Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                        



Date : 200000609


Dossier : T-1564-97

T-1565-97



ENTRE :


ASSOCIATION OLYMPIQUE CANADIENNE

appelante


et



OLYMEL, SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

     et

     LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

intimée




MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.      INTRODUCTION


[1]      Le présent appel fondé sur l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce que l"Association olympique canadienne (AOC) a formé porte principalement sur la portée de l"article 9 de cette loi en ce qui concerne les marques officielles qu"une autorité publique adopte et utilise.

[2]      L"AOC a formé un appel contre la décision, datée du 21 mai 1997, dans laquelle une formation de la Commission des oppositions (la Commission) a rejeté la déclaration d"opposition qu"elle avait formulée contre deux demandes d"enregistrement que Olymel, Société en commandite (Olymel) avait déposées à l"égard des marques de commerce OLYMEL et OLYMEL & Dessin, qui avaient paru, après examen, dans le Journal des marques de commerce (le Journal) les 16 et 23 septembre 1993 respectivement.

[3]      La société Olymel est une grande entreprise québécoise de transformation de viande qui vend des produits de la viande au Canada et à l"étranger. La société Olymel, qui a été créée en 1991, a résulté de la fusion de deux abattoirs québécois spécialisés dans les produits du porc, soit le Groupe Olympia Ltée, une société de portefeuille dont la filiale s"appelait Viandes Olympia (Olympia Meats), et Turcotte et Turmel. La marque de commerce Olymel provient des lettres OLY, de Viandes Olympia, et des lettres MEL, de Turmel.

[4]      Olymel soutient qu"elle a pour la première fois utilisé ce nom le 6 avril 1992 relativement aux marchandises suivantes :

Marchandises : viande, viande transformée, viande préparée, produits de viande transformée, sous-produits de viande et sous-produits de viande transformée.

Par ailleurs, elle avance qu"elle a utilisé ce nom pour la première fois le 17 février 1992 relativement aux services suivants :

Services : exploitation d'une entreprise traitant du commerce d'achat de viande, de la commercialisation d'animaux vivants, de viande et de produits dérivés, du commerce de charcuterie et du commerce d'encan d'animaux.

La marque de commerce Olymel est représentée par un grand O stylisé au centre duquel se trouve le mot OLYMEL.

[5]      Dans la déclaration d"opposition qu"elle a soumise à la Commission, l"AOC a soutenu que les demandes d"enregistrement de marques de commerce que Olymel avait déposées faisaient défaut à un certain nombre d"égards. En particulier, l"AOC a soutenu que comme elle avait adopté un certain nombre de marques officielles en vertu du sous-alinéa 9(1)n )(iii) (article 9) de la Loi, Olymel ne pouvait faire enregistrer ses marques de commerce, en application de l"alinéa 12(1)e ) de la Loi.

[6]      Voici les marques officielles que l"AOC opposait à Olymel :

     a)      un avis d"adoption, publié dans le Journal le 29 janvier 1975, mentionnait les marques suivantes : Canadian Olympic Association, Association olympique canadienne et dessin-marque, Canadian Olympic Association, Association olympique canadienne;
     b)      un avis d"adoption, publié dans le Journal le 5 mars 1980, mentionnait les marques suivantes : Olympic Games, Olympiades, Olympian, Olympic, Olympique, Summer Olympics, Canada"s Olympic Teams, Winter Olympics et Winter Olympic Games;
     c)      un avis d"adoption, publié dans le Journal le 9 mai 1984, mentionnait la marque Olympia;
     d)      un avis d"adoption, publié dans le Journal le 11 juin 1986, mentionnait la marque Olympus.

