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Date : 20010711

Dossier : IMM-4119-00

Référence neutre : 2001 CFPI 782

Ottawa (Ontario), le mercredi 11 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE :       Madame le juge Dawson

ENTRE :

                              MIHAELA-CRINA FELEKAN

                                                                                              demanderesse

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Mihaela-Crina Felekan est une citoyenne roumaine de 25 ans qui a réclamé le statut de réfugiée au sens de la Convention sur la base de ses opinions politiques. Elle demande le contrôle judiciaire de la décision du 11 juillet 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]    Originaire de la ville de Cluj, située près de la frontière hongroise, Mme Felekan a affirmé que les problèmes qu'elle et sa famille ont eu avaient commencé après que son père eut adhéré au Parti de la grande Roumanie (le PRM) à l'été 1992. Mme Felekan a décrit le PRM comme étant un parti roumain nationaliste plaidant en faveur de la mise hors la loi du Parti nationaliste hongrois (l'UDMR) parce qu'il croit que l'UDMR souhaite fractionner la Roumanie et faire de sa région nordique un État hongrois distinct.

[3]    Mme Felekan a allégué être persécutée par des membres des autres partis politiques de la coalition gouvernementale, notamment par l'UDMR. Mme Felekan a relaté un certains nombre d'incidents dont ont été victimes son père, son mari, qui était aussi membre du PRM, ainsi qu'elle-même, y compris un viol qu'elle aurait subie en septembre 1998 pour des raisons d'intimidation politique lors de la tenue d'une campagne préélectorale.


[4]                 Mme Felekan et son mari ont quitté la Roumanie en juin 1999. Elle a revendiqué le statut de réfugiée au sens de la Convention à son arrivée au Canada le 6 juin 1999. Depuis qu'ils sont au Canada, Mme Felekan et son mari se sont séparés mais ils ne sont pas divorcés aux termes de la loi.

[5]                 La SSR a reconnu que Mme Felekan avait été violée, mais elle paraît avoir conclu qu'il s'agissait d'un incident isolé, qui lui a causé un préjudice grave, sans toutefois être lié à ses opinions politiques. La SSR a ensuite conclu que :

[Traduction] Dans l'évaluation de la menace de préjudice à la revendicatrice si elle retournait maintenant en Roumanie, le tribunal conclut que même si la revendicatrice et sa famille peuvent avoir été harcelés en raison de leur participation aux activités du PRM, ce harcèlement n'équivaut pas à de la persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention.

[...]

Aucun élément de preuve n'indique que les membres du PRM font l'objet de persécution de la part de la minorité hongroise en Roumanie, des autorités de ce pays ou de qui que ce soit d'autre. Le tribunal a examiné la preuve documentaire mais estime qu'il ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour tirer la conclusion qu'en raison de ses liens avec le PRM, la revendicatrice risque raisonnablement d'être persécutée si elle retourne maintenant en Roumanie.

Subsidiairement, même si le tribunal reconnaissait que la crainte de persécution de la revendicatrice est bien fondée à Cluj, il conclut que la revendicatrice a une possibilité de refuge intérieur viable à Bucarest.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]                 Mme Felekan a soulevé les trois questions suivantes relativement à la décision de la SSR :

1.    La SSR a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve documentaires pertinents quant à la persécution des membres du PRM?


2.    La SSR a-t-elle commis une erreur relative à un fait important lorsqu'elle a fait référence tout au long de ses motifs au mari de Mme Felekan comme étant son « ancien mari » ?

3.    La SSR a-t-elle omis de tenir compte de facteurs pertinents lorsqu'elle a conclu que le viol de Mme Felekan constituait un « incident isolé » plutôt que de s'inscrire dans une série d'agressions contre sa famille?

ANALYSE

(i) La SSR a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve documentaires pertinents quant à la persécution des membres du PRM?

[7]                 Les documents relatifs à la situation du pays dont la SSR était saisie ne contenaient aucun élément de preuve démontrant que les membres du PRM faisaient l'objet de persécution.

