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Date : 20040226

Dossier : IMM-4007-02

Référence : 2004 CF 284

Toronto (Ontario), le 26 février 2004

En présence de Monsieur le juge Mosley

ENTRE :

                                                      PANDI RUKMANGATHAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente des visas Moira Escott (l'agente des visas) a refusé, le 17 juin 2002, la demande que M. Pandi Rukmangathan avait présentée en vue de résider en permanence au Canada. Le demandeur et l'agente des visas ont tous deux déposé, dans la présente instance, des affidavits au sujet de ce qui s'était passé à l'entrevue qui avait eu lieu à Detroit (Michigan) le 21 mai 2002. Il existe clairement un conflit entre les éléments de preuve que chacun a soumis. Pour les motifs qui sont ci-dessous énoncés, je retiens la preuve du demandeur et je conclus qu'il s'est vu dénier l'équité procédurale.

HISTORIQUE

[2]                Le demandeur est un citoyen de l'Inde. Le 2 novembre 2000, il a soumis une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des immigrants indépendants, en indiquant comme professions envisagées celles d'analyste de systèmes informatiques, no 2162 de la Classification nationale des professions (la CNP), et de programmeur, no 2163 de la CNP. La conjointe et deux enfants mineurs étaient désignés à titre de personnes à charge accompagnant le demandeur.

[3]                Le demandeur a déclaré avoir travaillé plus de treize ans dans le domaine de la programmation par ordinateur et de l'analyse fonctionnelle auprès de diverses sociétés, en Inde. La demande était également accompagnée de plusieurs certificats de formation post-universitaires dans le domaine de la programmation et de la mise au point de systèmes informatiques.


[4]                En l'an 2000, le demandeur a obtenu un permis de séjour pour étudiant l'autorisant à étudier au Canada, à l'institut de technologie Computek. Il a obtenu trois diplômes de cet institut dans le domaine de la programmation, de l'analyse fonctionnelle et du génie de réseaux, au cours des deux années et demie où il a étudié dans cet établissement.

[5]                Le demandeur s'est présenté à une entrevue devant l'agente des visas au consulat général du Canada, à Detroit (Michigan), le 21 mai 2002. La décision de l'agente refusant la demande de résidence permanente a été communiquée au demandeur par une lettre en date du 17 juin 2002.

La décision de l'agente des visas

[6]                Le demandeur a été apprécié pour les professions d'analyste de systèmes informatiques et de programmeur, pour lesquelles il devait obtenir 70 points d'appréciation en tout. Or, il n'a obtenu que 59 points, répartis comme suit :

Âge                                                                         10

Facteur professionnel                                         00

FEF [Facteur « Études et formation » ]              15

Expérience                                                             00

Emploi réservé                                                      00

Facteur démographique                                      08

Études                                                                    15

Anglais                                                                  07

Français                                                                 00

Points supplémentaires                                       00

Personnalité                                                          04

Total                                                                        59


[7]                En arrivant à sa décision, l'agente des visas a conclu que les points attribués à M. Rukmangathan indiquaient avec exactitude les chances qu'il avait de réussir son installation au Canada. À son avis, le demandeur ne parlait pas l'anglais couramment. De plus, l'agente des visas a déclaré, dans la lettre de refus, que les réponses que le demandeur avait données aux questions qu'elle lui avait posées au sujet de la programmation, ainsi que son incapacité d'expliquer adéquatement les incohérences en ce qui concerne ses antécédents professionnels allégués, l'avaient amenée à douter de la crédibilité et de la fiabilité des documents qu'il avait fournis. L'agente a donc conclu que le demandeur n'avait pas les qualités et l'expérience requises d'un programmeur ou d'un analyste de systèmes dont il est fait mention dans les descriptions figurant dans la CNP.

[8]                Étant donné que le demandeur n'avait pas obtenu les 70 points d'appréciation nécessaires et qu'il n'avait pas obtenu de points d'appréciation pour le facteur « Expérience » , il ne pouvait pas obtenir un visa d'immigrant conformément à l'ancien Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, sous-alinéa 9(1)b)(i) (l'ancien Règlement).

