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Date : 20000309


Dossier : IMM-2043-99

Ottawa (Ontario), le jeudi 9 mars 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON


ENTRE :


SELVATARATNAM VELLUPPILLAI



demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION

défendeur



O R D O N N A N C E

     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié qui fait l"objet du présent contrôle est annulée et la revendication du statut de réfugié du demandeur est renvoyée à la Commission pour qu"une formation différemment constituée entende et tranche l"affaire à son tour.

     Aucune question n"est certifiée.

" Frederick E. Gibson "

                                         J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000309


Dossier : IMM-2043-99


ENTRE :


SELVARATNAM VELLUPPILLAI

demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur




MOTIFS DE L"ORDONNANCE



LE JUGE GIBSON


Introduction


[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 31 mars 1999, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration1(la Loi).



Le contexte

[2]      Le demandeur, un Tamoul âgé de 76 ans, est un citoyen du Sri Lanka qui provient de la région de Jaffna. Il soutient qu"il a été harcelé dans la région de Jaffna par un groupe tamoul lié à la Indian Peace Keeping Force (la IPKFP), pendant qu"il faisait des affaires. Un des fils du demandeur a été arrêté et tué par la IPKF en 1989. Après que la IPKF a quitté le Sri Lanka, le demandeur a été harcelé, pendant qu"il faisait des affaires, par les Tigres tamouls. En août 1991, sa maison a été détruite lors d"un bombardement mené par les forces sri lankaises. Le demandeur dit que son épouse est décédée peu après des suites directes d"un traumatisme causé par le bombardement.

[3]      En 1993, le demandeur a fermé son entreprise privée de transport. Il soutient que malgré cela, les Tigres tamouls ont continué de le harceler. En conséquence, le demandeur s"est enfui en novembre 1995 à Kilinochchi, et, de là, à Colombo, en passant par Vavuniya. Au cours de ce périple, le demandeur a continué d"être harcelé; il a même été détenu pendant trois jours par l"armée sri lankaise.

[4]      À Colombo, le demandeur a de nouveau été détenu et interrogé. Il a été libéré sous condition qu"il retourne dans le nord du Sri Lanka et qu"il se présente aux autorités policières chaque semaine. Au lieu de se plier à cette exigence, le demandeur s"est enfui du Sri Lanka pour se rendre au Canada deux semaines plus tard.

[5]      Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en arrivant au Canada. Sa revendication a été rejetée en novembre 1996, et sa demande d"autorisation en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire contre cette décision a, elle aussi, été rejetée.

[6]      Le demandeur a quitté le Canada de son gré pour se rendre aux États-Unis en novembre 1997, où il a été détenu par les services d"immigration. Il n"a pas demandé l"asile politique aux États-Unis.

[7]      En février 1998, le demandeur est revenu au Canada en provenance des États-Unis et il a de nouveau revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. C"est la décision que la SSR a rendue à l"égard de cette deuxième revendication qui fait l"objet de la présente demande. Il n"a pas été contesté devant moi que, outre un rapport psychologique produit dans le cadre de la deuxième revendication, la preuve que le demandeur a présentée pour étayer l"une et l"autre revendication du statut de réfugié au sens de la Convention au Canada était essentiellement la même.

La décision de la Section du statut de réfugié

[8]      La SSR a rejeté la deuxième revendication du statut de réfugié au sens de la Convention que le demandeur a présentée. Un avis écrit de la décision a été envoyé au demandeur conformément au paragraphe 69.1(9) de la Loi. En vertu du paragraphe (11) de cet article, des motifs écrits de la décision ont été envoyés au demandeur en même temps que l"avis écrit. Les motifs de décision qui font partie du dossier du tribunal qui a été produit devant notre Cour diffèrent des motifs qui ont été fournis au demandeur en même temps que l"avis de décision.

[9]      Dans une lettre datée du 14 février 2000, un conseiller juridique de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a dit à la Cour :

[TRADUCTION]
...
4. Le greffe paraît avoir joint par inadvertance à l"avis de décision une version des motifs de décision qui n"était pas la version définitive des motifs qui ont été exposés dans la présente affaire. Les motifs de décision dans la présente affaire sont ceux que contient le dossier de la Commission [de la SSR],..... Dès qu"elle a été avisée de cette erreur, la Commission a tout de suite fourni aux parties la bonne version des motifs de décision. .....
La Commission estimait qu"il était important d"attirer l"attention de la Cour sur cette question, car il se pourrait que la Cour soit appelée à fournir des directives en réponse à cette question.....

Dans une lettre datée du 22 février 2000, l"avocat du défendeur a avisé la Cour que [TRADUCTION] " ... le défendeur plaidera, à l"audition de la demande de contrôle judiciaire, que les motifs que la Commission [la SSR] a envoyés au demandeur et qui font partie du dossier de la demande constituent les motifs de la Commission dans la présente affaire ".

