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Date : 20011105

Dossier : IMM-2626-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1203

ENTRE :

                                                                 JAHAN FERDOSI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision du 4 mai 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR ou le tribunal) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu qu'elle n'était pas un réfugié au sens de la Convention, et demande une ordonnance annulant cette décision.

Les faits


[2]                 La demanderesse, Mme Jahan Ferdosi est une citoyenne du Bangladesh née à Dhaka le 15 février 1970. Elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'elle craignait d'être persécutée, si elle devait retourner au Bangladesh, en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit les femmes craignant d'être persécutées par leur mari en l'absence de protection de l'État.

[3]                 Alors qu'elle étudiait à l'Université de Dhaka, la demanderesse est devenue amoureuse d'un homme que ses parents ne l'ont pas autorisée à épouser. On l'a plutôt poussée à contracter, le 2 mars 1998, un mariage arrangé avec son mari actuel.

[4]                 Le jour de son mariage, la demanderesse a été agressée sexuellement par son mari. La demanderesse soutient que cela s'est par la suite fréquemment reproduit. Peu après son mariage, le mari de la demanderesse a dit à celle-ci de demander à son père qu'il ajoute aux biens dotaux un téléviseur et une antenne. Refusant de se conformer, la demanderesse a été battue mais elle n'en a parlé à personne. Elle a continué à faire l'objet de violence tout au long de son mariage.

[5]                 En juillet 1998, le mari de la demanderesse l'a de nouveau battue lorsqu'elle a refusé de lui donner ses bijoux en or, dont il s'est ensuite emparé par la force.


[6]                 À la mi-septembre 1998, la demanderesse a demandé à son mari sa part de la dot qu'il avait reçue. Pour toute réponse, son mari l'a gravement battue et il lui a demandé d'obtenir une augmentation de dot pour les besoins de son entreprise. La demanderesse a ensuite quitté la maison de son mari pour se rendre chez ses parents, qu'elle a informés de sa situation. Le lendemain, le mari de la demanderesse a communiqué avec elle à la maison de ses parents et il a menacé de la tuer si elle ne revenait pas après avoir obtenu davantage d'argent de son père.

[7]                 La demanderesse a ensuite saisi la police d'une plainte, corroborée par son père. Les policiers ont informé la demanderesse qu'ils avaient parlé à son mari, mais qu'ils n'avaient pris aucune autre mesure parce qu'ils estimaient qu'il s'agissait d'un différend domestique. Comme elle n'obtenait pas une assistance efficace de la police, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la Direction de la condition féminine du gouvernement du Bangladesh. Le mari a ensuite menacé de nouveau de tuer la demanderesse parce que, selon lui, les plaintes portées par celle-ci ternissaient sa réputation.

[8]                 En octobre 1998, la demanderesse a encore une fois porté plainte devant les autorités. On lui a dit que la question serait examinée, mais qu'on ne disposait pas des ressources nécessaires pour s'occuper de toutes les plaintes reçues. Plus tard, le mari de la demanderesse a de nouveau communiqué avec celle-ci et il lui a dit qu'il la tuerait dans la semaine. Par suite de cette menace, la demanderesse est allée se réfugier dans la maison d'un parent à elle à Dhaka. Elle a présenté une demande de passeport. Cette demande ayant été rejetée, le père de la demanderesse a pris des arrangements avec un courtier pour qu'elle puisse s'envoler hors du Bangladesh. Avant que la demanderesse ne quitte son pays, son mari et plusieurs « fiers-à-bras » ont fait irruption dans la maison de ses parents pour essayer, en vain, de la trouver.


[9]                 À l'audience relative à la revendication du statut de réfugié de la demanderesse, la SSR a conclu que le témoignage de cette dernière n'était pas crédible, en partie parce qu'on l'a jugée être évasive. Concluant que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention, selon la définition donnée à cette expression dans la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, en sa version modifiée, le tribunal n'a pas fait droit à sa revendication.

Questions en litige

[10]            La demanderesse soulève les deux questions litigieuses suivantes :

1)          elle n'a pas eu droit à une audition impartiale en raison de la partialité apparente d'un commissaire;

2)          les motifs avancés par le tribunal, lorsqu'il a conclu que son témoignage n'était pas crédible, se fondaient sur des conclusions non étayées par la preuve ou sans lien avec les points litigieux qu'il avait à trancher.