[8]                 On a néanmoins affirmé au nom de Mme Felekan que la SSR n'avait pas tenu compte du fait que le PRM et l'UDMR sont des partis fondés sur l'origine ethnique et que l'UDMR fait partie de la coalition gouvernementale en Roumanie, contrairement au PRM.


[9]                 Toutefois, même si on tient pour acquis que l'affirmation de Mme Felekan selon laquelle la SSR n'a pas tenu compte de ces faits est exacte, ceux-ci ne démontrent pas à eux seuls que les membres du PRM sont persécutés en Roumanie.

[10]            On a également affirmé au nom de Mme Felekan que la SSR n'avait pas tenu compte comme il se doit de son propre témoignage en ce qui a trait à la persécution.

[11]            La SSR peut tirer des conclusions fondées sur les implausibilités qu'elle constate dans le témoignage d'un revendicateur après avoir comparé ce témoignage à la preuve de la situation du pays que contiennent les documents dont elle dispose. En l'espèce, à la lumière de la comparaison entre, d'une part, le témoignage de Mme Felekan et, d'autre part, la preuve documentaire soumise à la SSR et la preuve que ses parents ont continué à vivre dans la maison familiale et que les menaces contre sa famille ont cessé, j'estime que la conclusion de la SSR selon laquelle il n'y avait aucun élément de preuve indiquant que les membres du PRM subissaient de la persécution en Roumanie n'était pas manifestement déraisonnable ni clairement erronée.

(ii) La SSR a-t-elle commis une erreur relative à un fait important dans ses motifs en faisant référence au mari de Mme Felekan comme étant son « ancien mari » ?

[12]            On n'a pas insisté sur cette question lors des plaidoiries.


[13]            Comme je l'ai déjà mentionné, Mme Felekan et son mari se sont séparés peu après leur arrivée au Canada. Dans son témoignage devant la SSR, Mme Felekan a à au moins deux reprises fait référence à son mari comme étant son « ex-mari » et a parlé de « notre divorce » . Mme Felekan a également indiqué qu'elle et son mari étaient séparés et qu'ils n'avaient pas l'intention de se réconcilier, que ce soit au Canada ou en Roumanie.

[14]            Par conséquent, même si la mention par la SSR de l'ancien mari n'est pas entièrement exacte (étant donné que Mme Felekan et son mari ne sont pas divorcés aux termes de la loi), cette mention constitue essentiellement une indication erronée qui n'est pas importante quant à la décision en cause.

(iii) La SSR a-t-elle omis de tenir compte de facteurs pertinents lorsqu'elle a conclu que le viol de Mme Felekan était « un incident isolé ayant causé un préjudice grave » plutôt que de s'inscrire dans une série d'agressions?

[15]            La façon dont la SSR a considéré le témoignage de Mme Felekan concernant son viol est très troublante. La SSR a écrit ce qui suit :

[Traduction] Le tribunal a ensuite examiné le témoignage de la revendicatrice relativement à son présumé viol. Il souligne que l'incident s'est produit dans une zone déserte alors qu'il commençait à faire noir. À l'exception de la parole de la revendicatrice, le tribunal n'est saisi d'aucun élément de preuve confirmant que le présumé incident s'est produit. Le tribunal souligne également que la revendicatrice n'a produit aucun élément de preuve médical ou documentaire pour corroborer son allégation. Le tribunal accepte le témoignage de la revendicatrice quant à la présumée existence de cet incident.


La revendicatrice n'a pas vu ses agresseurs avant ou après la présumée agression. Elle a témoigné que l'incident était lié aux activités politiques de son père car l'un des agresseurs lui aurait dit que l'incident était pour son père. Le tribunal conclut cependant qu'il s'agit d'un incident isolé ayant causé un préjudice grave à la revendicatrice.

