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                                                                                                                                           Date : 20010703

                                                                                                                                     Dossier : T-1056-00

                                                                                                                                                                       

Référence neutre : 2001 CFPI 734

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

FRASER H. EDISON

                                                                                                                                                     demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                                                                                                  Dossier : T-1057-00

ET ENTRE :

DOLLARD INVESTMENTS LIMITED

                                                                                                                                              demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                                      défendeur


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

[1]                 Les défendeurs ont consenti à une requête préliminaire que les demandeurs avaient présentée en vue de réunir les instances dans les dossiers T-1056-00 et T-1057-00 conformément à la règle 105 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]                 J'ai entendu les observations des parties et j'ai pris connaissance de leur consentement; puisque je suis convaincu qu'il s'agit d'un cas justifiant la réunion des instances, j'ordonne que les dossiers T-1056-00 et T-1057-00 soient réunis.

[3]                 L'instance ici en cause se rapporte à deux demandes présentées conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue du contrôle judiciaire de décisions que le directeur du Bureau des services fiscaux de Terre-Neuve et du Labrador, à St. John's, a prises le 16 mai 2000 pour le compte des défendeurs en rejetant les demandes que les demandeurs avaient présentées en vertu de la « disposition relative à l'équité » (paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée) afin de faire annuler les pénalités et arriérés d'intérêts fixés le 13 septembre 1999 à l'égard des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 du demandeur Fraser Edison, lesquelles ont fait l'objet d'une cotisation en date du 27 juillet 1999, et des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 de la demanderesse Dollard Investments Limited, lesquelles ont fait l'objet d'une cotisation en date du 27 juillet 1999.


LES FAITS

[4]                 Le 27 juillet 1999, Alan Ross, chef des appels, Bureau des services fiscaux de Terre-Neuve et du Labrador, à St. John's, a avisé la demanderesse Dollard Investments Limited que les oppositions qu'elle avait présentées à l'égard des cotisations relatives aux années d'imposition 1991, 1992 et 1993 avaient été examinées.

[5]                 Le 13 septembre 1999, Alan Ross, chef des appels, Bureau des services fiscaux de Terre-Neuve et du Labrador, à St. John's, a avisé le demandeur Fraser Edison que les oppositions qu'il avait présentées à l'égard des cotisations relatives aux années d'imposition 1991, 1992 et 1993 avaient été examinées.

[6]                 Les examens ont été effectués par Mme S. Cahill, agente des appels, Division des appels, qui a recommandé à M. Ross le maintien des pénalités et intérêts qui avaient été fixés conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu et à la législation provinciale équivalente. Les pénalités et intérêts figuraient donc dans l'avis de ratification du 27 juillet 1999 et dans l'avis de nouvelle cotisation daté du même jour que la lettre que M. Ross a envoyée, le 13 septembre 1999.


[7]                 Le 30 septembre 1999, les demandeurs, par l'entremise de leurs comptables, ont demandé au Bureau des services fiscaux, à St. John's, d'annuler les intérêts et pénalités qui avaient été fixés le 27 juillet 1999 et le 13 septembre 1999 à l'égard de leurs années d'imposition 1991, 1992 et 1993. La demande a été présentée conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ci-après appelé la « disposition relative à l'équité » , lequel est ainsi libellé :


220. [...]

(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.


220. ...

(3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


[8]                 Les demandes que les demandeurs ont présentées en vue d'obtenir un redressement en vertu de la « disposition relative à l'équité » ont été examinées par Joan Oxner, agente des appels, Bureau des services fiscaux, à St. John's.

[9]                 Le 1er mars 2000, Mme Oxner a préparé des documents intitulés : [TRADUCTION] « Autorisation aux fins de l'annulation et de la renonciation aux intérêts » , recommandant à M. Ross de refuser la demande que les demandeurs avaient présentée en vue de faire appliquer la « disposition relative à l'équité » . Le document préparé par Mme Oxner prévoyait que M. Ross approuverait sa recommandation.

