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Date : 20050830

Dossier : IMM-724-05

Référence : 2005 CF 1182

Ottawa (Ontario), le 30 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

RUME BEGUM

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉPUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE[1]

Partie défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]    Rendre une décision motivée découlant de l'ensemble de la preuve n'est pas suffisant en soi. La justice nécessite également l'équité procédurale comme comportement pour arriver vers cette voie.

[2]     De la Cour Fédérale d'Appel, par les juges Décary, Létourneau et Pelletier découle une logique démontrant qu'une violation des principes de justice naturelle, même prouvé, ne donne pas automatiquement ouverture au contrôle judiciaire.[2]


[3]    « Un des motifs qui peuvent amener un juge à ne pas accorder le remède demandé, quand bien même la décision sous contrôle serait révisable, est la futilité d'une reconsidération de ladite décision. Dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a cité avec approbation cet extrait du professeur Wade, Administrative Law (6e éd., 1988), à la page 535:

[TRADUCTION] On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision. Dans le cas d'un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir. Le juge Iacobucci précisait, à la page 229, que ce motif de futilitérevêtait un "caractère exceptionnel". » (La Cour souligne)[3]

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[4]    La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[4] (Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 6 janvier 2005. Dans cette décision, la Commission a annulé la décision du 28 août 1996 qui reconnaissait à la demanderesse Madame Rume Begum le statut de réfugiée.

FAITS


[5]    Voici les faits allégués, tels que décrits par la Commission. L'époux de Mme Begum, Monsieur Jakir Hossain, ainsi que la famille de ce dernier, ont persécuté Mme Begum parce qu'elle prêchait des idées progressistes à des femmes musulmanes, M. Hossain appartenant à une secte très stricte de l'islam. Pour la punir, il prend une deuxième épouse en juillet 1995. Une réunion que

Mme Begum organise chez elle avec d'autres femmes lui vaut des menaces de mort de la part de son époux et des membres de la famille de ce dernier, ainsi qu'une sanction publique par des chefs religieux de la région. Craignant pour sa vie et celle de ses enfants, Mme Begum quitte la maison conjugale avec ses enfants pour se réfugier chez ses parents. Lorsque son époux vient la chercher le lendemain, ses parents réussissent à la faire sortir seule du pays. Après avoir passé une semaine au Royaume-Uni, Mme Begum arrive à Montréal le 10 mai 1996 et demande l'asile. Ses deux fils,

Rasel âgé aujourd'hui de 22 ans et Suman âgé de 18 ans, et sa fille, Junak âgée aujourd'hui de 10 ans, sont restés au Bangladesh.

DÉCISION CONTESTÉE


[6]    La Commission a conclu, selon la preuve dont elle disposait, que Mme Begum avait présenté de fausses déclarations au sens du paragraphe 109(1) de la Loi et qu'il ne restait pas suffisamment d'éléments de preuve justifiant l'asile. En effet, des notes de deux entrevues avec un agent d'immigration en 2000 et en 2001 indiquaient que Mme Begum n'avait pas connu M. Rahim au Bangladesh mais bien au Canada, quelques semaines après son arrivée. Pourtant, des tests d'ADN confirmaient que M. Rahim est le père du troisième enfant de Mme Begum, Junak née au Bangladesh. Par ailleurs, la lettre de la prétendue première épouse de M. Rahim, écrite après le décès de celle-ci, mettait sérieusement en doute l'existence d'un premier mariage. Plusieurs autres problèmes de crédibilité et éléments contradictoires ont été soulignés par la Commission. Cette dernière a donc annulé la décision portant que Mme Begum est une réfugiée.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]    1. La Commission a-t-elle porté atteinte aux principes d'équité procédurale?

2. L'évaluation factuelle de la cause par la Commission est-elle manifestement déraisonnable?

ANALYSE


[8]    La Cour tient à faire trois observations préliminaires. Premièrement, le fardeau de la preuve dans le cadre d'une demande d'annulation du statut de réfugié incombe au Ministre. Comme c'est ce dernier qui demande l'annulation du statut, il lui revient donc de prouver que l'annulation est justifiée. Deuxièmement, des éléments soulevés par Mme Begum, seuls ceux qui sont jugés problématiques seront analysés ci-dessous. Finalement, l'affidavit de Mme Begum ne se limite pas aux faits dont Mme Begum a personnellement connaissance mais contient également de nombreuses propositions à caractère argumentatif, en contravention du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales[5] (Règles). Cet affidavit a donc été ignoré. Par ailleurs, l'avocat de Mme Begum a déposé, sans autorisation préalable de la Cour, un affidavit dont il est l'affiant, ce qui est interdit par l'article 82 des Règles. Cet affidavit a donc également été ignoré. L'issue du litige ne dépendait toutefois pas de ces deux affidavits.


