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Date : 20050509

Dossier : IMM-4537-04

Référence : 2005 CF 652

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

RAJENDRA GOOLRAM

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Le demandeur, M. Rajendra Goolram, est un citoyen indo-guyanien qui prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses liens politiques présumés avec le parti indo-guyanien People's Progressive Party (PPP). Il craint que des membres du parti afro-guyanien, le People's National Congress (PNC), s'en prennent à lui et que la police ne soit pas en mesure de le protéger. Arrivé au Canada le 27 février 2002, le demandeur a présenté une demande d'asile le 28 octobre de la même année. Dans une décision datée du 27 avril 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur ntait pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La décision du tribunal reposait principalement sur le fait que le demandeur n'avait pas réussi à réfuter la présomption selon laquelle il pouvait se prévaloir de la protection de ltat.

[2]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Question en litige

[3]         La question déterminante soulevée par la présente demande est celle de savoir si la conclusion de la Commission quant à la protection de ltat était manifestement déraisonnable parce que la Commission l'a tirée sans tenir compte de la preuve. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur.

Analyse

[4]         Lvaluation de l'existence de la protection de ltat relève clairement de la compétence de la Commission. Par conséquent, la décision ne peut être annulée que si elle était manifestement déraisonnable, c'est-à -dire que la Commission l'a rendue sans tenir compte de la preuve.


[5]         On présume généralement qu'un État est capable de protéger ses citoyens. Un demandeur peut réfuter cette présomption en présentant une preuve claire et convaincante de l'incapacité de ltat de le faire (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Ainsi, il incombait au demandeur de présenter une telle preuve. Quels éléments de preuve ont-ils été produits? Le seul élément de preuve soumis par le demandeur sur ce point est qu'il ne s'est pas présenté à la police pour signaler l'incident qui aurait précipité son départ du Guyana parce que [traduction] « elle s'en moque » . Il n'a produit aucune preuve documentaire démontrant que la police, à prédominance afro-guyanienne, refuse de servir les citoyens indo-guyaniens. Dans les arguments qu'il m'a présentés, le demandeur n'a indiqué aucune preuve que les Indo-Guyaniens, qui sont considérés comme des membres présumés du PPP, sont la cible de la police ou du PNC.

[6]         En dépit des minces éléments de preuve présentés par le demandeur, la Commission disposait d'éléments de preuve documentaire qu'elle avait elle-même rassemblés. Elle a fait état de cette preuve dans sa décision, sans toutefois citer de passages précis ni mentionner de références. En ce qui concerne la preuve documentaire, elle a souligné les points suivants :

·            Le « taux de criminalité est élevé » au Guyana et, « dans une certaine mesure, la police est incapable de faire face aux difficultés que connaît le Guyana » .

·            La police « est privée de certaines ressources » .

·            « Le gouvernement guyanien a eu de grandes difficultés à attirer des personnes d'origine indo-guyanienne dans les forces policières » .


·            Il n'existe « aucune preuve [...] permettant de conclure que la police exerce une discrimination systématique, basée sur des motifs ethniques, dans l'exercice de ses fonctions » .

·            Le gouvernement « fait des efforts sérieux et a promulgué de nouvelles lois dans le but de consolider les forces policières et de sécurité » .

[7]         L'examen du dossier m'a permis de constater que la preuve est amplement suffisante pour justifier chacun de ces énoncés de la Commission. En outre, je ne peux relever aucun aspect important de la preuve documentaire se rapportant à la situation du demandeur dont la Commission n'aurait pas tenu compte.

[8]         Le demandeur voudrait que j'arrive à la conclusion que la Commission a commis une erreur en ne mentionnant aucun élément précis de la preuve documentaire. À l'appui de cet argument, il cite deux décisions récentes de la Cour -Naqui c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2005 CF 282, et Ali c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2003 CF 982. À mon avis, ces deux décisions se distinguent de la présente espèce et aucune de celles-ci ne permet d'affirmer que l'omission de faire des renvois à un document précis constitue une erreur susceptible de contrôle.