Dans les deux versions des motifs de la SSR dont dispose notre Cour, la SSR a écrit :

[TRADUCTION] Compte tenu des antécédents du revendicateur et de la preuve documentaire fiable sur les personnes qui risquaient d"être persécutées par les forces de sécurité, nous estimons qu"il n"est pas probable que le revendicateur serait persécuté pour un motif prévu par la Convention s"il retournait à Jaffna, dans sa région d"origine.

[10]      Les deux versions des motifs de la SSR dont dispose notre Cour sont identiques à une exception près : la dernière version des motifs, que comprend le dossier du tribunal, contient le passage suivant, qui ne se trouve pas dans la version des motifs qui a été fournie au demandeur en même temps que l"avis de décision :

[TRADUCTION] Le revendicateur a également produit le rapport d"un psychologue daté du 15 octobre 1998. La formation a conclu que la valeur probante de ce rapport était très faible. La formation avait un certain nombre de réserves en ce qui concerne la crédibilité du témoignage du revendicateur qui ne lui étaient pas favorables. Bien que l"impression du psychologue que le revendicateur paraissait confus de temps à autre et qu"il avait, à l"occasion, des problèmes de mémoire et de distraction pût expliquer certaines des incohérences du témoignage de ce dernier, particulièrement en ce qui concerne son témoignage contradictoire à propos de sa correspondance avec son ami Subramanian à Colombo, et l"absence de mention, dans le récit de son FRP, du fait qu"on l"a photographié et qu"on a pris ses empreintes digitales à Colombo, la formation estime que la déclaration du psychologue,
Selon M. Velluppillai, la seule chose qui le maintient est l"espoir qu"un jour, lui et son fils seront réunis aux États-Unis
va complètement à l"encontre du témoignage qu"il a fait devant la formation, dans lequel il a donné l"impression contraire, soit qu"il n"avait pas particulièrement hâte d"être réuni avec son fils, qu"il a décrit comme une personne qui buvait beaucoup, manquait de stabilité, et était incapable de prendre soin de lui. De plus, le revendicateur n"a pas tenté de communiquer avec son fils après qu"il a reçu un document comprenant l"adresse et le numéro de téléphone de son fils aux États-Unis. Les tentatives de l"avocat, en réinterrogatoire, de permettre à la formation de mieux comprendre le lien qui existait entre le revendicateur et son fils n"ont fait que confirmer nos réserves au lieu d"y répondre. Le revendicateur a dit que son fils avait quitté sa famille de son gré, au Sri Lanka, et a, par la suite, immédiatement modifié son témoignage, disant qu"il ignorait si les actes de son fils ... nous préférons trancher la présente revendication en fonction de la question de savoir si la crainte avait un fondement objectif.2                                      [citations omises]

L"analyse

[11]      Il n"a pas été contesté devant moi qu"en tranchant la présente demande de contrôle judiciaire, je dois me fonder sur la première version des motifs de la SSR, c"est-à-dire la version qui a été fournie au demandeur en même temps que l"avis de la décision qui lui était défavorable et qui fait partie du dossier du demandeur. En d"autres termes, je dois rendre ma décision en ne tenant pas compte du passage précité de la deuxième version des motifs.

[12]      Je suis d"accord que je n"ai d"autre choix que de me fonder sur la première version des motifs. Le paragraphe 69.1(11) prévoit que des motifs écrits doivent obligatoirement être fournis pour motiver une décision défavorable à l"intéressé. En voici le libellé :

(11) The Refugee Division may give written reasons for its decision on a claim, except that

(a) if the decision is against the person making the claim, the Division shall, with the written notice of the decision referred to in subsection (9), give written reasons with the decision; and

(b) if the Minister or the person making the claim requests written reasons within ten days after the day on which the Minister or the person is notified of the decision, the Division shall forthwith give written reasons.              [emphasis added]

(11) La section du statut n'est tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants_:

a) la décision est défavorable à l'intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification;

b) le ministre ou l'intéressé le demande dans les dix jours suivant la notification, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.



[Je souligne]

[13]      Dans le cas où la première version des motifs, c"est-à-dire la version qui a été fournie au demandeur en même temps que l"avis de décision, n"est pas la bonne version des motifs de la décision, la SSR a omis de remplir l"obligation que prévoit le paragraphe 69.1(11). Malgré le point de vue que l"avocat de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a adopté dans sa correspondance avec la Cour, je ne suis pas disposé à présumer que c"est ce qui s"est produit3.