1. La Commission a-t-elle porté atteinte aux principes d'équité procédurale?

[9]    Il est bien établi que la norme de contrôle d'une décision d'un tribunal administratif en ce qui a trait à l'équité procédurale est la norme correcte (Oberlander c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)[6]).

[10]                        La première erreur commise par la Commission a consisté à ne pas avoir donné à Mme Begum l'avis requis à l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés[7] avant d'utiliser, dans ses motifs, sa connaissance spécialisée du fait que des photos de mariage sont produites dans le cadre des demandes d'asile provenant du Bangladesh pour contrecarrer l'argument de Mme Begum selon lequel elle n'a pas produit de photos de son mariage avec M. Hossain parce que cela va à l'encontre des coutumes établies au Bangladesh.



[11]                        La Commission a commis une autre erreur procédurale. Ayant constaté que les deux fils de Mme Begum nés au Bangladesh avaient des noms et des prénoms identiques à ceux de certains des fils de M. Rahim nés prétendument de la première épouse de ce dernier au Bangladesh, la Commission a déclaré à l'audience avoir besoin de l'aide d'un expert pour analyser la structure des noms des enfants à défaut de quoi elle ne se prononcerait pas sur le sujet. Aucun expert n'a témoigné sur le sujet. Or, dans ses motifs, la Commission a notamment utilisé la structure identique des noms et prénoms des fils comme élément permettant de conclure que Mme Begum et M. Rahim étaient déjà mariés au Bangladesh et que Mme Begum n'avait jamais été mariée à un certain M. Hossain, le prétendu agent persécuteur qui avait permis à Mme Begum d'obtenir son statut de réfugiée. Aucune erreur n'aurait été commise si la Commission avait noté le fait que les noms étaient identiques et, à défaut d'explication raisonnable, s'en était servi dans ses motifs pour tirer une inférence négative.[8] Point n'est besoin d'expert dans une telle situation. Toutefois, le fait que la Commission exprime à l'audience la nécessité d'un expert et, par la suite, utilise les éléments en question à l'encontre de Mme Begum sans avoir eu l'opinion d'un expert crée une attente qui, si elle n'est pas respectée, constitue une atteinte à l'équité procédurale.

[12]                        Que ces deux erreurs - de nature strictement procédurale - aient une incidence sur le résultat final du présent dossier ou non, chacune de ces erreurs prises séparément est suffisante pour entacher la décision de la Commission et exiger une re-détermination de la cause car le respect des règles procédurales mène vers l'atteinte de la justice.[9]

[13]                        Troisièmement, la Commission a demandé à l'audience la venue, à une date d'audience ultérieure, de l'imam qui avait célébré le mariage de Mme Begum et de M. Rahim au Canada. Entre les deux audiences, elle s'est toutefois ravisée et a indiqué que la venue de l'imam ne serait pas nécessaire en fin de compte, cela ne constituant pas un point central de la revendication. Bien qu'il ne s'agisse pas là d'une pratique souhaitable, la Cour ne saurait qualifier cette inadvertance d'erreur fatale nécessitant une annulation de la décision de la Commission et cela, parce que la question de la validité du mariage de Mme Begum avec M. Rahim au Canada ne constituait pas le noeud de la demande d'annulation (l'annulation était fonction de savoir si Mme Begum était déjà mariée avec M. Rahim au Bangladesh - et non avec M. Hossain - et si Mme Begum avait donc fait de fausses déclarations).


2. L'évaluation factuelle de la cause par la Commission est-elle manifestement déraisonnable?

[14]                        La norme de contrôle pour les questions de fait dans le contexte d'une demande d'annulation du statut de réfugié en vertu de l'article 109 de la Loi est la norme du caractère manifestement déraisonnable des conclusions de fait (Kalmykov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[10]).