[10]            Le même jour, M. Ross a approuvé la recommandation et a signé les documents en question, lesquels sont ci-après appelés les « décisions Ross » .


[11]            Le 2 mars 2000, M. Ross a avisé les demandeurs que les demandes qu'ils avaient faites aux fins de l'application de la « disposition relative à l'équité » avaient été refusées. Au dernier paragraphe de ces lettres, M. Ross avisait les demandeurs qu'ils pouvaient solliciter un examen administratif du refus en faisant connaître leurs [TRADUCTION] « préoccupations par écrit au directeur du Bureau des services fiscaux de Terre-Neuve et du Labrador » .

[12]            Le 10 mars 2000, les demandeurs ont sollicité, au moyen d'une lettre envoyée par leurs comptables, l'examen des décisions du 1er mars 2000.

[13]            Le 19 avril 2000, les documents ont été préparés, soumis et examinés par un « comité d'examen » composé de cinq directeurs adjoints du Bureau des services fiscaux de Terre-Neuve et du Labrador, et notamment par Alan Ross, qui avait pris les décisions en cause le 1er mars 2000.

[14]            Les documents du 19 avril 2000 avaient été rédigés par Mme Oxner, Division des appels, qui avait également rédigé les documents relatifs à [TRADUCTION] l' « Autorisation aux fins de l'annulation et de la renonciation aux intérêts » du 1er mars 2000. L'analyse des deux documents révèle qu'ils sont à peu près similaires puisque, dans chaque cas, le dossier avait été examiné et que l'on avait recommandé de refuser les demandes que les demandeurs avaient présentées en vue de faire appliquer la « disposition relative à l'équité » .


[15]            Le 1er mai 2000, le « comité d'examen » s'est réuni afin d'examiner la décision du 1er mars 2000; il a recommandé à l'unanimité le rejet des appels.

[16]            Le 16 mai 2000, Suzanne Parks, qui était alors directrice intérimaire à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, à St. John's (Terre-Neuve) (ci-après la directrice intérimaire), a refusé la demande d'examen des décisions Ross du 1er mars 2000, en se fondant sur les décisions unanimes du comité d'examen.

LE POINT LITIGIEUX

[17]            Il s'agit de savoir si la procédure que les défendeurs ont suivie en rejetant les demandes que les demandeurs avaient présentées le 30 septembre 1999 en vue de faire appliquer la « disposition relative à l'équité » enfreint l'obligation d'équité qu'ils avaient envers les demandeurs en vertu des règles de justice naturelle et de l'équité procédurale puisqu'elle n'est pas conforme au système de procédure du défendeur et aux attentes légitimes des demandeurs, qui croyaient que ledit système s'appliquerait.

ANALYSE

[18]            La présente Cour a déjà analysé la portée de l'examen prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la décision Kaiser c. MRN, où Monsieur le juge Rouleau a fait les remarques suivantes :


L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de circonstances échappant à leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.

[...]

Chaque cas doit être décidé selon son bien-fondé, de sorte qu'il puisse être tenu compte des circonstances propres à chaque contribuable. [...] le ministre, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1), doit tenir compte de considérations pertinentes propres au contribuable visé.[1]

[19]            La position prise par le juge Rouleau a également été adoptée par Monsieur le juge Cullen dans la décision Fiducie familiale Orsini c. Revenu Canada, où les remarques suivantes ont été faites :

La décision fondée sur la « disposition relative à l'équité » est de nature discrétionnaire. Il ne s'agit pas d'un cas où le décisionnaire doit en arriver à un certain résultat, mais plutôt d'un cas où il peut, après avoir examiné toutes les circonstances, en arriver à une certaine conclusion. Les décisions de nature discrétionnaire ne peuvent être rendues arbitrairement ou de mauvaise foi et, à l'instar toutes les autres décisions, elles peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Cependant, la portée du contrôle judiciaire est assez restreinte. La Cour fédérale ne devrait pas substituer sa décision à celle du représentant légal du ministre. Elle doit plutôt déterminer si la décision a été prise de façon inéquitable ou arbitraire ou de mauvaise foi. Dans la mesure où la preuve au dossier appuie la décision, la Cour ne devrait pas intervenir.[2]

[20]            Je retiens le raisonnement que mes estimés collègues ont fait dans les décisions susmentionnées. La décision fondée sur la « disposition relative à l'équité » est de nature discrétionnaire et, par conséquent, la portée du contrôle judiciaire de pareille décision est assez restreinte.


