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Date : 20060606

Dossier : IMM-7000-05

Référence : 2006 CF 706

Toronto (Ontario), le 6 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

MARIA LUZVIMIND TACDA, ANGELIE TACDA

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une demande de protection fondée sur le sexe déposée par une mère et sa fille qui ont fui les Philippines afin d’échapper à la violence de l’homme avec qui la mère habitait depuis treize ans.

 

[2]               Dans ses motifs, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que les demandes des demanderesses devaient être rejetées parce qu’elles n’avaient pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État aux Philippines.

 

[3]               La conclusion essentielle au sujet du défaut des demanderesses de réfuter la présomption de la protection de l’État se trouve dans trois paragraphes de la décision, qui se lisent comme suit :

Les demandeures d’asile n’ont jamais demandé la protection des autorités philippines. La demandeure d’asile a témoigné qu’elle ignorait que l’État prenait des mesures pour protéger les femmes victimes de violence de genre.

 

[…]

 

Les observations du conseil ne m’ont pas convaincue que les demandeures d’asile devraient être déchargées, tout simplement en raison de considérations culturelles, des attentes énoncées dans Ward, à savoir qu’il faut faire des efforts diligents pour obtenir la protection de l’État.

 

[…]

 

En me fondant sur la preuve documentaire, je conclus que les demandeures d’asile n’ont pas fait des efforts diligents pour se renseigner au sujet des ressources disponibles aux Philippines avant de demander la protection à l’étranger. Le fait que les demandeures d’asile n’aient pas demandé avec diligence la protection dans leur pays d’origine avant de demander l’asile à l’étranger ne réfute pas la présomption de l’accès à la protection de l’État dans le pays démocratique des Philippines.

 

(Décision de la SPR, pages 3, 4 et 5.)

 

[4]               Il est convenu qu’il faut examiner tous les éléments de preuve contenus dans le dossier quant à la volonté des demanderesses de se prévaloir de la protection de l’État, avant de tirer une conclusion à ce sujet. L’avocat des demanderesses a interrogé la mère, au moyen d’un interprète, au sujet des raisons pour lesquelles elle n’avait pas déposé de plainte à la police au sujet de la violence dont elle était victime. Elle a répondu à ces questions comme suit :

[TRADUCTION]

Q : D’accord, vous dites que vous n’avez pas demandé l’aide de la police, ni de personne d’autre, pourquoi? Vous nous avez dit qu’ils ne font rien. Y a-t-il d’autres raisons?

 

R : D’abord, parce que j’ai peur pour mon mari, et aussi, j’ai entendu tellement de choses à ce sujet, au sujet de problèmes comme ceux que nous vivons, que cela n’aide pas, et surtout j’essaie d’éviter un scandale.

 

Q : Laissez-moi vous poser des questions à ce sujet. Quel genre de scandale essayiez-vous d’éviter ?

 

R : Où nous habitons, notre famille est bien connue et nous avons une réputation à protéger. C’est donc impossible d’admettre qu’il y a un problème dans la famille, je ne veux pas que d’autres personnes soient au courant.

 

Q : Si c’était découvert, si d’autres personnes étaient mises au courant, qu’est-ce que cela voudrait dire? Décrivez-moi ce que cela voudrait dire pour vous.

 

R : On me parlerait… les gens parleraient de nous et mon mari serait encore pire. Parce qu’il croit que tout le monde pense qu’il est un bon père de famille. Personne ne connaît son passé ni sa personnalité et ce qu’il fait réellement dans la maison.

 

Q : Donc, si quelqu’un découvrait la vérité et si votre mari savait que des gens étaient au courant, vous dites qu’il serait pire. Que voulez-vous dire par pire?

 

R : Pour l’instant il me fait mal, mais ça reste entre nous deux. Je sais qu’il va finir par me blesser et que ma fille et ma famille seront aussi affectées.

 

[…]

 

Q : D’accord. Revenons en arrière. Quand je vous ai demandé s’il y avait d’autres raisons pour lesquelles vous n’aviez pas demandé l’aide de la police, vous avez répondu, entre autres, que vous aviez peur pour votre mari. Je suppose que vous vouliez dire que vous aviez peur de votre mari. Pourriez-vous m’expliquer cela?

 

R : Dernièrement, il me blessait tellement, au point où il m’agressait et utilisait un couteau.

 

Q : Ce que je me demande, c’est ce qui vous arriverait si vous alliez voir les policiers pour leur dire qu’il vous avait blessé et qu’il avait utilisé un couteau. Que se passerait-il?

 

R : Il ne se passerait rien parce que, de toute façon, les policiers sont ses amis. Ils prennent un verre ensemble.

 

Q : D’accord. Vous avez aussi dit que vous aviez entendu dire que les policiers n’aidaient pas. Comment le savez-vous, ou qui vous en a parlé?

 

R : Je ne suis pas la seule à qui c’est arrivé, c’est aussi arrivé à mes amies et pour ce genre de problème, la police n’avait pas pu les aider.

 

(Dossier du tribunal, pages 8, 9 et 10)

 

 

[5]               Dans ses motifs, la SPR affirme qu’elle a tenu compte des Directives du président : revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe  lorsqu’elle a rendu la décision qui fait l’objet du présent contrôle. Cependant, je suis d’avis qu’elle n’a pas fait preuve de la sensibilité prévue par les Directives lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[6]               À mon avis, afin d’évaluer correctement les actions d’une femme qui se trouve dans une relation violente, il est d’abord nécessaire d’exprimer des attentes réalistes. À ce sujet, il faut tenir compte d’un grand nombre de preuves de nature sociologique dont le décideur peut prendre connaissance d’office. En effet, le témoignage de la mère en l’espèce contient certaines des raisons pour lesquelles les femmes qui vivent dans une relation abusive ne déposent pas de plaintes. Il faut d’abord établir des attentes réalistes avant de pouvoir tirer une conclusion au sujet du comportement d’une personne. La SPR n’a pas fait preuve de la sensibilité et de la minutie nécessaires en l’espèce avant de conclure que le défaut des demanderesses de déposer une plainte est fatal à leur demande.

 

[7]               Par conséquent, je conclus que le défaut de la SPR d’examiner correctement toute la preuve au dossier au sujet de l’existence de la protection de l’État constitue une erreur susceptible de révision qui a rendu manifestement déraisonnable la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

 

 

ORDONNANCE

 

            Par conséquent, j’annule la décision de la SPR et je renvoie l’affaire devant un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7000-05

 

 

INTITULÉ :                                       MARIA LUZVIMIND TACDA c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 JUIN 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Fine                                                                               POUR LES DEMANDERESSES

 

Negar Hashemi                                                             POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

                                   

Daniel Fine                                                                               POUR LES DEMANDERESSES

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Negar Hashemi                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

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