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Date : 20020430

Dossier : IMM-2485-01

Référence neutre : 2002 CFPI 495

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                         ADA DOMOGO EKWUEME

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, le 24 avril 2001, de reconnaître le statut de réfugié à la demanderesse.

[2]                 La demanderesse souhaite que la Cour rende une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

Contexte

[3]                 La demanderesse, Ada Domogo Ekwueme, est une citoyenne du Nigéria.

[4]                 Son mari et ses trois enfants habitent toujours au Nigéria.

[5]                 La demanderesse prétend craindre avec raison d'être persécutée au Nigéria parce que son mari, Chuka Onuorah, a exercé sur elle de la violence physique et verbale pendant de nombreuses années avant son départ de ce pays. Elle fonde sa revendication sur la violence familiale dont elle a été victime et sur un prétendu viol par son mari en 1999.

[6]                 La demanderesse est un médecin autorisé à pratiquer sa profession au Nigéria.

[7]                 La demanderesse a beaucoup voyagé. À l'audience, la Commission a voulu savoir pourquoi elle était retournée au Nigéria après un voyage au R.-U. en 1992 et, de nouveau, après un voyage au Ghana en 2000, ces deux voyages ayant eu lieu après que son mari eut commencé à la maltraiter sévèrement, et le dernier, après qu'il l'eut soi-disant violée.


[8]                 La Commission a déterminé au début de l'audience que les questions en litige étaient les suivantes : la crédibilité de la demanderesse, son identité, le fondement subjectif de sa crainte à la lumière de sa lenteur à revendiquer le statut de réfugié, le fondement objectif de sa crainte, ainsi que la possibilité de refuge intérieur et la protection de l'État.

[9]                 La Commission a reconnu, en se fondant sur le passeport de la demanderesse, que celle-ci était bien la personne qu'elle prétendait être. De plus, elle a convenu qu'elle était un médecin autorisé à pratiquer sa profession au Nigéria, à la lumière de son diplôme et de son inscription auprès du Nigeria Medical Council.


[10]            La Commission a estimé que la demanderesse n'était pas un témoin crédible et digne de foi et que ses explications concernant sa lenteur à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada ou son retour au Nigéria après ses voyages à l'étranger n'étaient pas crédibles. Elle a reconnu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse avait été victime de la violence verbale et physique de son mari avant 1991, mais elle a considéré qu'elle ne disposait pas de preuve digne de foi permettant de croire que ces mauvais traitements s'étaient poursuivis après son déménagement dans son propre appartement en 1991. La Commission a estimé qu'elle ne disposait pas non plus d'élément de preuve digne de foi du viol de la demanderesse par son mari, qui serait survenu en juillet 1999. Par ailleurs, selon la Commission, la demanderesse aurait pu à tout le moins obtenir la protection de l'État dans le passé. Malgré les explications de la demanderesse, elle n'était pas convaincue que le déménagement de celle-ci dans une autre partie du Nigéria n'était pas une solution viable. La Commission ne croyait donc pas qu'il n'existait pas de possibilité de refuge intérieur pour la demanderesse dans son pays. Finalement, la Commission a conclu qu'elle ne disposait pas d'éléments de preuve dignes de foi suffisants pour conclure, suivant la prépondérance des probabilités, que la demanderesse craignait avec raison d'être persécutée au Nigéria.

[11]            La décision de la Commission fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

Prétentions de la demanderesse

[12]            La demanderesse soutient que les motifs de la Commission n'étayent pas la conclusion selon laquelle elle n'était pas un témoin crédible ou digne de foi puisque la Commission n'a pas rejeté l'ensemble de son témoignage.

[13]            La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en considérant qu'elle aurait pu obtenir la protection de l'État parce que cette conclusion va à l'encontre de la preuve documentaire.