[15]                        La seule conclusion de fait que la Cour estime douteuse est l'inférence négative tirée par la Commission en raison de « l'absence de signature des témoins dans l'espace réservé à cette fin » sur l'acte de divorce de M. Hossain d'avec Mme Begum. Or, l'acte de divorce en question ne semble pas nécessairement prévoir d'espace pour la signature des témoins, mais bien un espace pour inscrire la liste de leurs noms. Il s'agit donc d'une conclusion de fait douteuse de la part de la Commission, mais qui n'est nécessairement pas suffisante pour venir contrebalancer l'ensemble de toutes les autres conclusions de fait bien fondées qui sont énumérées dans la décision. La Commission n'a donc pas commis d'erreur manifestement déraisonnable à ce chapitre.

CONCLUSION




[16]            La Cour répond à la première question en litige par l'affirmative et à la deuxième question par la négative. De la Cour Fédérale d'Appel, par les juges Décary, Létourneau et Pelletier découle une logique démontrant qu'une violation des principes de justice naturelle, même prouvé, ne donne pas automatiquement ouverture au contrôle judiciaire. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. [11] L'affaire est renvoyée pour une nouvelle audition devant un tribunal différemment constitué.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que cette demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour une nouvelle audition devant un tribunal différemment constitué.

« Michel M.J. Shore »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-724-05

INTITULÉ:                                                     REMU BEGUM

c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 24 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE          

ET ORDONNANCE :                                   MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS DE

L'ORDONNANCE                     

ET ORDONNANCE :                                   LE 30 AOÛT 2005

COMPARUTIONS:

Me Pia Zambelli                                             POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

pour Me Alain Joffe

(procureur inscrit au dossier)

Me Ian Demers                                               POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me ALAIN JOFFE                                          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS C.R.                                       POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



[1] Suite à la demande de la partie défenderesse en salle de Cour, l'intitulé est modifié comme suit : « Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration » est enlevé et « Le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » est ajouté.

[2] Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 CF 317, [2002] C.A.F. no 1386.

[3] Supra.

[4] L.C. 2001, c. 27.

[5] DORS/98-106.

[6] (2004) 241 D.L.R. (4th) 146, [2004] A.C.F. no 920 (QL) au paragraphe 33.

[7] DORS/2002-228.

[8] Anwar c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1434; 2002 CFPI 1077.

45       Il est admis que les commissaires de la SSR sont en général dans une meilleure position pour juger de la crédibilitédes revendicateurs qui comparaissent devant eux. Ceci ressort dans les arrêts de la Cour d'appel fédérale comme Leung c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 685 (C.A.F.) (QL) et Aguebor, précité). Comme le remarque le juge Décary dans Aguebor, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.[...] [Non souligné dans l'original.]

46       Cependant, la Cour conserve une compétence générale et l'obligation de contrôler les décisions de la SSR, pour s'assurer qu'elles respectent les normes de décision applicables. Les décisions précitées proposent une norme d'examen fondée sur la retenue. Néanmoins, même les décisions rendues en fonction de la norme d'examen fondée sur la retenue sont susceptibles de contrôle judiciaire si les conclusions du tribunal ne sont pas justifiées par le dossier soumis à la Cour.

47       Considérant le dossier, qui contient la transcription de ce qui a été dit à l'audience de la SSR, la Cour n'est pas dans une position très désavantageuse pour évaluer les conclusions que le tribunal a tirées de la preuve admise à l'audience. Bien qu'elle [la Cour] ne révise pas le dossier pour tirer ses propres conclusions et les substituer à celles du tribunal, la Cour a néanmoins un rôle à jouer pour évaluer les conclusions de la SSR et le cheminement que le tribunal a suivi pour aboutir à ses conclusions. C'est en ayant à l'esprit ces considérations que les conclusions du tribunal sont examinées ci-après. (la Cour souligne)

[9] Velauthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 425.

[10] [2005] A.C.F no 1113 (C.F.) (QL) au paragraphe 12; Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) c. Haji-Dodi, [1996] A.C.F. no 438 paragraphe 18.

[11] Dans Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 CF 317, [2002] C.A.F. no 1386 aux paragraphes 30-35 :

30       Il est établi que "la réparation qu'une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire" (juge en chef    Lamer, Canadien Pacifique Ltée c. Bande Indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 30). Le juge en chef ajoutait, au paragraphe 31:

Le fait que le par. 18.1(3) [de la Loi sur la Cour fédérale] crée une faculté plutôt qu'une obligation conserve la nature discrétionnaire traditionnelle du contrôle judiciaire. En conséquence, les juges de la Section de première instance de la Cour fédérale [...] jouissent d'un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il y a lieu à contrôle judiciaire. Puis au paragraphe 39:

