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                                      Date : 20050418

Dossier : IMM-2628-04

Référence : 2005 CF 516

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

SHARAME SHERZADY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

APERÇU

[1]                Il est reconnu qu'un agent d'examen des risques avant renvoi (agent d'examen) a le pouvoir délégué de statuer sur une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire (demande CH) présentée suivant la procédure appropriée; toutefois, lorsqu'une personne demande un ERAR et joint une demande CH sans que cette dernière soit présentée suivant la procédure appropriée, cela ne veut pas dire que l'agent d'examen doit tenir compte des considérations d'ordre humanitaire.

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]             Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (LIPR), de la décision d'un agent d'examen qui, le 31 janvier 2004, a rejeté la demande d'ERAR présentée par le demandeur en vertu de l'article 97 de la LIPR pour le motif qu'il ne s'exposerait pas au risque d'être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités s'il était renvoyé en Iran.

LES FAITS

[3]             Le demandeur, Sharame Sherzady, est né en Iran et est citoyen de ce pays. Il est arrivé au Canada le 9 octobre 1987 avec sa mère et ses frères. Il a obtenu le droit d'établissement au Canada le 4 juin 1993 dans le cadre du programme d'élimination de l'arriéré des revendications du statut de réfugié.

[4]             Une mesure d'expulsion du Canada a été prise contre lui le 22 juillet 2002 en raison de condamnations au criminel inscrites contre lui en novembre 2001 pour possession non autorisée d'une arme prohibée, possession de biens criminellement obtenus et complot en vue de faire le trafic d'une substance désignée (12 onces de cocaïne). Il a été condamné à trois ans d'emprisonnement et mis en liberté conditionnelle en novembre 2003. Il avait déjà été condamné en avril 1999 pour possession de biens criminellement obtenus d'une valeur de plus de cinq mille dollars.

[5]             M. Sherzady a fait une demande dans le cadre du programme d'ERAR et celle-ci a été rejetée. Cette décision est maintenant contestée devant la Cour.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]             L'agent d'examen a fait remarquer que M. Sherzady est visé par l'alinéa 36(1)a) de la LIPR qui prévoit qu'emporte interdiction de territoire pour grande criminalité le fait pour un résident permanent d'être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé. L'agent d'examen a ajouté que M. Sherzady est donc visé par le paragraphe 112(3) de la LIPR qui prévoit que l'asile ne peut être conféré au demandeur qui est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d'au moins deux ans.

[7]             L'agent d'examen a analysé les risques qu'a invoqués M. Sherzady, c'est-à-dire qu'il craint de retourner en Iran parce que sa mère est Kurde et son père, de religion bahai. Le demandeur a dit que les cousins de son père avaient été assassinés, que beaucoup de temples bahai ont été incendiés et que la conversion était obligatoire.

[8]             Après avoir examiné à fond le traitement réservé aux adeptes de la religion bahai en Iran, l'agent d'examen a conclu ce qui suit au sujet de l'appartenance religieuse du père de M. Sherzady :

[Traduction] Dans sa demande, M. Sherzady affirme que son père est de religion bahai. Il ne donne pas de détails. Je n'ai été saisi d'aucun élément de preuve au sujet de la situation actuelle de son père, notamment quant à savoir s'il a été persécuté du fait de sa foi. Le demandeur dit simplement que les cousins de son père ont été assassinés, mais il ne précise pas dans quelles circonstances. L'avocat affirme que « le grand-père paternel [du demandeur] a converti ses fils à l'Islam pour éviter qu'ils soient persécutés en tant qu'adeptes de la religion bahai » . Je prends acte du fait que le père du demandeur est musulman. L'avocat ne donne pas de détails à ce sujet. Le demandeur ne fournit pas d'éléments de preuve quant à ses propres croyances religieuses. Il n'affirme pas être de religion bahai. Je ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve pour conclure que le demandeur risque d'être la cible des autorités en Iran parce que son père est de religion bahai.