[14]            Elle soutient aussi que la Commission s'est fondée sur sa conclusion selon laquelle elle n'est pas un témoin crédible et digne de foi pour ne pas ajouter foi au harcèlement, au viol et aux menaces de mort postérieurs à 1991. Selon la demanderesse, la Commission a ainsi commis une erreur de droit. Elle fait valoir que la Commission doit expliquer clairement pourquoi elle a accepté une partie de la preuve concernant les mauvais traitements et a rejeté l'autre.

[15]            La demanderesse souligne que la Commission n'a accordé aucun poids au document médical émanant du Nigéria au motif que la lettre était adressée [traduction] « À qui de droit » et avait été écrite pendant que la demanderesse était encore au Nigéria. La demanderesse soutient que la Commission n'a rien dit de ces préoccupations lors de l'audience. Elle prétend que la Commission a eu tort de conclure que la lettre avait été écrite alors qu'elle était au Nigéria.

[16]            La demanderesse soutient également que la Commission a commis une erreur en rejetant la lettre écrite par un médecin du Nigéria et en considérant qu' « une partie de l'opinion médicale exprimée repose sur un ouï-dire » , mais en n'indiquant pas de quelle partie il s'agissait.

[17]            Elle soutient finalement que la Commission aurait pu lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention même si elle la jugeait non crédible, parce que la Commission avait l'obligation de prendre en considération les autres éléments de preuve afin de déterminer si sa crainte de persécution avait un fondement objectif.


Prétentions du défendeur

[18]            Le défendeur soutient que la crédibilité était la question déterminante en l'espèce. Selon lui, il faut faire preuve d'une grande retenue à l'endroit de la Commission, en particulier lorsque la conclusion relative à la crédibilité repose sur une évaluation du comportement du demandeur.

[19]            Le défendeur soutient que la Commission peut tirer une conclusion générale au regard du manque de crédibilité même si elle n'a pas rejeté la totalité du témoignage du demandeur.

[20]            Il soutient également que la Commission a eu raison, en l'espèce, de n'accorder aucun poids au rapport médical émanant du Nigéria qui a été produit par la demanderesse. Selon lui, la Commission pouvait raisonnablement rejeter le rapport puisqu'il contredisait le témoignage de la demanderesse et semblait reposer sur du ouï-dire.

[21]            Il rappelle que la Commission a conclu que la revendication de la demanderesse était dénuée de fondement objectif.

[22]            Il prétend finalement que la Commission n'a tiré aucune conclusion concernant la possibilité, pour la demanderesse, d'obtenir la protection de l'État, mais qu'elle a simplement fait remarquer que la demanderesse aurait pu obtenir une protection suffisante de la part de l'État dans le passé.


[23]            Question en litige

La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

Dispositions législatives pertinentes

[24]            La Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, telle que modifiée, contient la définition suivante de « réfugié au sens de la Convention » :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

  

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


Analyse et décision

[25]            La demanderesse a soulevé un certain nombre de points qui, selon elle, constituaient des erreurs commises par la Commission qui étaient susceptibles de contrôle. Je propose d'examiner ces points de la manière qui suit.

[26]            La lettre du médecin du Nigéria

La Commission a dit ce qui suit dans sa décision :

Pour les raisons qui suivent, je n'accorde aucune importance à la lettre d'un médecin du Nigéria. Premièrement, une partie de l'opinion médicale exprimée repose sur un ouï-dire. Deuxièmement, cette lettre contredit le témoignage de la revendicatrice selon lequel l'hôpital a refusé de communiquer avec la police après qu'elle l'eut supplié de le faire. Troisièmement, la lettre est adressée « à qui de droit » et, à la date qui y est inscrite, la revendicatrice était encore au Nigéria. La lettre indique que la police a été informée du cas de la revendicatrice et que, pour des raisons de politique générale, l'hôpital a refusé d'aller en cour. D'après moi, il est invraisemblable qu'un hôpital remette une lettre àun destinataire anonyme dont l'adresse est inconnue, et qu'il refuse ensuite de collaborer avec l'appareil judiciaire local. Je n'accorde aucune importance à cette lettre. Je ne dispose d'aucune preuve fiable que le viol qui aurait été commis en 1999 a vraiment eu lieu.