[11]            L'avocat de la demanderesse soutient que le fait qu'un commissaire de la SSR a posé à celle-ci des questions de manière hargneuse, sans manifester le respect qui convenait à sa situation de femme exploitée devant communiquer par l'intermédiaire d'un interprète, donnait lieu à une appréhension valable de partialité de la part du tribunal. L'avocat renvoie en particulier à deux passages de la transcription de l'audition devant le tribunal où le commissaire, non satisfait des réponses de la demanderesse à certaines questions, a observé que ces réponses n'étaient pas crédibles. En une occasion, le commissaire a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Eh bien, peut-être voudriez-vous dire quelque chose de plus, parce que cela n'est tout simplement pas crédible. C'est à vous de décider. Vous êtes ici pour défendre votre cause mais, jusqu'ici, vous n'avez pas réussi.


Une autre fois, lorsque la demanderesse a mentionné qu'elle ne savait pas le nom de l'entreprise de son mari ou de son beau-père, le commissaire a émis le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

J'ai beaucoup de mal à vous croire.

[12]            Lorsqu'on lit la transcription, on a parfois le sentiment que les commissaires posaient leurs questions de manière hargneuse mais, à mon avis, une personne raisonnable et au fait de la revendication de la demanderesse et des responsabilités du tribunal ne conclurait pas que le comportement et les questions des commissaires occasionnaient une appréhension valable de partialité. Le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty et al. c. L'Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, n'est pas ici respecté.

[13]            Le tribunal a rejeté la revendication de la demanderesse fondamentalement parce qu'il a conclu que celle-ci manquait généralement de crédibilité en raison de « nombreuses contradictions, omissions et invraisemblances » .


[14]            On note dans la décision que la demanderesse n'a pas livré son témoignage de façon spontanée et que celui-ci était très vague et ambigu. Aucun autre exemple que ceux mentionnés par la suite ne figure dans la décision du tribunal. Certains passages de la transcription font voir que la demanderesse n'a pas répondu aux questions ou n'a pas fait d'autres commentaires lorsqu'elle y a été conviée, mais il est difficile d'évaluer à partir de ces exemples l'appréciation du tribunal selon laquelle le témoignage de la demanderesse était « vague et ambigu » . La transcription fait également voir d'importantes difficultés liées aux services d'interprétation par l'entremise desquels la demanderesse a témoigné et a écouté les questions à l'audience.

[15]            Les exemples spécifiques cités dans la décision du tribunal étaient, premièrement, que la demanderesse était vague dans la description des occupations de son mari et des membres de sa belle-famille. La demanderesse a bien mentionné qu'ils étaient entrepreneurs dans le domaine de la construction et de l'approvisionnement, mais elle ne connaissait pas le nom ni l'adresse précise de leurs entreprises. Le tribunal a conclu que cela minait sa crédibilité puisque, si son mariage avait bel et bien été arrangé par son père, on peut présumer qu'elle aurait dû connaître la situation de son mari et de sa belle-famille.


[16]            Deuxièmement, le tribunal note que les parents de la demanderesse ne semblent avoir pris aucune mesure pour protéger la vie de celle-ci après avoir appris que son mari l'avait battue et menacée à plusieurs reprises. Le tribunal a jugé cela invraisemblable. À mon avis, en mentionnant cet aspect du récit de la demanderesse le tribunal ne tient pas compte de la preuve qui lui a été présentée, selon laquelle les parents n'ont eu connaissance de la violence subie par la demanderesse aux mains de son mari que lorsqu'elle leur en a parlé le 15 septembre 1998, lorsqu'elle a quitté son mari pour retourner vivre avec eux. Dans les quelques jours qui ont suivi, où son mari lui a proféré d'autres menaces, la demanderesse a présenté à la police et à d'autres autorités des plaintes écrites, dont au moins deux étaient appuyées par des lettres de son père. Cet élément de preuve montre qu'il ne convenait pas dans la décision du tribunal de mentionner le défaut des parents de protéger la demanderesse.

[17]            Le tribunal a également jugé invraisemblable la réponse donnée par la demanderesse relativement à son pouvoir de divorcer au Bangladesh en vertu du contrat de mariage conclu entre sa famille et celle de son mari. La demanderesse prétend n'avoir appris le contenu du contrat qu'une fois arrivée au Canada; jusqu'alors, elle ne croyait pas que son mari lui avait accordé le droit de divorcer. En réalité, il y aurait dans le contrat de mariage une clause lui garantissant ce droit. Bien que cela ne ressorte pas clairement de la transcription, il semble que la demanderesse faisait allusion à son pouvoir dans les faits de divorcer de son mari, qui menaçait de la tuer, et non à son droit contractuel - dont elle dit n'avoir pris connaissance qu'après son arrivée au Canada.