[9]                En plus des notes qu'elle avait consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (le STIDI), lesquelles ont été versées dans le dossier du tribunal soumis à la Cour, l'agente a donné des précisions au sujet de ces questions dans un affidavit établi sous serment le 16 mai 2003, près d'un an après l'entrevue.


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[10]            Le demandeur conteste l'exactitude de l'affidavit de l'agente en alléguant qu'il renferme un certain nombre de déclarations qui n'étaient pas étayées par la preuve dont disposait l'agente. Il demande avec instance à la Cour de ne faire aucun cas de cet affidavit ou, subsidiairement, de ne pas tenir compte des parties qui contredisent directement la preuve qu'il a fournie. Il remet également en question l'exactitude des notes consignées dans le STIDI en attestant que, dans bien des cas, elles ne correspondent pas aux réponses qu'il a données à l'entrevue.

[11]            Le demandeur affirme que l'agente des visas ne l'a pas informé des préoccupations qu'elle avait sur trois points importants qui ont fortement influé sur sa décision de refuser la demande de résidence permanente. Il s'agit des questions suivantes : la qualité des réponses données aux questions relatives à la programmation, les notes que le demandeur avait obtenues à l'institut de technologie Computek et la nécessité de subir cette formation ainsi que les préoccupations liées aux études qu'il avait faites en Inde. Le demandeur soutient que l'omission de l'agente des visas de l'informer de ces préoccupations constitue un manquement à l'obligation d'agir équitablement : Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.).


[12]            En outre, le demandeur soutient qu'il n'était pas raisonnablement loisible à l'agente des visas de conclure qu'il ne possédait pas l'expérience professionnelle et la formation nécessaires pour pouvoir être choisi comme analyste de systèmes informatiques ou comme programmeur. Le demandeur affirme avoir adéquatement expliqué les présumées incohérences relatives à son emploi. L'agente des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces explications : Yang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 632 (1re inst.) (QL).

[13]            De plus, selon le demandeur, il était abusif pour l'agente des visas de conclure qu'il n'avait pas démontré avoir de l'expérience dans les professions désignées lorsqu'elle avait attribué des points pour le facteur « Études et formation » (le FEF). Le fait que le demandeur a obtenu le nombre de points nécessaires pour ce facteur est compatible avec la conclusion selon laquelle il remplissait les conditions d'accès aux professions envisagées : Dauz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 288, Osman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 181 F.T.R. 304 et Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1408 (1re inst.) (QL). Le demandeur affirme en outre qu'il incombait à l'agente des visas d'apprécier son expérience pour chacune des diverses responsabilités de sa profession afin d'attribuer des points d'appréciation pour l'expérience et que l'agente a commis une erreur en omettant de le faire : Hajariwala c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 79 (1re inst.).


PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[14]            À l'audience, le défendeur a concédé que l'affidavit de l'agente posait des problèmes. Toutefois, il m'a demandé de considérer les notes consignées dans le STIDI comme un compte rendu exact de l'entrevue. Le défendeur affirme que la version de l'entrevue que l'agente a consignée dans ces notes doit être retenue, dans la mesure où cette version contredit l'affidavit du demandeur, établi sous serment au mois de septembre 2002, soit plusieurs mois après l'entrevue. À l'appui, le défendeur invoque les décisions Paracha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1786 (1re inst.) (QL) et Sehgal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 385 (1re inst.) (QL).

[15]            Le défendeur affirme que l'agente des visas a conclu avec raison que le demandeur ne s'était pas acquitté de l'obligation qui lui incombait, conformément au paragraphe 8(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi), de la convaincre qu'il remplissait les conditions législatives nécessaires pour être admis au Canada. Plus précisément, l'agente des visas n'était pas convaincue que le demandeur avait l'expérience professionnelle dont il est fait mention dans la CNP à titre de programmeur ou d'analyste de systèmes. Le défendeur soutient qu'il y a un conflit entre les prétentions du demandeur et les conclusions tirées par l'agente des visas, mais que cela ne veut pas pour autant dire qu'une erreur susceptible de révision donnant lieu à un contrôle judiciaire a été commise.

