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Date : 20051206

Dossier : T-805-05

Référence : 2005 CF 1648

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

DONALD E. COMEAU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]         M. Comeau présente une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) a tranché en date du 6 avril 2005 que ses problèmes de santé, à savoir une myocardiopathie dilatée non ischémique, n'avaient pas été causés, ni aggravés, par son service militaire. M. Comeau a cessé son service militaire le 2 juillet 1974.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]         M. Comeau soulève 15 questions dans son exposé des faits et du droit. Ces questions se subsument essentiellement dans les trois questions suivantes :

            1.          Le Tribunal a-t-il bien appliqué les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi) et tranché toute incertitude en sa faveur?

            2.          La conclusion d'absence de lien de causalité entre l'état de santé de M. Comeau et son service militaire était-elle manifestement déraisonnable?

            3.          Y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle?

LA PREUVE MÉDICALE PRÉSENTÉE AU TRIBUNAL

[3]         Puisque, à mon avis, la présente demande s'articule autour du caractère raisonnable de l'appréciation de la preuve médicale par le Tribunal, il convient de faire un bref résumé de ce que je considère comme la preuve prépondérante.

[4]         Les dossiers médicaux du service militaire de M. Comeau révèlent que, en août 1971, il a été admis dans un hôpital militaire en raison d'un diagnostic d'hypertension. Dans le sommaire de congé rédigé le 17 septembre 1971, il a été noté que l'ECG montrait la présence d'un bloc de branche droit complet (parfois désigné en anglais « RBBB » (BBD en français) dans les dossiers médicaux qui ont suivi).

[5]         Dans un rapport daté du 21 février 1989, le Dr Poblete, spécialiste de la médecine interne et des maladies du coeur, a mentionné que l'ECG effectué le 20 janvier 1989 montrait un bloc bifasciculaire de branche droite et un bloc fasciculaire antérieur gauche dont la présence était observée depuis 1983. La radiographie thoracique était normale. Dans ses impressions cliniques, le Dr Poblete a noté qu'il suspectait l'existence d'une forme occulte sous-jacente d'une myocardiopathie non encore identifiée.

[6]         Dans un rapport ultérieur, daté du 14 novembre 1989, Dr Poblete a noté que, en présence d'une fibrillation auriculaire avec bloc bifasciculaire, une myocardiopathie infiltrante sous-jacente est soupçonnée, quoique sa nature exacte reste à documenter. Il a noté qu'une radiographie thoracique récente montrait une augmentation du diamètre du coeur.

[7]         Environ un an plus tard, Dr Poblete a signalé qu'un [traduction] « changement important » s'était produit au cours de l'année qui avait précédé tel qu'en faisait foi un récent échocardiogramme. En effet, l'échocardiogramme montrait que le ventricule gauche était nettement dilaté et présentait une dysfonction systolique modérément grave. Cet état était considéré comme étant compatible avec la myocardiopathie dilatée.

[8]         La Dre Sample, cardiologue, chargée de l'hospitalisation de M. Comeau pour un cathétérisme cardiaque, a diagnostiqué une myocardiopathie dilatée. Elle a dit qu'elle était incertaine de la cause du problème de M. Comeau, [traduction] « mais certainement que l'affection pseudo-grippale dont il avait souffert au printemps et au début de l'été pouvait très bien avoir contribué au problème de façon significative » parce que les changements notés à l'échocardiographie ont fait suite à cette maladie. Elle a noté que, même si un examen antérieur avait révélé une conduction anormale, le problème pouvait s'être développé et avoir été aggravé par la maladie virale, quoiqu' [traduction] « il soit difficile d'en être certain » .

[9]         Dans un rapport daté du 11 avril 1991, le Dr Poblete a réitéré le diagnostic de myocardiopathie dilatée non ischémique de cause inconnue.