[16]            Il ressort de cet extrait que la SSR n'a accepté qu'une partie du témoignage de Mme Felekan, soit la partie relative au viol lui-même, et qu'elle a rejeté la partie selon laquelle le viol était motivé par des raisons d'ordre politique. On avait demandé à Mme Felekan lors de l'interrogatoire principal pourquoi elle croyait que son viol ne constituait pas simplement un acte de violence gratuite. Elle a répondu qu'immédiatement après le viol, ses agresseurs lui ont dit [Traduction] « c'est pour ton père » et que trois jours après, des personnes non identifiées ont téléphoné à son père et lui ont dit que son autre fille serait la prochaine s'il rapportait l'incident à la police.

[17]            Il est bien établi que même si la SSR n'est pas tenue d'accepter le témoignage du revendicateur, elle est obligée de donner en termes clairs et non équivoques les motifs pour lesquels elle rejette un témoignage assermenté : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.). En ne donnant pas les motifs pour lesquels elle a rejeté cette partie du témoignage de Mme Felekan, la SSR a commis une erreur.

[18]            Il faut cependant examiner l'effet de cette erreur à la lumière de la conclusion subsidiaire de la SSR selon laquelle il existait une possibilité de refuge intérieur à Bucarest.


[19]            Quant à la possibilité de déménager à Bucarest, Mme Felekan a témoigné que si elle déménageait, elle serait obligée de s'inscrire auprès de la police et que les gens pouvaient obtenir des renseignements en soudoyant les policiers en Roumanie. Elle a exprimé la crainte qu'étant donné que son père continuerait à participer activement aux activités du PRM, elle serait retrouvée à Bucarest et de nouveau menacée.

[20]            La SSR a toutefois souligné que :

[Traduction] La revendicatrice a vécu pendant environ trois semaines à Turda, d'où venait son père, et un mois à Beclan avec les parents de son mari. La revendicatrice n'y a rencontré aucun problème. Elle n'a pas voulu rester à Turda parce qu'il était difficile de trouver une maison ou un appartement. Elle est donc allée vivre chez les parents de son mari à Beclan pendant un mois. Elle n'a pas voulu y rester parce qu'elle voulait terminer ses études universitaires. Il n'y avait pas d'emploi et il n'était pas possible d'avoir une vie là-bas.

La SSR a également fait remarquer que Mme Felekan n'était pas recherchée par la police en Roumanie, qu'elle avait quitté ce pays légalement en utilisant son propre passeport et que c'est à Bucarest que le PRM était le plus fort.

[21]            Le tribunal a donc conclu qu'il n'y avait aucune possibilité raisonnable que Mme Felekan soit victime de persécution si elle retournait maintenant en Roumanie et s'établissait à Bucarest, et qu'à la lumière de son âge et de son adaptation apparemment bien réussie (malgré les troubles émotionnels dont elle a souffert avant son départ de la Roumanie), il serait raisonnable pour elle de s'établir à Bucarest.


[22]            J'estime que la conclusion de la SSR quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur à Bucarest n'est pas déraisonnable ni clairement erronée.

[23]            Vu l'existence d'une possibilité de refuge intérieur, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée malgré le fait que la SSR a commis une erreur dans la façon dont elle a considéré le témoignage de Mme Felekan concernant le viol que celle-ci a subi.

[24]            L'avocat de Mme Felekan a demandé que soit certifiée la question de savoir si un tribunal de la SSR pouvait tirer une conclusion contraire à la preuve non contestée sans en fournir explicitement les motifs.

[25]            Le défendeur s'est opposé à la certification de cette question au motif que la Cour l'avait déjà tranchée dans ses décisions antérieures, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'une question grave de portée générale.

[26]            Je suis d'accord avec l'argument du défendeur. De plus, à la lumière de la conclusion de la SSR quant à l'existence de la possibilité de refuge intérieur, la question ne serait pas déterminante en appel.

[27]            Pour ces motifs :


ORDONNANCE

[28]            LA COUR ORDONNE :

Le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 IMM-4119-00

INTITULÉ :                                MIHAELA-CRINA FELEKAN c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :         SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 24 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE Madame le juge Dawson

EN DATE DU :                          11 juillet 2001

ONT COMPARU

M. John D. Hardy                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Mme Glennys Bembridge                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Hardy & Hardy                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Saskatoon (Saskatchewan)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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