[21]            Toutefois, avant d'analyser la procédure qui a donné lieu aux décisions, la présente Cour doit se demander si la procédure d'examen créait pour les demandeurs des attentes légitimes. Il est de droit constant au Canada que la doctrine des attentes légitimes ne crée pas de droits matériels, mais qu'elle peut créer des droits procéduraux. Dans l'arrêt Renvoi relatif au Régime d'assistance du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la page 557, Monsieur le juge Sopinka a établi comme suit les limites de cette doctrine en droit canadien :

La théorie de l'expectative légitime est traitée dans les motifs des juges formant la majorité dans l'affaire Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170. Dans ces motifs, on cite sept causes portant sur cette théorie et on ajoute ensuite (à la p. 1204) :

Le principe élaboré dans cette jurisprudence n'est que le prolongement des règles de justice naturelle et de l'équité procédurale. Il accorde à une personne touchée par la décision d'un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, autrement, elle n'aurait pas cette possibilité. La cour supplée à l'omission dans un cas où, par sa conduite, un fonctionnaire public a fait croire à quelqu'un qu'on ne toucherait pas à ses droits sans le consulter.

[22]            Cet avis a été confirmé comme suit par Madame le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 26 :

[...] Au Canada, la reconnaissance qu'une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l'obligation d'équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s'attend légitimement à ce qu'une certaine procédure soit suivie, l'obligation d'équité exigera cette procédure: [...] De même, si un demandeur s'attend légitimement à un certain résultat, l'équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés: [...] Néanmoins, la doctrine de l'attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l'équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu'il serait généralement injuste de leur part d'agir en contravention d'assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.


[23]            Enfin, dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.), A-922-96, paragraphe 123, Monsieur le juge Evans a particulièrement bien illustré l'applicabilité de la doctrine des attentes légitimes existant en droit canadien et dans le système de procédure créé par l'obligation d'équité. Dans cette décision, le juge Evans a dit que la personne qui se fonde sur des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées peut avoir une attente légitime :

Les droits sous-tendant la théorie de l'expectative légitime se rapportent à l'application non discriminatoire, au sein de l'administration publique, des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées, et à la protection de l'individu contre l'abus de pouvoir résultant de la violation d'un engagement. Telles sont les préoccupations traditionnelles fondamentales qui existent en droit public. Ce sont également les éléments essentiels d'une administration publique saine. Dans ces conditions, la consultation cesse d'être uniquement une question de processus politique ne relevant donc pas du droit, et entre dans la sphère du contrôle judiciaire.

[24]            La doctrine des attentes légitimes peut donc créer des droits procéduraux qui sont régis par la norme de l'équité procédurale.

[25]            Par conséquent, il s'agit ici de savoir si les décisions de M. Ross étaient équitables, plutôt qu'arbitraires et de mauvaise foi. Lorsque l'on se demande si les décisions sont équitables, il faut examiner la procédure qui a donné lieu aux décisions et se demander si cette procédure créait une attente légitime selon laquelle la procédure d'appel ne mettrait pas en cause le décideur initial.