[10]       En avril 1992, M. Comeau a consulté le Dr Douglas, cardiologue. Le Dr Douglas a confirmé le diagnostic de myocardiopathie dilatée et il a mentionné que le moment de son apparition était inconnu [traduction] « mais semblait se situer au cours des sept ou huit dernières années » (c.-à-d. après le service militaire). Le Dr Douglas a dit qu'il examinerait les échocardiogrammes antérieurs parce que la [traduction] « détérioration marquée » observée entre 1989 et 1990 n'aurait pas dû se produire sans l'apparition d'une maladie. Le Dr Douglas était de cet avis parce que l'état de M. Comeau n'avait alors plus progressé.

[11]       Dr Douglas a fait le nécessaire pour l'hospitalisation de M. Comeau et, dans un rapport clinique daté du 4 mai 1993, il a signalé que l'état de M. Comeau [traduction] « a évolué très rapidement au cours des quatre dernières années, ce qui donne à penser que le diagnostic initial était probablement une myocardite qui ne s'est pas manifestée clairement, puisque l'évolution a été rapide depuis l'apparition de la fibrillation auriculaire avec un coeur sans hypertrophie il y a environ quatre ans » .

[12]       Dans un rapport de consultation daté du 13 août 1993, le Dr Douglas a signalé de nouveau qu'il était d'avis que la myocardiopathie de M. Comeau [traduction] « s'était installée il y a seulement quelques années. Elle semble avoir évolué rapidement, ce qui me porte à croire que le problème initial était une myocardite inflammatoire » .

[13]       Le 9 novembre 1993, le Dr Douglas a noté qu'il avait demandé à M. Comeau de se procurer ses dossiers médicaux du service militaire. Ces dossiers lui ont été communiqués en février 1994 à la suite d'une demande d'accès et ils ont ensuite été remis au Dr Douglas.

[14]       Le 29 mai 1995, le Dr Gulati, conseiller médical du Tribunal, a présenté une opinion médicale. Il était d'avis que la myocardiopathie dilatée non ischémique était d'origine inconnue et qu'elle était apparue après la fin du service militaire. Cette opinion se fondait sur ce qui suit :

[traduction]

Ce problème ne semble pas avoir été présent au moment de l'enrôlement dans la milice en décembre 1961 ou au moment de l'enrôlement dans la Force régulière en octobre 1963, et il ne souffrait pas d'hypertension en septembre 1968.

Un dossier d'examen médical, en date du 3 août 1971, révèle de l'hypertension artérielle mais le coeur était normal. Il a passé des examens pour son hypertension artérielle essentielle qui a ensuite été qualifiée de labile et bénigne. Le coeur, à la radiographie, avait un volume normal, ce qui signifie qu'il n'y avait aucune myocardiopathie [dilatée].

Au moment de sa libération, en avril 1974, sa pression artérielle était normale et la radiographie thoracique a été approuvée comme étant normale, ce qui signifie qu'aucune myocardiopathie dilatée n'était présente. Le diagnostic a été posé en 1991, soit plus de 15 ans après la libération.

Le terme « myocardiopathie » désigne une pathologie du muscle cardiaque. Il existe diverses formes de myocardiopathie; l'une d'elles est dite « dilatée » , ce qui signifie que les chambres de pompage (ventricules) sont dilatées. Dans le cas du demandeur, elle est aussi dite « non ischémique » , parce que les artères coronaires sont normales.

L'alcoolisme sur une longue période de temps, certaines carences alimentaires, des prédispositions génétiques, l'hypertension, les problèmes microvasculaires cardiaques, une infection virale aiguë antérieure du muscle cardiaque (qui est toujours à l'origine d'une maladie aiguë qui dure des jours ou des semaines) peuvent être à l'origine de cette pathologie mais, pour nombre de patients, il est impossible de trouver une cause. Le stress attribuable à un emploi ou les difficultés financières n'ont jamais été établis comme étant une cause.

