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Date : 20050915

Dossier : IMM-9686-04

Référence : 2005 CF 1271

ENTRE :

WEN FEI ZHUO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE LORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

 

[1]        La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de limmigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté la demande dasile que le demandeur avait présentée sur le fondement de sa crainte d’être persécuté en Chine du fait des activités religieuses illégales quil avait exercées dans ce pays. La Cour statue sur la demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

Genèse de linstance

 


[2]        Le demandeur affirme s’être converti au christianisme. Il est arrivé au Canada le 28 mars 2003 muni dun visa d’étudiant dun an. Le 5 avril 2003, sa mère lui a appris que le Bureau de la sécurité publique (BSP) avait effectué une descente à son église. Suivant le demandeur, le BSP était à sa recherche. Parce quil se trouvait au Canada, il était accusé de participation à des activités anti-gouvernementales. Il a également appris que trois autres membres de son Église avaient été arrêtés.

 

[3]        La SPR a estimé que le demandeur n’était pas crédible. Voici les principales conclusions quelle a tirées :

a)                  il n’était pas logique que le demandeur montre de l’intérêt pour la foi chrétienne en raison des pressions qu’il subissait à l’école et de la dépression;

b)                  le demandeur avait omis de mentionner dans son FRP qu’il était baptisé;

c)                  il n’est pas raisonnable d’admettre que le demandeur se soit enseigné le christianisme à lui-même en « feuilletant » la Bible;

d)                  la lettre d’appui du ministre de son Église canadienne ne reprenait pas les faits que le demandeur avait relatés dans sa demande d’asile au sujet des événements survenus en Chine;

e)                  la lettre du ministre n’était pas un certificat religieux, contrairement à ce qui était exigé par le formulaire d’examen initial de la SPR;

f)                    il y avait lieu de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur connaissait le nom des trois membres de son Église arrêtés en Chine;

g)                  il était déraisonnable de la part du demandeur d’ignorer si le BSP avait laissé une citation à comparaître ou un mandat à son domicile en Chine;


h)                  il y avait lieu de tirer une conclusion défavorable de l’empressement du demandeur à présenter sa demande d’asile aussi rapidement après les événements qui ont cristallisé sa crainte d’être persécuté s’il devait retourner en Chine.

 

[4]        Le demandeur affirme que ces conclusions sont manifestement déraisonnables, que la méthode retenue par la SPR pour analyser les faits est entachée d’irrégularités et que la SPR a fait preuve de partialité envers le demandeur.

 

Analyse

 

[5]        Il n’y a rien dans le dossier qui permette d’affirmer que le demandeur a été victime de partialité ou de conclure à une crainte raisonnable de partialité. La conclusion de la Cour suivant laquelle la SPR n’a pas respecté la norme de contrôle applicable n’a rien à voir avec la question de la partialité.

 

[6]        La norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par la CISR au sujet de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (C.F. 1re inst.) (QL)) :

 


La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193. La question litigieuse en l'espèce porte sur l'appréciation que la SSR a faite de la preuve, un aspect de l'affaire qui relevait clairement de son mandat et son champ d'expertise. Le point de vue que la SSR a adopté à l'égard de la preuve était raisonnable, tout comme l'aurait été le point de vue opposé. La preuve, comme c'est si souvent le cas, est ambiguë et équivoque. Certains éléments de preuve étayent le point de vue des demandeurs, alors que d'autres le minent. Il incombe à la SSR de tenir compte de tous les éléments de preuve (ce qui ne l'oblige toutefois pas à mentionner expressément chaque élément de preuve qu'elle examine), de les soupeser, et de parvenir à une conclusion. Toute conclusion qu'elle tire qui n'est pas erronée à première vue n'est pas manifestement déraisonnable. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, (1996) 144 D.L.R. (4th) 1. En l'espèce, la conclusion que la SSR a tirée n'est pas erronée à première vue, même si d'autres personnes seraient peut-être parvenues à une autre conclusion. Aucun motif n'appelle l'intervention de notre Cour.

