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Date : 20010221

Dossier : IMM-1203-00

Référence neutre : 2001 CFPI 98

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 FÉVRIER 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                  LINCOLN LEONLEY SADDLER

                                                                                                   demandeur

                                                      - et -

           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                     défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Lincoln Leonley Saddler (le demandeur) a présenté une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le représentant du ministre) a statué, le 4 février 2000, en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.


LES FAITS

[2]         Le demandeur, âgé de 46 ans, est un citoyen de la Jamaïque qui est né à St. Mary, en Jamaïque, le 14 mai 1953. Il est arrivé au Canada le 22 janvier 1974 et demeure ici depuis cette date.

[3]         Le 7 décembre 1999, le demandeur a reçu un avis de Citoyenneté et Immigration Canada l'informant qu'une opinion du ministre avait été demandée en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration afin qu'il soit déclaré constituer un danger pour le public au Canada.

[4]         Le 1er février 2000, le représentant du ministre a rendu une décision portant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[5]         Le 24 février 2000, le demandeur a été informé de la décision du représentant du ministre.

[6]         Le 9 mars 2000, l'avocat du demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre.


[7]         Le 13 mars 2000, l'avocat du demandeur a demandé au représentant du ministre de lui fournir une copie du dossier du demandeur, y compris tous les documents sur lesquels le représentant du ministre avait fondé sa décision.

[8]         Le 21 mars 2000, l'avocat du demandeur a reçu les documents demandés.

[9]         Le demandeur n'a pas obtenu la Demande d'avis du ministre ni le rapport Danger pour le public - Rapport concernant l'avis du ministre.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]       Le représentant du ministre a-t-il contrevenu aux principes d'équité procédurale en ne divulguant pas au demandeur tous les documents sur lesquels il a fondé sa décision de déclarer que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

ANALYSE

[11]       L'avocat du demandeur soutient que le droit régissant le degré d'équité et la portée de la divulgation auxquels le représentant du ministre est tenu envers la personne visée par un avis de danger est bien énoncé dans l'arrêt Bhagwandass[1].


[12]       Dans l'affaire Bhagwandass, les motifs à l'appui de la décision portant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada n'avaient pas été fournis. De plus, dans cette affaire comme dans celle dont la Cour est saisie aujourd'hui, le représentant du ministre disposait de notes contenues dans deux documents qui n'avaient pas été divulgués. Premièrement, une Demande d'avis du ministre comprenant un résumé sur le danger que le demandeur était susceptible de constituer et les considérations sur le risque auquel ce dernier serait exposé s'il était renvoyé, résumé qui contenait également les remarques et recommandations de l'agent chargé d'examiner le cas et qui faisait état non seulement des recommandations de l'agent mais également de l'avis concordant d'un analyste principal de l'examen des cas rattaché à la Direction générale du règlement des cas. Deuxièmement, un document intitulé Danger pour le public - Rapport concernant l'avis du ministre.

[13]       Comme en l'espèce, aucun de ces documents n'avait été divulgué à M. Bhagwandass avant le prononcé de la décision du représentant du ministre.

[14]       Dans l'affaire Bhagwandass, le juge Gibson a statué que le représentant du ministre n'avait pas fait bénéficier le demandeur du degré d'équité procédurale exigé par la loi. Bien que le demandeur ait été avisé du fait que Citoyenneté et Immigration Canada avait demandé l'avis du ministre selon lequel il constituait un danger pour le public au Canada, il n'avait pas reçu la Demande d'avis du ministre ni le rapport Danger pour le public - Rapport concernant l'avis du ministre.


[15]       Le demandeur en l'espèce a eu l'occasion de présenter des observations et des documents concernant tous les autres éléments soumis au représentant du ministre, mais les deux documents susmentionnés ne lui ont pas été communiqués et il n'a pas eu la possibilité d'y répondre.

[16]       Dans la décision Bhagwandass, le juge Gibson a analysé les conséquences de la non-divulgation de tels documents sur l'équité procédurale du processus et il a dit :

Ces deux documents paraissent ensemble résumer les documents qui, selon ce qu'on a dit au demandeur, auraient servi au défendeur pour déterminer s'il devait ou non formuler un avis selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public, de même que la réponse du demandeur face à ces documents. Le demandeur a eu l'occasion de faire des observations et de fournir des documents concernant tous les autres documents dont le représentant du défendeur a été saisi, mais il n'a pu consulter ces deux documents « récapitulatifs » et n'a pas eu l'occasion d'y répondre.

[...]