Les cours de justice procédant au contrôle judiciaire ne devraient pas prendre cette détermination discrétionnaire à la [page333] légère. Ce pouvoir discrétionnaire appartenait au juge Joyal et, à moins qu'il ait tenu compte de facteurs non pertinents, qu'il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu'il ait tiré une conclusion déraisonnable, sa décision doit être respectée. Comme l'a dit lord Diplock dans l'arrêt Hadmor Productions Ltd. c. Hamilton, [1982] 1 All E.R. 1042, à la p. 1046, une cour d'appel [TRADUCTION] "doit déférer à la décision prise par le juge dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et ne doit pas modifier cette décision simplement parce que ses membres auraient exercé le pouvoir discrétionnaire différemment".

31       Un des motifs qui peuvent amener un juge à ne pas accorder le remède demandé, quand bien même la décision sous contrôle serait révisable, est la futilitéd'une reconsidération de ladite décision. Dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a cité avec approbation cet extrait du professeur Wade, Administrative Law (6e éd., 1988), à la page 535:

[TRADUCTION] On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision. Dans le cas d'un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir. Le juge Iacobucci précisait, à la page 229, que ce motif de futilitérevêtait un "caractère exceptionnel".

32       Je    reconnais d'emblée que dans Mobil Oil, supra, il s'agissait d'un cas de manquement à la justice naturelle et d'une affaire où la réponse à la question de droit en litige était "inéluctable" (à la page 228) quand bien même la partie aurait eu l'occasion de se faire entendre.

33       Je ne vois pas pour autant d'obstacles à ce que le principe qui se dégage de Mobil Oil soit appliqué à d'autres types de situation. Le juge doit, bien sûr, agir avec une prudence extrême, pour éviter que le processus de contrôle de la légalité d'une décision ne se transforme en un processus de contrôle de son bien-fondé. Il me semble, cependant, que s'il est permis au juge d'ignorer un manquement à la justice naturelle quand le résultat est inévitable, il doit a fortiori lui être permis d'ignorer une erreur de droit quand elle n'est pas [page334] déterminante ou quand il est satisfait que si le tribunal avait adoptéle bon critère, il en serait venu à la même conclusion. Je note que cette Cour a appliqué Mobil Oil à deux reprises au moins, dans Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (F.C.A.), où le juge Stone a appliqué le principe de la futilité en expliquant que "Les paramètres à l'intérieur desquels la distinction proposée par le professeur Wade devrait s'appliquer doivent encore être déterminés" (au paragraphe 10), et dans Patel c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration)(2002), 288 N.R. 48 (C.A.F.), oùle juge Evans a rejetéune demande de contrôle judiciaire parce que "l'erreur commise par l'agente des visas a étésans conséquence sur le résultat de la demande de visa" (au paragraphe 6). Le juge Rothstein y a aussi fait référence, au paragraphe 88 de sa dissidence dans Magen David Adom canadien pour Israël c. M.R.N., 2002 CAF 323; [2002] A.C.F. no 1260 (C.A.) (QL).

34       Tout récemment, aussi, dans Wihksne c. Canada (Procureur général), (2002), 20 C.C.E.L. (3d) 20; cette Cour annulait la décision d'un membre de la Commission d'appel des pensions qui avait refusé une permission d'appeler et retournait le dossier avec directive d'accueillir la permission puisque cette conclusion était, selon la Cour, incontournable. Dans Rafuse c. Canada (Commission d'appel des pensions) (2002), 286 N.R. 385 (C.A.), cette Cour avait également reconnu qu'elle était habilitée à rendre de telles ordonnances [au paragraphe 14]    "dans les cas les plus clairs" ("in the clearest of circumstances").

35       Le cas, en l'espèce, est particulier. L'erreur relative au critère applicable est commise au deuxième palier par la Section d'appel, elle n'est pas commise au premier palier par la Commission. En dépit de cette erreur, la Section d'appel a confirmé la décision de la Commission. Si le juge en vient à la conclusion que la légalité de la décision de la Commission est inattaquable, il serait futile de casser la décision de la Section d'appel pour cause d'erreur de droit et de lui retourner l'affaire pour nouvelle détermination, puisque la Section d'appel en arriverait alors, inéluctablement, à la même conclusion, mais cette fois pour de bons motifs. (la Cour souligne)

Néanmoins, il est important de noter que de telles ordonnances ne sont que dans les cas les plus clairs; mais si ce n'est pas un des cas les plus clairs, c'est le contraire qui s'applique.

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