B.      LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[7]      La Commission a tranché deux questions qui sont pertinentes en ce qui concerne le présent appel, soit celle qui portait sur les motifs fondés sur l"article 9, et celle qui traitait des motifs fondés sur l"alinéa 30i ). Les motifs fondés sur l"alinéa 30i ) concernent le fait que comme Olymel connaissait l"existence des marques officielles de l"AOC et, en particulier, de la marque officielle OLYMPIA, qui date de 1984, elle ne pouvait avoir été convaincue qu"elle avait le droit d"utiliser la marque OLYMEL.

     i)      La décision concernant l"article 9

[8]      Avant d"examiner le bien-fondé de l"argument fondé sur l"article 9, la Commission a déterminé que :

     1)      La date pertinente en ce qui a trait au motif d'opposition fondé sur l"article 9 semble être la date de la décision (le 21 mai 1997);
     2)      Même si c'est à la requérante qu'incombe le fardeau légal d'établir que ses marques ne sont pas des marques interdites, dans la mesure où les faits allégués par l'opposante ne sont pas évidents ou admis, l'opposante doit, conformément aux règles de preuve ordinaires, prouver ses allégations ;
     3)      L'opposante n'est pas tenue de prouver qu'elle a adopté et employé chacune de ses marques officielles.

[9]      En ce qui concerne le critère qu"il convient d"appliquer à une affaire fondée sur l"article 9, la Commission a dit, à la page 5 de sa décision :

En dernière analyse, le critère à retenir est celui d'une comparaison directe des marques en question sans tenir compte de considérations commerciales comme les marchandises, les services ou les entreprises en cause... Comme le stipule le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, il s'agit de déterminer si la marque de la requérante est une marque qui a déjà été adoptée comme marque officielle ou qui lui ressemble au point qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec cette marque officielle. En d'autres mots, la marque de la requérante est-elle identique, ou presque identique, à la marque officielle?
                     [ Non souligné dans l"original.]

[10]      Après avoir décrit cette démarche, la Commission a entrepris une analyse des marques de commerce de la requérante, OLYMEL et OLYMEL & Dessin. Elle a conclu :

     a)      Ces marques de commerce " ne sont certainement pas identiques à aucune des marques officielles de l'opposante mentionnées plus haut "; (page 5 de la décision de la Commission)
     b)      En outre, la Commission a dit, en comparant sur le plan visuel les marques de commerce OLYMEL et OLYMEL & Dessin de la requérante et les marques que l'opposante a fait valoir en application du sous-alinéa 9(1)n)(iii) : " je ne trouve pas que les marques de commerce de la requérante sont presque identiques à aucune des marques officielles de l'opposante. Toutefois, le critère de ressemblance aux termes du paragraphe 9(1) de la Loi n'est pas limité à une comparaison visuelle des marques mais inclut tous les aspects de ressemblance mentionnés à l'alinéa 6(5)e ) de la Loi sur les marques de commerce ... Je conclus donc qu'il n'existe pas de ressemblance dans le son ou dans les idées suggérées entre les marques de commerce de la requérante et aucune des marques officielles de l'opposante identifiées plus haut ". (pages 5 et 6 de la décision de la Commission)

[11]      La Commission a ensuite examiné la preuve sur l"état du registre. Olymel avait chargé un chercheur de marques de commerce de faire une recherche en vue d"identifier les enregistrements de marques de commerce, les demandes, et les marques officielles à l"égard desquelles une demande avait été déposée ou encore un avis public avait été émis pour toutes les marques comprenant les lettres " OLYM "; une recherche informatisée a permis d"identifier 143 marques. L"AOC avait soutenu que la preuve produite sur l"état du registre n"était pas pertinente en ce qui concerne le motif d"opposition fondé sur l"article 9. Voici ce que la Commission a dit à ce sujet, à la page 6 de sa décision :

Même si je doutais de la pertinence d'une preuve sur l'état du registre à l'égard d'un motif d'opposition fondé sur le sous-alinéa 9(1)n)(iii)... avant la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Association olympique canadienne c. Health Care Employees Union of Alberta et le Registraire des marques de commerce..., il se peut bien qu'une telle preuve soit pertinente dans la mesure où elle nie le caractère exclusif de la caractéristique commune des marques officielles de l'opposante. À cet égard, les résultats de la recherche effectuée par M. Godwin révèlent qu'il existe plus de quatre-vingts marques de commerce enregistrées ou marques officielles comportant les quatre lettres OLYM, dont plusieurs sont assez semblables à certaines des marques officielles sur lesquelles s'appuie l'opposante dans les présentes causes. Ainsi, la preuve sur l'état du registre appuie la conclusion selon laquelle peu de poids peut être accordé aux marques officielles de l'opposante dans le cas où elles constitueraient une famille ou une série de marques.
                     [ Non souligné dans l"original.]