[9]         Dans Naqui, une décision de la Commission a été annulée principalement parce que la Commission avait commis une erreur dans plusieurs de ses conclusions sur la crédibilité. En ce qui concerne la conclusion subsidiaire de la Commission sur la protection de ltat, la juge MacTavish souligne, au paragraphe 31, que la Commission a fait à propos de la question de la protection de ltat une analyse « extrêmement brève » et qu'elle n'a mentionné aucun document précis. La juge fait remarquer que l' « information, qui concerne la protection de l'État dont peuvent se prévaloir les membres de la minorité chiite au Pakistan, renferme plusieurs indications contradictoires » . Au paragraphe 33, elle dit :

[...] la Cour doit être convaincue que la Commission a effectivement apprécié l'information qu'elle avait devant elle. En l'espèce, la Commission n'a fait qu'un examen superficiel de la question de la protection de l'État, un examen totalement dépourvu de tout renvoi à un document précis dans l'information relative aux conditions qui ont cours dans le pays. Ainsi que le faisait observer le juge Russell dans la décision Ali [...], il y a une différence entre le fait pour la Commission de ne pas se référer à tous les renseignements relatifs aux conditions qui ont cours dans le pays et le fait pour la Commission de n'évoquer aucun de ces renseignements.

[10]       Nous ignorons de quels éléments de preuve disposait la Commission dans cette affaire; nous ne savons pas non plus à quel point l'analyse était « extrêmement brève » . Nous savons par contre que, dans Naqui, les demandeurs avaient signalé plusieurs incidents à la police sans qu'elle y donne suite, et qu'ils avaient en outre affirméque la police « a commencé une campagne contre les chiites, les arrêtant afin de pouvoir monnayer leur libération » .

[11]       Dans Ali, le contexte est semblable à celui de Naqui, la décision ayant été annulée parce que la Commission avait commis des erreurs dans ses conclusions sur la crédibilité. Une fois encore, les demandeurs avaient présenté une preuve détaillée relativement à leurs expériences personnelles avec la police, en tant que chiites. S'appuyant sur cette preuve, le juge Russell a conclu que la Commission n'avait pas adéquatement évalué l'incidence de la violence sectaire sur le demandeur, en tenant compte de sa situation particulière.


[12]       Les efforts du demandeur pour obtenir l'aide de la police et la preuve présentée à la Commission sont assez différents, en l'espèce. Le demandeur n'a pas cherché à obtenir l'aide de la police, après avoir été prétendument agressé par des membres du PNC. Quant à la question de la protection de ltat, aucun des documents dont la Commission a été saisie n'indique que la police refuse de traiter les plaintes déposées par les Indo-Guyaniens. En conséquence, la situation sur laquelle devait se prononcer la Commission en l'espèce se distingue de celle sur laquelle la juge MacTavish s'est prononcée puisqu'il n'y a pas d'indications contradictoires sur la manière dont la police traite les Indo-Guyaniens. Il n'existe tout simplement aucune preuve objective à l'appui de la prétention du demandeur que la police refuserait de l'aider, dans lventualité où il serait victime du PNC ou de tout autre criminel.

[13]       De plus, je ne suis pas d'accord avec le demandeur lorsqu'il affirme que l'on devrait mesurer la suffisance des motifs de la Commission par le nombre de citations ou de renvois à la preuve dans les notes en bas de page. Jusqu'à preuve du contraire, la Commission est présumée avoir pesé et examiné toute la preuve dont elle a été saisie (Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)).


[14]       Dans Naqui, le « critère » défini par la juge MacTavish ne consiste pas à déterminer si des numéros de page et des extraits de la preuve ont été cités; la Cour doit plutôt être convaincue que la Commission a évalué l'information. En l'espèce, je suis convaincue que la Commission a compris et évalué la preuve. Même si elle n'a cité aucun élément de preuve précis, la Commission a décrit, bien qu'en termes généraux, la situation au Guyana, reconnaissant les difficultés, les aspects négatifs de même que les aspects positifs. Si le demandeur avait soumis sa propre preuve documentaire ou s'il avait attiré l'attention de la Commission sur des éléments de preuve versés au dossier appuyant sa prétention concernant l'effondrement complet de l'appareil étatique, il aurait sans doute incombé à la Commission de faire des renvois plus explicites à cette preuve.

[15]       En conclusion, la Commission, dans une décision qui n'est pas manifestement déraisonnable, a tiré ses conclusions à partir des éléments de preuve qui lui ont été présentés et non à partir de la preuve que le demandeur aurait aimé avoir déposée. Il incombait au demandeur de produire une preuve claire et convaincante de l'incapacité de ltat de le protéger, ce qu'il n'a pas fait.

Conclusion

[16]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n'ont proposé aucune question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.La demande est rejetée.

2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

     « Judith A. Snider »

_______________________________

                 Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-4537-04

INTITULÉ:                                                     RAJENDRA GOOLRAM c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 3 MAI 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                  LE 9 MAI 2005

COMPARUTIONS:

Robert Blanshay                                             POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Robert Blanshay                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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