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Date : 20050118

Dossier : IMM-3123-04

Référence : 2005 CF 34

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2005.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                        INDERPAL SINGH GILL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                En première instance, le juge des faits peut fonder sa conclusion relative à la crédibilité sur le poids relatif propre de quelques rares points de fait, mais des points essentiels. La conclusion qui concerne la crédibilité doit pouvoir se justifier pour que sa décision soit adéquatement motivée.


PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui, le 8 mars 2004, lui refusait le statut de « réfugié au sens de la Convention » , expression définie dans l'article 96 de la LIPR, et aussi le statut de « personne à protéger » , expression définie dans le paragraphe 97(1).

LES FAITS


[3]                Le demandeur, M. Inderpal Singh Gill, un ressortissant indien, dit qu'il était un chauffeur de taxi et qu'il était souvent forcé de transporter gratuitement des membres de la force policière pour qu'ils traquent les terroristes. Il dit aussi qu'il avait été arrêté trois fois, insulté et torturé par la police, qui le soupçonnait de transporter des terroristes et leurs armes. La première détention aurait duré sept jours, la seconde un jour et la troisième six jours. La police lui a demandé de l'aider dans sa chasse aux terroristes, et cela d'une manière continue jusqu'au 25 janvier 2003; et la police a menacé de l'arrêter et de le tuer s'il n'accédait pas à ses exigences. Le demandeur dit qu'il n'a pas aidé la police, et la police a donc arrêté son père. C'est alors que le demandeur a décidé de quitter son pays.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[4]                La Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible, et cela pour trois raisons. Elle a jugé aussi que le demandeur n'avait présenté aucune preuve crédible montrant qu'il était une personne à protéger.

POINTS LITIGIEUX

[5]                1. Était-il manifestement déraisonnable pour la Commission de dire que le demandeur n'était pas crédible?

2. Une conclusion de non-crédibilité au titre de l'article 96 justifie-t-elle le rejet d'une revendication fondée sur l'article 97?


ANALYSE

1. Était-il manifestement déraisonnable pour la Commission de dire que le demandeur n'était pas crédible?

[6]                Lorsque la crédibilité est en jeu, l'erreur de la Commission doit être manifestement déraisonnable avant que la Cour ne puisse intervenir [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[2], Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4]].

[7]                La Commission a exposé les motifs suivants :

Après avoir analysé toute la preuve tant testimoniale que documentaire, le tribunal n'a pas trouvé le demandeur crédible pour les raisons suivantes.

Premièrement, alors qu'il prétend avoir conduit dans son taxi les policiers à la recherche des terroristes (militants) le demandeur a déclaré tantôt les avoir rencontrés, tantôt ne les avoir jamais vus.

Le tribunal estime que cette déclaration contradictoire mine la crédibilité du demandeur. En répondant qu'il ne les a jamais vus, il confirme l'idée qui se dégage de la preuve documentaire selon laquelle le militantisme sikh a été réduit à sa plus simple expression. Ne subsisterait qu'un militantisme résiduel. Dans les circonstances, le tribunal ne croît (sic) pas que la police qui connaissait le taxi du demandeur puisse l'arrêter en le soupçonnant de transporter les militants et leurs effets.


Deuxièmement, les allégations du demandeur sont à l'effet qu'il a été arrêté trois fois et torturé. Le tribunal trouve invraisemblable qu'il n'ait pas quitté immédiatement le Punjab. Interrogé, il a prétendu qu'il avait sa mère et son travail. Le tribunal ne peut se satisfaire d'une telle réponse parce que la connaissance que le demandeur avait des méthodes de la police qu'il accompagnait à la recherche des terroristes aurait pu le décider à quitter. Cette incohérence dans son attitude en rajoute à son manque de crédibilité.

Troisièmement, alors que le demandeur prétend avoir été arrêté et torturé, le tribunal constate, selon sa réponse à la question 41 du Formulaire de renseignements personnels (FRP), qu'il n'a pas porté plainte. Interrogé, il a prétendu avoir contacté un avocat d'une part et d'autre part, avoir été découragé par le syndicat.

