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Date : 20050311

Dossier : IMM-2892-04

Référence : 2005 CF 349

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                           CONG BANG NGUYEN et THI SANG DO

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, en date du 11 mars 2004, que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]                Le demandeur principal (le demandeur) est un citoyen du Vietnam âgé de 54 ans qui craint d'être persécuté par le gouvernement du Vietnam parce qu'il a été membre de l'armée sous l'ancien régime. L'épouse du demandeur fonde sa demande d'asile sur celle de son époux.   


[3]                Le demandeur prétend que de 1969 à 1975 il a détenu des postes importants dans l'armée du gouvernement du Vietnam du Sud. À la suite de la chute de ce gouvernement en avril 1975, le demandeur a été envoyé dans un camp de rééducation par le nouveau gouvernement communiste. Il a été libéré en janvier 1977, et il a été placé en assignation à résidence jusqu'en 1983. Au cours de la période d'assignation à résidence, le demandeur était tenu de se présenter mensuellement à la police d'État et il devait faire du service communautaire trois jours par mois. De plus, il ne pouvait pas voyager comme il le voulait. Le demandeur prétend qu'en 1981 il a fait de la prison pendant trois jours après avoir été faussement accusé d'avoir trahi et critiqué les autorités. De plus, les autorités ont confisqué deux hectares de sa terre agricole. Lorsque le demandeur s'est opposé à la confiscation, son épouse et sa fille ont été blessées par les policiers et elles ont dû recevoir des soins médicaux.

[4]                En 1995, le demandeur a voyagé au Canada et aux États-Unis pendant huit mois. À son retour au Vietnam, il a dû faire à la police un compte rendu de son séjour à l'étranger, il a été tenu de se présenter mensuellement à la police pendant un certain temps par la suite et il a été étroitement surveillé par la police.


[5]                Le demandeur est revenu au Canada en juin 2002 avec son épouse en détenant un visa de visiteur. Il voulait présenter une demande d'asile aux États-Unis parce qu'il avait été dans l'armée en appui aux efforts américains au Vietnam. Cependant, étant donné qu'il ne pouvait pas présenter une telle demande sans se rendre aux États-Unis, il a présenté une demande d'asile au Canada le 26 mai 2003. Le demandeur craint, s'il est renvoyé au Vietnam, d'être puni par le gouvernement pour avoir demandé l'asile au Canada. Il prétend en outre que le permis d'exploitation de sa ferme a été révoqué en raison de son départ, et qu'il ne pourrait pas gagner sa vie à son retour au Vietnam.

LA DÉCISION

[6]                La Commission a rejeté la demande présentée par le demandeur parce que sa crainte n'était pas bien fondée. La Commission s'est appuyée sur les conclusions suivantes pour rendre cette décision :

·                       Les mesures prises contre le demandeur après la chute de Saigon en 1975 n'étaient pas pertinentes quant à la demande étant donné que le demandeur était retourné volontairement au Vietnam après avoir visité le Canada en 1995.

·                       Le demandeur pouvait avoir subi du harcèlement, mais il n'avait pas fait l'objet de persécution. Il avait subi un interrogatoire et avait dû se présenter aux autorités à son retour au Vietnam en 1995, mais il avait cependant continué à vivre dans sa maison et à exploiter son entreprise jusqu'à son départ pour le Canada en 2002. En outre, ses enfants étaient restés au Vietnam, les deux plus jeunes étant inscrits à l'école.

·                       Bien que le permis d'entreprise du demandeur ait été retiré, il était raisonnable de conclure qu'étant donné que le permis lui avait été délivré à lui et non à ses deux fils, le motif de retrait était que le demandeur n'était pas présent pour exploiter l'entreprise. Rien n'indiquait que le demandeur ne pouvait pas demander à nouveau et obtenir un permis à son retour au Vietnam.

