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                                                                                                                      Date : 20040206

                                                                                                             Dossier : IMM-498-03

                                                                                                         Référence : 2004 CF 205

ENTRE :

                                                         KHALID JAVAID

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH


[1]                Monsieur Khalid Javaid est un citoyen pakistanais. Il est musulman de secte chiite, dans un pays dont la population est principalement composée de musulmans de secte sunnite. Monsieur Javaid affirme craindre avec raison d'être persécuté par le Sipah-i-Sahaba Pakistan (le SSP), groupe anti-chiite de musulmans sunnites fondamentalistes. Il allègue avoir été persécuté par les membres du SSP parce qu'il était membre actif de la communauté chiite.

[2]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de M. Javaid, en concluant que M. Javaid n'avait pas présenté suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir qu'il ferait face à de la persécution pour un motif reconnu par la Convention s'il était renvoyé au Pakistan, ou qu'il était une personne à protéger. Monsieur Javaid cherche maintenant à faire annuler cette décision, en alléguant que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il ne craignait pas subjectivement d'être persécuté et en concluant que toute crainte de sa part n'était pas objectivement fondée.

Historique

[3]                Monsieur Javaid est né au Pakistan, mais de 1978 à 1990, il a habité au Koweït. Lorsqu'il est retourné au Pakistan, M. Javaid a créé une entreprise florissante avec son frère, à Sialkot. Il était également actif au sein de la communauté chiite à Sialkot, ce qui a finalement attiré l'attention du SSP. Monsieur Javaid affirme que le SSP l'a harcelé et menacé à plusieurs reprises, à cause de ses convictions religieuses et de sa notoriété au sein de la communauté chiite.

[4]                Monsieur Javaid affirme qu'au milieu du mois de décembre 2000, les membres du SSP l'ont menacé, en déclarant qu'il y aurait pour lui de graves conséquences s'il ne mettait pas fin à ses activités de collecte de fonds pour son Imam Bargah, un édifice consacré au culte.

[5]                Monsieur Javaid affirme que, le 4 avril 2001, trois membres du SSP l'ont arrêté dans la rue. Un membre bien connu du SSP, qui s'appelait Mohammad Ayub, l'a attaqué verbalement et physiquement. Monsieur Javaid affirme avoir déposé un premier rapport d'information auprès de la police, mais sans succès, la police croyant qu'il essayait d'accuser faussement M. Ayub.

[6]                Deux jours plus tard, la conjointe de M. Javaid a reçu un appel téléphonique d'un membre du SSP qui a parlé de la tentative que M. Javaid faisait pour faire arrêter Mohammad Ayub. Cet individu a dit à la conjointe de M. Javaid que la prochaine fois, son conjoint recevrait non pas des coups de poing, mais des balles et que la famille devrait quitter la région. Monsieur Javaid et sa famille se sont donc installés à Lahore, au Pakistan.


[7]                Le SSP a appris que M. Javaid était à Lahore et, le 15 novembre 2001, un groupe important de membres du SSP s'est rassemblé devant le logement de M. Javaid et a harcelé verbalement M. Javaid. Le groupe a tenté d'entrer dans le logement; des coups de feu ont été tirés en direction de la porte avant et le groupe a finalement quitté les lieux. Monsieur Javaid affirme avoir encore une fois tenté de signaler l'incident à la police, mais cette fois, la police a refusé d'accepter le rapport étant donné qu'il ne pouvait pas identifier les agresseurs.

[8]                Monsieur Javaid a demandé un visa canadien de visiteur au mois de juin 2001, mais sa demande a été rejetée. Il a ensuite fait appel à un passeur, et s'est enfui du Pakistan. Il a déclaré avoir toujours eu l'intention de venir au Canada parce qu'il croyait comprendre que le Canada appliquait une politique favorable aux réfugiés. Monsieur Javaid est arrivé à New York le 20 décembre 2001. Il affirme que son agent a alors refusé d'essayer de l'amener au Canada, à cause de préoccupations liées aux mesures de sécurité à la frontière qui avaient été prises par suite de l'attaque du 11 septembre. Après avoir été abandonné par son agent à New York, M. Javaid est allé rester chez la seule personne qu'il connaissait en Amérique du Nord, laquelle vivait à Alexandria, en Virginie. Après un séjour de dix-huit jours aux États-Unis, M. Javaid s'est rendu au Canada, où il a immédiatement demandé l'asile.

La décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié


[9]                La Commission a examiné les actions de M. Javaid, qui avait attendu un an pour quitter le Pakistan après avoir censément été victime d'agressions physiques et après que des menaces de mort eurent été proférées contre sa famille et lui. La Commission a conclu que ce comportement indiquait une crainte subjective de la part de M. Javaid. Elle a conclu que M. Javaid ne pouvait pas donner d'explications satisfaisantes au sujet de sa décision de ne pas demander l'asile pendant son séjour aux États-Unis. Les explications que M. Javaid a données au sujet de son voyage en Virginie ne satisfaisaient pas la Commission, qui a conclu que l'explication qu'il avait fournie au sujet de sa décision de se rendre au sud de New York en s'éloignant du Canada était invraisemblable et incompatible avec une crainte subjectivement fondée d'être persécuté.

[10]            La Commission a également conclu que la présumée crainte subjective de M. Javaid n'était pas étayée par la preuve documentaire dont elle disposait au sujet de la situation au Pakistan. La Commission a reconnu qu'il existait des éléments de preuve contradictoires au sujet de la mesure dans laquelle l'État protégeait les musulmans de secte chiite, mais elle a conclu que la prépondérance de la preuve démontrait que le degré de protection fourni aux chiites qui étaient victimes d'actes de violence sectaire s'était énormément amélioré.


[11]            La Commission a cité la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Villafranca, (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130, où la Cour a statué qu'on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'un gouvernement fournisse à ses citoyens une protection parfaite contre les activités terroristes. La Commission a conclu que la protection étatique dont disposait M. Javaid au Pakistan était adéquate, tout en n'étant pas parfaite. La Commission a donc conclu que la présumée crainte subjective de M. Javaid n'avait aucun fondement objectif et elle a rejeté la demande.

Points litigieux

[12]            Deux questions sont soulevées dans la présente demande :

1) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Javaid ne craignait pas subjectivement d'être persécuté?

2) La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en concluant que M. Javaid n'avait pas établi une crainte de persécution objectivement fondée du fait qu'elle a omis d'apprécier la preuve documentaire de la façon appropriée?

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Javaid ne craignait pas subjectivement d'être persécuté?


[13]            La conclusion de la Commission selon laquelle M. Javaid ne craignait pas subjectivement d'être persécuté est une conclusion de fait, fondée sur la façon dont la Commission a apprécié la crédibilité de M. Javaid et la vraisemblance de son histoire. La Commission a une expertise bien établie pour ce qui est de la détermination des questions de fait, et notamment de l'évaluation de la crédibilité des demandeurs d'asile. De fait, ces déterminations sont au coeur même de la compétence de la Commission. Par conséquent, avant que la Cour annule une conclusion de fait tirée par la Commission, il faut démontrer que cette conclusion est manifestement déraisonnable. Pushpanathan c. Canada (MCI), [1998] 1 R.C.S. 982, paragraphe 50; et Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[14]            Je suis convaincue que M. Javaid a établi que la conclusion de la Commission selon laquelle il ne craignait pas subjectivement d'être persécuté, fondée comme elle l'était sur le fait qu'il avait soi-disant tardé à demander l'asile, était manifestement déraisonnable.

[15]            La Commission a conclu que la décision de M. Javaid de quitter le Pakistan un an seulement après la première agression était incompatible avec une crainte subjective de la part de celui-ci. Toutefois, en arrivant à cette conclusion, la Commission a omis d'examiner la preuve présentée par M. Javaid selon laquelle il s'était enfui à Lahore avec sa famille après la première agression.

[16]            En outre, en concluant que le séjour de 18 jours que M. Javaid avait effectué aux États-Unis démontrait une crainte subjective de sa part, la Commission a mal interprété la preuve et a omis de tenir compte des circonstances exceptionnelles dans lesquelles M. Javaid s'était trouvé après avoir été abandonné par son agent à New York.