[27]            La Commission a commis une erreur lorsqu'elle a dit qu'à la date de la lettre la demanderesse était encore au Nigéria. Je ne crois pas cependant qu'il s'agisse d'une erreur importante. La Commission semble avoir été préoccupée surtout par le fait que le rapport mentionne que le viol qui aurait été commis le 13 juillet 1999 a été signalé à la police, mais que [traduction] « l'hôpital a refusé, à cause de sa politique en matière de gestion, d'aller en cour » , et par le fait que la lettre contredisait le témoignage de la demanderesse selon lequel, bien qu'elle ait voulu signaler le prétendu viol à la police, l'hôpital n'avait pas signalé l'incident. La demanderesse a notamment dit ce qui suit dans son témoignage :

[traduction]

ACR                                           ... Le conseil a demandé également si la revendicatrice s'était de nouveau adressée à la police après 1996. La revendicatrice a répondu : « Non, à cause de la façon dont j'avais été traitée la première fois et de ce qui était arrivé à des amis. » Elle a donc dit en gros qu'elle s'était adressée à la police à un moment donné et que, à cause de la manière dont on l'avait alors traitée et de ce que lui avaient dit ses amis, elle a décidé de ne pas demander de nouveau l'aide de la police.

La preuve documentaire dont nous disposons indique cependant autre chose. Ainsi, selon une lettre émanant du Edward Specialist Hospital, la revendicatrice a été agressée sexuellement par son mari et des examens ont révélé la présence de lacérations et d'écorchures sur le corps. Je crois que cette lettre mentionne que l'incident a été signalé à la police locale, mais que l'hôpital a refusé, à cause de sa politique en matière de gestion, d'aller en cour. Il semble donc que l'hôpital ait communiqué avec la police.

REVENDICATRICE              Non.

ACR                                           D'accord. Le conseil peut...

CONSEIL                                  Oui.

ACR                                           ... peut, lors du réinterrogatoire... La dernière phrase de la lettre du Edward Specialist Hospital dit ceci :

L'incident a été signalé à la police locale, mais l'hôpital a refusé d'aller en cour.

Est-ce que cela signifie que les tribunaux ont été saisis de l'incident? Et comment cela s'est-il terminé?

...

KITCHENER                           Est-ce que c'est une question que le conseil souhaite poser...

...

CONSEIL                                  À la revendicatrice : Nous avons ici une déclaration selon laquelle l'incident a été signalé à la police locale. Qui connaissez-vous ou comment la police l'a-t-elle appris?

REVENDICATRICE              Je les ai suppliés de le faire. Ils ont refusé. J'ai supplié les gens de l'hôpital d'apporter la preuve (inaudible) allez voir la police, et ils ont refusé. Je ne sais pas (inaudible).


KITCHENER                           Pardon?

REVENDICATRICE              Je les ai suppliés de nous laisser aller voir la police étant donné qu'ils - - ils ont refusé. Ils n'y sont pas allés - - je ne sais pas - - ils n'y sont pas allés. Nous non plus.

...

REVENDICATRICE              Je les ai suppliés, laissez-nous y aller. Ils ne voulaient pas. L'incident n'a pas été signalé.

...

CONSEIL                                  Pourquoi les avez-vous suppliés d'aller voir la police? Pourquoi avez-vous supplié l'hôpital d'aller voir la police?

REVENDICATRICE              Je leur ai dit que je voulais aller voir la police, mais ils ont dit qu'ils n'iraient pas. Ce qu'ils ont dit exactement, c'est qu'ils n'iraient pas (inaudible).

CONSEIL                                  Et pourquoi les avez-vous suppliés si vous saviez que la police n'allait rien faire?