Le tribunal considère ces réponses comme des ajouts. En effet, ces réponses auraient dû figurer à son FRP où le libellé de la question 41 est assez clair : « Précisez les mesures que vous avez prises pour obtenir la protection des autorités de votre pays et les résultats obtenus si vous n'avez pas essayé d'obtenir cette protection, précisez la raison » .

Le tribunal est d'avis que l'ajout dans ce contexte en rajoute au manque de crédibilité du demandeur.

[8]                Après avoir lu attentivement la transcription, la Cour est d'avis que la décision de la Commission de ne pas croire le demandeur n'était pas manifestement déraisonnable. La Cour constate que les motifs de la Commission sont relativement brefs, mais suffisants. Sur ce point, la Cour adopte le point de vue exprimé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Jaworski c. Canada (Procureur général)[5] : elle avait trouvé acceptables les motifs de la décision du commissaire de confirmer la conclusion du comité d'arbitrage selon laquelle Jaworski était coupable d'inconduite :

Les motifs qu'avait le Commissaire de confirmer la décision du comité d'arbitrage et de rejeter celle du comité externe étaient brefs, mais ils suffisaient pour répondre à l'obligation légale d'exposer des motifs. (Non souligné dans l'original)

[9]                Néanmoins, la Cour est d'avis que la Commission aurait pu se référer d'une manière précise, plutôt que d'une manière générale, à la preuve documentaire montrant que les activités des militants sikhs ont en fait notablement diminué ces dernières années.

2. Une conclusion de non-crédibilité au titre de l'article 96 justifie-t-elle le rejet d'une revendication fondée sur l'article 97?

[10]            Le demandeur fait valoir que, même si la Commission a jugé non crédible son témoignage, il a produit une preuve suffisante, quand bien même ne serait-elle que documentaire, pour amener la Commission à conclure qu'il était une personne à protéger, en vertu de l'alinéa 97(1)a) de la LIPR, et cela en raison du risque pour lui d'être soumis à la torture s'il retournait dans son pays. Selon le demandeur, la section 9.4 du Rapport de la mission d'enquête au Penjab (le rapport), entre autres documents présentés à la Commission sur ce point, montre que les demandeurs d'asile déboutés risquent d'être soumis à la torture s'ils sont renvoyés en Inde. Voici les extraits pertinents du rapport :

[traduction]

Le HCNUR a observé que, d'après son information générale sur les Indiens qui sont retournés dans leur pays après avoir été déboutés de leurs demandes d'asile, les rapatriés n'avaient pas de difficulté s'ils retournaient munis de documents de voyage valides et si leur départ avait également eu lieu à la faveur de documents valides. Ceux qui ne s'étaient pas conformés aux lois indiennes à leur départ de l'Inde et à leur retour en Inde pouvaient être poursuivis. Selon la Loi sur les passeports, la peine maximale était un emprisonnement de deux ans ou une amende maximale de 5 000 roupies (environ 800 couronnes danoises).


Selon le HCNUR, les demandeurs d'asile indiens déboutés qui retournaient en Inde munis de documents de voyage temporaires pouvaient entrer dans le pays sans difficulté, mais, s'ils arrivaient après la date d'expiration de leur passeport, alors ils étaient interrogés sur les raisons de ce fait. Les rapatriés étaient interrogés brièvement et pouvaient alors quitter l'aéroport. Si le fait que le rapatrié avait demandé l'asile ou le statut de réfugié à l'étranger ne venait pas à la connaissance des autorités indiennes de l'immigration, alors il ne suscitait pas une attention particulière, si ce n'est l'éventualité d'une poursuite pour avoir contrevenu à la Loi sur les passeports.

Le HCNUR a aussi fait remarquer que, lorsque les autorités indiennes apprenaient que l'asile avait été refusé à la personne rapatriée, il y avait des chances pour qu'elles la détiennent brièvement afin de l'interroger, pour ensuite la relâcher, à moins que l'intéressé n'éveille leurs soupçons en raison de son comportement ou à moins qu'il ne fût recherché par les services de sécurité indiens...

Cependant, le fait d'avoir demandé l'asile dans un autre pays ne serait pas considéré comme une infraction à moins que la personne concernée n'ait eu des liens avec un groupe terroriste ou un mouvement séparatiste et puisse être rattachée à des activités susceptibles de mettre en péril la souveraineté, l'intégrité ou la sécurité de l'Inde...

