Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050518

Dossier : IMM-8546-04

Référence : 2005 CF 718

Montréal (Québec), le 18 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

BALBINDER SINGH

demandeur

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle l'agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente), en tant que représentante du Ministre, a refusé d'examiner la demande de résidence permanente fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en vertu de l'article 25 de la Loi.

[2]                L'agente a statué qu'une exemption en vertu de l'article 25 de la Loi, fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, n'était pas justifiée.

[3]                Pour en arriver à cette décision, l'agente a tenu compte des liens du demandeur avec le Canada, en particulier sa relation conjugale avec un citoyenne canadienne et leur enfant nouveau-né, de son expérience de travail au Canada et de ses activités au sein de la collectivité, de même que des risques, notamment de torture et de persécution, auxquels le demandeur serait exposé si on l'obligeait à retourner en Inde.

[4]                Les décisions fondées sur des raisons d'ordre humanitaire sont généralement visées par la norme de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817) en matière de contrôle judiciaire. C'est la norme qui s'applique en l'espèce.

[5]                Dans Baker, précité, la Cour suprême du Canada a rappelé qu'il était important de tenir compte adéquatement de l'intérêt supérieur de l'enfant dans le cadre d'une demande de dispense des exigences de la Loi pour des raisons d'ordre humanitaire. Par exemple, la juge L'Heureux-Dubé, au paragraphe 67, déclarait que « [l]es droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs d'ordre humanitaire centrales dans la société canadienne » .

[6]                Cependant, cette norme a créé une certaine confusion. Le fait de séparer un parent de son enfant semble toujours contraire à l'intérêt supérieur de ce dernier[1]. Cependant, la Cour d'appel fédérale a précisé cet aspect de l'arrêt Baker, précité, dans Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.). « La présence d'enfants [...] n'appelle pas un certain résultat, expliquait le juge Décary » , Legault, précité, paragraphe 12. L'intérêt supérieur de l'enfant, tout en étant important, n'est que l'un des facteurs à prendre en compte parmi d'autres considérations de la politique publique pouvant plutôt favoriser le renvoi; voir Legault, précité, paragraphes 17-28. L'agent qui doit se prononcer sur une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire doit donc prendre en compte un certain nombre de facteurs différents.

[7]                À cet égard, il est essentiel de ne pas perdre de vue la nature de l'examen effectué par la Cour lorsqu'elle applique la norme de la décision raisonnable simpliciter. Même si la Cour peut se livrer à un « examen assez poussé » de la décision (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, paragraphe 56), elle n'a pas tout le loisir, en vertu de l'arrêt Baker, précité, par exemple, de revoir les considérations relatives à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire : voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 et Legault, précité, paragraphes 9-12. De la même façon, la Cour ne peut accorder le contrôle judiciaire uniquement parce qu'elle serait arrivée à un résultat différent : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003], 1 R.C.S. 247, par. 55 et suiv.

[8]                Pourvu que l'agent soit « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant et qu'il lui accorde un « poids considérable » (Baker, précité, paragraphe 75), un tribunal exerçant un contrôle judiciaire ne peut modifier la décision de l'agent.

[9]                En ce qui concerne la décision faisant l'objet du présent examen, voici le noeud du raisonnement de l'agente concernant l'intérêt supérieur de l'enfant :

                                [...] Je ne remets pas en doute les liens affectifs qui unissent le demandeur et sa conjointe. Par contre, le demandeur s'est engagé dans une union de fait et a eu un enfant au Canada alors qu'il ne possédait pas de statut juridique ou arrêté en matière d'immigration. Dans de telles circonstances, il était raisonnable de prévoir qu'il y ait une séparation, le temps de retourner en Inde et de se procurer le visa requis par la Loi.

                                [...]

