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Date : 20050407

Dossier : IMM-3749-04

Référence : 2005 CF 464

Toronto (Ontario), le 7 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                               RASMUSSEN TORRES HERRERA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de rejeter, en date du 30 mars 2004, la demande d'asile présentée par le demandeur en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

[2]                Le demandeur, un citoyen de Colombie âgé de 31 ans, craint d'être persécuté par les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (forces armées révolutionnaires de Colombie) (les FARC) du fait de ses opinions politiques.

[3]                La SPR a statué que le demandeur était exclu par l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés) parce qu'il avait été complice de crimes contre l'humanité. Le demandeur pose une question importante : cette décision est-elle fondée sur une erreur de droit ou de fait susceptible de contrôle?

[4]                Les faits suivants ne sont pas contestés. À la fin de son service militaire obligatoire normal d'une durée d'un an, le demandeur a été désigné comme l'un des douze meilleurs soldats de son groupe de réservistes. Il est devenu sous-lieutenant dans l'armée de réserve et a travaillé à titre de volontaire comme agent de recrutement au bureau de recrutement de la 4e brigade, à Medellin. Il a participé à deux campagnes de recrutement de 1993 à 1996, et à une autre en décembre 1999 ou en janvier 2000, au cours desquelles il a eu des entrevues avec des candidats et a aidé à sélectionner les plus qualifiés pour l'armée. Ce travail de recrutement occupait le demandeur environ douze semaines par année. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les membres de l'armée colombienne ont commis des crimes contre l'humanité à l'époque où le demandeur travaillait comme agent de recrutement.


[5]                La SPR a fondé sa décision sur son interprétation de l'arrêt Ramirez c. M.E.I., [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), et sur des conclusions de fait importantes concernant la connaissance, par le demandeur, des crimes commis. Je suis d'accord avec le demandeur lorsqu'il dit que chacun de ces éléments de la décision de la SPR comporte des erreurs manifestes.

[6]                En ce qui concerne la conclusion de droit, la SPR a cité l'extrait suivant, qui serait tiré de l'arrêt Ramirez, précité :

... la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié. Toutefois, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution [¼] un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à mon avis, être qualifié de simple spectateur...

[Non souligné dans l'original]

(Décision, p. 5)

En fait, cet extrait ne se trouve pas dans Ramirez, précité. Il semble plutôt s'agir d'une sorte de « résumé » des paragraphes 16 à 18 de cet arrêt, lesquels indiquent ce qui suit :

16 Quel est, alors, le degré de complicité requis? La première conclusion à laquelle je parviens est que la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié. De fait, cette conclusion concorde avec l'intention des États signataires, ainsi qu'il appert du Tribunal militaire international de l'après-guerre, mentionné plus haut. Grahl-Madsen affirme (supra, à la page 277) :

[TRADUCTION] Il importe de signaler que le Tribunal militaire international a exclu de la responsabilité collective « les personnes qui ignoraient les fins criminelles des actes commis par l'organisation et les personnes qui ont été conscrites par l'État, à moins qu'elles n'aient personnellement pris part, en qualité de membres de l'organisation, à la perpétration des actes déclarés criminels par l'article 6 de la Charte. La simple appartenance n'est pas suffisante pour être visée par ces déclarations » [Tribunal militaire international, i. 256].

Toutefois, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.


17 De la même façon, la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction ne permet pas d'établir sa participation personnelle et consciente (pas plus qu'elle n'entraînerait sa responsabilité pénale aux termes de l'article 21 du Code criminel du Canada), bien que, encore une fois, la présence jointe à d'autres faits puisse faire conclure à une telle participation. Selon moi, le simple fait de regarder, comme c'est le cas, par exemple, lors d'exécutions publiques, sans entretenir de rapports intrinsèques avec le groupe se livrant aux actes de persécution, ne peut jamais, quelque humainement répugnant qu'il nous paraisse, constituer une forme de participation personnelle. Cependant, un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à mon avis, être qualifié de simple spectateur. Les membres d'un groupe peuvent [page 318] à bon droit être considérés comme des participants personnels et conscients, suivant les faits.

18 Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont. Ce principe est conforme au droit interne (p. ex. le paragraphe 21(2) du Code criminel) et, selon moi, il constitue la meilleure interprétation possible du droit international.

[7]                Ainsi, l'arrêt Ramirez, précité, fait une distinction entre les organisations qui se consacrent principalement à la perpétration d'infractions internationales et celles qui commettent des infractions de ce genre de façon sporadique, alors que le « résumé » ne le fait pas. Il est entendu que, pour le présent contrôle judiciaire, l'armée colombienne n'est pas une organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales, contrairement à ce que la SPR a considéré. On ne sait pas avec certitude ce que la SPR avait en tête lorsqu'elle a jugé l'armée colombienne et, du même coup, la conduite du demandeur. En conséquence, j'estime que l'utilisation du « résumé » par la SPR constitue une grave erreur de droit pouvant être préjudiciable.

[8]                Pour ce qui est des erreurs de définition contenues dans les conclusions de fait, le mieux est de citer le passage suivant de l'exposé supplémentaire des arguments de l'avocat du demandeur, dont l'exactitude n'est pas contestée :

[traduction]


3.              La Commission s'est fondée sur ce qui suit pour conclure qu'il n'était pas plausible que le demandeur n'ait pas été au courant (et, par conséquent, n'ait pas été complice) des violations des droits de la personne soutenues par l'armée :

·                La Commission a indiqué : « Lorsqu'on l'a interrogé davantage, pour savoir ce qu'il avait entendu à propos de l'armée colombienne, il a répondu qu'il avait entendu dire que l'armée colombienne avait été impliquée dans des violations des droits de la personne; il en avait entendu parler et il l'avait vu à la télévision, mais que cela concernait d'autres brigades. Il a dit qu'il en avait douté à l'époque parce que lorsqu'il avait travaillé à la 4e Brigade, il avait pu constater qu'il s'agissait de gens décents, et que ce qu'il avait vu à la télévision concernait des activités en zones de combat. »

Motifs de la décision, dossier de demande, onglet 2, page 15

·                La Commission a constaté que le demandeur avait discuté directement avec les commandants de la 4e brigade de l'armée, dont le bureau se trouvait à côté du bureau de recrutement.

