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Date : 20050725

Dossier : IMM-7899-04

Référence : 2005 CF 1026

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                            EMEKA ELEMUWA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Le demandeur, Emeka Elemuwa, réclame le contrôle judiciaire de la décision prise le 13 septembre 2004 par le délégué du ministre (le délégué) selon laquelle le demandeur est interdit de territoire au Canada et que sa demande d'asile ne peut être entendue parce qu'il fait l'objet d'une mesure d'exclusion.

[2]                Le demandeur demande à la Cour d'annuler la décision du délégué et de lui permettre de revendiquer le statut de réfugié.

LE CONTEXTE

[3]                Le demandeur, un citoyen du Nigéria, est arrivé au Canada en septembre 2004. Ses bagages ont été fouillés au point d'entrée et à l'intérieur se trouvait un certain nombre d'objets qui lui auraient permis de contrefaire des documents, de même que deux passeports portant son nom, mais donnant des dates de naissance différentes.


[4]                Deux agents d'immigration l'ont rencontré au point d'entrée. Le demandeur a déclaré au premier agent qu'il venait au Canada en tant que touriste, mais qu'il avait travaillé pour une compagnie d'aviation en Éthiopie et qu'il n'aurait aucune difficulté particulière s'il devait rentrer au Nigéria. Au deuxième agent, le demandeur a déclaré qu'il souhaitait vivre et travailler au Canada. Les deux agents ont jugé que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l'article 41 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), parce qu'il ne disposait pas des documents appropriés pour travailler et résider légalement au Canada, comme l'exige la loi. Les conclusions des agents ont été transmises au délégué et ont mené à l'exclusion du demandeur et à l'impossibilité pour lui de demander l'asile aux termes de la Convention.

[5]                L'autorisation de déposer la présente demande de contrôle judiciaire lui a été accordée le 20 janvier 2005.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Le 13 septembre 2004, le délégué a reçu le rapport des deux agents d'immigration qui ont interrogé le demandeur au point d'entrée et il a jugé que leurs recommandations étaient justifiées. Par conséquent, le délégué a pris une mesure d'exclusion contre le demandeur.

[7]                Le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada aux termes de l'article 41 de la LIPR, puisqu'il ne se conformait pas à la LIPR, plus précisément à son alinéa 20(1)b) et à l'article 8 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui exige que tous les étrangers soient munis d'un visa ou d'un autre document réglementaire.


[8]                Dans ses notes, le délégué a mentionné qu'il avait rencontré le demandeur pour lui expliquer la mesure de renvoi qui avait été prise contre lui, ce qui avait déclenché chez lui une crise de panique et lui avait fait dire que sa vie était menacée au Nigéria. Le délégué a noté que la tentative de revendiquer le statut de réfugié, faite par le demandeur uniquement après qu'une mesure d'exclusion eut été prise contre lui, indique qu'il réclamait ce statut à seule fin de demeurer au Canada. Le délégué a souligné les incohérences dans les déclarations du demandeur, qui a déclaré que pendant qu'il travaillait en Éthiopie, il y avait demandé l'asile pour ne pas retourner au Nigéria. Pourtant, le demandeur a déclaré qu'il avait à plusieurs reprises demandé à communiquer avec l'ambassade du Nigéria en Éthiopie, tout en réclamant l'asile pour ne pas avoir à y retourner. Le délégué note de plus que le demandeur a d'abord affirmé qu'il était venu au Canada à titre de touriste et qu'ensuite il avait déclaré qu'il y était venu éventuellement pour y vivre.

[9]                Le délégué a estimé que la demande d'asile du demandeur ne pouvait pas être entendue en vertu du paragraphe 99(3) de la LIPR parce qu'il faisait l'objet d'une mesure d'exclusion.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Les deux questions suivantes sont soulevées dans la présente demande :

1)         Le délégué a-t-il commis une erreur en prenant la mesure d'exclusion et en rejetant la demande d'asile du demandeur?

2)         La présente demande de contrôle judiciaire devrait-elle être rejetée parce que la demande d'autorisation n'a pas été signifiée personnellement au défendeur?


ANALYSE

1)         Le délégué a-t-il commis une erreur en prenant la mesure d'exclusion et en rejetant la demande d'asile du demandeur?

[11]            L'article 41 de la LIPR prévoit qu'un étranger peut être interdit de territoire pour manquement à la loi.