REVENDICATRICE              À cause du viol. C'est ça. Au moins pour eux, le viol...

...

ACR                                           Ils ont refusé. D'accord. Donc, en gros, ce qu'ils disent ici, c'est qu'ils sont allés voir la police. Elle dit qu'elle l'ignorait?

CONSEIL                                  Oui. D'accord.

REVENDICATRICE              Ils n'y sont pas allés. (Inaudible). Ils ont refusé de le faire.

[28]            La lettre, qui a été produite par la demanderesse, est clairement contradictoire pour ce qui est de la divulgation de l'incident à la police. La Commission n'a accordé aucun poids au rapport médical. Dans la décision Pehtereva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 103 F.T.R. 200 (C.F. 1re inst.), M. le juge MacKay a dit au paragraphe 15 :


Déterminer le poids à donner au témoignage, y compris celui d'un expert, relève du pouvoir du tribunal qui l'entend. C'est seulement dans un cas très extraordinaire qu'une cour intervient à l'occasion d'un contrôle judiciaire, en raison du poids attribué par le tribunal au témoignage. C'est seulement lorsqu'il est clair, à l'occasion du contrôle, que le tribunal a agi déraisonnablement et qu'il y a preuve que ses conclusions ont été tirées de façon abusive qu'une cour de révision intervient. Or, ces circonstances ne sont pas établies en l'espèce. Il semble plutôt clair que le tribunal a apprécié le témoignage du témoin en question et qu'il a décidé d'en faire peu de cas, pour les motifs qu'il a précisés. Le témoignage d'une personne citée comme expert ne peut être automatiquement accepté. Qu'on y ajoute foi ou non, et le poids qu'il faut y donner, tout cela dépendra de sa pertinence et de sa compatibilité générale avec d'autres éléments de preuve présentés au tribunal.

Je suis d'avis que la conclusion de la Commission de n'accorder aucun poids au rapport médical est l'une des conclusions qu'elle pouvait raisonnablement tirer. En conséquence, il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle de la Commission dans la mesure où la décision de celle-ci n'est pas déraisonnable.

[29]            Lettre du psychiatre de Toronto

La demanderesse a présenté à la Commission une lettre d'une psychiatre, le docteur Ruth Baruch, qui l'a examinée le 2 mars 2001. La lettre de la psychiatre renferme les conclusions suivantes :

[traduction] Mme Ekwueme est une femme de 45 ans qui a été victime des mauvais traitements de son mari pendant des années. Ces mauvais traitements prenaient la forme d'humiliation et de violence verbale, physique et sexuelle ayant constitué un viol en 1999. En conséquence, Mme Ekwueme présente les symptômes du syndrome de stress post-traumatique. De plus, elle souffre de dysthymie et de dépression chronique et elle tire peu de satisfaction de sa vie. Ses symptômes sont aggravés par le fait qu'elle est séparée de ses enfants et qu'elle s'inquiète de leur avenir.

La Commission a écrit :


Je retiens la description que le psychiatre qui a examiné la revendicatrice a donnée de celle-ci : elle présente les symptômes du syndrome de stress post-traumatique et de la dysthymie. Je ne doute nullement que le fait d'être séparée de ses enfants aggrave les symptômes de la revendicatrice. Cependant, je ne dispose d'aucune preuve qu'elle a été agressée sexuellement pendant des années. Elle n'a pas vécu avec son mari pendant dix ans. Je ne dispose d'aucune preuve fiable qu'il l'a violée en 1999. Compte tenu de ces facteurs et des conclusions que j'ai tirées en matière de crédibilité, je ne puis accepter l'impression du psychiatre que les symptômes de la revendicatrice résultent de la violence familiale à laquelle elle aurait été exposée pendant des années, notamment d'une agression sexuelle [traduction] « ayant constitué un viol en 1999 » .