[26]            La directrice intérimaire, Suzanne Parks, a été contre-interrogée au sujet de son affidavit le 16 août 2000. Au cours du contre-interrogatoire, il a longuement été question de la procédure qui avait donné lieu aux décisions que la directrice intérimaire avait prises le 16 mai 2000. L'examen de la transcription confirme les faits ci-après énoncés, que les demandeurs ont avancés et que je retiens :

[TRADUCTION]

A.             un projet de la lettre du 2 mars 2000 adressée au demandeur avait également été préparé par Mme Oxner et avait été présenté à M. Ross le 1er mars 2000 avec l' « Autorisation aux fins de l'annulation et de la renonciation aux intérêts » ;

B.             les recommandations du comité d'examen étaient « très importantes » aux fins de la prise par Mme Parks de décisions relatives aux demandes d'application de la « disposition relative à l'équité » qui étaient faites au deuxième palier, telles que la demande présentée par le demandeur;

C.             Alan Ross a activement participé aux délibérations du comité en ce qui concerne l'examen sollicité par le demandeur, de la décision dont faisait foi la lettre du 2 mars 2000 par laquelle le demandeur était avisé du rejet de sa demande en équité. M. Ross ne s'est pas retiré lors des délibérations du comité d'examen;

D.             M. Ross a dirigé les discussions que le comité d'examen a eues au sujet de la demande d'examen de la décision du 1er mars 2000 que le demandeur avait présentée, décision que M. Ross avait communiquée dans la lettre du 2 mars 2000. M. Ross a présenté et décrit le dossier au moyen d'un exposé oral qu'il a fait devant ses collègues du comité d'examen et a répondu aux questions de ses collègues du comité d'examen à ce sujet;

E.              Mme Parks admet qu'elle s'attendait à ce que M. Ross ne change pas d'idée en présentant au deuxième palier devant le comité d'examen cette demande d'examen se rapportant à la « disposition relative à l'équité » et à ce que sa position demeure la même que celle qu'il avait prise lorsqu'il avait pris sa décision, le 1er mars 2000, et ce, d'autant plus que le demandeur n'avait fourni aucun nouveau renseignement et aucun renseignement additionnel en sollicitant, le 10 mars 2000, l'examen de la décision Ross;

F.              le comité d'examen prend ses décisions à l'unanimité, c'est-à-dire que tous les participants, y compris Alan Ross, doivent s'entendre sur la décision proposée;

G.             M. Ross ne s'est pas récusé des délibérations du comité d'examen dans ce cas-ci, le comité ayant pour fonction d'élaborer une recommandation en réponse à la demande d'examen de la décision Ross en date du 1er mars 2000;


H.             le document d'information qui a été distribué aux membres du comité d'examen avant la réunion du 1er mai 2000 au sujet de la demande d'examen de la décision Ross du 1er mars 2000 était le « Rapport sur l'équité - Examen administratif » du 19 avril 2000 qui avait été préparé par Mme Oxner, cette dernière ayant également préparé le document d'information du 1er mars 2000 intitulé : « Autorisation aux fins de l'annulation et de la renonciation aux intérêts » dans lequel elle faisait une recommandation au sujet de la décision Ross du 1er mars 2000 sans énoncer d'autres solutions;

I.              Mme Parks a admis qu'elle ne s'attendait pas à ce que Mme Oxner, en préparant le deuxième document en l'absence de nouveaux renseignements, fasse une recommandation contraire à celle qu'elle avait faite le 1er mars 2000, à savoir que la demande en équité que M. Edison avait faite soit rejetée, ou qu'elle fasse une recommandation contraire à la décision Ross que son superviseur immédiat avait prise le 1er mars 2000, ou encore une recommandation en vue de l'annulation de cette décision;

J.              M. Ross a personnellement transmis le « Rapport sur l'équité - Examen administratif » du 19 avril 2000 à Mme Parks après que le comité d'examen eut confirmé sa recommandation le 1er mai 2000 et il a brièvement discuté avec Mme Parks de la demande d'examen de la décision Ross du 1er mars 2000 lorsqu'il a transmis ledit document et le dossier Edison à Mme Parks;

K.             un projet de la lettre du 16 mai 2000 de Mme Parks avait été préparé par Mme Oxner avant la réunion que le comité d'examen a tenue le 1er mai 2000, mais ce projet n'a apparemment pas été remis au comité. Il a été remis à Mme Parks. Le numéro de téléphone inscrit dans le coin supérieur droit de la première page de la lettre du 16 mai 2000 de Mme Parks est celui d'Alan Ross;