[16]            Le défendeur mentionne la norme de contrôle de la retenue qui s'applique aux décisions d'un agent des visas dans le cadre de demandes de résidence permanente, cette norme étant énoncée dans l'arrêt To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.) (QL), soit la même norme que celle qui a été établie dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Le défendeur invoque également la décision plus récente Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 208 F.T.R. 99, dans laquelle la présente cour a décrit cette norme comme correspondant à la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[17]            En invoquant les décisions Dizon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 135 (1re inst.) (QL) et Seepersaud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1316 (1re inst.) (QL), le défendeur soutient que la question de savoir si une personne a exercé les fonctions de la profession envisagée est une pure question de fait qui est assujettie à la norme énoncée à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. En outre, il faut faire preuve de retenue à l'égard des décisions des agents des visas lorsqu'ils déterminent si le demandeur remplit les conditions d'accès à une profession particulière : Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 172 F.T.R. 262.


[18]            En l'espèce, le défendeur soutient que l'agente a conclu avec raison que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer qu'il avait de l'expérience dans les professions envisagées. Cette conclusion était fondée sur tous les éléments de preuve dont disposait l'agente, y compris les réponses que le demandeur avait données aux questions techniques qu'elle lui avait posées et aux questions portant sur ses antécédents professionnels.

[19]            Le défendeur affirme que les préoccupations que l'agente avait au sujet des incohérences relevées à l'égard de la présumée expérience professionnelle étaient raisonnables puisque le demandeur avait affirmé avoir travaillé pour une société particulière au mois d'avril 2000, lorsqu'il avait demandé un permis de séjour pour étudiant au Canada, et que dans les documents fournis à l'appui de la demande de résidence permanente, il était déclaré que le demandeur avait cessé de travailler pour cette société en 1993. En outre, le défendeur soutient que les préoccupations que l'agente des visas avait au sujet de la véracité des documents du demandeur étaient raisonnables.


[20]            Deuxièmement, le défendeur affirme que l'agente n'a pas commis d'erreur en attribuant des points d'appréciation pour le facteur « Études et formation » et en n'attribuant pas de points pour le facteur « Expérience » . Dans son affidavit, l'agente atteste que le STIDI attribue [TRADUCTION] « automatiquement » des points pour ce facteur une fois que le nombre de points attribués pour les études et que le code de la CNP pour une profession particulière ont été inscrits. Le défendeur affirme également que les décisions faisant autorité invoquées par le demandeur ne portent pas sur le FEF mais plutôt sur le facteur professionnel, et qu'elles n'étayent donc pas le principe selon lequel l'attribution de points pour ce facteur indique que le demandeur remplit les conditions d'accès à la profession envisagée.

POINTS LITIGIEUX

[21]            1.         L'agente des visas a-t-elle manqué à l'obligation d'équité en ne faisant pas part au demandeur des préoccupations qu'elle avait et en omettant de respecter ses engagements?

2.         Eu égard à la preuve, était-il loisible à l'agente des visas de conclure que le demandeur ne possédait pas les qualités requises pour travailler comme analyste de systèmes informatiques ou comme programmeur?

ANALYSE


[22]            Il est bien établi que, dans le contexte des décisions d'un agent des visas, l'équité procédurale exige que le demandeur ait la possibilité de répondre aux éléments de preuve extrinsèques sur lesquels l'agente des visas s'est fondée et qu'il soit informé des préoccupations que l'agente a à cet égard : Muliadi, précité. À mon avis, le fait que la Cour d'appel fédérale a souscrit, dans l'arrêt Muliadi, précité, aux remarques que lord Parker avait faites dans la décision In re H.K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617, montre que l'obligation d'équité peut exiger que les fonctionnaires de l'Immigration informent les demandeurs des questions suscitées par leur demande, pour que ceux-ci aient la chance d' « apaiser » leurs préoccupations, même lorsque ces préoccupations découlent de la preuve qu'ils ont soumise. D'autres décisions de la présente cour étayent cette interprétation de l'arrêt Muliadi, précité. Voir, par exemple, Fong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 705 (1re inst.), John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 350 (1re inst.) (QL) et Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 38 (C.F. 1re inst.), où il a été statué qu'à l'entrevue, l'agent des visas doit informer le demandeur de l'impression défavorable que lui donne la preuve que celui-ci a soumise.

