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Date : 20060228

Dossiers : T-126-05 et T-455-05

Référence : 2006 CF 266

Ottawa (Ontario), le 28 février 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE Simpson

 

ENTRE :

MARCEL LUKE HERTLEIN BALFOUR

demandeur

et

 

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE NORWAY HOUSE

défendeurs

 

ET

Dossier : T-1390-05

 

ENTRE :

MARCEL LUKE HERTLEIN BALFOUR

demandeur

et

 

LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE NORWAY HOUSE

défendeur

 


 

MOTIFS DES JUGEMENTS ET JUGEMENTS

 

LA JUGE SIMPSON

 

 

[1]               Les présents motifs portent sur trois demandes de contrôle judiciaire présentées par Marcel Luke Hertlein Balfour (le demandeur). Le demandeur, qui agit pour son propre compte, est un conseiller élu de la bande de la Nation crie de Norway House (la bande).

 

[2]               La bande compte cinq mille membres, dont trois mille cinq cents habitent sur la réserve de Norway House (la réserve). Le bureau du conseil de bande (le bureau du conseil) est situé sur la réserve, à huit cent cinquante kilomètres au nord de Winnipeg. Le conseil de bande a également un bureau auxiliaire à Winnipeg. La bande dispose d’installations modernes et a mis sur pied plusieurs entreprises qui lui appartiennent. Son revenu annuel s’élève à environ quatre vingt dix millions de dollars.

 

[3]               La première demande de contrôle judiciaire, présentée dans le dossier T-126-05, est dirigée contre le chef et le conseil de bande (les défendeurs), et elle vise la décision de ces derniers de refuser d’accorder au demandeur un accès satisfaisant à des renseignements et à des documents financiers. La deuxième demande de contrôle judiciaire, présentée dans le dossier T-455-05, est dirigée contre les mêmes personnes, et elle vise leur refus de permettre au demandeur de participer aux réunions du conseil de bande par téléconférence et de lui transmettre les documents connexes. La troisième demande, présentée dans le dossier T-1390-05, est dirigée uniquement contre le conseil de bande (le défendeur), et elle vise la décision de celui-ci en date du 1er août 2005 de nommer le conseiller Fred Muskego chef par intérim jusqu’à la prochaine élection ordinaire au lieu de déclencher une élection spéciale pour le poste de chef.

 

[4]               Compte tenu du fait que le demandeur et le conseiller Fred Muskego seront candidats au poste de chef à la prochaine élection ordinaire qui aura lieu le 16 mars 2006, que d’autres membres du conseil de bande vont se représenter à cette élection et qu’une réunion générale des candidats se tiendra le 9 mars 2006, les présentes demandes ont été instruites d’urgence.

 

LES FAITS

 

[5]               En 1998, la bande est devenue une bande agissant selon ses coutumes. Il s’ensuit que les élections qu’elle tient sont régies par sa propre Election Procedures Act (loi sur les procédures électorales) (la LPE). La LPE prévoit que les modifications qu’on souhaite y apporter doivent faire l’objet d’un vote à l’assemblée générale de la bande. En 2001, le conseil de bande a convoqué une assemblée générale de la bande et a demandé à celle-ci de modifier la LPE de manière à la rendre conforme au jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l’affaire Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, dans lequel la Cour suprême a reconnu aux membres de la bande ne résidant pas sur une réserve le droit de voter. Toutefois, les modifications proposées ont été rejetées. Par la suite, pour éviter de tenir une élection ordinaire qui aurait contrevenu à l’arrêt Corbière en 2002, le conseil de bande, en collaboration avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC), a modifié la LPE en 2001. C’est la version modifiée de la LPE qui régissait l’élection ordinaire de 2002.

 

[6]               En 2001, la bande a adopté un Policy and Procedural Guidelines Manual (manuel des lignes directrices sur la politique et les procédures) (le Manuel sur les procédures) qui devait régir les activités quotidiennes du conseil de bande. Le manuel en question a remplacé le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens, C.R.C., ch. 950, qui avait été pris en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.

 

[7]               La LPE énonce que des élections pour les postes de chef et de conseillers doivent avoir lieu tous les quatre ans. Il s’agit de ce que j’appellerai les élections ordinaires. La LPE prévoit également que des élections spéciales peuvent être tenues dans certaines circonstances. Après les élections ordinaires, des portefeuilles sont attribués aux conseillers. Après l’élection ordinaire de 2002, le demandeur s’est vu confier le portefeuille de la Justice et celui de l’Assistance sociale.