                                L'enfant du demandeur a environ quatre mois. D'abord il est important de souligner qu'il appartient au couple de décider si la conjointe et l'enfant accompagnent le demandeur en Inde. S'il est décidé que l'enfant demeure avec sa mère au Canada, la présence de cet enfant n'est pas en elle-même suffisante pour exempter le demandeur de présenter sa demande à l'étranger. Le demandeur doit démontrer qu'il est dans l'intérêt de son enfant qu'il soit autorisé à demeurer au Canada pour présenter sa demande de visa. En l'espèce, le demandeur indique qu'il veut demeurer près de son fils pour assumer ses responsabilités de père. Toutefois, il soumet peu de renseignements au sujet de son rôle de support auprès de cet enfant et de sa famille.

                                Après avoir considéré tous les éléments, je conclus qu'il n'a pas été démontré, qu'il soit dans l'intérêt supérieur de cet enfant que le demandeur soit autorisé à demeurer au Canada.

[10]            À mon avis, cette analyse de l'intérêt supérieur de l'enfant présente deux failles.

[11]            Il incombe au demandeur de fournir la preuve à l'appui d'une demande de dispense pour raisons d'ordre humanitaire (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 158 (C.A.F.) (QL)). En prenant en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, on établit toutefois dans Hawthorne, précité, que l'on peut généralement présumer que la présence du parent sera conforme à cet intérêt.

[12]            Dans ce contexte, j'estime que l'agente a imposé au demandeur le fardeau relativement lourd de démontrer que sa présence au Canada correspondait à l'intérêt supérieur de l'enfant. Le demandeur a fourni un affidavit et un témoignage de vive voix selon lesquels il était la principale source de soutien financier pour l'enfant et la mère de l'enfant, son épouse. L'agente n'a pas vraiment tenu compte de ce fait, et la Cour d'appel a déjà souligné qu'en faisant « [...] pratiquement [...] abstraction des conséquences financières du renvoi [...] sur l'enfant » , une agente ne se montre pas « récepti[ve], attenti[ve] et sensible à l'intérêt supérieur de l'enfant » : Hawthorne, précité, au paragraphe 10.

[13]            L'affidavit de son épouse confirme que cette dernière a aussi besoin du soutien matériel du demandeur. Il explique aussi clairement qu'elle a subi de mauvais traitements sur les plans physique et mental au cours de son premier mariage. Il est évident que le demandeur, en lui offrant un soutien financier et émotif, sert indirectement l'intérêt supérieur de l'enfant. Cet aspect de la dépendance, à la fois financière et émotive, se démarque nettement de la situation dans Anaschenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 1602 (C.F.) (QL), où les parents de l'enfant en cause étaient séparés.

[14]            Il est aussi vrai que le demandeur a trois enfants, tous majeurs, qui vivent actuellement en Inde. Cependant, en laissant entendre que ce fait avait joué contre la demande de dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, en venant conditionner l'intérêt supérieur d'un enfant nouveau-né, l'agente a montré qu'elle n'a pas vraiment tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant.

[15]            En résumé, le simple fait d'avoir un enfant n'est pas déterminant, mais l'agente ne peut laisser de côté des facteurs importants comme les répercussions financières du départ d'un parent ou ses répercussions potentielles sur son épouse qui a besoin de soutien sur le plan émotif. L'agente doit plutôt examiner sérieusement ce qu'est vraiment l'intérêt supérieur de l'enfant ou les « difficultés » que l'enfant devrait subir : Hawthorne, précité. En l'espèce, les « difficultés » qui pourraient en résulter pour cet enfant nouveau-né ne font tout simplement pas partie de l'analyse.

[16]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

[17]            La demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

[18]            L'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                                       « Danièle Tremblay-Lamer »     

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme        

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8546-04

INTITULÉ :                                                    BALBINDER SINGH

demandeur

            ET

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

            ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 17 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 18 MAI 2005

COMPARUTIONS:

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Marie-Claude Paquette                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)



[1]    En fait, comme le juge Décary l'a signalé dans Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2003] 2 C.F. 555, par. 5 (C.A.F.), « [...] en l'absence de circonstances exceptionnelles [...] le facteur de "l'intérêt supérieur de l'enfant" penchera en faveur du non-renvoi du parent » .

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.