[15]       Le 4 juillet 2000, le Dr Douglas a présenté au Tribunal une opinion qui était alors fondée sur l'analyse du dossier médical relatif à la période du service militaire. Il a alors écrit ce qui suit :

            [traduction]

Le seul élément évocateur que j'ai trouvé dans le dossier médical de M. Comeau remonte au 12/10/71, date à laquelle il a subi des examens parce qu'il souffrait d'hypertension, d'anomalies de la fonction hépatique et de fatigue généralisée. L'examen avait alors révélé que le foie était augmenté de volume de 1 ou 2 cm et compromettait la palpation de la pointe de la rate, et un test de dépistage de la mononucléose s'est avéré positif. Une radiographie thoracique effectuée à ce moment-là a révélé que la taille du coeur était normale; toutefois, un électrocardiogramme pratiqué le 31/8/71 était très anormal et a révélé un bloc de branche droit complet et un bloc fasciculaire antérieur gauche.

De toute évidence, son électrocardiogramme était déjà très anormal en 1971 et était accompagné d'une certaine hépatopathie, à une époque où il n'y avait pas de consommation importante d'alcool. Un test de dépistage de la mononucléose s'est avéré positif. Bien que ces faits ne prouvent pas l'installation de la myocardiopathie à ce moment-là, ils évoquent cette possibilité, dans la mesure où le sujet présentait des anomalies marquées à l'électrocardiogramme malgré une radiographie thoracique normale et, au cours des dernières années, a souffert d'une cardiomégalie progressive accompagnée d'observations à l'ECG semblables aux observations antérieures. Bien qu'une mononucléose ne soit pas une cause, une sarcoïdose serait une étiologie possible, parmi d'autres.

En résumé, des éléments évoquent la possibilité que les anomalies cardiaques soient apparues pendant la période de service du sujet.

[16]       Dans une autre lettre datée du 21 septembre 2004, le Dr Douglas a écrit ce qui suit :

            [traduction]

Il ne fait aucun doute qu'il souffrait d'une myocardiopathie dilatée lorsque je l'ai examiné et le moment ou l'origine de son apparition était incertain. Plus tard, les dossiers de la marine ont révélé une radiographie thoracique normale [ce qui indique qu'il n'y avait aucune hypertrophie cardiaque avant ce temps] et un ECG montrant un bloc de branche droit complet [qui n'avait jamais été observé avant] à un moment où il souffrait d'une maladie systémique organique [avec test de dépistage de la mononucléose positif et un foie, et peut-être la rate, hypertrophié]. De toute évidence, le développement d'une myocardiopathie à ce moment-là est possible. Si la maladie s'est effectivement développée durant son service dans la marine, l'aggravation de l'affection était probable en l'absence de repos et avec un épuisement continu en raison d'une lourde charge de travail.


LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[17]       Après avoir examiné en détail la preuve médicale dont il avait été saisi, ainsi que la jurisprudence pertinente, le Tribunal a tiré les conclusions suivantes :

            1.          La preuve fournie par le Dr Douglas ne constituait pas un minimum de fondement pour donner droit à une pension parce que :

                        -            Même si le Dr Douglas a mentionné que le problème était attribuable à une cause inconnue, la Dre Sample avait noté en 1991 que l'affection pseudo-grippale dont il avait souffert pouvait très bien avoir contribué au problème de façon significative.

                        -            En 1990, le Dr Poblete avait constaté une aggravation marquée de l'état de santé de M. Comeau.

                        -            En 1992, le Dr Douglas avait noté la détérioration marquée entre 1989 et 1990 et il affirmé que [traduction] « historiquement, son état n'aurait pas dû se détériorer de manière significative au cours de cette année sans l'apparition d'une maladie » .

                        -            Le Dr Douglas avait écarté le rôle de la consommation d'alcool en 1971, en disant qu'il n'y avait pas de consommation importante, mais, à l'époque, un médecin militaire avait écrit dans un résumé médical daté du 27 octobre 1971 (rempli après une deuxième sortie d'hôpital) que M. Comeau [traduction] « a reconnu à l'admission que, avant son rengagement qui a mené à sa première hospitalisation, il consommait de l'alcool de façon excessive » .

                        -            Le Dr Douglas avait parlé de la présence d'un bloc fasciculaire antérieur gauche en 1971, mais les dossiers médicaux du service militaire font état de ce diagnostic pour la première fois en 1983.