 

 

[7]        Pour parvenir à ce degré de contrôle, les conclusions clés ne doivent pas pouvoir résister à une analyse approfondie des questions à l’étude. Le défaut dexpliquer comment on en est arrivé à cette conclusion, une appréciation fondamentalement erronée des faits et le poids cumulatif des conclusions contestables sont des facteurs qui donnent ouverture à ce degré de contrôle judiciaire. Le tribunal doit, comme je le suis, être très réticent à intervenir, mais le dossier qui ma été soumis ne me permet pas de confirmer les conclusions de la SPR.

 

[8]        La SPR a conclu quil n’était pas logique de penser que la conversion du demandeur au christianisme était attribuable aux pressions quil avait subies et à la dépression. Bien que la Cour puisse ne pas être du même avis – la façon dont on forge ses convictions n’étant pas toujours une chose facile à déterminer la conclusion de la SPR nest pas manifestement déraisonnable.

 

[9]        Le défaut du demandeur de mentionner son baptême naurait pas dû être retenu contre lui. Il est en effet prévu ce qui suit dans les directives du FRP :


« Exposez dans lordre chronologique tous les événements importants et les raisons qui vous ont amené à demander lasile au Canada. »

 

[10]      Même en donnant linterprétation la plus libérale possible de ces directives, le baptême du demandeur ne pouvait constituer une raison de demander lasile au Canada. Les conséquences du baptême, de ladhésion à la foi chrétienne, pouvaient constituer le début de la cause ayant amené le demandeur à demander lasile, mais pas le baptême lui-même. Le demandeur a expliqué son omission par le fait quil avait déclaré dans son FRP quil était chrétien, vraisemblablement parce que, pour être chrétien, il faut recevoir le baptême. Or, même si, en droit canon, il nest pas nécessaire d’être baptisé pour devenir chrétien (question sur laquelle la Cour sabstient de tirer une conclusion), cest lexplication que le demandeur a donnée. C’était une explication convaincante qui a été retenue, du moins par la SPR.

 

[11]      Sur la question de savoir comment le demandeur s’était préparé au baptême, la qualité de la transcription de son témoignage soulève une question qui trouble la Cour. Les réponses données rapportent les propos de linterprète. Or, elles sont truffées derreurs de grammaire, de syntaxe et de structure, ce qui laisse croire que linterprète ne parlait pas couramment langlais. On ne peut affirmer avec certitude si ce problème est imputable à une connaissance imparfaite de sa langue maternelle par le demandeur, et si linterprète sest contenté de reprendre ces lacunes, ou si cest la traduction elle-même qui pose problème. La traduction crée cependant de la confusion et des contradictions dans la preuve qui ne reflètent pas nécessairement les explications données par le demandeur.

 


[12]      La question de la préparation au baptême et lidée que le demandeur avait acquis ses connaissances du christianisme « en feuilletant la Bible » ne rendent pas fidèlement compte de lensemble de la preuve. La Cour nest pas convaincue quil sagit là dune réponse juste et exacte à la question et elle estime donc que la conclusion tirée nest peut-être pas juste et exacte.

 

[13]      La conclusion défavorable de la SPR selon laquelle la lettre du ministre de l’Église ne relatait pas les faits se justifie difficilement. Il n’était pas nécessaire de communiquer ce genre de renseignements, lequel aurait dailleurs constitué du ouï-dire, et il serait au mieux peu utile pour une personne qui na pas eu personnellement connaissance des faits de reprendre le récit du demandeur. Lomission de cet exposé des faits inutile ne devrait pas être invoquée pour entacher la crédibilité du demandeur.

 

[14]      La SPR a ensuite conclu que la lettre ne constituait pas un certificat religieux sans toutefois expliquer pourquoi elle en arrivait à cette conclusion. Il ny a aucune définition de lexpression « certificat religieux », aucune formule nest utilisée ni prescrite, et la Commission na donné aucune directive sur les facteurs à respecter pour quun document puisse être considéré comme un certificat religieux.