[12]      La Commission a ensuite examiné la question de la famille ou série de marques officielles même si, à son avis, l"opposante " n"a pas affirmé spécifiquement qu'elle s'appuie sur le fait que ses marques constituent une série ou une famille de marques officielles "; la Commission a dit qu"elle devait analyser cette question " étant donné le nombre de marques officielles comportant l'élément OLYMP invoquées par l'opposante ". La Commission a conclu, à la lumière de la décision Health Care Employees Union of Alberta et le Registraire des marques de commerce , (1992), 46 C.P.R. (3d) 12 (C.F. 1re inst.) : " je suis obligé de reconnaître qu'une autorité publique peut s'appuyer sur une série ou une famille de marques officielles et qu'elle n'est pas tenue de prouver son usage des marques visées par l'article 9 pour établir l'existence de la famille de marques officielles ". La Commission a poursuivi en faisant la remarque suivante, à la page 7 de sa décision :

Dans la présente cause, la caractéristique commune des marques officielles de l'opposante sont les premières lettres OLYMP et je conclus que l'opposante a produit une preuve quant à l'existence d'une présumée famille de marques comprenant ces lettres. Toutefois, comme je l'ai indiqué plus haut, la preuve sur l'état du registre produite par l'opposante réduit considérablement l'importance à accorder à cette famille de marques.
                     [ Non souligné dans l"original.]

[13]      La Commission a conclu son analyse de l"article 9 de la façon suivante, à la page 7 :

     Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu'on ne risquerait vraisemblablement pas de confondre les marques de commerce OLYMEL et OLYMEL & Dessin de la requérante avec aucune des marques officielles de l'opposante identifiées plus haut. Par conséquent, la requérante s'est acquittée du fardeau légal qui lui incombait à l'égard des motifs d'opposition fondés sur l'alinéa 12(1)e) et le sous-alinéa 9(1)n)(iii) dans les deux procédures, et je rejette donc ces deux motifs d'opposition.




     ii)      La décision fondée sur l"alinéa 30i)

[14]      La Commission a tranché cette question sur le fondement du fardeau de présentation de la preuve. Elle a dit, à la page 3 :

Même si c'est à la requérante qu'incombe le fardeau légal de démontrer que ses demandes sont conformes aux dispositions de l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce, il y a un fardeau de preuve qui repose sur l'opposante de produire des éléments de preuve relativement à ses allégations de fait à l'appui de ses motifs d'opposition fondés sur l'alinéa 30i)...

[15]      La Commission a conclu que " [m]ême si les marques de commerce de l'opposante avaient été connues de la requérante avant la production des présentes demandes, cela n'est pas incompatible avec l'affirmation contenue dans les demandes selon laquelle la requérante était convaincue qu'elle avait le droit d'employer les marques de commerce [...] pour le motif [...] que ses marques de commerce ne ressemblent pas aux marques de commerce de l'opposante au point qu'on pourrait vraisemblablement les confondre ". La Commission a dit que le succès de ce motif d'opposition est conditionnel à une décision statuant que les marques de commerce en cause " créent de la confusion avec le nom commercial de l'opposante ou qu'elles ressemblent à ses marques officielles au point qu'on pourrait vraisemblablement les confondre ".

C.      LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[16]      L"avocat de l"AOC a soutenu, dans la plaidoirie qu"il a faite devant moi, que la Commission a clairement commis un certain nombre d"erreurs en appliquant l"article 9 de la Loi :

     1)      La Commission a commis une erreur lorsqu"elle a adopté la méthode de la comparaison directe au lieu du critère de la personne familière avec les marques de commerce mais qui s"en souvient imparfaitement , citant la décision Canadian Olympic Association c. Health Care Employees Union of Alberta, précitée, pour déterminer si les marques de commerce de Olymel ressemblaient aux marques officielles de l"AOC au point qu'on pourrait vraisemblablement les confondre avec ces dernières;
     2)      L"analyse que la Commission a faite au sujet du lien réciproque entre la preuve sur l"état du registre et la famille ou série de marques officielles de l"AOC était erronée, affaiblissant ainsi indûment le concept de la famille de marques;
     3)      La Commission n"a pas tenu compte du critère habituel de la ressemblance des mots, lequel met l"accent sur la première syllabe des marques de Olymel, soit OLYM;
     4)      La Commission n"a pas chargé Olymel du fardeau d"établir qu"elle avait le droit d"utiliser la marque.