[9]             Puis, après avoir analysé en profondeur le traitement réservé aux Kurdes en Iran, l'agent d'examen a conclu ce qui suit au sujet de la crainte de M. Sherzady d'être persécuté du fait des origines kurdes de sa mère :

[Traduction] Le demandeur n'a pas fourni d'éléments de preuve attestant qu'il courrait un risque du fait des origines kurdes de sa mère. Je ne dispose d'aucun élément de preuve qui me permettrait de croire que le demandeur serait considéré comme un Kurde à cause de sa mère ou que les autorités s'intéresseraient à lui pour ce motif. Les résultats de recherche indiquent que ce sont surtout les militants du Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI) qui intéressent les autorités. Le demandeur n'a pas fourni d'éléments de preuve attestant qu'il est politiquement actif au sein de ce parti ou même, qu'il a des intérêts politiques. Je ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve pour conclure que le demandeur risque d'être la cible des autorités en Iran parce que sa mère est Kurde.

[10]         L'agent d'examen a ensuite analysé les risques courus par M. Sherzady du fait de sa déclaration de culpabilité au Canada pour possession de drogue en se reportant aux demandes d'information à ce sujet. Il a conclu que M. Sherzady n'avait pas fourni suffisamment d'éléments de preuve attestant qu'il existe une possibilité sérieuse qu'il soit condamné en Iran pour un crime commis au Canada et pour lequel il a déjà purgé sa peine et été libéré.

[11]         L'agent d'examen a conclu que M. Sherzady n'a pas établi qu'il serait personnellement exposé au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il retournait en Iran, comme le prévoit l'article 97 de la LIPR.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]         1. L'agent d'examen a-t-il appliqué la mauvaise norme pour décider que le demandeur n'était pas visé par l'article 97 de la LIPR?

2.    L'agent d'examen a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant du demandeur?

3. L'agent d'examen a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en s'appuyant sélectivement sur d'autres?

ANALYSE

  1. L'agent d'examen a-t-il appliqué la mauvaise norme pour décider que le demandeur n'était pas visé par l'article 97 de la LIPR?

[13]         M. Sherzady admet que l'agent d'examen a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités. L'agent d'examen a manifestement appliqué le critère de risque approprié, comme l'a confirmé la Cour d'appel fédérale dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2].

  1. L'agent d'examen a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant du demandeur?

[14]         M. Sherzady soutient que l'agent d'examen n'a pas tenu compte des considérations d'ordre humanitaire et qu'il n'a pas non plus tenu compte de l'intérêt de son fils qui a la nationalité canadienne. La Cour convient avec le défendeur que l'agent d'examen n'était pas obligé de tenir compte des considérations d'ordre humanitaire soulevées par M. Sherzady.

[15]         M. Sherzady a fait une demande d'ERAR. Le cadre d'évaluation d'une demande d'ERAR en vertu de la LIPR et du Règlement est clair. L'ERAR a pour but d'évaluer le risque, en l'espèce en fonction des facteurs énoncés à l'article 97 de la LIPR (alinéa 113d)). Rien dans le libellé clair de la Loi ne permet de penser que l'agent d'examen est censé, lorsqu'il reçoit une demande, assumer aussi le rôle d'un agent CH.

[16]         Zone de Texte: 25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations. Zone de Texte: 25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient. Il existe un processus de demande distinct pour des motifs d'ordre humanitaire et M. Sherzady était libre d'y recourir. Ce processus est prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR :

[17]         Dans le cadre d'une procédure de renvoi, la juge Layden-Stevenson a dit dans Padda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3] au sujet des considérations d'ordre humanitaire :

Selon une certaine jurisprudence, le pouvoir discrétionnaire limité de l'agent d'exécution ne lui permet pas de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant puisque c'est l'objet visé par la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire : John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 420, A.C.F. no 583; Banik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) IMM-4861-03; Robin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) IMM-5796-03.