41. Manquement à la loi

S'agissant de l'étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait -- acte ou omission -- commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s'agissant du résident permanent, le manquement à l'obligation de résidence et aux conditions imposées.

41. Non-compliance with Act

A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.


[12]            L'interdiction de territoire a été déclarée contre le demandeur parce qu'il ne respectait pas l'alinéa 20(1)b) de la LIPR et l'article 8 du Règlement qui prévoient ce qui suit :


20. Obligation à l'entrée au Canada

(1) L'étranger non visé à l'article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

b) pour devenir un résident temporaire, qu'il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

20. Obligation on entry

(1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.




8. Permis de travail

(1) L'étranger ne peut entrer au Canada pour y travailler que s'il a préalablement obtenu un permis de travail.

8. Work permit


[13]          Le demandeur avance un certain nombre d'arguments à l'appui de sa prétention selon laquelle la mesure d'exclusion a été prise à tort contre lui et que le délégué a commis une erreur en n'acceptant pas sa demande d'asile. Le demandeur prétend qu'il est venu au Canada légalement, qu'il y a été admis légalement et qu'il a demandé l'asile avant que la mesure d'exclusion soit prise contre lui. Le demandeur soutient que le compte rendu du défendeur concernant son entrée au Canada est incohérent. Le demandeur déclare que, au cours de l'audition d'une requête pour faire surseoir à une mesure de renvoi, qui a eu lieu le 14 septembre 2004, le défendeur avait fait valoir d'une part que le demandeur avait essayé d'entrer au Canada illégalement. Par contre, dans ses observations écrites déposées au dossier de la requête du 17 septembre 2004, le défendeur admet que le demandeur a été admis au Canada et que son admission a par la suite été annulée après qu'on eut trouvé certains documents dans ses bagages. Le demandeur soutient que le défendeur avait le fardeau de présenter un compte rendu exact des faits, exempt d'incohérences, pour que la Cour puisse rendre une décision appropriée.


[14]            Le demandeur soutient de plus que le délégué a mal interprété le Règlement en ne reconnaissant pas [traduction] « qu'un étranger peut entrer au Canada sans être muni d'un permis de travail et quand même y travailler ou échanger son visa pour un permis de travail » . Finalement, le demandeur prétend que le défendeur n'a pas une attitude irréprochable. Le demandeur soutient que le défendeur a essayé de tromper la Cour en déclarant qu'il est entré au Canada illégalement et en n'insistant pas devant la Cour sur le fait que, dans sa première réponse au sujet de l'objet de son séjour au Canada, le demandeur avait répondu qu'il venait à titre de touriste, et non pas pour y résider et y travailler. Le demandeur soutient en outre que le défendeur n'a pas communiqué à la Cour et à son avocat tous les éléments d'information et tous les documents qui étaient en sa possession.


[15]            Je suis d'avis que les arguments ci-dessus avancés par le demandeur ne sont pas du tout fondés. Dans le contexte de la présente demande, il n'est d'aucune utilité de débattre des questions de fait et de droit dont la Cour était saisie au cours de l'audience visant à obtenir un sursis de dernière minute et pour laquelle la partie défenderesse avait eu très peu de temps pour se préparer. Il n'est pas contesté que, au point d'entrée, le demandeur a déclaré qu'il entrait au Canada à titre de visiteur et qu'après avoir été interrogé il a dit qu'il avait l'intention de vivre et de travailler au Canada. Le demandeur n'était pas muni d'un permis de travail. À mon avis, contrairement à ce que le demandeur a allégué, le pouvoir discrétionnaire d'un agent d'immigration n'est pas si étendu qu'il puisse accorder l'admission au Canada à un étranger qui aimerait y travailler. J'accepte la position du défendeur selon laquelle l'article 8 du Règlement indique clairement que tous les étrangers doivent obtenir un permis de travail avant d'entrer au Canada et que la seule exception à cette obligation est énoncée à l'article 186 du Règlement. Il est manifeste que le demandeur ne respecte aucun des critères des exceptions énoncées à l'article 186 et par conséquent il ne peut obtenir un permis de travail. Il s'ensuit que le demandeur n'était pas en possession d'un permis de travail et par conséquent qu'il essayait d'entrer au Canada en contravention des dispositions de l'alinéa 20(1)b) de la LIPR, qui exige que tous les résidents temporaires soient munis d'un visa et des documents exigés par le Règlement. À mon avis, les agents d'immigration ont correctement décidé que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l'article 41 de la Loi. Je suis en outre d'avis qu'il était loisible au délégué, sur réception du rapport préparé par les agents d'immigration, de prendre une mesure d'exclusion conformément au sous-alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement, qui prévoit ce qui suit :


228. (1) Pour l'application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d'interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l'une des circonstances ci-après, l'affaire n'est pas déférée à la Section de l'immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

[...]