                        -            Dans son opinion, le Dr Douglas n'a fait que souligner la possibilité que l'affection alléguée ait existé durant le service de M. Comeau. Il n'a pas présenté une opinion étayée sur des faits démontrant que l'affection existait effectivement.

            2.          Durant son service militaire, M. Comeau a été soigné et examiné minutieusement et, à l'époque, les examens médicaux qu'il a subis n'ont montré aucun signe de l'affection alléguée. La présence de celle-ci n'a pas été démontrée non plus au moment où il a terminé son service.

3.          Certains résultats d'examens médicaux que M. Comeau a subis durant son service militaire évoquaient à l'époque la possibilité, bien que peu vraisemblable, qu'il pouvait avoir une ou des affections semblables à celle diagnostiquée beaucoup plus tard après la fin de son service militaire. Toutefois, ces résultats ont été examinés et il a été jugé que l'affection alléguée n'était pas présente durant le service militaire de M. Comeau.

            4.          L'opinion du Dr Gulati a été jugée tout à fait crédible parce qu'elle était [traduction] « fondée sur les renseignements consignés dans les dossiers médicaux du service militaire, sur sa compréhension de l'affection alléguée et de son évolution normale, ainsi que sur les renseignements relatifs à la période consécutive au service lorsque l'affection a effectivement été diagnostiquée.

LA NORME DE CONTRÔLE

[18]       La question en litige dans la présente demande vise essentiellement la conclusion du Tribunal suivant laquelle la preuve médicale n'a pas permis d'établir que la myocardiopathie dilatée non ischémique dont souffrait M. Comeauétait consécutive au service militaire et s'y rattachait directement. Suivant la jurisprudence de la Cour, lorsque la question en litige se rapporte à l'appréciation par le Tribunal d'une preuve médicale contradictoire ou non concluante à partir de laquelle il devait décider si l'invalidité d'un demandeur a réellement été causée ou aggravée par le service militaire, la décision du Tribunal peut être révisée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Voir Hall c. Canada (Procureur général)(1998), 152 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18, confirmé à (1999), 250 N.R. 93 (C.A.F); McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 46 à 48; Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 32; Comeau c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1323 (C.F.), au paragraphe 51; Matusiak c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 236 (C.F.), aux paragraphes 32 à 35.

[19]       Comme le juge Evans, alors à la Section de première instance, l'a déclaré dans McTague, précité :

46          Enfin, je devrais noter que la Cour a bien établi que la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui est moins exigeante, est applicable lorsque la question litigieuse concerne l'évaluation ou l'interprétation par le Tribunal d'éléments de preuve médicaux souvent contradictoires ou peu concluants et la conclusion qu'il en a tiré quant à savoir si l'invalidité du demandeur a été en fait causée ou aggravée par le service militaire : MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346 (1re inst.) (QL); Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75 (C.F. 1re inst.); Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.); Henderson c. Canada (Procureur général) (1998), 144 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.).

47         De telles décisions touchant les faits se situent au coeur même de la compétence spécialisée du Tribunal. Compte tenu de considérations de rentabilité et de compétence institutionnelle relative, les conclusions de fait doivent faire l'objet de la plus grande retenue judiciaire.

[20]       Dans la mesure où M. Comeau allègue que le Tribunal a mal interprété et n'a pas appliqué correctement l'article 39 de la Loi, pareille erreur de droit est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

[21]       Dans la mesure où des questions de justice naturelle sont soulevées, il appartient à la Cour de vérifier si les exigences de justice naturelle ou d'équité procédurale ont été respectées. Aucune analyse pragmatique ou fonctionnelle n'est requise. Voir S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100.


EXAMEN DES QUESTIONS

Le Tribunal a-t-il bien appliqué les articles 3 et 39 de la Loi et tranché toute incertitude en faveur de M. Comeau?