[17]      À l"audition, les avocats m"ont informé que la Cour d"appel fédérale était sur le point d"entendre un appel qui aurait probablement une incidence sur la question fondée sur l"article 9 que soulève la présente affaire. J"ai décidé d"attendre que la Cour d"appel fédérale rende sa décision et de prendre connaissance d"observations écrites des parties sur l"incidence de cette décision. J"ai également invité les parties à me présenter des observations supplémentaires au sujet de l"arrêt Association des Grandes Soeurs de l"Ontario et autre c. Les Grands Frères du Canada (1999), 86, C.P.R. (3d) 504, dans lequel la Cour d"appel fédérale a maintenu les motifs de jugement que le juge Gibson a exposés en première instance, de même qu"au sujet de l"importance des quatre premières lettres d"un mots dans des affaires où il est question de ressemblance.

[18]      Le mercredi 10 novembre 1999, la Cour d"appel fédérale a rejeté l"appel que l"AOC avait formé dans le dossier A-266-98, dans lequel Techniquip était l"intimée.

[19]      Pour ce qui est de l"argument fondé sur l"alinéa 30i ), l"avocat de l"AOC a soutenu que la Commission a commis une erreur lorsqu"elle a conclu que l"AOC n"a pas établi prima facie le bien-fondé de son cas, vu que le témoin de Olymel a reconnu, en contre-interrogatoire, que les marques que l"on cherchait à faire enregistrer avaient été créées à partir du mot OLYMPIA, et que le client considérait qu"il s"agit d"une seule et même marque, ce qui était le résultat que OLYMEL cherchait à obtenir.

D.      LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[20]      Voici le libellé des articles 9 et 56 de la Loi sur les marques de commerce :


9. (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

. . .

(n) any badge, crest, emblem or mark

(i) adopted or used by any of Her Majesty's Forces as defined in the National Defence Act,

(ii) of any university, or

(iii) adopted and used by any public authority, in Canada as an official mark for wares or services,

in respect of which the Registrar has, at the request of Her Majesty or of the university or public authority, as the case may be, given public notice of its adoption and use;

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

56(2) Procedure

(2) An appeal under subsection (1) shall be made by way of notice of appeal filed with the Registrar and in the Federal Court.

56(3) Notice to owner

(3) The appellant shall, within the time limited or allowed by subsection (1), send a copy of the notice by registered mail to the registered owner of any trade-mark that has been referred to by the Registrar in the decision complained of and to every other person who was entitled to notice of the decision.

56(4) Public notice

(4) The Federal Court may direct that public notice of the hearing of an appeal under subsection (1) and of the matters at issue therein be given in such manner as it deems proper.

56(5) Additional evidence

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

     [emphasis mine]

9. (1) Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit_:

. . .

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème_:

(i) adopté ou employé par l'une des forces de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense nationale,

(ii) d'une université,

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,

à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi;

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

56(2) Procédure

(2) L'appel est interjeté au moyen d'un avis d'appel produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale.

56(3) Avis au propriétaire

(3) L'appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par courrier recommandé, une copie de l'avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la plainte et à toute autre personne qui avait droit à un avis de cette décision.

56(4) Avis public

(4) Le tribunal peut ordonner qu'un avis public de l'audition de l'appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu'il juge opportune.

56(5) Preuve additionnelle

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

         [Non souligné dans l"original.]

[21]      En l"espèce, aucune nouvelle preuve n"a été présentée à la Cour.



E.      L"ANALYSE

     a)      La norme de contrôle et la portée de ce dernier

[22]      La norme de contrôle qu"il convient d"appliquer à un appel de marques de commerce fondé sur l"article 56 a été récemment examinée par la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt John Labatt Limitée et autre c. Les Brasseries Molson (dossier A-428-98, 3 février 2000), dans lequel le juge Rothstein a soutenu que, compte tenu de l"expertise du registraire, et en l"absence de preuve supplémentaire devant notre Cour, " les décisions du registraire qui relèvent de son champ d"expertise, qu"elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu"elles résultent de l"exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable ".