[17]            La Commission dit que M. Javaid a affirmé qu'il était « plus commode ou plus sûr » de se rendre à Alexandria avant de venir au Canada. L'examen du dossier révèle que M. Javaid n'a pas fait une telle affirmation. Monsieur Javaid a décrit la situation difficile dans laquelle il se trouvait en tant que musulman étranger qui se retrouvait seul aux États-Unis après le 11 septembre. M. Javaid a expliqué qu'après avoir été abandonné par son agent, il est allé demeurer chez la seule personne qu'il connaissait aux États-Unis, où il est resté pendant quelques jours avant de venir de son propre chef au Canada.

[18]            Toutefois, afin de réussir, il ne suffit pas que le demandeur d'asile établisse qu'il craint subjectivement d'être persécuté dans son pays d'origine. Le demandeur doit également démontrer que sa crainte est objectivement fondée. Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Il faut donc également examiner les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la question de savoir si la crainte de M. Javaid était objectivement fondée.

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en concluant que M. Javaid n'avait pas établi une crainte de persécution objectivement fondée du fait qu'elle a omis d'apprécier la preuve documentaire de la façon appropriée?


[19]            Monsieur Javaid soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il n'a pas réussi à établir l'existence d'une crainte objectivement fondée de persécution était vague et imprécise et que la Commission s'est fondée sur un examen sélectif de la preuve documentaire. Monsieur Javaid soutient que la preuve crédible objective la plus récente relative à la situation dans le pays doit être prise en considération et que l'omission de le faire porte un coup fatal à la décision de la Commission.

[20]            La question de savoir s'il existe une possibilité raisonnable qu'un demandeur d'asile soit persécuté s'il retourne dans son pays est une pure question de fait. Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1995] A.C.F. no 35 et Pushpanathan, précité.

[21]            L'examen de la décision de la Commission révèle que la Commission a examiné d'une façon passablement détaillée la preuve documentaire relative à la situation qui régnait au Pakistan, y compris la preuve récente portant sur la situation actuelle dans ce pays. Par conséquent, la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2003) CF 982, sur laquelle M. Javaid se fonde, peut faire l'objet d'une distinction.

[22]            La Commission, qui reconnaissait qu'elle disposait d'un certain nombre d'éléments de preuve contraires, a conclu que la prépondérance de la preuve documentaire objective digne de foi donnait fortement à entendre que les autorités pakistanaises faisaient de sérieux efforts pour remédier à la violence sectaire et que le SSP ne se livrait plus impunément à des attaques contre les chiites. Par conséquent, les membres de la minorité chiite pouvaient se prévaloir de la protection de l'État, même si elle n'était pas parfaite.


[23]            La Commission a également examiné les arguments que M. Javaid a présentés au sujet des conséquences que l'élection récente d'un dirigeant du SSP en tant que député pouvait avoir sur les activités futures du SSP et elle a conclu que ces arguments étaient fondés sur des conjectures. La Commission n'est pas tenue d'accepter un argument fondé sur quelque chose qui peut se produire ou ne pas se produire à un moment donné dans l'avenir. Salim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 864 et Shire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999) A.C.F. no 220.

[24]            Il n'appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau tous les éléments de preuve dont elle disposait sur la question de la possibilité pour l'État d'assurer une protection. Il est clair que la Commission a tenu compte de la preuve contraire relative à la situation actuelle au Pakistan. Il appartient à la Commission de décider du poids à accorder à la preuve dont elle dispose. Woldemeskel c. Canada (MCI), [1996] A.C.F. no 140. Je ne puis rien voir qui permette de modifier la conclusion de la Commission selon laquelle la crainte subjective de persécution de M. Javaid n'était pas objectivement fondée.

[25]            Par conséquent, la demande est rejetée.


Certification

[26]            Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé la certification d'une question et, par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

OTTAWA

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-498-03

INTITULÉ :                                                    KHALID JAVAID

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 27 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 6 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Robert I. Blanshay                                             POUR LE DEMANDEUR

Andrea Hammell                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert I. Blanshay                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                                        POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                   Date : 20040206

                                        Dossier : IMM-498-03

ENTRE :

KHALID JAVAID

                                                            demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                             défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            

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