (2d) 1, 177 D.L.R. (4th) 611 (C.A.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée le 29 juin 2000, [1999] C.S.C.R. no 531 (QL), la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que la non-observation de la LCS par une province, laquelle pouvait entraîner une sanction financière, était une question politique et n'était pas justiciable. Aux paragraphes 96 et 97, la Cour a tenu les propos suivants :

[traduction] Les appelants, s'appuyant sur le fait que la Loi canadienne sur la santé autorise le versement de contributions financières aux provinces qui mettent en place des programmes d'assurance de soins médicaux répondant aux principes établis dans la Loi canadienne sur la santé, prétendent que les principes énoncés dans la Loi [provinciale] [...] contreviennent à la Loi canadienne sur la santé.

Si la Cour déterminait - ce qu'elle ne fait pas - que la Loi provinciale ne satisfait pas aux normes ou aux objets des la Loi canadienne sur la santé, il ne s'ensuivrait pas que les appelants auraient droit à la réparation qu'ils recherchent. La compétence en matière de santé est exclusivement provinciale. Le défaut d'une province de se conformer à la Loi canadienne sur la santé peut entraîner l'application d'une sanction pécuniaire par le gouvernement du Canada. Il s'agit là d'une question politique, non d'une question justiciable. La loi provinciale ne devient pas inconstitutionnelle. À cet égard, je me reporte aux décisions Brown c. British Columbia (Attorney General) (1997), 41 B.C.L.R. (3d) 265; (1998), 5 W.W.R. 312 (C.S.C.-B.) et Lexogest Inc. c. Manitoba (Attorney-General) (1993), 101 D.L.R. (4th) 523 (C.A. Man.).

[46]            Je n'estime pas non plus que les problèmes d'application de la LCS allégués par les demandeurs soulèvent des questions de droit clairement justiciables. Les demandeurs citent le passage suivant des motifs du juge LeDain dans l'arrêt Finlay, précité (p. 632) : « [i]l y aura indubitablement des cas où la question du respect provincial des conditions d'un partage des frais avec le fédéral soulèvera des points qui ne relèvent pas de la compétence des tribunaux, mais les points litigieux particuliers concernant l'inexécution provinciale que soulève la déclaration de l'intimé sont des points de droit dont les tribunaux peuvent manifestement être saisis » .

[47]            Je suis d'avis que les faits de l'affaire Finlay se distinguent de la présente espèce, car il s'agissait de la contestation d'une loi provinciale d'aide sociale qui, selon le demandeur, contrevenait à une condition imposée par le Régime d'assistance publique du Canada, L.R.C. 1970, ch. C-1, au versement de la contribution fédérale. La retenue du financement fédéral prévue par ce régime était formulée en termes obligatoires. La présente espèce est différente, car aucune loi provinciale particulière n'est contestée. L'objet de la contestation réside plutôt dans ce que le ministre n'a pas pris action en vertu des articles 14 et 15, mais il appert du libellé de ces disposition qu'elles confèrent un pouvoir discrétionnaire et prévoient un processus de consultation. Aux termes du paragraphe 15(1), la décision finale de réduire ou de retenir la contribution fédérale relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil, à qui le ministre renvoie la question après le processus de consultation.

[48]            Pour ces motifs, la demande est rejetée, mais parce qu'elle portait sur des questions d'intérêt public importantes qui ne semblaient pas avoir déjà été soumises aux tribunaux, la Cour n'adjugera pas les dépens au défendeur.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Elle ne rend pas d'ordonnance relative aux dépens.

         « Richard G. Mosley »           

          J.C.F.

Annexe A

Réparation recherchée :

1. Un jugement déclaratoire portant que le Rapport annuel 2001-2002 sur l'application de la Loi canadienne sur la santé (le Rapport annuel) ne rend pas correctement compte de l'application de la Loi canadienne sur la santé et n'inclut pas tous les renseignements pertinents sur la mesure dans laquelle les régimes provinciaux d'assurance-santé ont satisfait aux conditions d'octroi (savoir la gestion publique, l'intégralité, l'universalité, la transférabilité et l'accessibilité) et les provinces ont satisfait aux conditions de versement (savoir l'interdiction de la surfacturation et des frais d'utilisation) prévues par ladite loi;

2. Un jugement déclaratoire portant que le ministre de la Santé (le ministre) est tenu d'inclure dans le rapport annuel une évaluation de la mesure dans laquelle les régimes provinciaux d'assurance-santé ont satisfait aux conditions d'octroi et les provinces ont satisfait aux conditions de versement prévues par la Loi canadienne sur la santé;

3. Un jugement déclaratoire portant que le ministre n'a pas inclus dans le Rapport annuel d'évaluation de la mesure dans laquelle les régimes provinciaux d'assurance-santé ont satisfait aux conditions d'octroi et les provinces ont satisfait aux conditions de versement prévues par la Loi canadienne sur la santé;


4. Un jugement déclaratoire portant que le ministre a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire et qu'il n'a pas exercé correctement le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 14 de la Loi canadienne sur la santé en faisant systématiquement défaut d'examiner les allégations de non-respect par les provinces des exigences de la Loi canadienne sur la santé;

5. Une ordonnance de la nature du mandamus enjoignant au ministre d'inclure dans le prochain rapport annuel présenté au Parlement :

i)              un compte-rendu de l'application de la Loi canadienne sur la santé comprenant la description des politiques et pratiques suivies et des ressources utilisées par Santé Canada pour surveiller et évaluer l'application de ladite loi et en assurer le respect, afin que les parlementaires puissent évaluer leur efficacité;

ii)             tous les renseignements pertinents sur la mesure dans laquelle les régimes provinciaux d'assurance-santé ont satisfait aux conditions d'octroi et les provinces ont satisfait aux conditions de versement prévues par la Loi canadienne sur la santé;

iii)            une évaluation de la mesure dans laquelle les régimes provinciaux d'assurance-santé ont satisfait aux conditions d'octroi et les provinces ont satisfait aux conditions de versement prévues par la Loi canadienne sur la santé;

6. Une ordonnance de la nature d'un mandamus enjoignant au ministre d'exercer correctement le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 14 de la Loi canadienne sur la santé d'envoyer un « avis relatif à un problème » et de demander des renseignements à une province et de la consulter pour tout problème éventuel touchant le respect par le régime provincial d'assurance-santé des conditions d'octroi prévues par ladite loi;

7. Les dépens de la présente demande;

8. Toute autre réparation que la Cour pourra autoriser.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-709-03

INTITULÉ :               LE SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, LE CONSEIL DES CANADIENS, LA COALITION CANADIENNE DE LA SANTÉ, LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER ET LA FÉDÉRATION CANADIENNES DES SYNDICATS D'INFIRMIÈRES ET D'INFIRMIERS

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 28 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE MOSLEY

EN DATE DU :         29 septembre 2004        

COMPARUTIONS :

Steven Shrybman                                               POUR LES DEMANDEURS

Steven Barrett

Donald J. Rennie                                               POUR LE DÉFENDEUR

Elizabeth Kikuchi

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SACK GOLDBLATT MITCHELL                              POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]Les réparations demandées sont reproduites en totalité à l'annexe A des présents motifs.

[2] Toute mention des provinces et des régimes provinciaux d'assurance-santé s'entend également des territoires et de leur régime.


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