[30]            La Commission a eu la possibilité d'entendre et d'observer la demanderesse pendant son témoignage, lequel a duré environ sept heures et demie, de sorte qu'elle était en excellente position pour évaluer sa crédibilité. Les faits sur lesquels repose le rapport d'un expert doivent être établis en preuve devant la Commission (voir Danailo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (QL) (C.F. 1re inst.)). En l'espèce, la Commission n'a pas retenu le témoignage de la demanderesse au sujet de l'incident survenu en 1999. L'appréciation de la crédibilité relève de la compétence de la Commission et appelle une grande retenue (voir Tariq c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 738 (QL); 2001 CFPI 465).

[31]            La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de fait importante lorsqu'elle a qualifié erronément l'évaluation de la psychiatre Baruch et a rejeté de ce fait la lettre en indiquant : « Cependant, je ne dispose d'aucune preuve qu'elle a été agressée sexuellement pendant des années. » Cette lettre mentionne que la demanderesse [traduction] « a été victime des mauvais traitements de son mari pendant des années. Ces mauvais traitements prenaient la forme [...] de violence [...] sexuelle. » À mon avis, il est clair que la Commission n'a pas commis d'erreur de fait en concluant que la lettre de la psychiatre Baruch laissait entendre que la demanderesse avait « été agressée sexuellement pendant des années » .

[32]            Crainte fondée de persécution

La demanderesse prétend craindre avec raison d'être persécutée au Nigéria parce qu'elle a été maltraitée par son mari pendant de nombreuses années.

[33]            La Commission souligne que la demanderesse n'a revendiqué le statut de réfugié que trois semaines après son arrivée au Canada. La demanderesse étant une personne intelligente, instruite et ayant beaucoup voyagé, la Commission a estimé que « sa lenteur à agir ne correspondait pas à ce à quoi on pourrait raisonnablement s'attendre de la part d'une femme qui, parce qu'elle craint pour sa vie, s'enfuit pour demander la protection internationale » .

[34]            Ses voyages à l'étranger montrent la nature de la crainte ressentie par la demanderesse à l'égard de son mari. La transcription de l'audience de la Commission indique ce qui suit :

[traduction]

CONSEIL                                  D'accord. Dans quel pays viviez-vous en 1992?

REVENDICATRICE              Je vivais à Londres.

CONSEIL                                  Bien. Ainsi, vous êtes allée vivre à Londres, mais votre Formulaire de renseignements personnels semble indiquer que les mauvais traitements avaient commencé à l'époque. Pourquoi seriez-vous retournée au Nigéria?

REVENDICATRICE              Parce que, en 1991 (inaudible), j'étais déjà partie...

CONSEIL                                  Oui...

REVENDICATRICE              ... de la maison. J'avais mon propre appartement. Je ne vivais plus avec lui.

...

CONSEIL                                  Donc, vous dites que vous n'aviez pas peur de lui à l'époque ou que vous n'aviez aucune raison d'avoir peur de lui?

REVENDICATRICE              J'avais peur de lui. C'est pour cette raison que je l'ai quitté et que je me suis installée dans mon propre appartement en décembre.


CONSEIL                                  Et quand êtes-vous retournée vivre avec lui?

REVENDICATRICE              Je ne suis jamais retournée vivre avec lui après 1991.

[35]            Il ressort de ce témoignage que la demanderesse croyait que le fait de s'installer dans son propre appartement mettrait fin aux mauvais traitements exercés contre elle par son mari jusqu'en 1992. La transcription indique ensuite :

[traduction]

CONSEIL                                  À quand remonte votre dernier voyage après 1992?

REVENDICATRICE              Non. Je n'ai plus voyagé à l'étranger.

CONSEIL                                  Oh! D'accord.

KITCHENER                           Mais c'était au Ghana, je pense. Est-ce que je me trompe?

REVENDICATRICE              (Inaudible).

KITCHENER                           C'était au Ghana. Vous avez dit être allée au Ghana...

REVENDICATRICE              Oh, celui-là c'était lorsque j'ai voulu me procurer un visa...