[23]      En l"espèce, aucun nouvel élément de preuve n"a été produit en appel, et les erreurs qui auraient été commises sont des erreurs de droit plutôt qu"une appréciation erronée des faits. Dans les circonstances, j"adopte la même démarche que le juge Reed dans Association olympique canadienne c. Logo-Motifs Ltd et autre , (dossier T-182-94). Je trancherai d"abord la question de savoir si la Commission a appliqué le mauvais critère et, dans l"affirmative, j"apprécierai les éléments de preuve qui ne diffèrent pas de ceux dont la Commission était saisie, et je rendrai une décision.



     b)      La question fondée sur l"article 9

[24]      Comme je l"ai déjà souligné, la Cour d"appel fédérale a traité de certaines questions fondamentales concernant l"article 9 de la Loi dans ses arrêts Association des Grandes Soeurs de l"Ontario et AOC c. Techniquip Limited, précités.

[25]      Dans l"arrêt Association des Grandes Soeurs de l"Ontario, précité, la Cour d"appel fédérale s"est contentée de dire, en rejetant un appel interjeté contre une décision que M. le juge Gibson avait rendue concernant une action pour commercialisation trompeuse :

Nous avons profité de la longue argumentation qui visait à montrer les erreurs dans le jugement du juge de première instance [décision publiée à 75 C.P.R. (3d) 177]. Nous ne voyons aucune erreur manifeste ou dominante dans ses conclusions.

[26]      Je souscris aux motifs suivants que le juge Gibson a exposés à la suite de l"instance, car j"estime qu"ils sont pertinents relativement à la présente affaire pour traiter de la question des marques officielles que l"on utilise en vertu de l"article pour s"opposer à une demande de marque de commerce :

     1)      Le critère applicable en vertu de l"article 9 est celui de la ressemblance, et dans le cas où la marque officielle et la marque que l"on cherche à obtenir ne sont pas identiques, la question qui se pose " est donc de savoir si la marque de la défenderesse est pratiquement la même que l'une ou toutes les marques de l'AGSO, ou si elle est essentiellement similaire ", et le critère pertinent pour trancher cette question, qui a été énoncé dans La Reine c. Kruger, est de savoir si " une personne familière avec les marques de l'AGSO [ou l'une d'elles], mais qui s'en souvient imparfaitement [...] pourrait vraisemblablement la confondre [avec la marque de la défenderesse "]. (page 217).
     2)      Le critère que le juge Rothstein (tel était alors son titre) a adopté dans la décision Association olympique canadienne c. Health Care Employees Union of Alberta, précitée, n"est rien de plus qu"une reformulation utile du critère de l"arrêt Kruger , duquel il ne s"éloigne pas. Voici comment M. le juge Rothstein a énoncé le critère, à la page 19 :
     La question qui se pose est de savoir si une personne qui ne connaît qu'une des marques en cause et en garde un vague souvenir, pourrait, sous l'effet d'une première impression, se tromper ou se méprendre.
     3)      Le critère de la comparaison directe a été rejeté. Le juge Gibson a dit, à la page 217 :
     Je ne peux accepter le moyen soumis pour le compte des demanderesses voulant que le critère soit celui de la "comparaison directe". La notion de "comparaison directe" suppose un examen rigoureux et consciencieux des marques de l'AGSO et de la marque de la défenderesse ou une comparaison de ces marques. Or un tel examen rigoureux et consciencieux ou une telle comparaison a été spécifiquement rejeté par le juge Rothstein dans la décision Canadian Olympic Assn. c. Health Care Employees Union of Alberta.
     4)      À la page 218, le juge Gibson a ajouté, même s"il a rejeté l"argument qui lui avait été présenté pour le compte des demanderesses sur la base d"une comparaison directe des marques, que s"il avait estimé qu"une comparaison directe était pertinente, il aurait conclu qu"une erreur ou une confusion était susceptible de se produire entre LES GRANDS FRÈRES ET SOEURS DU CANADA et la marque GRANDES SOEURS DU CANADA en appliquant le critère énoncé dans Sum-Spec Canada Ltd. c. Imasco Retail Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 7, selon lequel il ressort également de la jurisprudence que " le premier mot ou la première syllabe d'une marque de commerce est celui ou celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif ". Le juge Gibson a fait remarquer que " le premier mot important de la marque de la défenderesse est "FRÈRES", lequel tranche fortement avec le premier mot important de la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA, soit "SOEURS". Cela étant dit, à tous autres égards, les marques sont à peu près identiques ".