 

[8]               Peu de temps après que le demandeur a été élu conseiller de bande en mars 2002, le chef de bande et les autres membres du conseil de bande ont commencé à faire des démarches visant à l’empêcher d’exercer ses fonctions de conseiller. Ils semblent avoir agi ainsi parce qu’ils ont jugé que le demandeur était un novice rebelle qui remettait en question et critiquait leurs décisions, leurs priorités et leurs dépenses. Les critiques du demandeur étaient souvent publiées dans un bulletin mensuel distribué aux membres de la bande. Pour limiter l’influence du demandeur, le chef et le conseil de bande ont pris les décisions suivantes :

-         retirer au demandeur les portefeuilles qui lui avaient été confiés;

-         faire passer son salaire d’environ soixante mille dollars par année à environ cinq mille dollars par année;

-         lui retirer son allocation de déplacement;

-         l’expulser de l’appartement qu’il occupait sur la réserve;

-         l’expulser du bureau qu’il occupait au bureau du conseil;

-         refuser de lui donner les clés du bureau du conseil;

-         confisquer l’ordinateur portatif qui lui avait été fourni à cause de sa qualité de conseiller (l’ordinateur portatif);

-         refuser de lui donner un accès satisfaisant aux renseignements et aux documents financiers de la bande;

-         refuser de lui permettre de participer à certaines réunions du conseil de bande;

-         refuser de lui fournir les documents relatifs aux réunions du conseil de bande;

-         tenir des réunions secrètes et prendre des décisions en l’absence du demandeur;

-         refuser de déclencher une élection spéciale, comme l’exige la LPE, à la suite de la démission du chef Evans le 1er août 2005.

 

[9]               La plupart des décisions énumérées ci-dessus ont fait l’objet de demandes de contrôle judiciaire. La tentative d’exercer les pouvoirs du conseil de bande lors de réunions secrètes et le retrait du salaire et de l’allocation de déplacement du demandeur ont fait l’objet d’une décision favorable au demandeur rendue par le juge Pierre Blais de la Cour (la décision du juge Blais). La décision en question a été rendue deux jours avant l’audition des présentes demandes. Le juge Blais y a qualifié les gestes des défendeurs de tentatives de contourner les résultats de l’élection de 2002 et de tentatives de chantage à l’endroit du demandeur (voir Marcel Luke Hertlein Balfour c. Le chef et le conseil de la Nation crie de Norway House et Ron Evans, Eric Apetagon, Eliza Clarke, Fred Muskego, Mike Muswagon et Langford Saunders, 2006 CF 213).

 

DEUX DES DEMANDES SOUMISES À LA COUR EN L’ESPÈCE

 

[10]           Au début de l’audience, l’avocat des défendeurs a fait valoir que, compte tenu de la décision du juge Blais, les demandes de contrôle judiciaire relatives aux documents financiers et à la participation aux réunions étaient théoriques. L’avocat des défendeurs n’a pas demandé le rejet des demandes en question, il a simplement suggéré que la Cour avait le pouvoir discrétionnaire de décider si elle allait les instruire.

 

[11]           Comme les défendeurs ont reconnu que le demandeur avait le droit d’accéder aux documents financiers et de participer aux réunions, j’ai demandé aux parties de se pencher sur les modalités possibles des projets d’ordonnances sur consentement. Compte tenu des relations antérieures entre les parties, j’ai cerné plusieurs questions pratiques, comme la nécessité de faire des copies, qui devaient selon moi être réglées pour faire en sorte que le demandeur puisse jouir d’un accès satisfaisant aux documents financiers. L’avocat des défendeurs a dit qu’il allait demander à ses clients de lui donner des instructions au sujet des modalités des ordonnances sur consentement, et l’audience a été ajournée pour permettre l’élaboration de ces dernières.

