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Date : 20020328

Dossier : IMM-812-01

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 28 MARS 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                         MAHIN KHOSRAVI,

ALI HASSAN KAZEMEINI et NAVID HASSAN KAZEMEINI

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                              ORDONNANCE

Pour les motifs qui ont été prononcés en ce jour, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est annulée et les revendications des demandeurs sont renvoyées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué rende à nouveau une décision. Aucune question n'a été proposée aux fins de la certification.

« François Lemieux »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


Date : 20020328

Dossier : IMM-812-01

Référence neutre : 2002 CFPI 352

ENTRE :

                                                         MAHIN KHOSRAVI,

ALI HASSAN KAZEMEINI et NAVID HASSAN KAZEMEINI

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

        Le 3 janvier 2001, la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le Tribunal) a rejeté les revendications de Mahin Khosravi et de ses deux fils mineurs (les demandeurs), des citoyens iraniens qui avaient fui ce pays. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 24 juin 1999 et ont présenté leurs revendications le 1er décembre 1999.


        Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), la demanderesse principale déclare qu'au cours du premier semestre où elle étudiait à l'université de Téhéran, elle appuyait la révolution de 1979, qui avait entraîné la création de plusieurs organisations politiques. La demanderesse a joint le Mojahedin Khalg, un groupe d'étudiants religieux ayant des idées modernes et ayant des liens avec le parti politique du même nom et les mêmes convictions que ce parti.

        En 1980, le gouvernement révolutionnaire a pris des mesures de répression contre les étudiants universitaires libres penseurs et a fermé toutes les universités pour trois ans. Toutefois, la demanderesse principale, avec d'autres étudiants universitaires, a continué à assister à des réunions, à distribuer des brochures et à apposer des affiches.

        La demanderesse déclare qu'en 1981, elle est retournée occuper l'emploi qu'elle exerçait auparavant à titre d'enseignante dans une école élémentaire, mais qu'elle a été congédiée peu de temps après, sans aucun motif. Le gouvernement a continué à prendre des mesures de répression et la demanderesse s'est cachée. La demanderesse s'en est remise à son père, qui avait de l'influence, pour assurer sa protection. En effet, son père, un ancien membre du clergé, avait des liens étroits avec certains dirigeants religieux et politiques iraniens et avait donné plusieurs hectares de terres de valeur au gouvernement révolutionnaire.


        La demanderesse a de nouveau été admise à l'université en 1984, après avoir figuré sur la liste noire en 1983. Elle a obtenu son baccalauréat en sciences en 1986.

        À un moment donné au cours de cette période, la demanderesse a mis fin à son association avec le Mojahedin Khalg.

        Selon le FRP, la demanderesse a enseigné dans diverses écoles, à Téhéran, de 1989 à 1998. La demanderesse déclare en outre que le Mojahedin est devenu l'un des principaux opposants au gouvernement, qu'il a tenté de renverser en ayant recours à la violence, ce qui a amené le gouvernement révolutionnaire à arrêter, à torturer et à exécuter les membres existants et passés de cette organisation. La demanderesse déclare avoir été arrêtée et avoir été interrogée à maintes reprises; elle affirme que la situation n'a pas changé après l'élection du nouveau président de l'Iran.

        La demanderesse déclare avoir uniquement pu survivre, pendant ces années difficiles, en s'adressant constamment à son père, qui a été tué dans un accident de voiture en 1999, après qu'elle fut arrivée au Canada avec ses enfants. La demanderesse croit qu'il ne s'agissait pas d'un accident fortuit et que les autorités ont tué son père.


ANALYSE

        À mon avis, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, et ce, pour deux des trois motifs avancés par les demandeurs.

      Premièrement, je suis d'accord avec l'avocat des demandeurs pour dire que le Tribunal n'a tout simplement pas statué sur les revendications des enfants mineurs, lesquelles avaient été jointes à la revendication de la mère. Mahin Khosravi a témoigné que l'on battait constamment son fils cadet à l'école parce que le professeur de son fils la connaissait depuis le temps où elle fréquentait l'université. Le Tribunal n'a pas mentionné cet élément de preuve et, dans ses motifs, il n'a pas analysé les revendications des enfants.

      Le Tribunal pouvait à bon droit rejeter les revendications des demandeurs mineurs pour le motif qu'il ne croyait pas la mère étant donné que les revendications des enfants dépendaient de la sienne. Toutefois, le Tribunal devait le dire; or, il ne l'a pas fait. La Cour ne peut pas inférer que le Tribunal a statué sur la question. (Voir Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 694 (C.F. 1re inst.)).


      Deuxièmement, le Tribunal a interprété d'une façon erronée le fondement de la revendication de la demanderesse principale, ce qui l'a à mon avis amené à tirer des conclusions déraisonnables au sujet de la vraisemblance et, dans certains cas, à omettre de tenir compte de la preuve.