·                       La preuve documentaire mentionnait que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) a conclu une entente avec le gouvernement vietnamien et qu'il a accès auprès des Vietnamiens qui sont retournés dans leur pays après l'avoir quitté en raison du changement de régime. Le HCNUR s'assure que les ressortissants qui retournent au Vietnam sont en mesure de réintégrer le pays sans subir trop de perturbations inutiles par le gouvernement. La Commission a en outre conclu qu'étant donné que le demandeur n'était pas un activiste ou un dissident politique, il était probable qu'il serait traité de la même façon que d'autres ressortissants qui retournent au pays.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.          La Commission a-t-elle énoncé des motifs appropriés à l'égard de sa décision?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait subi de la discrimination et non de la persécution?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte la preuve documentaire selon laquelle d'anciens détenus de camps de rééducation (qui avaient servi dans l'armée de l'ancien gouvernement du Vietnam) font encore l'objet de persécution?

ANALYSE

Première question en litige

La Commission a-t-elle énoncé des motifs appropriés à l'égard de sa décision?

[12]            Le demandeur prétend que les motifs énoncés par la Commission sont inappropriés. La décision comporte trois pages, dont deux sont un résumé des faits et de la preuve.

[13]            L'exposé de motifs a pour objet d'indiquer à l'intéressé pourquoi une conclusion donnée a été tirée. Les motifs permettent aux parties de constater que les points soulevés ont été minutieusement examinés et d'exercer leur droit d'appel ou de révision judiciaire : Townsend c. Canada, [2003] A.C.F. no 516, au paragraphe 22. La norme àlgard des motifs a été décrite comme suit par Mme la juge Dawson dans la décision Mondoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 687, au paragraphe 4 :


[...] [I]l faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour que le demandeur puisse savoir pourquoi sa demande a été rejetée et décider s'il doit demander le contrôle judiciaire. Voir : Metherian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.). Les motifs que la SPR a exposés satisfont à cette exigence. Bien que brefs, les motifs expriment de façon claire, précise et intelligible les raisons pour lesquelles elle a rejeté la demande de la demanderesse.

[14]            Après avoir examiné la décision de la Commission, je suis convaincu que les motifs énoncés sont appropriés. Les motifs traitent de toutes les allégations faites par le demandeur et expliquent de façon suffisamment claire, précise et intelligible les raisons pour lesquelles la demande a été refusée.

Deuxième question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait subi de la discrimination et non de la persécution?

[15]            Le demandeur prétend qu'il était déraisonnable pour la Commission, après avoir accepté son témoignage, de conclure que les mauvais traitements que le gouvernement lui avait fait subir n'équivalaient qu'à de la simple discrimination. Il affirme que les détentions, l'obligation de se présenter aux autorités, la confiscation de terre et la révocation de permis sont des abus graves et persistants des droits de la personne qui sont susceptibles de se reproduire s'il retourne au Vietnam.


[16]            La décision quant à savoir si un certain comportement équivaut à de la persécution est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter : Wickramasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 601 (1re inst.); Machedon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1331 (C.F.). À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a subi de la discrimination et non de la persécution était une conclusion que la Commission pouvait tirer selon la preuve et l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

[17]            La plupart des incidents mentionnés par le demandeur au soutien de ses prétentions sont survenus vingt ans avant qu'il présente une demande d'asile. La Commission a pris en compte ces incidents, mais a conclu que, étant donné que le demandeur est retourné au Vietnam en 1995 après un voyage de huit mois en Amérique du Nord, les incidents n'étaient pas pertinents. Autrement dit, le retour volontaire du demandeur au Vietnam était incompatible avec une crainte subjective de persécution. À l'égard des incidents qui sont survenus après 1995, la preuve montre que le demandeur et sa famille ont continué à vivre dans leur maison et à exploiter leur entreprise jusqu'à ce que le demandeur parte pour le Canada en 2002. En outre, le demandeur a témoigné que malgré les problèmes qu'il avait vécus au Vietnam, il est venu au Canada en tant que visiteur et il avait l'intention de retourner chez lui après son séjour (voir la transcription à la page 13). La raison pour laquelle il a changé d'idée est la révocation de son permis d'exploitation de sa ferme. Comme il a été mentionné précédemment, la Commission a examiné le motif de révocation du permis d'exploitation de la ferme et elle n'était pas convaincue qu'il y avait un lien avec le fait que le demandeur avait antérieurement servi dans l'armée.