L.              une note de service que le défendeur avait envoyée en 1996 aux hauts fonctionnaires de ce qui était alors Revenu Canada, intitulée : « L'application des dispositions relatives à l'équité aux pénalités et intérêts » dit notamment ce qui suit : « Tous les rejets, en ce qui concerne les demandes en vue d'un deuxième examen, devraient être effectués sans mettre en cause le décideur initial et être communiqués sous la signature personnelle d'un membre du comité d'équité autorisé, en vertu du Règlement de l'impôt sur le revenu ou de la délégation ministérielle de pouvoir, à exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre » .

[27]            Une note de service énonçant les lignes directrices publiées par Revenu Canada au sujet de l'application des dispositions relatives à l'équité aux pénalités et aux intérêts a été envoyée au mois de mars 1996. La note de service interne a également été publiée sur l'Internet et relève donc du domaine public.


[28]            La note de service énonce la politique des défendeurs en ce qui concerne le traitement des soi-disant demandes en équité. À la page 15 de la note de service, nous trouvons les remarques suivantes :

[TRADUCTION]                   

Tous les rejets, en ce qui concerne les demandes en vue d'un deuxième examen, devraient être effectués sans mettre en cause le décideur initial et être communiqués sous la signature personnelle d'un membre du comité d'équité autorisé, en vertu du Règlement de l'impôt sur le revenu ou de la délégation ministérielle de pouvoir, à exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre.

[...]

Il n'existe aucun droit de présenter une opposition ou d'interjeter appel qui soit prévu par la loi à l'égard d'une décision en équité. Toutefois, en principe, lorsqu'un client ne croit pas que le Ministère ait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon équitable et raisonnable, un deuxième examen impartial de la décision peut être demandé par écrit.[3]

[29]            Il semble clair, du moins en principe, qu'un deuxième examen d'une décision en « équité » défavorable doit être impartial et que le décideur initial ne doit pas être en cause.

[30]            Étant donné que la procédure à suivre en ce qui concerne la disposition relative à l'équité a été établie par le ministre, cette procédure doit être suivie si les demandeurs s'attendent légitimement à ce qu'elle le soit. En l'espèce, les demandeurs s'attendaient de fait légitimement à ce que le deuxième examen soit effectué d'une façon impartiale et indépendante du premier examen.


[31]            La doctrine de l'attente légitime peut créer des droits procéduraux qui sont régis par la norme de l'équité procédurale.

[32]            En l'espèce, les demandeurs soutiennent que la procédure d'examen peut être considérée comme donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité parce qu'Alan Ross, qui était le décideur initial, a participé activement à la décision prise au deuxième palier par la directrice intérimaire. Mme Oxner a examiné les dossiers et préparé les documents du 19 avril 2000 à l'intention du comité d'examen. Elle a également préparé les recommandations initiales à l'intention de M. Ross, le 1er mars 2000.

[33]            La crainte de partialité est peut-être bien justifiée. La preuve établit clairement que les fonctionnaires en cause au deuxième palier d'examen étaient également directement en cause au premier palier, en particulier M. Ross et Mme Oxner. Toutefois, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'effectuer cette analyse. La doctrine des attentes légitimes me permet de conclure que l'absence d'indépendance est suffisante, indépendamment de toute crainte raisonnable de partialité.


[34]            M. Ross a « présenté » le cas au comité d'examen, dont il était un membre actif. Il ne s'est pas récusé lors des délibérations du comité. Il a répondu aux questions qui lui étaient posées. Puisque le comité prend ses décisions à l'unanimité[4], M. Ross avait nécessairement un rôle primordial dans les décisions éventuelles du comité. Ces décisions visaient en fait à recommander que les décisions initiales, c'est-à-dire les décisions Ross du 1er mars 2000, ne soient pas annulées et que les demandes présentées au deuxième palier en vue de l'examen de la question de l'application de la « disposition relative à l'équité » soient rejetées en conséquence.