[27]      Le registraire des marques de commerce a fait deux remarques dans La Reine c. Kruger (1978), 44 C.P.R. (2d) 135, qui méritent d"être examinées. À la page 139 du rapport, le registraire a dit :

     À certains égards, la protection qu'accorde le sous-alinéa 9(1)n)(iii) est plus large que celle que procurent les critères visant à établir la confusion et à d'autres égards, le critère de la ressemblance énoncé au sous-alinéa 9(1)n)(iii) est plus strict que le critère de la confusion que l'on retrouve à l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce. Si la marque qu'utilise une personne est une marque dont la ressemblance avec la marque interdite est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec cette marque interdite, l'emploi de cette marque peut être interdit même dans les cas où il n'y a aucune vraisemblance de confusion. Le critère sous le régime du sous-alinéa 9(1)n)(iii) se limite à la ressemblance entre la marque interdite et la marque adoptée.
                     [ Non souligné dans l"original.]

[28]      L"autre remarque pertinente du registraire que mentionne la décision Kruger , précitée, se trouve à la page 141 du rapport :

[TRADUCTION] Le dessin de marque du requérant et la marque de l"opposant suggèrent tous les deux dans l"ensemble l"idée du Canada. Une personne familière avec la marque de l'opposant mais qui s'en souvient imparfaitement, ne pourrait pas, en voyant la marque du requérant appliquée ou associée aux marchandises en question, en venir à déduire que les marchandises associées à la marque du requérant ont été fabriquées, vendues, louées, ou créées par le requérant.
[Non souligné dans l"original.]

[29]      Dans la décision Techniquip, précitée, de la Cour d"appel fédérale, l"AOC a opposé à la marque de commerce du requérant " Representation of Man " une famille de marques comprenant 29 de ses marques officielles et 13 marques officielles du Comité organisateur des Jeux olympiques de 1976.

[30]      À mon avis, les principes suivants de Techniquip sont pertinents en ce qui concerne la présente affaire :

     1)      Le critère de la comparaison directe a été rejeté, c.-à-d. que le critère de savoir si la marque était identique ou presque identique aux marques officielles, peu importe les considérations commerciales. (Appliquant ce critère, le registraire a exclu une preuve par affidavit concernant 250 enregistrements de marques de commerce comprenant des représentations imaginatives de figures humaines et un autre affidavit portant sur des bonhommes-allumettes dessinés dans des sections d"affaires de bottins téléphoniques, etc., dans des cas où les propriétaires de ces marques possédaient des entreprises dans des domaines allant de l"assurance à la création de costumes; certains des propriétaires de ces marques étaient des administrations locales exposant des directives portant sur la circulation, des centres commerciaux fournissant des renseignements à leurs clients, ou des groupes de routards dirigeant la circulation.)
     2)      La notion de famille de marques, élaborée dans le contexte de l"article 6 de la Loi, est fondée sur une série de marques qui ont toutes les mêmes caractéristiques et appartiennent toutes à la même personne. Selon l"opinion que le juge Cattanach a exprimée dans la décision Molnlycke Aktiebolag c. Kimberly-Clark of Canada Ltd., (1982), 61 C.P.R. (2d) 42 (C.F. 1re inst.), aux pages 47 et 48, " la personne qui demande l'enregistrement d'une marque présentant ce trait commun se trouve alors désavantagée puisque le public pourrait penser qu'une telle marque annonce des marchandises provenant de la même source que celle des marchandises visées par les autres marques.... Le fait que les marques appartiennent à différentes personnes tend à nier l"importance de l"existence du trait commun et favorise ainsi la personne qui demande l"enregistrement ".