KITCHENER                           Oui.

REVENDICATRICE              ... en 1999.

CONSEIL                                  Très bien.

REVENDICATRICE              En 2000.

KITCHENER                           Très bien.

REVENDICATRICE              En février 2000.

CONSEIL                                  Donc, votre dernier voyage est celui que vous avez fait au Ghana en 2000?

REVENDICATRICE              Oui.

CONSEIL                                  Pourquoi êtes-vous retournée au Nigéria après être allée au Ghana?

REVENDICATRICE              Je suis allée au Ghana pour me procurer un visa.

CONSEIL                                  Bien.


REVENDICATRICE              J'ai dû retourner au Nigéria pour repartir de ce pays.

CONSEIL                                  Pourquoi?

REVENDICATRICE              Parce que c'est le point de départ.

CONSEIL                                  Je sais que c'était le point de départ, mais vous étiez suivie, vous étiez harcelée dans ce pays, et pourtant, quand vous avez obtenu votre visa, vous n'êtes pas partie directement du Ghana pour aller dans un autre pays. Pourquoi n'êtes-vous pas partie du Ghana pour aller...

REVENDICATRICE              Il n'était pas réellement au courant que je partais, vous savez. J'ai dû me cacher tout le temps depuis - - depuis (inaudible) je me cachais. Je ne restais pas chez moi. J'avais des hauts et des bas. Il ignore totalement où j'étais.

CONSEIL                                  Était-il nécessaire que vous retourniez au Ghana avant...

KITCHENER                           Après le Nigéria.

REVENDICATRICE              Après le Nigéria?

CONSEIL                                  Après - - après votre retour au Nigéria - - je suis désolée - - avant votre départ?

KITCHENER                           De quel endroit?

REVENDICATRICE              Ils ont réservé mon billet au Nigéria. C'est mon bureau qui s'est occupé de la réservation, de sorte que je devais partir du Nigéria.

CONSEIL                                  D'accord.

REVENDICATRICE              Oui.

[36]            Je suis d'avis que, compte tenu de ces réponses de la demanderesse, il n'était pas déraisonnable que la Commission déclare ce qui suit :

Je juge incohérent le témoignage dans lequel elle explique pourquoi, après avoir obtenu un visa canadien de visiteur à Accra, elle est retournée dans le même appartement à Lagos et y a vécu pendant plus de deux semaines jusqu'à son départ du Nigéria le 26 février 2000. Elle a d'abord témoigné avoir cru qu'il n'y avait pas d'aéroport international à Accra, pour ensuite dire le contraire. Enfin, elle a affirmé qu'elle avait dû retourner afin de prendre des mesures pour que sa soeur s'occupe de ses fils. Selon moi, son témoignage voulant qu'elle n'ait pas songé à s'envoler directement de Accra pour le Canada n'est pas crédible non plus, compte tenu de la crainte qu'elle aurait eue que son mari ne la tue à la suite des menaces de mort qu'il lui aurait proférées en juillet 1999.


[37]            Il n'était pas déraisonnable non plus que la Commission considère que la revendicatrice n'était pas crédible puisqu'elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention (en prétendant qu'elle ne pouvait pas ou ne voulait pas retourner au Nigéria de crainte d'être persécutée), tout en ayant dit qu'elle était récemment retournée au Nigéria avant de quitter ce pays pour le Canada.

[38]            En conclusion, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle dans sa décision.

[39]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[40]            Aucune des parties n'a voulu proposer une question grave de portée générale à des fins de certification.


ORDONNANCE

[41]            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

  

                                                                                 « John A. O'Keefe »         

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 30 avril 2002

   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                        IMM-2485-01

INTITULÉ :                       Ada Domogo Ekwueme c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 20 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :     Le 30 avril 2002

   

COMPARUTIONS :

Helen Turner                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Matthew Oommen                                                POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Helen Turner                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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