[18]            En concluant que le demandeur n'avait pas fait l'objet de persécution, la Commission a pris en compte tous les incidents dont le demandeur avait fait le récit, la crainte subjective démontrée par le demandeur en raison des incidents, de même que la situation actuelle de la famille du demandeur au Vietnam. Compte tenu de cette preuve, la Commission pouvait raisonnablement conclure que le demandeur avait subi de la discrimination et non de la persécution. Le demandeur a témoigné qu'il s'était adapté à l'environnement au Vietnam au moment où il a présenté une demande de passeport en 2002 pour venir au Canada. Il a rendu le témoignage suivant qu'on retrouve à la page 13 de la transcription :

[TRADUCTION]

[...] vous vous adaptiez à l'environnement. Cela veut dire que quand j'étais au Vietnam je me suis plié aux... à leurs conditions, alors lorsque j'ai demandé le passeport (en 2002) je n'ai eu aucun problème.

Troisième question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte la preuve documentaire selon laquelle d'anciens détenus de camps de rééducation (qui avaient servi dans l'armée de l'ancien gouvernement du Vietnam) font encore l'objet de persécution?

[19]            Le demandeur déclare que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de mentionner les portions de la preuve documentaire qui appuient son témoignage. En particulier, la Commission n'a pas mentionné la preuve qui confirmait que d'anciens détenus de camps de rééducation étaient harcelés et persécutés par les autorités. Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17, M. le juge Evans (alors juge à la Section de première instance) a déclaré ce qui suit :

[...] plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » .

[20]            J'ai examiné la preuve documentaire et je ne partage pas l'opinion du demandeur quant à la description du contenu de la preuve. Par exemple, le rapport du Département d'État des États-Unis à l'égard du Vietnam pour 2002 (à la page 123 du dossier) énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]

Certains individus qui ont été détenus dans des camps de rééducation en raison d'une association au gouvernement d'avant 1975 ont continué à signaler divers niveaux de discrimination subie par eux et les membres de leur famille lorsqu'ils tentaient d'avoir accès au logement, à l'éducation et à l'emploi. Certains vétérans de l'armée du gouvernement d'avant 1975 étaient encore exposés à des difficultés financières en raison d'anciennes restrictions et de la discrimination à l'égard de l'emploi, mais on ne connaît aucun cas d'individus encore incarcérés pour des activités d'avant 1975.

[21]            Le rapport mentionne expressément de la « discrimination » contrairement à de la persécution. D'autres éléments de preuve documentaire mentionnent également, tout au plus, la « discrimination » subie par d'anciens détenus de camps de rééducation. De plus, alors que le demandeur affirme qu'aux États-Unis on continue à traiter des demandes d'immigrants et de réfugiés en provenance du Vietnam, notamment des demandes d'anciens détenus de camps de rééducation, un examen de la preuve montre que ces demandes sont traitées suivant un programme spécial de réinstallation pour des Vietnamiens qui étaient retournés au pays et non suivant les lois générales en matière d'asile. Le rapport mentionne également que ce programme est sur le point de se terminer. Finalement, la preuve qui se rapporte au traitement des dissidents n'est pas pertinente à l'égard du demandeur étant donné qu'il n'est pas un dissident.


[22]            En fait, la preuve documentaire ne mentionne pas que d'anciens officiers de l'armée sud-vietnamienne subissent de la persécution. L'argument à cet égard n'est pas pertinent de toute façon parce que la preuve du demandeur était qu'il a pu vivre, travailler et élever sa famille au Vietnam en s'adaptant à l'environnement. Le Canada peut être un endroit préférable pour le demandeur à comparer au Vietnam, mais cela ne donne pas droit au demandeur au statut de réfugié.

[23]            Pour les motifs précédemment énoncés, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[24]            Les deux parties et la Cour s'entendent sur le fait que la présente affaire ne soulève pas une question grave de portée générale.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2892-04

INTITULÉ :                                                    CONG BANG NGUYEN et THI SANG DO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 7 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 11 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff-Darwent                                   POUR LES DEMANDEURS

Rick Garvin                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Darwent Law Office                                          POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Bureau régional d'Edmonton

Sous-procureur général du Canada


                         COUR FÉDÉRALE

Date : 20050311

Dossier : IMM-2892-04

ENTRE :

CONG BANG NGUYEN et THI SANG DO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                     

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