228.(1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsection (3), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order shall be

[...]

c) en cas d'interdiction de territoire de l'étranger au titre de l'article 41 de la Loi pour manquement à :

[...]

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

[...]

(iii) l'obligation prévue à l'article 20 de la Loi de prouver qu'il détient les visa et autres documents réglementaires, l'exclusion, [...]

[Non souligné dans l'original.]

(iii) failing to establish that they hold the visa or other document as required under section 20 of the Act, an exclusion order, [...]

(My emphasis)



[16]            Pour ce qui est de la prétention du demandeur selon laquelle le délégué a pris la mesure d'exclusion malgré qu'une demande d'asile ait été faite, c'est au demandeur qu'il incombe d'établir d'après la prépondérance de la preuve que les faits se sont produits selon ce qui est allégué dans son mémoire. Essentiellement, le demandeur allègue qu'en refusant d'accepter la demande d'asile l'agent d'immigration a agi contrairement à la LIPR et aux obligations internationales du Canada. Le demandeur met en doute l'intégrité de l'agent, mais afin de prouver ses allégations, les faits sur lesquels celles-ci se fondent doivent être énoncés. La preuve fournie par le demandeur n'appuie pas ses allégations et, par conséquent, il ne s'est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.

[17]            En outre, il ressort du propre affidavit du demandeur que son intention était tout d'abord d'obtenir l'admission au Canada et ensuite de présenter de l'intérieur du pays une demande d'asile. Les paragraphes 7 et 13 de son affidavit sont particulièrement révélateurs à ce sujet :

[TRADUCTION]

7.              Le 13 septembre 2003, je suis entré au Canada pour la deuxième fois au cours de cette année, et au point d'entrée j'ai présenté mon passeport et mon visa valides (P-1 et P-2) à l'agent d'immigration à l'aéroport, et je m'attendais à être admis comme d'habitude sans question, et ensuite à me présenter à un bureau intérieur au 1010 de la rue St-Antoine pour déposer ma demande d'asile [...].

13.            Puisque j'avais déjà un visa valide, j'étais certain que je pourrais toujours être admis au Canada. J'ai visité le Canada auparavant et je connais la ville de Montréal assez bien. Je sais que le bureau d'immigration est situé au 1010, rue St-Antoine où j'avais l'intention de me rendre pour présenter ma demande d'asile.

[18]            Pour ce qui est de l'argument du demandeur selon lequel le défendeur n'avait pas une attitude irréprochable devant la Cour, je suis d'avis que même si cette doctrine de l'attitude irréprochable était applicable en l'espèce, ce qui n'est pas le cas à mon avis, le demandeur n'a établi aucun des éléments qu'il propose à l'appui de son argumentation.

[19]            Par conséquent, j'estime que, d'après la preuve, il était loisible au délégué d'accepter le rapport des agents d'immigration comme étant justifié et de prendre la mesure d'exclusion.

2.         La présente demande de contrôle judiciaire devrait-elle être rejetée parce que la demande d'autorisation n'a pas été signifiée personnellement au défendeur?

[20]            Compte tenu du fait que mes conclusions concernant la première question règlent définitivement la présente demande de contrôle judiciaire, il n'est pas nécessaire d'analyser cette deuxième question.

CONCLUSION

[21]            Pour les motifs précités, je conclus que le délégué a eu raison d'accepter comme justifié le rapport des agents d'immigration et qu'il a également eu raison de prendre par la suite la mesure d'exclusion. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[22]            Les parties ont eu l'occasion de formuler une question grave de portée générale prévue à l'alinéa 74d) de la LIPR mais ils ne l'ont pas fait. Je ne certifie donc aucune question grave de portée générale.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                     _ Edmond P. Blanchard _                    

                                                                                                                                                     Juge                                    

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-7899-04

INTITULÉ :                                              Emeka Elemuwa c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 20 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                             le 25 juillet 2005

COMPARUTIONS :

Idorenyin E. Amana                                                    Pour le demandeur

Ian Demers                                                                 Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Idorenyin E. Amana                                                    Pour le demandeur

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                       Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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