[18]            Le tribunal a jugé invraisemblable le récit de la demanderesse parce qu'elle n'a pas mentionné dans ses plaintes présentées aux autorités du Bangladesh les incidents antérieurs où son mari l'avait battue et menacée. Sa plainte ne visait qu'un incident, survenu le 15 septembre 1998, où elle avait été si gravement battue qu'elle avait quitté la maison où elle habitait avec son mari et sa belle-mère. Le tribunal a signalé que la demanderesse n'avait pas expliqué de manière crédible pourquoi elle n'avait pas fait état d'événements antérieurs importants dans la plainte formulée contre son mari.


[19]            Finalement, la revendicatrice n'a pas donné d'explication crédible quant au motif pour lequel elle avait apposé sa signature en anglais plutôt qu'en bengali dans ses lettres de plainte, rédigées en bengali, adressées aux autorités du Bangladesh. Le tribunal n'a par conséquent accordé aucun poids à ces lettres.

[20]            Bien que la preuve sur cette dernière question ne soit pas parfaitement claire, le tribunal n'a pas établi de lien entre ses inquiétudes quant à la nature des signatures sur les documents et sa décision finale sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse. L'avocat de la demanderesse soutient que peu ou aucun des exemples spécifiques donnés relativement aux conclusions d'invraisemblance ou d'absence de crédibilité du tribunal ont un rapport avec sa décision finale. Il soutient qu'il n'y a pas de lien entre ces exemples et la décision selon laquelle la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


[21]            Mis à part la conclusion générale voulant que le témoignage de la demanderesse ait été « très vague et ambigu » , qui n'a pas été expliquée autrement que par les exemples mentionnés, la conclusion finale du tribunal est tirée sans faire écho, à mon avis, aux fondements de la revendication présentée par la demanderesse. On n'explique pas pourquoi, par exemple, la signature en anglais de certaines lettres par la demanderesse, son défaut d'y mentionner certains incidents, son ignorance prétendue du contenu du contrat de mariage pendant qu'elle était au Bangladesh et son ignorance apparente de détails concernant les entreprises de son mari et de sa belle-famille ont miné la crédibilité de son récit dans sa totalité. Le tribunal a-t-il voulu dire qu'il ne croyait pas que la demanderesse avait contracté un mariage arrangé, qu'elle avait été maltraitée par son mari, qu'elle l'avait quitté et s'était plainte aux autorités ou qu'elle avait été menacée de mort en diverses occasions? Si le tribunal en était venu à une telle conclusion, il aurait clairement décidé qu'était sans fondement la revendication du statut de réfugiée de la demanderesse et le fondement de cette décision aurait été bien clair. Telle était peut-être l'intention du tribunal, mais il nous faut cependant déduire quels sont les motifs de la décision finale selon laquelle la demanderesse n'était pas admissible à titre de réfugié au sens de la Convention.

[22]            Dans ces circonstances, on peut uniquement dire que la décision du tribunal a été rendue sans faire écho à l'ensemble de la preuve qui lui a été soumise, c'est-à-dire sans lien avec celle-ci. Bien qu'on puisse être tenté de conclure que, même en prêtant foi sans réserve au récit de la demanderesse, la SSR n'en serait pas venue à conclure qu'elle est un réfugié au sens de la Convention, cela serait injuste pour la demanderesse en l'espèce et consisterait en fait à rendre la décision en lieu et place du tribunal.

[23]            En ces circonstances, il est ordonné que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision soit annulée, la revendication étant renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SSR.

[24]            La certification d'aucune question n'a été proposée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi.

             « W. Andrew MacKay »                                                                                                                                          Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 5 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad a., LL.L.


Date : 20011105

Dossier : IMM-2626-00

OTTAWA (Ontario), le 5 novembre 2001

En présence de Monsieur le juge MacKay

ENTRE :

                                                                 JAHAN FERDOSI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

VU la demande de contrôle judiciaire visant, et d'ordonnance annulant, la décision du 4 mai 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention;

VU qu'elle a entendu les avocats des parties à Toronto (Ontario), le 16 mai 2001, alors que la décision était mise en délibéré, et qu'elle a examiné les arguments alors présentés;


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1           La demande est accueillie.

2.          La décision contestée est infirmée.

3.          La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

           « W. Andrew MacKay »       

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 5 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-2626-00

INTITULÉ :

JAHAN FERDOSI c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le mercredi 16 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :

Le 5 novembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Mme Ann Margaret Oberst

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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