Motifs de la décision, dossier de demande, onglet 2, page 15

·                La Commission a mentionné que le demandeur a reconnu savoir que l'on avait signalé des incidents comme les massacres survenus à San Rafael, San Carlos et El Aro et a admis que les crimes attribués au général Ospina avaient été largement rapportés dans la presse.

Motifs de la décision, dossier de demande, onglet 2, page 16

4.              En premier lieu, un examen du dossier du tribunal révèle que l'on n'a pas demandé au demandeur ce qu'il avait entendu dire au sujet de l'armée colombienne et qu'il n'a pas répondu que l'armée avait été impliquée dans des violations des droits de la personne. En fait, ce qu'on a demandé au demandeur, c'est ce qu'il avait entendu dire au sujet des violations des droits de la personne au regard de l'armée colombienne, ce à quoi il a d'abord répondu qu'il avait entendu dire que les brigades se trouvant dans des zones de combat éloignées avaient participé à des violations des droits de la personne, mais qu'il y avait beaucoup de suppositions et qu'il doutait que cela soit vrai compte tenu du professionnalisme de la 4e brigade, à laquelle il était associé.

                Dossier du tribunal, pages 634 et 635

5.              Toutefois, le demandeur a clarifié sa déclaration par la suite en indiquant que l'on avait reproché à l'armée de ne pas avoir réagi rapidement ou de ne pas s'être trouvée là où elle aurait dû être lorsque les massacres sont survenus.

              Dossier du tribunal, page 690


6.              En ce qui concerne le dialogue direct entre le demandeur et les commandants de la 4e brigade, il ressort du dossier du tribunal que le demandeur était un réserviste à temps partiel (de six à douze semaines par année) de l'armée colombienne qui n'était pas affecté à un bataillon, mais qui travaillait plutôt au bureau de recrutement, qui participait aux campagnes de recrutement de l'armée mais non aux opérations ou aux activités de renseignement, qui n'était jamais allé au quartier général de la brigade, qui n'exerçait aucune fonction de supervision et qui (la plupart du temps) avait des rapports tout ce qu'il y a de plus ordinaire avec des officiers inférieurs dans le cadre des campagnes de recrutement. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait déjà eu des contacts avec des soldats affectés au combat, le demandeur a répondu : « Oui. Je me souviens que, lorsque nous recrutions des soldats pour l'armée régulière - ceux qui étaient ensuite affectés à des unités de combat - le commandant et deux ou trois soldats de ces unités avaient l'habitude de venir à la journée de recrutement pour donner un deuxième avis ainsi que leur avis final sur les candidats qui devraient être choisis pour une unité particulière. Ainsi, j'ai parlé quelques fois à l'officier et aux soldats qui étaient avec lui. Il ne s'agissait que de simples bavardages, mais, vous savez, vous passez une journée avec des gens et vous finissez par avoir une conversation avec eux. »

Dossier du tribunal, pages 620 à 632, 640, 644, 650, 663, 665 et 720

7.              Enfin, la Commission a commis une erreur en mentionnant que le demandeur a déclaré dans son témoignage qu'il était au courant d'incidents comme les massacres de San Rafael, de San Carlos et d'El Aro. En fait, ce que le demandeur a dit dans son témoignage, c'est qu'il ne savait rien au sujet du massacre de San Carlos ou de celui d'El Aro, et le dossier du tribunal n'indique pas clairement s'il avait entendu parler de l'incident de San Rafael. Finalement, le demandeur a indiqué qu'il n'avait pas entendu parler de la participation du général Ospina à des violations des droits de la personne ou du fait que celui-ci travaillait avec des escadrons de la mort paramilitaires.

Dossier du tribunal, pages 673 (San Carlos), 668 (El Aro), 671 et 672 (San Rafael) et 669 (général Ospina)

8.              Il s'agit ci-dessus d'exemples de conclusions de fait erronées qui ont été tirées par la Commission ou d'exemples de cas où la Commission n'a pas tenu compte du témoignage du demandeur ou a tiré une conclusion abusive (lorsqu'elle a déterminé que le demandeur avait été complice des crimes commis par l'armée colombienne parce qu'il avait « bavardé » à l'occasion avec des commandants pendant qu'il aidait aux campagnes de recrutement). Chacune des ces erreurs est susceptible de contrôle.


[9]                Compte tenu des graves répercussions que la conclusion tirée par la SPR relativement à l'alinéa 1Fa) de la Convention sur les réfugiés a sur le demandeur et des erreurs de droit et de fait déterminantes qu'elle a commises à cet égard, j'estime que la décision de la SPR comporte une erreur susceptible de contrôle.

                                                                ORDONNANCE

Par conséquent, j'ordonne que la décision de la SPR soit annulée et que la demande d'asile du demandeur soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'une nouvelle décision soit rendue.

                                                                                                                      « Douglas R. Campbell »          

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-3749-04

INTITULÉ :                                                             RASMUSSEN TORRES HERRERA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 5 AVRIL 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                             LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                            LE 7 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :          

David Orman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

David Orman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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