[18]         M. Sherzady invoque la décision Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4]pour affirmer que l'agent d'examen avait le pouvoir de tenir compte des considérations d'ordre humanitaire. Cette décision se distingue clairement de la présente espèce parce qu'il y était question d'une décision en matière de considérations d'ordre humanitaire et non d'une décision relative à l'ERAR. Le demandeur, dans cette affaire, avait de toute évidence fait une demande CH et l'avait acheminée en suivant la procédure appropriée. L'agent chargé de trancher la demande CH était dans ce cas un agent d'examen des risques avant renvoi. Il s'agissait de déterminer si cet agent avait le pouvoir délégué d'examiner une demande CH. Dans Zolotareva, précitée, la question n'était pas de savoir si une personne demandant un ERAR peut « joindre » à sa demande d'ERAR une demandeCH sans passer par les voies habituelles. La décision Zolotareva, précitée, permet d'affirmer qu'un agent d'examen peut rendre une décision sur une demande CH présentée suivant la procédure appropriée. Cela ne signifie pas que l'agent d'examen se prononçant sur une demande d'ERAR doit tenir compte des considérations d'ordre humanitaire.

[19]         M. Sherzady cite également la décision Sowkey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5] qui concerne une demande de sursis à une mesure de renvoi. Dans Sowkey, précitée, le demandeur contestait la décision négative relative à l'examen des risques avant renvoi et la décision de ne pas reporter son renvoi. La Cour a conclu que la question de l'obligation de l'agent d'examen de tenir compte des considérations d'ordre humanitaire satisfaisait au critère de la question sérieuse aux fins de l'octroi d'un sursis. Elle s'est toutefois donnée la peine de faire remarquer que la question ne satisferait pas nécessairement au critère relatif à l'autorisation. En fait, la question ne satisfaisait à ce critère puisque la demande d'autorisation de contester la décision concernant l'ERAR a été plus tard rejetée[6].

[20]         Dans le cadre d'un ERAR reposant sur les facteurs énoncés à l'article 97 de la LIPR, l'agent n'évalue que le préjudice qui pourrait être causé à la personne elle-même, et non à d'autres personnes, si elle était renvoyée.

3. L'agent d'examen a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en s'appuyant sélectivement sur d'autres?

[21]         Quelle que soit la norme de contrôle qu'elle utilise pour apprécier les conclusions de fait de l'agent d'examen, la Cour ne trouve rien à redire en l'espèce à ces conclusions. Les motifs de l'agent attestent qu'il a bien saisi les questions en litige ainsi que les éléments de preuve pertinents. Le fait est que M. Sherzady n'a tout simplement pas fourni d'éléments de preuve étayant ses allégations concernant les risques qu'il courrait s'il était renvoyé en Iran.

CONCLUSION

[22]         Pour les motifs susmentionnés, la Cour répond aux trois questions par la négative. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

­­­­­­­­­­­­­­                   

L'avocat du demandeur a demandé la certification de la question suivante : « L'agent d'examen des risques avant renvoi est-il tenu d'examiner les considérations d'ordre humanitaire? » . La Cour a décidé, après réflexion, qu'il ne s'agit pas d'une question d'importance générale que la Cour d'appel fédérale devrait trancher, mais plutôt d'une politique gouvernementale canadienne qui se reflète dans le mandat actuel, qu'on soit d'accord ou non avec celui-ci, qui est confié aux agents d'examen des risques avant renvoi[7].

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2628-04

INTITULÉ :                                                    SHARAME SHERZADY

                                                                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 18 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                               POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                                   POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JACKMAN AND ASSOCIATES                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS, c.r.                                        POUR LES DÉFENDEURS

Sous-ministre de la Justice

et sous-procureur général



[1] L.C. (2001), ch. 27.

[2] [2005] A.C.F. no 1 (C.A.) (QL), 2005 CAF 1.

[3] [2003] A.C.F. no 1353 (C.F.) (QL), par. 13.

[4] [2003] A.C.F. no 1596 (1re inst.) (QL).

[5] [2004] A.C.F. no 51 (1re inst.) (QL).

[6] (11 mars 2004), IMM-277-04 (C.F.).

[7] Zolotareva, précitée.

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