[23]            Toutefois, ce principe d'équité procédurale ne va pas jusqu'à exiger que l'agent des visas fournisse au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande : Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1091 (1re inst.) (QL), paragraphe 21, et Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1926 (1re inst.) (QL), paragraphe 23. L'agent des visas n'est pas tenu d'informer le demandeur des questions qui découlent directement des exigences de l'ancienne Loi et de son règlement d'application : Yu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 36 F.T.R. 296, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 151 F.T.R. 1 et Bakhtiania c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1023 (1re inst.) (QL).

[24]            Les affidavits qui ont été déposés dans l'instance donnent des versions tout à fait contradictoires de l'entrevue. À mon avis, pour les motifs ci-dessous énoncés, il faut retenir la version du demandeur; compte tenu de cette preuve, je suis convaincu que l'agente des visas a manqué à l'obligation d'équité qu'elle avait envers le demandeur en ne lui donnant pas la possibilité de répondre aux préoccupations qu'elle avait sur plusieurs points cruciaux qui semblent avoir fortement influé sur sa décision de refuser la demande de résidence permanente. En outre, on ne peut pas dire que la plupart des préoccupations de l'agente dans ce cas-ci découlaient directement des exigences de la législation, par exemple, les questions que l'agente se posait au sujet de la présentation des documents faisant état des études que le demandeur avait effectuées et l'avis selon lequel les notes du demandeur, à l'institut Computek, étaient [TRADUCTION] « mauvaises » .

[25]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, le demandeur atteste dans son affidavit que, sur plusieurs points cruciaux, l'agente des visas ne l'a pas informé de ses préoccupations ou ne lui a pas donné la possibilité de répondre.

[26]            Au paragraphe 21 de son affidavit, l'agente répond comme suit à ces commentaires :

[TRADUCTION] En ce qui concerne le fait que le demandeur conteste les remarques qui sont consignées dans les notes du STIDI, dans lesquelles je disais qu'il « ne pouvait pas répondre » ou qu'il « n'avait pas répondu » , je dirai que chaque fois que figure pareille remarque, le demandeur n'a pas répondu de quelque façon que ce soit à la question particulière qui lui était posée. Je dactylographie moi-même les notes consignées dans le STIDI au fur et à mesure que l'entrevue se déroule.

[Non souligné dans l'original.]

[27]            Les notes du STIDI elles-mêmes contredisent la déclaration de l'agente des visas qui figure ci-dessus en gras, à savoir qu'elle consignait les notes dans le STIDI au fur et à mesure que l'entrevue se déroulait, puisqu'il y est indiqué que ces notes ont été dactylographiées le [TRADUCTION] « 17 juin 2002 » par [TRADUCTION] « MLE » , soit les initiales de l'agente des visas, Moria Lucy Escott. L'entrevue a eu lieu le 21 mai 2002. En outre, l'inscription faite le 28 mai 2002 dans le STIDI, laquelle a également été dactylographiée par l'agente des visas, est ainsi libellée : [TRADUCTION] « NOTES À SUIVRE. »

[28]            Comme l'a concédé le défendeur à l'audience, les notes du STIDI ont été préparées par l'agente plus de trois semaines après l'entrevue plutôt qu'au moment de l'entrevue comme celle-ci l'a attesté.