[31]      Après avoir décrit ce contexte, le juge Desjardins a conclu, au paragraphe 16 :

L"appelante ayant fait intervenir dans la preuve la notion de " famille de marques " élaborée dans le contexte de l"analyse en fonction de l"article 6, l"intimée était en droit d"opposer une preuve qu"il n"existait pas de famille de marques que pourrait invoquer l"appelante. À cette fin, il était loisible à l"intimée de présenter une preuve concernant l"état du registre et l"état du marché en vue d"établir que ces bonhommes-allumettes étaient communs à de nombreuses marques et que, par conséquent, une fois qu"une marque est devenue commune, on ne saurait avoir une famille de marques.
                     [ Non souligné dans l"original.]
     ii)      Application à la présente affaire

[32]      Compte tenu des principes susmentionnés, je tire les conclusions suivantes sur la question fondée sur l"article 9. Premièrement, il est clair que la Commission a commis une erreur en l"espèce lorsqu"elle a adopté le critère de la comparaison directe. Le critère qu"il convient d"appliquer dans la présente affaire est celui de la personne familière avec les marques de commerce mais qui s"en souvient imparfaitement. L"erreur de la Commission était une erreur de droit.

[33]      Deuxièmement, la Commission a effectivement examiné la preuve de l"AOC concernant sa famille de marques et elle a identifié le trait commun de ces marques officielles, soit les quatre premières lettres, OLYM. La Commission a soupesé cette preuve au regard de la preuve sur l"état du registre que Olymel avait présentée, et elle a tiré la conclusion suivante, compte tenu du fait que plus de 80 marques de commerces déposées ou marques officielles comprenaient les quatre lettres OLYM, dont plusieurs étaient assez semblables à certaines des marques officielles de l"AOC sur lesquelles s'appuie l'opposante :

... la preuve sur l'état du registre appuie la conclusion selon laquelle peu de poids peut être accordé aux marques officielles de l'opposante dans le cas où elles constitueraient une famille ou une série de marques.

[34]      Compte tenu de l"analyse qui a été faite dans l"arrêt Techniquip , précité, j"estime que la démarche de la Commission était tout à fait convenable. La preuve sur l"état du registre établissait que ces lettres, OLYM, faisaient partie de nombreuses marques. Or, le juge Desjardins a dit que " une fois qu"une marque est devenue commune, on ne saurait avoir une famille de marques ".

[35]      En outre, Olymel a bel et bien produit des éléments de preuve relative au marché que la Commission n"a pas examinés. En particulier, Olymel a produit l"affidavit de Roland Soucy, qui a déclaré qu"un exploitant d"abattoir de l"Ouest canadien, Intercontinental Packers Ltd., de Saskatoon, utilisait depuis 1960 sa marque de commerce OLYMPIC pour commercialiser des produits de viande.

[36]      Après avoir tenu compte de tous ces éléments de preuve et appliqué le bon critère, je n"ai pu que conclure qu"une personne familière avec les marques officielles de l"AOC mais qui s"en souvient imparfaitement, et qui se souvient imparfaitement d"avoir vu la marque OLYMEL et le dessin de cette marque, ou les deux, apposés à des produits de viande de Olymel ou associés aux services qu"elle offre, n"aurait pas déduit que les marchandises ou services associés à Olymel ont été fabriqués, vendus, loués, ou créés par l"opposante, soit l"AOC.

     2)      La question fondée sur l"alinéa 30i)

[37]      À mon avis, le deuxième argument de l"AOC n"est pas fondé. Selon cet argument, Olymel ne pouvait déterminer qu"elle pouvait à bon droit demander l"enregistrement de sa marque, vu l"existence de sa marque de commerce OLYMPIA en 1984. Bien que cela soit vrai, les trois lettres OLY provenaient du mot OLYMPIA (Olympia Meats avait vendu ses produits en utilisant cette raison sociale) et les trois dernières lettres, MEL, provenaient du nom de l"une des sociétés qui avaient fusionné et qui oeuvraient dans le domaine de la transformation de la viande.

[38]      Compte tenu de tous les éléments de preuve dont la Commission disposait et de la conclusion de celle-ci, selon laquelle cette question était liée à la question globale de la ressemblance, j"estime que l"argument de l"AOC n"est pas fondé.

F.      CONCLUSION

[39]      Pour ces motifs, les présents appels sont rejetés avec dépens.

                                        

                                             J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

le 9 juin 2000

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.