S'agissant des demandeurs d'asile indiens qui étaient déjà recherchés par les autorités indiennes pour des infractions antérieures, par exemple un rôle supposé dans un groupe terroriste, leur retour en Inde conduirait certainement à des poursuites, quel que soit l'endroit de débarquement du ressortissant indien ou quelle que soit la direction qu'il prendrait par la suite.

[11]            Quant au demandeur, il cite un autre extrait du même rapport :

[traduction]L'avocat spécialisé en droits de la personne, Ranjan Lakhanpal, a dit que les rapatriés étaient interrogés à l'aéroport, puis torturés, car tous les rapatriés étaient considérés comme suspects. M. Lakhanpal a dit qu'il avait connaissance du cas d'une personne qui avait été renvoyée des États-Unis deux années auparavant. Cette personne avait été relâchée au bout de deux mois. Baljit Kaur (Mouvement contre la répression d'État) a dit aussi que les rapatriés étaient considérés comme suspects, puis détenus et torturés. Un autre membre du Mouvement, Inderjit Singh Jaijee, a ajouté que ceux qui étaient renvoyés en Inde en tant que demandeurs d'asile déboutés étaient automatiquement interrogés et, selon M. Jaijee, l'interrogatoire se faisait sous la torture. M. Jaijee a dit que l'interrogatoire n'avait pas lieu à l'aéroport, mais que l'intéressé était emmené dans un poste de police.


[12]            La Cour fait remarquer que, bien que le rapport nous renseigne sur la rigueur des sanctions, le HCNUR ne dit rien sur le risque de torture, mais plutôt pose des questions et généralement explore le risque pour un rapatrié de subir dans tel ou tel cas une brève période de détention. Par ailleurs, sur les trois spécialistes qui font état d'un risque de torture, aucun ne donne d'autres détails et un seul fait référence à un cas précis de détention. La Cour voudrait également faire observer que, puisque le demandeur n'a pas été jugé crédible à propos de son lien avec des terroristes, on ne saurait dire qu'il entre dans la catégorie des « demandeurs d'asile indiens qui étaient déjà recherchés par les autorités indiennes pour des infractions antérieures, par exemple un rôle supposé dans un groupe terroriste » , lesquels pouvaient, selon le rapport, être l'objet de sanctions plus graves.

[13]            Quoi qu'il en soit, une section d'un rapport, lue intégralement, fait aussi état de vues divergentes; et, dans son contexte, cette unique section ne saurait conduire la Commission à conclure qu'il y a des « motifs sérieux de croire » qu'une personne sera soumise à la torture si elle est renvoyée dans son pays. C'est à la Commission, et à la Commission seule, qu'il appartient de tirer une telle conclusion, tant en sa qualité de tribunal spécialisé dans l'évaluation de la preuve documentaire qu'en sa qualité de juge des faits en première instance.


[14]            En l'espèce, la Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible dans sa revendication du statut de réfugié selon l'article 96; et, puisque la Commission n'a conclu à l'existence d'aucune autre preuve crédible, il ne restait aucun motif sérieux qui eût permis à la Commission de dire que le demandeur risquait d'être soumis à la torture selon ce que prévoit l'alinéa 97(1)a) de la LIPR [Gonulcan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6] et Pradeep Singh Atwal c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration[7]].

DISPOSITIF

[15]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la première question et par l'affirmative à la seconde question. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n'est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3123-04

INTITULÉ :                                        INDERPAL SINGH GILL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       LE 18 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand                                      POUR LE DEMANDEUR

Mario Blanchard                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERTRAND, DESLAURIERS                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.), _1993_ A.C.F. n ° 732 (QL).

[3] (2001) 11 Imm. L.R. (3d) 233 (C.F. 1re inst.), _2000_A.C.F. n ° 2001 (QL).

[4] (2000) 173 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.), _1999_ A.C.F. n ° 1283 (QL).

[5] (2000) 25 Admin. L.R. (3d) 142 (C.A.F.), [2000] A.C.F. n ° 643 (QL), au paragraphe 84.

[6] [2004] A.C.F. n ° 486 (QL).

[7] IMM-4518-02, 2 septembre 2003 (juge Martineau).


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