 

[12]           Après la reprise de l’audience, l’avocat des défendeurs a informé la Cour que ses clients lui avaient demandé de porter en appel la décision du juge Blais et d’obtenir un sursis. J’ai ensuite cru comprendre qu’il affirmait que ses clients accepteraient les modalités des ordonnances sur contentement pendant l’audience tenue devant moi, mais qu’ils ne signeraient les consentements requis que si la décision du juge Blais était confirmée par la Cour d’appel fédérale. Par la suite, j’ai cru comprendre qu’il affirmait autre chose, à savoir que ses clients allaient signer les consentements sur-le-champ, mais seulement à condition que les ordonnances de consentement deviennent nulles dans l’éventualité où la décision du juge Blais serait infirmée par la Cour d’appel fédérale.

 

[13]           Lorsque je lui ai demandé quelle était la pertinence de la décision du juge Blais dans le contexte des présentes demandes, l’avocat des défendeurs a reconnu que le demandeur assumait le poste de conseiller sans interruption depuis 2002 et que même si elle lui avait restitué ses portefeuilles et sa rémunération, la décision du juge Blais n’avait aucune incidence sur la qualité de conseiller du demandeur. L’avocat des défendeurs a également reconnu que le droit du demandeur de participer aux réunions et de consulter les documents financiers découlait du fait qu’il assumait la fonction de conseiller et non du fait qu’il s’était vu confier un portefeuille. Malgré cela, ses clients ont semble‑t‑il insisté pour que tout règlement des présentes demandes soit lié au sort de la décision du juge Blais en appel.

 

[14]           C’est à ce moment-là qu’il est devenu clair que les parties ne pouvaient pas parvenir à un règlement, et elles ont donc fait valoir leurs arguments concernant les deux demandes afin que puissent être établies les modalités régissant l’accès du demandeur aux documents financiers et sa participation aux réunions.

 

ACCÈS AUX DOCUMENTS FINANCIERS (T-126-05)

 

[15]           Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision des défendeurs de lui refuser l’accès aux documents financiers de la bande. Comme mesure de réparation, le demandeur sollicite un bref de mandamus enjoignant au chef et au conseil de lui donner un accès sans restriction à tous les documents financiers qu’il a le droit de recevoir en sa qualité de membre élu du conseil de bande et dont il a besoin pour pouvoir remplir ses fonctions de conseiller.

 

[16]           Plus précisément, il s’agit des documents suivants :

1.      la version intégrale du budget de la bande pour 2005-2006;

2.      les documents faisant état des conditions de tous les prêts mentionnés dans les résolutions du conseil de bande ayant trait aux finances;

3.      les documents faisant état de la date de réception de la somme de 6,365 millions de dollars en règlement de la revendication no 138 conformément à la Convention sur l'inondation des terres du Nord et de la façon dont le conseil de bande a dépensé cet argent;

4.      les documents ayant trait à la façon dont a été dépensée la somme de 43 millions de dollars reçue du gouvernement fédéral pour la construction du Helen Betty Osborne Resource Centre;

5.      les documents et les renseignements mentionnés dans le document « MAINC Nation crie de Norway House, Entente de financement Canada - Premières nations 2003EFCPN1278 » signé le 27 mars 2003, et dans toutes les modifications qui y ont été apportées par la suite, y compris :

a)      le plan financier (section 4.2.1);

b)      la politique relative aux prêts (section 4.5.1);

c)      les documents et les renseignements fournis par la bande au MAINC en application du Guide national de présentation des rapports des Premières nations (section 4.6.5);

d)      le plan de gestion corrective (alinéa 10.3a));

6.      les états financiers vérifiés de la bande, y compris les états financiers trimestriels, ainsi que tous les rapports de la direction et les recommandations du vérificateur;

7.      les états financiers vérifiés, y compris les états financiers trimestriels, ainsi que tous les rapports de la direction et les recommandations du vérificateur concernant les entreprises suivantes de la bande :

a)      les fonds de fiducie de la Nation crie de Norway House,

b)      les projets  S.C.H.L. de la Nation crie de Norway House,

c)      la Commission des jeux de la Nation crie de Norway House,

d)      Kinosao Sipi Business Development Corporation Ltd.,

e)      Norway House Pharmacy Ltd.,

f)        4015029 Manitoba Ltd.,

g)      4023315 Manitoba Ltd.,

h)      Playgreen Development Corporation,

i)        Keewatin Concrete Limited,

j)        Kinosao Sipi Ininew Waskahikan,

k)      l’exploitation du Multiplex,

l)        le salon d’appareils de loterie vidéo,

m)    le York Boat Inn,

n)      la privatisation des services d’eau et d’égout,

o)      Keosew Sipi Cable Vision,

p)      la clinique dentaire Kinosao.