[29]            À mon avis, la valeur des notes du STIDI est en bonne partie liée au fait qu'elles sont rédigées pendant l'entrevue même, ou peu de temps après, lorsque la mémoire de l'agent est encore fraîche. Plus l'agent attend pour transcrire les événements, moins les notes ont une valeur probante lorsqu'il s'agit de faire état de ce qui s'est passé à l'entrevue. Je tiens à faire remarquer que, lorsque l'agent prend à la main des notes datées au moment de l'entrevue et les transcrit ensuite dans le STIDI, cela évite de donner une impression défavorable puisqu'il y aura un compte rendu contemporain de l'entrevue, sous une forme différente. Toutefois, en l'espèce, l'agente n'a pas rédigé de notes manuscrites selon le dossier certifié du tribunal mis à la disposition de la Cour.


[30]            Les remarques suivantes que la juge Reed a faites dans la décision Parveen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 660 (1re inst.) (QL), indiquent bien un point important dans des cas comme celui-ci, où l'agent et le demandeur ont décrit d'une façon fort différente ce qui s'est passé à l'entrevue. Comme la juge l'a dit au paragraphe 10 :

[...] Les agents des visas sont saisis de nombreuses demandes; on peut s'attendre à ce qu'ils n'aient pas un souvenir aussi précis de l'événement que le demandeur. Je ne suis pas prête à adopter l'approche que l'avocat du défendeur semblait proposer à savoir que les agents des visas n'ont aucun intérêt dans ces demandes et que, pour ce motif, leur version devrait être crue lorsqu'elle est contraire à celle du demandeur. Aussitôt que la décision d'un agent des visas est contestée, cette personne a un intérêt à justifier sa décision. Cette réaction est tout à fait naturelle. À ce moment, l'agent des visas n'est pas une personne n'ayant aucun intérêt dans l'affaire.

[31]            En l'espèce, la mémoire de l'agente des visas a été remise en question, étant donné qu'elle a attesté avoir rédigé les notes lors de l'entrevue, alors qu'elle les avait clairement rédigées près d'un mois plus tard. On ne peut pas dire que l'entrevue s'est déroulée de la façon précise dont l'agente l'a dit. En outre, le compte rendu de l'entrevue que l'agente a fait laisse à désirer puisque l'agente n'a pas enregistré ses impressions pendant l'entrevue ou peu de temps après.


[32]            Quant aux problèmes que posait la demande, lesquels n'ont, selon le demandeur, jamais été soulevés à l'entrevue, à savoir la raison pour laquelle il avait suivi d'autres cours au Canada, le fait qu'il avait de [TRADUCTION] « mauvaises » notes (bien qu'elles se soient situées dans les 70) et le fait que deux attestations d'études étaient [TRADUCTION] « de mauvaise qualité » , ces questions auraient à mon avis dû être soulevées auprès du demandeur pour qu'il puisse y répondre. Je retiens l'affidavit du demandeur sur ces points, et je conclus que le demandeur n'a pas été informé des préoccupations que l'agente des visas avait sur ces points et qu'il n'a pas eu la chance d'y répondre. L'agente a donc manqué à l'obligation d'équité.

[33]            Le fait que le demandeur avait décidé d'étudier au Canada pendant plus de deux ans à l'institut de technologie Computek préoccupait l'agente puisque le demandeur était déjà un analyste de systèmes et un programmeur qualifié, comptant plusieurs années d'expérience. L'agente atteste que le demandeur n'a pas pu expliquer pourquoi il était venu étudier au Canada.

[34]            Par contre, au paragraphe 15 de son affidavit, le demandeur atteste que l'agente ne lui a pas posé de questions au sujet des études qu'il avait faites au Canada, sauf pour quelques questions se rapportant aux cours qu'il avait achevés. Le demandeur ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION] [...] je remets donc fortement en question les remarques qu'elle a faites : « L'intéressé n'a pas pu répondre. » Si elle s'était donné la peine de me le demander, je lui aurais dit que, dans le domaine de la technologie de l'information, un domaine en évolution constante, il faut absolument se tenir au courant des nouvelles technologies et des nouveaux langages de programmation et perfectionner ses connaissances.