 


[15]      La SPR a également tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur était en mesure de nommer les membres de son Église qui avaient été arrêtés. Comme cet événement s’était produit après le départ du demandeur de la Chine, il y avait peut-être lieu de se demander comment il connaissait ces noms. Pourtant, la CISR pouvait facilement trouver la réponse à cette question : le demandeur était en contact avec sa mère, puisque cest ainsi quil avait appris quil était recherché par le BSP.

 

[16]      Le problème que pose le raisonnement suivi par la SPR est le fait que cest le commissaire qui a posé la question au sujet du nom des personnes arrêtées. Si la SPR ne croyait pas que le demandeur était au courant de ce fait, il est difficile de comprendre pourquoi le commissaire a posé la question. Lautre problème est le fait que, sil avait répondu quil ignorait le nom de ces personnes, sa crédibilité sen serait trouvée encore plus affaiblie puisquil aurait ignoré quelque chose que la SPR estimait quil devait savoir. Voilà, selon le demandeur, un cercle vicieux parfait.

 

[17]      La SPR a critiqué la réponse du demandeur à la question de savoir si le BSP avait laissé une citation à comparaître ou un mandat à son domicile. La SPR a estimé que son témoignage sur cette question était contradictoire. Il ressort de la transcription que les réponses n’étaient pas claires. On ne sait toutefois pas avec certitude si cette situation est imputable à la traduction ou à la preuve.

 

[18]      Finalement, la SPR a tiré une conclusion défavorable de lempressement avec lequel le demandeur a demandé lasile. Cest le contraire de ce quon reproche habituellement aux demandeurs, cest-à-dire davoir tardé à demander lasile, ce qui permet de penser que le demandeur qui attend avant de demander lasile ne craint pas réellement d’être persécuté.

 


[19]      Le présumé empressement sexpliquait par le fait que le demandeur a demandé lasile 18 jours après être arrivé au Canada muni dun visa d’étudiant. Il a demandé lasile onze jours après avoir été mis au courant de la descente effectuée à l’église quil fréquentait en Chine et de larrestation de ses amis. La SRP sest fondée sur sa conclusion générale quant au manque de crédibilité du demandeur pour conclure quil s’était empressé de demander lasile.

 

[20]      Il semble que la SPR était davis que, comme il se trouvait au Canada muni dun visa dun an, le demandeur aurait dû attendre plus longtemps avant de demander lasile. La SPR ninvoque aucun motif convaincant pour justifier son rejet des explications du demandeur ou pour motiver le fait quelle estimait que le demandeur aurait dû attendre plus longtemps avant de présenter sa demande. Dailleurs, le demandeur aurait pu se retrouver devant un autre cercle vicieux sil avait attendu, car alors son retard aurait pu être retenu contre lui.

 

Dispositif

 

[21]      Bien quil eût été possible de confirmer lune ou lautre des conclusions de la SPR au motif quelles sont déraisonnables sans être toutefois manifestement déraisonnables, certaines dentre elles contredisent de toute évidence la preuve, et laccumulation dun nombre aussi important de conclusions déraisonnables, inexpliquées ou inexplicables justifie à elle seule la Cour de conclure que la décision de la SPR est manifestement déraisonnable.

 

[22]      Par conséquent, la décision de la SPR sera annulée et laffaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la CISR pour que celui‑ci procède à une nouvelle audition.

 


[23]      Il ny a aucune question à certifier.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée confirme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       IMM-9686-04

 

INTITULÉ :                                        WEN FEI ZHUO

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE LIMMIGRATION

 

LIEU DE LAUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE LAUDIENCE :              LE 12 SEPTEMBRE 2005

 

MOTIFS DE LORDONNANCE :  MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 15 SEPTEMBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine                                                                       POUR LE DEMANDEUR

 

Amy Lambiris                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEVINE ASSOCIATES                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                               

Toronto (Ontario)

 

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