J’appellerai l’ensemble des documents énumérés ci-dessus les « documents financiers ».

 

[17]           Les défendeurs reconnaissent que selon le Manuel sur les procédures, les conseillers sont tenus de surveiller les finances de la bande et d’examiner ses documents financiers. Ils reconnaissent également que les conseillers doivent avoir accès aux documents financiers pour pouvoir remplir leurs obligations. La question en litige dans la demande relative à l’accès aux documents porte sur le sens de la notion d’accès satisfaisant.

 

[18]           Je suis d’avis que le fait de fournir au demandeur uniquement les résumés des documents financiers n’équivaut pas à lui donner un accès satisfaisant à ces documents, et c’est pourtant ce qui s’est produit pendant la réunion extraordinaire du conseil de bande du 12 mai 2005, lors de laquelle on a demandé aux conseillers d’approuver le budget annuel de la bande en se contentant de leur fournir un résumé du budget prévisionnel de trois pages, sans aucun renseignement additionnel. Le refus de permettre au demandeur de faire des copies des documents financiers et la confiscation de l’ordinateur portatif du demandeur pour entraver son travail tranchent eux aussi avec la notion d’accès satisfaisant.

 

[19]           Dans le cas d’une bande comme celle à laquelle appartient le demandeur, qui possède des installations de pointe, des revenus annuels importants et de multiples entreprises, j’ai conclu que l’accès satisfaisant comprenait la possibilité d’obtenir des copies des documents financiers en temps opportun. Compte tenu du fait que la prochaine élection ordinaire aura lieu dans moins d’un mois, pour avoir un accès satisfaisant aux documents financiers, le demandeur devra se voir remettre rapidement les versions originales et les copies des documents dont il a besoin.

 

[20]           L’avocat des défendeurs a renvoyé à la section 3.4.2 des Financial Policy and Procedural Guidelines (lignes directrices régissant la politique financière et les procédures) de la bande, qui traite de la conservation des documents financiers, pour appuyer sa prétention voulant que des copies des documents ne puissent pas être faites. La section en question est ainsi rédigée :

 

[traduction]  Tous les livres, comptes et registres comptables et toutes les pièces justificatives de la Nation crie de Norway House doivent être conservés, classés et gardés dans les locaux de la Nation crie de Norway House.

 

 

Toutefois, selon moi, il s’agit d’une disposition qui vise à protéger les originaux des documents. Elle n’empêche pas le chef et les différents conseillers d’obtenir des copies de travail des documents et de les sortir du bureau du conseil.

 

[21]           L’avocat des défendeurs a également invoqué la résolution adoptée par le conseil de bande en mai 2002. Cette résolution prévoit que les conseillers doivent s’occuper uniquement des portefeuilles qui leur ont été confiés et que s’ils ont besoin de renseignements au sujet d’un autre portefeuille, ils doivent communiquer avec le conseiller responsable. Cependant, je suis d’avis que cette résolution n’a aucune incidence sur les responsabilités qui incombent au demandeur ni sur le fait que celui-ci doit pouvoir obtenir un accès satisfaisant aux documents financiers.

 

[22]           Les défendeurs ont fait valoir que des restrictions devaient être apportées à l’utilisation par le demandeur des documents financiers. Plus précisément, leur avocat a soutenu que le demandeur ne devrait pas pouvoir faire circuler des bulletins décrivant ses constatations parce que, même si les membres de la bande ont le droit de consulter les documents financiers, les défendeurs craignent que des ébauches de documents ne tombent entre les mains des créanciers de la bande. Les témoignages donnés au sujet de la question de savoir si un tel problème s’était posé dans le passé étaient contradictoires, et je n’ai pas été en mesure de décider si les préoccupations des défendeurs étaient fondées. J’estime donc qu’il incombe au demandeur de s’assurer que les documents financiers sont utilisés de manière appropriée, et je ne crois pas qu’il soit opportun d’imposer des restrictions.