Vu l'incidence de l'avis, qui fait l'objet du présent contrôle, selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public, j'estime que le défendeur n'a pas rempli l'obligation d'équité qui lui incombait à l'égard de ce dernier. En particulier, le défendeur a omis d'accorder au demandeur ses droits de participation, lorsqu'il a omis de lui fournir l'occasion d'examiner et, le cas échéant, de répondre aux rapports récapitulatifs et, dans le cas où il avait fourni une telle réponse, de soumettre cette dernière à son représentant.[2]

[17]       Depuis l'affaire Bhagwandass, la Cour s'est prononcée sur cette question à plusieurs occasions. Deux approches se dégagent, dont l'une seulement appuie le raisonnement adopté dans l'affaire Bhagwandass. L'approche que je privilégie et que je retiens est celle énoncée par le juge Hugessen dans l'affaire Qazi :


La présente espèce est si similaire à Bhagwandass c. Canada qu'on ne peut, en fait, la distinguer de cette décision de M. le juge Gibson. Dans cette affaire, il a conclu que la jurisprudence de notre Cour, notamment l'arrêt Williams c. Canada de la Cour d'appel, avait été supplantée par l'arrêt Baker c. Canada de la Cour suprême du Canada et que le ministre devait respecter une certaine exigence en matière d'équité lorsqu'il tranchait la question de savoir si une personne constitue un danger pour le public au Canada; il a conclu qu'en vertu de cette exigence, le ministre avait l'obligation de communiquer au demandeur les documents qui, dans cette affaire, étaient similaires à ceux que je viens de décrire. La décision Bhagwandass a été suivie ou citée avec approbation par notre Cour au moins à deux occasions, très récentes par ailleurs : Andino et Gonzalez. Elle a également été implicitement critiquée ou non suivie dans deux autres décisions: Siavashi et Tewelde.

[...]

J'estime qu'il est dorénavant très clair, compte tenu de l'arrêt Baker et du message très clair que la Cour suprême nous a envoyé au sujet de la nature de l'obligation d'agir équitablement relativement à des décisions qui étaient jadis considérées comme étant purement discrétionnaires et comme n'ayant qu'un très faible, voire aucun contenu d'équité, que nous devons considérer que l'avis sur le danger a de graves conséquences pour la personne qui en fait l'objet. En effet, il retire à cette personne un droit légal illimité d'interjeter appel devant un organisme indépendant, autonome et quasi-judiciaire. Il remplace ce droit, s'il en est, par le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire pour des motifs limités, et le droit de chercher à obtenir, en s'adressant au pouvoir exécutif, une réparation strictement discrétionnaire pour des motifs d'ordre humanitaire.

[...]

En bref, j'estime que l'obligation d'agir équitablement en l'espèce obligeait le ministre à communiquer au demandeur le contenu tant du rapport d'enquête que du rapport du bureau principal.[3]

[18]       Je retiens le raisonnement du juge Hugessen et je conclus que l'obligation d'agir équitablement exigeait en l'espèce que les rapports susmentionnés soient divulgués au demandeur.


[19]       Après avoir examiné les documents soumis à la Cour et entendu les avocats des parties, je conclus que le demandeur aurait dû, compte tenu des faits en cause et de l'arrêt Baker, obtenir les documents intitulés Demande d'avis du ministre et Danger pour le public - Rapport concernant l'avis du ministre, sur lesquels le représentant s'est appuyé pour rendre sa décision.

[20]       À mon avis, la présente instance est semblable à l'affaire Bhagwandass. Je conclus que le demandeur n'a pas bénéficié du degré d'équité procédurale exigé par la loi.

[21]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, l'avis du défendeur portant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada exprimé en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration sera annulé et l'affaire sera renvoyée au défendeur pour réexamen.

[22]       Je certifie la question grave de portée générale suivante en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration :

Existe-il une obligation de divulguer et de communiquer le formulaire de Demande d'avis du ministre et le rapport Danger pour le public - Rapport concernant l'avis du ministre au demandeur et de lui donner l'occasion d'y répondre avant que le représentant du ministre rende sa décision en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 46.01e) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), c. I-2?


ORDONNANCE

LA COUR STATUE QUE :

1.                   L'avis du défendeur portant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, exprimé en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, est annulé et l'affaire est renvoyée au défendeur pour réexamen par un représentant différent du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

          « Edmond P. Blanchard »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                     IMM-1203-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Lincoln Leonley Saddler c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   13 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

EN DATE DU :                                     21 février 2001

ONT COMPARU :

Me Michael Korman                                          POUR LE DEMANDEUR

Me Ann Margaret Oberst                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[2] Ibid.

[3] Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1222, IMM-5317-99.

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