[14]      En ce qui concerne la première version des motifs de la SSR, l"avocat du demandeur a soutenu que la SSR a commis une erreur lorsqu"elle a omis, dans ses motifs, de tenir compte du rapport du psychologue dont elle disposait et, en particulier, du passage suivant de ce rapport :

[TRADUCTION] Dans le cas où M. Velluppillai serait expulsé au Sri Lanka, tout porte à croire qu"il subirait un nouveau traumatisme, car il en est venu à associer son pays d"origine à des souffrances qu"il a subies pendant de nombreuses années. Je doute qu"il survivra à cela, surtout compte tenu de son âge. À mon avis, il ne parviendra pas à surmonter son désespoir et ce nouveau traumatisme et il abandonnera tout simplement. Monsieur Velluppillai est convaincu qu"il sera assassiné s"il est expulsé, et le fait que son épouse et son fils unique ont perdu la vie en raison des conflits politiques dans son pays renforce sa crainte d"y retourner.

[15]      Dans les deux versions de ses motifs, la SSR dit : [TRADUCTION] " De courtes détentions visant à empêcher les troubles ou combattre le terrorisme ne constituent pas de la persécution ". Bien que cela soit généralement vrai, la SSR n"a pas tenu compte de la situation extraordinaire du demandeur, en particulier de son âge, et, vu cet âge, de l"incidence des expériences du demandeur, comme le faisait le rapport du psychologue précité. Je suis convaincu que la SSR a ainsi, dans la première version de ses motifs, omis de tenir compte de la situation extraordinaire du demandeur et de la preuve dont elle disposait qui est directement pertinente à l"égard de cette situation. Ainsi, la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle4.

[16]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Post-scriptum

[17]      Malgré le fait que les deux avocats qui ont plaidé devant moi étaient d"accord que je devais me fonder sur la première version des motifs de la décision, c"est-à-dire sur celle qui a été fournie au demandeur en même temps que l"avis de la décision qui lui était défavorable et qui fait partie du dossier de la demande, l"avocat du défendeur a attirer mon attention sur l"arrêt Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)5, dans lequel la Cour d"appel fédérale a conclu que les motifs de décision sont les motifs qu"ont signés le ou les membres de la formation de la SSR qui ont rendu la décision. En l"espèce, il ressort des documents dont disposait la Cour que seule la deuxième version des motifs, c"est-à-dire celle qui faisait partie du dossier du tribunal et qui renvoyait au rapport du psychologue, paraît avoir été signée par les membres de la formation. Cependant, même si j"adoptais le point de vue que c"est la deuxième version des motifs qui, de fait, constitue la bonne version des motifs de la décision de la formation, ce que je n"ai pas fait, compte tenu de l"avis des avocats sur ce point, le résultat aurait été le même étant donné que cette deuxième version n"a pas été fournie au demandeur en même temps que l"avis de décision, comme l"exige le paragraphe 69.1(11) de la Loi.

La conclusion

[18]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR qui fait l"objet du présent contrôle est annulée, et la dernière revendication du statut de réfugié au sens de la Convention que le demandeur a présentée au Canada est renvoyée à la Commission de l"immigration et du statut de réfugié pour qu"une formation différemment constituée entende et tranche l"affaire à son tour.


[19]      Comme ni l"un ni l"autre avocat n"a proposé qu"une question soit certifiée, aucune question n"est certifiée.

" Frederick E. Gibson "

                                         J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 9 mars 2000.












Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier


NO DU GREFFE :              IMM-2043-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SELVARATNAM VELLUPPILAI

                     c.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L"IMMIGRATION

DATE DE L"AUDIENCE :          LE LUNDI 28 FÉVRIER 2000

LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              9 MARS 2000



ONT COMPARU :              Lorne Waldman

                         Pour le demandeur

                     Kevin Lunney

                         Pour le défendeur

AVCOATS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Jackman, Waldman & Associates

                     Barristers and Solicitors

                     281, avenue Eglinton est

                     Toronto (Ontario)

                     M4P 1L3

                         Pour le demandeur

                     Morris Rosenberg

                     Sous-procureur général du Canada

                         Pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA



Date : 20000309


Dossier : IMM-2043-99


ENTRE :



SELVATARATNAM VELLUPPILLAI



demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur






MOTIFS D"ORDONNANCE




__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      La version des motifs que comprend le dossier du tribunal dont dispose notre Cour reflète clairement une omission, comme il a été souligné dans le deuxième paragraphe. Dans une copie de ce qui paraît être la même version des motifs que celle qui a été fournie à la Cour dans le cadre d"une lettre que l"avocat a envoyée à la Commission de l"immigration et du statut de réfugié en date du 14 février 2000, les mots suivants ont été utilisés pour répondre à l"omission : " de son gré. Bien que la formation ne soit pas convaincue que le revendicateur est un témoin fiable ".

3      En ce qui concerne la nature obligatoire du paragraphe 69.1(11) de la Loi, voir Isiaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1998), 46 Imm. L.R. (2d) 79 (C.F. 1re inst.); conf. par 1999 Carswell Nat 1968 (C.A.F.).

4      Voir par exemple Sivayoganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1994), 86 F.T.R. 152 et les décisions qui y sont citées.

5      (1998), 10 Admin. L.R. (3d) 167.

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