 

PARTICIPATION AUX RÉUNIONS DU CONSEIL (T-455-05)

 

[23]           Le 29 juillet 2004, deux agents de sécurité munis d’instructions écrites émanant du conseiller Fred Muskego et trois autres membres du conseil de bande ont confisqué l’ordinateur portatif du demandeur. Lorsque le demandeur s’est rendu au bureau du conseil pour essayer de récupérer son ordinateur portatif, un incident qui a plus tard donné lieu à une accusation de voies de fait s’est produit. Par la suite, le demandeur s’est engagé auprès de la GRC à ne pas se rendre au bureau du conseil. Toutefois, on lui a permis de prendre part à la réunion ordinaire du conseil de bande du 2 novembre 2004 par téléconférence. La réunion ordinaire suivante du conseil de bande a eu lieu le 8 décembre 2004, mais lorsque le demandeur a tenté d’y participer par téléconférence, les employés du bureau du conseil l’ont avisé que le conseiller Fred Muskego leur avait dit que le demandeur ne pouvait pas prendre part à la réunion par téléconférence et que les documents relatifs à la réunion ne pouvaient pas lui être transmis par télécopieur.

 

[24]           L’engagement pris par le demandeur envers la GRC a été modifié le 6 janvier 2005 de façon qu’il ne lui soit plus défendu de se rendre au bureau du conseil. Toutefois, le demandeur n’a pas pu venir sur la réserve pour participer aux réunions du conseil de bande qui ont eu lieu le 1er février 2005 et le 1er mars 2005. Il a essayé de prendre part à chacune de ces réunions par téléconférence mais, chaque fois, les employés du bureau du conseil ont refusé de le connecter à la salle où se tenait la réunion.

 

[25]           La section 8.2.1. du Manuel sur les procédures prévoit que les conseillers doivent participer à toutes les assemblées générales de la bande et à toutes les réunions ordinaires et spéciales du conseil. Le Manuel sur les procédures ne contient aucune disposition qui empêche un conseiller de participer à des réunions par téléconférence, et la bande dispose clairement de la technologie nécessaire. Dans les circonstances, il n’était pas loisible aux défendeurs d’empêcher le demandeur de participer aux réunions du conseil de bande par téléconférence.

 

[26]           Le demandeur cherche maintenant à faire reconnaître son droit de participer à toutes les réunions ordinaires, spéciales et autres du conseil de bande. L’avocat des défendeurs a soutenu qu’il n’y avait que deux types de réunions du conseil de bande, à savoir les réunions ordinaires et les réunions spéciales. Cependant, comme l’a mentionné le juge Blais dans sa décision, certains membres du conseil ont organisé des réunions secrètes, en plus des réunions ordinaires et spéciales du conseil de bande, et ils ont prétendu exercer le pouvoir du conseil de bande en prenant des décisions et en signant des résolutions du conseil de bande lors des réunions secrètes en question. Par conséquent, dans le jugement qu’elle rendra dans la présente affaire, la Cour ordonnera que le demandeur soit autorisé à participer (par téléconférence s’il le désire) à toutes les réunions ordinaires, spéciales et autres du conseil de bande.

 

[27]           Le demandeur a également cherché à obtenir, au moyen de la demande relative à la participation aux réunions, des copies des procès-verbaux des réunions du conseil de bande et des résolutions que le conseil a adoptées après qu’il est devenu conseiller en mars 2005. Les documents en question lui ont déjà été fournis. Ainsi, seule subsiste la question des copies des documents mentionnés dans les procès-verbaux et dans les résolutions. L’avocat des défendeurs n’a pas formulé d’objection à ce que le conseil de bande fournisse au demandeur les documents demandés après que celui-ci aura établi une liste de ces derniers.

 

T-1390-05 : LE « CHEF PAR INTÉRIM »

 

[28]           Dans la demande visant la question de la nomination d’un chef par intérim, le demandeur a cherché à obtenir un bref de mandamus afin d’obliger le défendeur à déclencher immédiatement une élection spéciale pour combler le poste de chef. Il a également demandé un bref de certiorari annulant la décision du défendeur en date du 1er août 2005 de nommer un chef par intérim qui occuperait le poste jusqu’à la prochaine élection générale en mars 2006. Enfin, le demandeur a présenté une requête pour obtenir une injonction interlocutoire faisant droit à la demande de mandamus. Toutefois, lors de l’audition de la présente demande, le demandeur a reconnu qu’étant donné qu’une élection ordinaire aurait lieu le 16 mars 2006, il était trop tard pour que l’octroi d’une ordonnance de mandamus soit utile en pratique. Le demandeur a donc demandé à la Cour de prononcer un jugement déclaratoire portant que la décision du conseil de bande de ne pas tenir une élection spéciale constituait une violation de la LPE. L’avocat des défendeurs ne s’est pas opposé à cette modification.