[35]            Deuxièmement, il est étrange que l'agente ait exprimé l'avis selon lequel les notes obtenues par le demandeur à l'institut étaient [TRADUCTION] « mauvaises » , puisque ces notes semblaient se situer dans les 70; il aurait toutefois peut-être été loisible à l'agente de faire ce raisonnement si elle avait informé le demandeur qu'elle avait de la difficulté à croire qu'une personne possédant le même genre d'expérience que lui obtienne de telles notes. Les explications que le demandeur a fournies dans son affidavit me convainquent qu'il aurait eu quelque chose à dire en réponse, s'il avait été informé à l'entrevue de l'impression que ses notes donnaient à l'agente.

[36]            Ensuite, l'agente se posait des questions au sujet des études que le demandeur avait faites en Inde. Selon les notes consignées dans le STIDI, l'agente considérait que les diplômes présentés par le demandeur au sujet de deux cours d'informatique de courte durée qu'il avait suivis en Inde [TRADUCTION] « laissaient fortement à désirer » . Dans son affidavit, l'agente explique les préoccupations qu'elle avait au sujet de ces deux diplômes : ils étaient [TRADUCTION] « de mauvaise qualité » , ils ne comportaient pas les éléments de sécurité nécessaires et le nom complet du demandeur n'était inscrit dans aucun des deux documents.

[37]            Le demandeur atteste que l'entrevue a duré tout au plus 30 minutes, alors que l'agente des visas ne fait pas de remarques au sujet de la durée de l'entrevue, que ce soit dans son affidavit ou dans les notes du STIDI. Au paragraphe 17 de son affidavit, le demandeur déclare que l'agent ne lui a pas posé de questions au sujet de ces diplômes, sauf pour quelques questions concernant les études qu'il avait faites à l'établissement « Born Brilliant Software Education » . Il déclare avoir laissé les originaux de ces documents à l'agente; il affirme que si elle lui avait fait part de ses préoccupations, il aurait signalé qu'un des établissements d'enseignement au sujet duquel elle avait des doutes était agréé par le gouvernement de l'Inde, ministère de l'Emploi et de la Formation.

[38]            À mon avis, l'agente des visas a manqué à son obligation d'équité en ne faisant pas part au demandeur des préoccupations qu'elle avait au sujet de ces diplômes. Le demandeur savait qu'il fallait une preuve de ses études pour satisfaire à l'obligation qui lui incombait. Il a fourni pareille preuve. Les problèmes que l'agente des visas a soulevés au sujet de deux diplômes, sur lesquels était simplement inscrit le nom « R. Pandi » plutôt que le nom au complet, ne tiennent pas compte du fait que le nom « R. Pandi » figure dans tous les documents, qu'il s'agisse des certificats d'études de l'Inde, des documents faisant état des biens que le demandeur possédait en Inde, de son curriculum vitae, et même de sa propre signature sur son certificat de mariage. Il aurait facilement été possible de répondre à cette question factuelle si le demandeur avait été informé de la chose, mais je suis convaincu que le demandeur n'a pas eu la possibilité de répondre.

[39]            Le demandeur a également soutenu que les notes consignées dans le STIDI n'indiquent pas exactement ce qu'il a dit à l'entrevue au sujet du fait que sa présumée expérience professionnelle était comparée à l'expérience dont il avait fait état dans sa demande de permis de séjour pour étudiant en l'an 2000 et à son emploi au Canada. Sur ces points, je retiens encore une fois la preuve par affidavit du demandeur, à savoir que les renseignements figurant dans ces demandes sont identiques et que l'agente aurait pu vérifier la chose en obtenant la documentation relative à la demande. Je retiens également la preuve que le demandeur a présentée au sujet de son emploi au Canada; les observations de l'agente telles qu'elles sont consignées dans les notes du STIDI n'indiquent pas exactement ce que le demandeur a dit à l'entrevue.


[40]            Il est préférable de remettre à plus tard l'argument que le demandeur a invoqué au sujet des manquements à l'équité procédurale résultant des présumés engagements que l'agente avait pris, mais qu'elle n'avait pas respectés, étant donné que je ne suis pas convaincu que les décisions citées à l'appui par le demandeur soient directement pertinentes, puisqu'il y est question de mesures prises par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, soit un décideur qui agit dans un contexte distinct, conformément à des règles de procédure différentes et dont les attentes, sur le plan de l'équité, sont différentes. En outre, la conclusion que je tire au sujet de l'omission de l'agente de faire part au demandeur des préoccupations qu'elle avait à l'égard de nombreux aspects de la demande est suffisante lorsqu'il s'agit de statuer sur la demande de contrôle judiciaire.