[35]            En outre, M. Ross a discuté du cas, quoique brièvement, avec la directrice intérimaire en lui transmettant le dossier pour décision. La directrice intérimaire a reconnu que la position prise par le comité d'examen était très importante aux fins de ses décisions. Lors du contre-interrogatoire, elle a fait savoir qu'elle croyait que la présumée impartialité des autres membres du comité d'examen compenserait la participation continue de M. Ross. Il est donc possible de déduire que la directrice intérimaire reconnaît que M. Ross n'était pas un membre impartial du comité.

[36]            M. Ross a eu un rôle important dans la procédure, et ce, tant au premier palier qu'au palier de l'examen. De plus, j'estime que le fait que Mme Oxner a rédigé l'autorisation initiale, le 21 mars 2000, au nom de M. Ross et qu'elle a préparé les documents du 19 avril 2000 aux fins de l'examen au deuxième palier, renforce encore plus la prétention selon laquelle l'examen effectué au deuxième palier n'était pas indépendant du premier.

[37]            Dans la décision Apotex, précitée, le juge Evans a souligné l'intérêt public que la doctrine de l'attente légitime vise à protéger, à savoir la protection de l'individu contre l'abus de pouvoir résultant de la violation d'un engagement. L'engagement implicite en l'espèce se rapporte à l'application non discriminatoire des normes procédurales énoncées dans les lignes directrices publiées en ce qui concerne l'application de la disposition législative relative à l'équité.


[38]            Les demandeurs s'attendaient légitimement, au sens juridique du terme, à ce que les normes procédurales énoncées par le ministre dans les lignes directrices publiées soient suivies et, en particulier, qu'un deuxième examen impartial soit effectué sans que le décideur initial soit en cause. Or, on ne peut pas dire que pareil examen a été effectué eu égard aux faits qui m'ont été soumis en l'espèce. À mon avis, le manquement à l'obligation d'équité qui existe envers les demandeurs en vertu des règles de justice naturelle et de l'équité procédurale découle de l'omission du défendeur de suivre les lignes directrices procédurales qu'il a lui-même publiées.

[39]            Je répète les remarques que j'ai ci-dessus faites, à savoir que la disposition relative à l'équité est de nature discrétionnaire et qu'il n'appartient pas à la présente Cour de substituer sa décision à celle du ministre. Les lignes directrices procédurales qu'il faut suivre relèvent également du pouvoir discrétionnaire du ministre. Toutefois, une fois qu'elles sont établies, pareilles lignes directrices doivent être respectées de façon du moins à répondre à l'attente légitime à laquelle donnent lieu lesdites normes procédurales.

[40]            Le contrôle judiciaire est accueilli, les décisions dont fait foi la lettre du 16 mai 2000 de la directrice intérimaire sont annulées et les demandes de redressement fondées sur la « disposition relative à l'équité » sont renvoyées pour réexamen par le directeur du Bureau du district de la Nouvelle-Écosse.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Les instances, dans les dossiers T-1056-00 et T-1057-00, sont réunies.


2.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.

3.          Les décisions dont fait foi la lettre du 16 mai 2000 de la directrice intérimaire sont annulées et les demandes de redressement fondées sur la « disposition relative à l'équité » sont renvoyées pour réexamen par le directeur du Bureau du district de la Nouvelle-Écosse.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NOS DES DOSSIERS :                                                  T-1056-00 et T-1057-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       Fraser H. Edison

c.

Sa Majesté la Reine

et

Dollard Investments Limited

c.

Le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 21 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                                  le 3 juillet 2001

ONT COMPARU

M. Bruce S. Russell                                                           pour les demandeurs

Mme V. Lynn Gillis                                                             pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McInnes, Cooper                                                             

Halifax (Nouvelle-Écosse)                                                pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                               pour les défendeurs



[1]            (1995), 95 D.T.C. 5187, pages 5188 et 5189.

[2]              (1996), 96 D.T.C. 6347, paragraphe 9.

[3]              Dossier du demandeur, page 75.

[4]              Dossier des demandeurs, affidavit de Mme Parks, p. 33.

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