 

[29]           Le problème qui a donné naissance à la présente demande a commencé à se dessiner le 27 juillet 2005 lorsque Ron Evans, qui était chef de bande à l’époque, a été élu grand chef de la Assembly of Manitoba Chiefs. Le 1er août 2005, le chef Evans a présidé une réunion du conseil de bande pendant laquelle le conseiller Fred Muskego, qui occupait déjà le poste de sous-chef, a été nommé chef par intérim jusqu’à la prochaine élection générale en mars 2006. Ron Evans a ensuite démissionné du poste de chef.

 

[30]           L’article 9.2 de la LPE prévoit ce qui suit :

[traduction]  Si le poste de chef ou de conseiller devient vacant plus de six (6) mois avant la date à laquelle la prochaine élection doit normalement avoir lieu, une élection spéciale doit être tenue conformément aux présentes procédures pour combler le ou les postes en question.

 

[31]           Selon moi, pour que cette disposition ait un sens, il faut que l’élection spéciale dont il y est question soit déclenchée rapidement. En août 2005, on savait que la prochaine élection ordinaire allait avoir lieu en mars 2006. Ainsi, le chef Evans a démissionné plus de six mois avant la prochaine élection ordinaire. Le 1er août 2005, la LPE prévoyait que le fonctionnaire électoral et les membres du comité d’appel devaient être nommés six mois avant la tenue d’une élection. Si ces procédures avaient été suivies sans tarder, une élection spéciale aurait pu être organisée le 1er février 2006, et le chef par intérim Fred Muskego ne serait pas assuré de pouvoir miser sur le fait qu’il était titulaire du poste de chef par intérim dans sa campagne lors de l’élection de mars 2006.

 

[32]           Même si la question n’a pas été soulevée dans son exposé des arguments, l’avocat des défendeurs a fait valoir à l’audience que les modifications apportées à la LPE par le MAINC et le conseil de bande en 2001 n’ont jamais été ratifiées en bonne et due forme à l’assemblée générale de la bande comme l’exige la LPE. Il a affirmé qu’il aurait donc été problématique de tenir une élection spéciale pour le poste de chef conformément à ces procédures et que l’omission du conseil de bande de déclencher une élection spéciale était par conséquent justifiée. J’estime que la preuve présentée en l’espèce est insuffisante pour me permettre de tirer une conclusion sur la validité des modifications apportées à la LPE en 2001, étant donné que ces modifications ont été rejetées par la bande mais approuvées par le MAINC. Je me contenterai de dire que les défendeurs, qui ont considéré ces modifications comme valides lors de l’élection générale de 2002 et qui ont ensuite omis de faire des démarches pour les faire ratifier par la bande, ne peuvent pas, à cette étape de l’audience, se servir pour la première fois de l’argument ayant trait à la validité des modifications pour justifier la violation, par le conseil de bande, de la disposition de la LPE qui prévoit qu’une élection spéciale doit être tenue dans de telles circonstances.

 

[33]           L’avocat du défendeur a soutenu qu’il était plus commode et moins coûteux pour le conseil de bande de nommer, en août 2005, un chef par intérim qui occuperait le poste jusqu’en mars 2006, plutôt que de tenir une élection spéciale pour le poste de chef six semaines avant l’élection ordinaire qui devait être tenue en application de la LPE. L’avocat du défendeur a fait valoir qu’un intervalle de temps aussi court entre l’élection spéciale et l’élection générale aurait pu créer de la confusion, parce que les électeurs ne résidant pas sur la réserve auraient reçu deux bulletins de vote par la poste l’un après l’autre.

 

[34]           Ces arguments ne me paraissent pas convaincants. Je suis sûre que les électeurs n’auraient pas de mal à distinguer un bulletin intitulé, par exemple, « Élection partielle du 1er février 2006 pour le poste de chef » accompagné d’une liste de candidats pour un poste, d’un bulletin intitulé, par exemple, « Élection générale du 16 mars 2006 pour le poste de chef et pour les postes de conseillers » accompagné d’une liste de candidats pour sept postes. De plus, les coûts et l’incommodité ne constituent pas des raisons justifiant que l’on ne tienne pas compte de la loi électorale de la bande.

