IMM-933-96
OTTAWA (ONTARIO), LE 24 JANVIER 1997
EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE ROULEAU
ENTRE
PATRICIA GONZALES-CAMBANA et JEAN PAUL GONZALES,
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
ORDONNANCE
La demande est accueillie, et l'affaire est renvoyée pour qu'un tribunal de composition différente procède à un réexamen.
«P. ROULEAU»
JUGE
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
IMM-933-96
ENTRE
PATRICIA GONZALES-CAMBANA et JEAN PAUL GONZALES,
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE ROULEAU
Il s'agit d'une demande visant à obtenir une ordonnance qui annulerait la décision en date du 29 février 1996 dans laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.
La requérante est née à Lima (Pérou), le 18 mai 1964. Elle a divorcé d'avec son mari le 18 décembre 1993. Elle est venue au Canada avec son fils âgé de huit ans le 20 décembre 1993, et elle y a revendiqué le statut de réfugié. La revendication repose sur son appartenance à un groupe social, savoir le groupe de femmes victimes de violence en milieu familial au Pérou.
Les événements sur lesquels sa revendication repose sont exposés dans la réponse à la question 37 de son FRP. Les voici :
[TRADUCTION]
Je fonde ma revendication du statut de réfugié sur mon groupe social qui est un groupe de femmes battues. Le 19 mai 1988, j'ai épousé Paul Garrido-Lecca. En octobre 1988, pendant que j'étais enceinte, mon mari a commencé à me battre. Il était souvent ivre et me battait. En outre, à plusieurs reprises, mon mari se soûlait et me forçait à avoir des relations sexuelles avec lui. Je me suis adressée à la police maintes fois, mais elle n'est pas intervenue. Elle m'a simplement conseillé de régler mes problèmes à la maison. Il était évident que la police ne se préoccupait pas des questions de violence en milieu familial.
En mars 1990, mon mari est rentré ivre et il m'a forcée à avoir des rapports sexuels avec lui. Il m'a donné des coups de poing sur le visage. J'ai signalé cet incident à la police, mais celle-ci a refusé de s'en occuper. Plus tard, le même mois, j'ai tenté de quitter mon mari. Je suis allée vivre chez ma tante. Il a proféré des menaces selon lesquelles je ne reverrais plus jamais mon fils si je ne rentrais pas à la maison. Je ne connaissais aucune maison d'accueil pour femmes à laquelle je pouvais me rendre pour être protégée. Je suis allée consulter un avocat. Il m'a conseillé de tenter de résoudre les choses avec mon mari, étant donné la brève période pendant laquelle j'étais mariée.
Au début de mai 1990, après avoir été encore battue par mon mari, je lui ai ordonné de quitter notre maison. Plus tard, le même jour, il est retourné prendre mon fils. Trois jours plus tard, il est retourné avec le bébé, et il a menacé de me tuer si jamais je tentais de me séparer de lui encore. Il a continué de me battre régulièrement.
En juillet 1993, j'ai obtenu mon diplôme universitaire. Mon mari était extrêmement jaloux. Il est rentré à la maison un soir, et il a commencé à me donner des coups de poing sur le visage et sur la tête. Après m'avoir battue sévèrement, il m'a forcée à pratiquer la sodomie avec lui. Je n'ai jamais connu une telle horreur. Mon corps tout entier était couvert de meurtrissures, et je saignais abondamment. Je suis immédiatement allée voir un médecin pour me faire soigner. J'avais peur pour ma vie. Mon mari a menacé de me tuer si jamais je le quittais avec notre enfant. Je savais que je ne pouvais obtenir de la police aucune protection. J'ai donc pris des dispositions pour quitter le Pérou avec un passeur. Je lui ai payé 6 000 $. Il s'est rendu au Canada avec moi.
J'ai peur pour ma vie si je devais retourner au Pérou. Je crois que mon mari poursuivrait jusqu'au bout ses menaces de me tuer si je devais retourner au Pérou. La Police péruvienne n'intervient pas dans les cas de violence conjugale. Cela était évident après qu'elle eut refusé d'arrêter mon mari à la suite de mes rapports antérieurs.
L'audition tenue devant la Commission a eu lieu à Toronto, les 2 et 4 mars 1995, et s'est poursuivie le 25 mai 1995. La requérante prétend avoir été victime d'agressions sexuelles brutales et de coups de la part de son mari. Le tribunal n'a pas mis en doute la crédibilité de la requérante, et il n'a pas non plus trouvé à redire à son récit des actes de persécution aux mains de son mari. En fait, la Commission a conclu que la requérante avait fait l'objet de voies de fait au cours d'une période de plusieurs années et que, malgré ses tentatives répétées d'obtenir de la protection, celle-ci lui avait constamment été refusée en raison d'attitudes sociales prévalant au Pérou[1].