      La revendication de Mahin Khosravi n'était pas fondée sur le fait qu'elle avait appuyé activement le Mojahedin depuis qu'elle avait joint l'aile étudiante religieuse en 1980 jusqu'au moment où elle avait fui l'Iran. La revendication était plutôt fondée sur le fait que la demanderesse avait déjà fait partie de ce groupe religieux, mais qu'elle n'en était plus membre depuis un certain temps. C'est à cause de cette ancienne association que la demanderesse avait été arrêtée à plusieurs reprises et c'est pourquoi elle craignait de retourner en Iran. À mon avis, rien ne montrait que la demanderesse eût été membre du parti politique qui avait tenté de renverser le gouvernement en ayant recours à la violence et que les autorités considéreraient qu'elle l'avait été.

      Pourtant, l'analyse des motifs du Tribunal m'amène à conclure qu'il a commis une erreur à ce sujet; ainsi :

(1)         à la première page de sa décision, le Tribunal dit que la demanderesse a revendiqué le statut de réfugié « en raison de ses opinions politiques, et plus précisément de son affiliation à un parti politique connu sous le nom de Mojahedin Khalg » ;


(2)         à la troisième page, le Tribunal a conclu qu'il était difficile de croire que l'État eût employé la demanderesse dans l'une de ses écoles « [s]i elle avait effectivement la réputation d'entretenir des liens avec le Mojahedin Khalg, groupe qui perpétrait des actes de violence, assassinait des représentants du gouvernement et menait des attaques contre des bases militaires » ;

(3)         le Tribunal trouvait étonnant « qu'au lieu d'être incarcérée pendant de longues périodes, [la revendicatrice] soit demeurée libre d'exprimer ses opinions, qui mettaient en question le régime autocratique, devant de jeunes écoliers impressionnables » ;

(4)         la crédibilité du Tribunal a été mise à l'épreuve quand la revendicatrice a déclaré « que son père avait réussi à la protéger constamment pendant près de 20 ans, à la faire libérer après ses arrestations, à faire en sorte qu'elle aille à l'université et qu'elle obtienne des postes dans des écoles appartenant à l'État, alors qu'elle participait aux activités d'une organisation vouée au renversement du régime » [non souligné dans l'original];

(5)         selon le Tribunal, l'histoire de la demanderesse était encore plus « paradoxale » du fait qu'elle avait affirmé que son père était très influent auprès du gouvernement et avait des amis hauts placés. Le Tribunal a dit qu'il pourrait en déduire « que son père, pourtant un pur et dur, a protégé constamment, pendant des années, un ennemi de l'État » . Voici ce que le Tribunal a conclu, à la quatrième page :


La revendicatrice ne pouvait pas jouer sur les deux tableaux à la fois; ou bien elle s'opposait au régime ou bien elle était protégée par un puissant partisan de ce régime. Ainsi, aux yeux du tribunal, son récit concernant les prétendues activités politiques subversives qu'elle aurait menées pendant longtemps paraît tout à fait invraisemblable, et son profil ne correspond absolument pas à celui d'un opposant politique du gouvernement.

      À mon avis, le Tribunal a inventé des faits que Mahin Khosravi n'avait pas allégués. Il n'y a rien dans le FRP ou dans le témoignage de la demanderesse qui permette de conclure qu'après que le Mojahedin eut commencé à avoir recours à la violence, au milieu des années 1980, la demanderesse appuyait ce groupe et ses objectifs. Comme il en a été fait mention, la revendication de la demanderesse était fondée sur son association passée au groupe Mojahedin.

      Cette erreur fondamentale a pour effet d'enlever tout fondement à plusieurs des conclusions que le Tribunal a tirées au sujet de l'invraisemblance et, en particulier, au sujet de la façon dont le père de la demanderesse aurait pu protéger celle-ci étant donné qu'elle n'était pas un ennemi mortel de l'État, mais qu'elle avait été membre d'une organisation étudiante contre laquelle le gouvernement révolutionnaire prenait des mesures de répression à cause de ses idées libérales. Cela explique comment la demanderesse a pu enseigner à temps partiel dans une école de l'État. Cela explique comment le père de la demanderesse a pu protéger celle-ci.


      En contestant la conclusion du Tribunal, l'avocat des demandeurs a soulevé d'autres points qu'il est inutile d'examiner puisque j'ai conclu que le Tribunal a commis une erreur cruciale dans son appréciation de la revendication de la demanderesse principale.

      Toutefois, la façon dont le Tribunal a interprété la crainte subjective de la demanderesse me préoccupe. Le Tribunal semble avoir omis de tenir compte du fait que la demanderesse avait tenté de quitter l'Iran en 1988, mais qu'elle s'était vu refuser un visa de sortie, comme cela a également été le cas au mois de décembre 1998, lorsqu'elle a tenté de partir avec son mari, qui avait été nommé professeur invité dans une université canadienne, et qui avait un visa valide d'un an.

      Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est annulée et les revendications des demandeurs sont renvoyées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué rende à nouveau une décision. Aucune question n'a été proposée aux fins de la certification.

« François Lemieux »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

LE 28 MARS 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-812-01

INTITULÉ :                                                                     Mahin Khosravi et autres

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 6 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                                  le 28 mars 2002

COMPARUTIONS :

M. Matthew J. Wells                                                         pour les demandeurs

Mme Angela Marinos                                                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sullivan Festeryga                                                              pour les demandeurs

Lawlor & Arrell, LLP

Hamilton (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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