 

Conclusions

 

[35]           Pour tous ces motifs, j’ai conclu que le chef et le conseil de bande ont agi illégalement lorsqu’ils ont refusé d’accorder au demandeur un accès satisfaisant aux documents financiers, y compris aux copies de ces derniers; que le chef et le conseil ont agi illégalement lorsqu’ils ont indûment empêché le demandeur de participer aux réunions du conseil de bande et d’obtenir les documents ayant trait aux procès-verbaux de ces réunions et aux résolutions en découlant; et que le conseil de bande a contrevenu à la loi électorale contenue dans la LPE lorsqu’il a omis de déclencher une élection spéciale immédiatement après la démission du chef Ron Evans le 1er août 2005.

 

 

JUGEMENT (T-126-05)

 

            Vu la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard de la décision des défendeurs de lui refuser l’accès aux documents financiers;

 

Et après avoir examiné les documents déposés et entendu les observations du demandeur, qui agissait pour son propre compte, et celles de l’avocat des défendeurs à Winnipeg (Manitoba), le lundi 20 février et le mardi 21 février 2006;

 

LA COUR ORDONNE que :

  1. Le conseil de bande réunisse les versions originales de tous les documents financiers et donne au demandeur accès aux documents en question conformément aux modalités énoncées ci-dessous dans les quarante-huit heures suivant la date du prononcé du présent jugement.
  2. Dans les vingt-quatre heures suivant le prononcé du présent jugement, une salle particulière soit mise à la disposition du demandeur (la salle) au bureau du conseil, dans laquelle celui‑ci pourra examiner les documents financiers conformément aux modalités suivantes :

a)      le demandeur pourra examiner les documents en privé, il pourra demander aux autres personnes de quitter la salle;

b)      lorsqu’il examinera les documents financiers, le demandeur pourra demander à des adjoints et à des conseillers de l’accompagner dans la salle;

c)      la porte de la salle sera munie d’une serrure, et toutes les clés de cette serrure seront remises au demandeur;

d)      s’il survient un problème touchant la serrure de la porte de la salle ou s’il ne reçoit pas toutes les clés de la serrure, le demandeur pourra faire venir un serrurier au bureau du conseil pour faire remplacer la serrure aux frais du conseil de bande;

e)      la salle sera équipée d’une grande table de travail (le dessus de la table mesurera au moins 3 pieds 2 pouces sur 6 pieds);

f)        la salle sera équipée d’au moins trois chaises permettant au demandeur et à ses conseillers de travailler sur la table;

g)      la salle sera bien éclairée;

h)      la salle sera équipée d’un dispositif permettant de brancher un ordinateur et de le connecter à l’Internet;

i)        si la GRC n’a plus besoin de l’ordinateur portatif, celui-ci sera remis au demandeur sans délai afin qu’il puisse l’utiliser dans la salle et à tout autre endroit, à son gré. Toutefois, si la GRC a toujours besoin de l’ordinateur portatif pour une raison quelconque, le conseil de bande aura quarante-huit heures à partir de la réception de l’avis du demandeur portant qu’il a besoin d’un ordinateur portatif pour lui en fournir un. L’ordinateur en question sera au moins aussi performant et comportera les mêmes logiciels et les mêmes renseignements que l’ancien ordinateur portatif fourni par le conseil de bande;

j)        pendant qu’il travaillera avec les documents financiers, le demandeur pourra laisser ces derniers dans la salle et fermer la porte à clé. Cela s’applique également aux nuits et aux dimanches. Si d’autres personnes ont besoin de consulter les documents financiers dont le demandeur utilisera les originaux, des copies pourront leur être fournies;

k)      le demandeur disposera de la salle tous les jours de 8 h à 17 h, du lundi au samedi.

  1. Des copies de tout document financier soient fournies au demandeur à la demande de celui‑ci selon les modalités suivantes :

a)      les copies seront faites par les employés du conseil de bande aux frais du conseil de bande dans les vingt-quatre heures suivant la demande du demandeur;

b)      les copies fournies au demandeur seront lisibles et aussi bien ordonnées que les originaux;

c)      si le demandeur ne reçoit pas les copies demandées conformément aux modalités énoncées dans le présent jugement, il pourra sortir les originaux des documents financiers du bureau du conseil pour en faire des copies ou pour en commander des copies aux frais du conseil de bande;

d)      le demandeur retournera les originaux des documents financiers qu’il aura sortis du bureau du conseil aussitôt que les copies auront été faites;

e)      le conseil de bande remboursera au demandeur les frais engagés pour faire les copies dans les vingt-quatre heures suivant la réception du reçu faisant état des sommes dépensées par le demandeur.