[41]            Enfin, les arguments que le demandeur a invoqués au sujet de questions techniques que l'agente lui a posées à l'entrevue ne sont pas convaincants. À mon avis, l'agente des visas pouvait à bon droit apprécier les réponses que le demandeur donnait aux questions portant sur son domaine d'activité professionnelle. Les six questions portant sur la technologie de l'information que l'agente a posées étaient destinées à lui permettre de vérifier les connaissances et compétences du demandeur dans les professions envisagées. Dans son affidavit, le demandeur déclare avoir facilement pu répondre à ces questions. Toutefois, selon l'agente des visas, même si le demandeur a répondu aux six questions, il n'a pas correctement répondu à quatre d'entre elles. À mon avis, l'obligation d'équité n'exigeait pas que l'agente des visas fasse savoir au demandeur qu'elle estimait qu'il n'avait pas répondu correctement à ces questions. Le demandeur aurait raisonnablement dû s'attendre à ce que, dans une telle situation, ses réponses soient examinées minutieusement et à ce que l'agente détermine si elles étaient exactes ou non.

[42]            La demande a été en partie refusée compte tenu des réponses non satisfaisantes que le demandeur avait données aux questions techniques que l'agente lui avait posées. Toutefois, à mon avis, ce n'était pas la seule raison ou la raison primordiale pour laquelle la demande avait été refusée; en effet, l'opinion défavorable que l'agente s'était faite au sujet des [TRADUCTION] « incohérences » concernant la présumée expérience professionnelle du demandeur ainsi que de la crédibilité et de la fiabilité des documents qu'il avait soumis était également cruciale lorsqu'il s'était agi de refuser la demande. Comme il en a ci-dessus été fait mention, je suis convaincu que l'agente n'a pas donné au demandeur la chance de répondre à ses préoccupations sur ces points. Étant donné ces manquements à l'équité procédurale, il n'est pas possible de savoir si le résultat aurait été différent si le demandeur avait pleinement eu une possibilité équitable de répondre aux préoccupations de l'agente; par conséquent, la demande sera renvoyée pour être appréciée de nouveau conformément à ces motifs.

[43]            L'argument du demandeur concernant le facteur « Études et formation » est dénué de fondement. Les décisions que le demandeur a citées traitent du rapport mutuel existant entre le facteur professionnel et le facteur « Expérience » ; elles ne s'appliquent pas au cas qui nous occupe. L'agente n'a pas commis d'erreur sur ce point.


[44]            Étant donné les conclusions que j'ai tirées au sujet des manquements à l'équité procédurale qui ont été commis dans ce cas-ci, je m'abstiens de faire des remarques au sujet du fond de la décision de l'agente des visas.

[45]            Le demandeur a sollicité les dépens de la présente instance, mais il n'a pas démontré l'existence de « raisons spéciales » justifiant pareille adjudication, comme l'exige l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, dans leur forme modifiée. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

[46]            Je note que, conformément aux modifications qui ont récemment été apportées au Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, tel qu'il a été modifié par DORS/2003-383, le réexamen de la demande par le défendeur entraînera une double taxation, conformément à l'ancienne Loi et conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés actuelle, L.C. 2001, ch. 27.

[47]            La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune question ne sera certifiée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agente en date du 17 juin 2002 est annulée et la demande que le demandeur a présentée en vue de résider en permanence au Canada est renvoyée pour être réexaminée par un agent différent. Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « Richard G. Mosley »              

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4007-02

INTITULÉ :                                                    PANDI RUKMANGATHAN

                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 26 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Ian R.J. Wong                                                   POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ian R.J. Wong                                                   POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040226

                    Dossier : IMM-4007-02

ENTRE :

PANDI RUKMANGATHAN

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


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