La Commission a toutefois noté que, avant qu'un demandeur puisse obtenir une protection internationale, on s'attend à ce qu'il accepte une possibilité de refuge intérieur raisonnable et sans risque (PRI). Dans l'affaire Rasaratnam c. M.E.I.[2], la Cour d'appel fédérale a énoncé un critère à deux volets permettant de déterminer si la PRI existe :
À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge[3].
Il s'ensuit que, avant que la requérante ne puisse être déclarée réfugiée au sens de la Convention, elle doit prouver qu'aucune PRI n'existe pour elle au Pérou.
Lorsqu'on l'a interrogée sur la question de la PRI, la requérante a produit la preuve que son mari était lié au Shining Path du Pérou. Elle a témoigné de sa croyance qu'il pouvait la trouver n'importe où au Pérou, qu'il fût ou non lié au Shining Path. Même au Canada, elle avait peur de lui, et elle a déménagé à plusieurs reprises dans la région torontoise pour ne pas être découverte.
La Commission a limité son analyse de la question de la PRI à l'affaiblissement du Shining Path au Pérou. Elle a prétendu que parce que l'organisation était en plein désarroi, il n'existait [TRADUCTION] «pas plus qu'une simple possibilité que le Shining Path puisse assister son mari, qu'une personne ayant des liens directs avec le Shining Path cherche à obtenir l'aide des contacts militaires, ou que son mari puisse la repérer si elle vit dans une ville autre que sa ville natale au Pérou». En outre, la Commission a jugé qu'il était raisonnable pour la requérante de chercher une PRI au sein du Pérou, puisqu'elle était une femme instruite ayant de l'expérience dans l'enseignement. En conséquence, la Commission n'a pas cru qu'[TRADUCTION] «une telle confirmation claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection» avait été démontrée comme l'exige l'arrêt Procureur général du Canada c. Ward[4], et elle a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. En tirant cette conclusion, la Commission s'est appuyée sur deux faits auparavant
découverts :
[TRADUCTION] Il n'existe pas plus qu'une simple possibilité que le Shining Path puisse assister son mari. Le tribunal conclut également qu'il n'existe pas plus qu'une simple possibilité qu'une personne ayant des liens directs avec le Shining Path cherche à obtenir l'aide des contacts militaires.
Aucun autre motif n'a été invoqué pour étayer la conclusion. La Commission s'est concentrée sur le lien du mari de la requérante avec le Shining Path et sur le fait que ce groupe ne détenait plus de place de pouvoir au Pérou, et elle n'a pas tenu compte de tous les autres aspects de la crainte par la requérante de la capacité de son mari de la trouver même à l'extérieur de Lima. Ce faisant, elle a omis d'aborder la preuve de la requérante selon laquelle son mari est un individu bien informé, vindicatif et obsédé et, compte tenu de sa conduite passée, il serait en mesure de la trouver n'importe où au Pérou, même sans ses contacts politiques.
La Commission a notamment laissé entendre qu'une PRI raisonnable existait à l'extérieur de Lima, puisque la requérante pouvait trouver un poste d'enseignante. Toutefois, elle ne s'est pas prononcée sur l'argument selon lequel le mari de la requérante pouvait la retrouver par l'entremise du ministère de l'Éducation. Qui plus est, bien qu'elle ait conclu que la protection de l'État avait été refusée dans le passé, la Commission n'a invoqué aucun motif valable pour justifier que la requérante soit en sécurité à l'extérieur de Lima. J'estime que ces omissions équivalent au défaut de tenir compte de faits pertinents.
En conséquence, la demande est accueillie, et l'affaire renvoyée pour qu'un tribunal de composition différente procède à un réexamen.
«P. ROULEAU»
JUGE
OTTAWA (Ontario)
le 24 janvier 1997
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE :IMM-933-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :Patricia Gonzales-Cambana et al. c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :Le jeudi 8 janvier 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : le juge Rouleau
EN DATE DU24 janvier 1997
ONT COMPARU :
M. Steven Beiles pour les requérants
Jeremitah Eastman pour l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Steven Beiles pour les requérants
Toronto (Ontario)
George Thomson
Sous-procureur général du Canada
pour l'intimé