  1. Le demandeur soit autorisé à sortir des copies de tout document financier du bureau du conseil.
  2. Le conseil de bande rembourse au demandeur le coût de l’essence lié à deux voyages aller‑retour à Winnipeg qu’il effectuera dans le but de consulter les conseillers financiers au sujet des documents financiers. Les remboursements seront effectués dans les quarante-huit heures suivant la réception des reçus faisant état des sommes dépensées par le demandeur.
  3. Le présent jugement demeure en vigueur pendant toute la période au cours de laquelle le demandeur sera membre du conseil de bande en qualité de conseiller ou de chef, ou jusqu’à ce qu’il soit modifié par une ordonnance ultérieure d’un juge de la Cour.

 

Dépens

La question des dépens est toujours en délibéré.

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 

 

JUGEMENT (T-455-05)

 

Vu la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard de la décision des défendeurs de ne pas lui permettre de participer aux réunions du conseil de bande et de ne pas lui fournir les documents pertinents;

 

Et après avoir examiné les documents déposés et entendu les observations du demandeur, qui agissait pour son propre compte, et celles de l’avocat des défendeurs à Winnipeg (Manitoba), le lundi 20 février et le mardi 21 février 2006.

 

LA COUR ORDONNE que :

1.      Le demandeur soit autorisé à participer à toutes les réunions ordinaires et spéciales du conseil de bande conformément aux modalités énoncées dans le Manuel sur les procédures.

  1. Le demandeur reçoive un avis de vingt-quatre heures et un ordre du jour de toute autre réunion des membres du conseil de bande au cours de laquelle des décisions seront prises d’un commun accord ou au moyen d’une résolution du conseil de bande, que celle-ci doive être signée lors de la réunion ou ratifiée plus tard, et qu’il soit autorisé à y participer.
  2. Le demandeur reçoive, en même temps que l’avis, l’allocation de déplacement à laquelle il a droit en tant que conseiller si l’une ou l’autre des réunions mentionnées ci-dessus doit avoir lieu à l’extérieur du territoire de la réserve.
  3. Le demandeur établisse une liste de tous les documents mentionnés dans les procès-verbaux des réunions du conseil de bande depuis le 5 mars 2002 et dans les résolutions du conseil de bande depuis le 5 mars 2002 qu’il désire obtenir.
  4. Les défendeurs fournissent au demandeur des copies lisibles de tous les documents demandés dans les quarante-huit heures suivant la réception de la liste.
  5. Le présent jugement demeure en vigueur pendant toute la période au cours de laquelle le demandeur sera membre du conseil de bande en qualité de conseiller ou de chef, ou jusqu’à ce qu’il soit modifié par une ordonnance ultérieure d’un juge de la Cour.

 

Dépens

La question des dépens est toujours en délibéré.

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 

 

JUGEMENT (T-1390-05)

 

            Vu la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard de la décision du défendeur de ne pas déclencher une élection spéciale pour le poste de chef après la démission du chef Evans le 1er août 2005;

 

Et après avoir examiné les documents déposés et entendu les observations du demandeur, qui agissait pour son propre compte, et celles de l’avocat des défendeurs à Winnipeg (Manitoba), le lundi 20 février et le mardi 21 février 2006.

 

LA COUR DÉCLARE :

 

            Qu’après la démission du chef Ron Evans le 1er août 2005, le défendeur était tenu, conformément à l’article 9.2 de la LPE, de déclencher rapidement une élection spéciale pour le poste de chef, et qu’il a agi illégalement en omettant de le faire.

 

Dépens

La question des dépens est toujours en délibéré.

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                      T-126-05

                                                            T-455-05

                                                            T-1390-05

 

INTITULÉ :                                       MARCEL LUKE HERTLEIN BALFOUR

c.

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE NORWAY HOUSE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 FÉVRIER 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marcel Balfour

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Norman Boudreau

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marcel Balfour

Norway House (Manitoba)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Booth Dennehy

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

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