[22]       En vertu de l'article 3 de la Loi, le Tribunal doit, dans l'exercice des pouvoirs et fonctions que la Loi lui confère, interpréter de façon large toutes les dispositions législatives pertinentes, compte tenu des obligations du peuple et du gouvernement du Canada à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays. L'article 39 exige que le Tribunal accepte tout élément de preuve non contredit et vraisemblable qui est favorable au demandeur, tranche en sa faveur toute incertitude dans l'appréciation de la preuve et tire les conclusions les plus favorables possible à celui-ci. Les articles 3 et 39 de la Loi sont reproduits en annexe aux présents motifs.

[23]       Par ailleurs, ce n'est que lorsque la preuve soulève un doute quant au lien de causalité que pareil doute doit être tranché en faveur du demandeur. Dans la présente affaire, le Tribunal a jugé que les rapports du Dr Douglas n'étaient pas vraisemblables pour les motifs exposés précédemment et qu'ils constituaient simplement des énoncés d'une hypothèse favorable à M. Comeau. Selon le Tribunal, les lettres du Dr Douglas [traduction] « ne posent pas de conclusions logiques, mais elles soulignent plutôt que, à un moment donné et durant le service militaire de l'appelant, la preuve évoquait la possibilité que l'affection alléguée soit présente. Elles ne constituent pas une opinion étayée sur des faits démontrant que l'affection existait effectivement. »

[24]       Le Tribunal a donné des motifs convaincants pour écarter l'opinion du Dr Douglas et noté à juste titre qu'il n'avait pas opiné que l'affection était présente durant le service de M. Comeau. En conséquence, je conclus que le Tribunal n'a pas commis d'erreur en n'appliquant pas l'article 39 de la Loi parce que l'opinion médicale du Dr Douglas n'était pas suffisante pour justifier l'application de l'alinéa 39c) de la Loi. La situation est, à mon avis, comparable à celle de l'affaire Elliot c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 1060, qui a été tranchée par la Cour d'appel fédérale.

[25]       En d'autres termes, les deux rapports du Dr Douglas sur lesquels M. Comeau s'est appuyé n'étaient pas concluants quant à la date d'apparition de la myocardiopathie. Le Dr Douglas a opiné que les éléments de preuve n'établissaient pas l'apparition de la myocardiopathie en 1971, mais plutôt qu'ils [traduction] « évoqu[aient] cette possibilité » . En conséquence, ces éléments de preuve n'étaient pas suffisamment forts pour soulever un doute raisonnable quant à l'existence d'un lien de causalité entre l'état de santé de M. Comeau et son service militaire. Si la preuve avait soulevé ce doute raisonnable, M. Comeau aurait eu droit au bénéfice du doute.

La conclusion d'absence de lien de causalité entre l'état de santé de M. Comeau et son service militaire était-elle manifestement déraisonnable?

[26]       Une décision manifestement déraisonnable est une décision où le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal. Voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 57. Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir. Voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, au paragraphe 52.

[27]       Il n'a pas été établi que le Tribunal avait commis une erreur de droit ou mal interprété ou écarté la preuve pertinente dont il disposait. Compte tenu de la nature de la preuve dont le Tribunal a été saisi, M. Comeau n'a pas réussi à démontrer que la décision du Tribunal était manifestement déraisonnable.

Y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle?

[28]       M. Comeau n'a pas abordé cette question dans son argumentation présentée de vive voix; toutefois, comme il s'est appuyé sur ses observations écrites qui soulèvent la question, il est nécessaire de l'examiner.

[29]       M. Comeau allègue deux manquements aux principes de justice naturelle. Premièrement, il prétend qu'au cours des douze dernières années, il lui a fallu assister à de nombreuses audiences pour révision, appel ou contrôle judiciaire. Il dit qu'un délai de douze ans constitue un délai [traduction] « incroyable » qui est injuste et contraire à la justice naturelle. Deuxièmement, il soutient que le Tribunal a manqué aux principes de justice naturelle en concluant qu'il n'était pas convaincu que les problèmes cardiaques de M. Comeau étaient apparus durant son service militaire. Il y a eu manquement aux principes de justice naturelle parce qu'un comité différemment constitué du Tribunal était parvenu à la conclusion contraire antérieurement, mais cette décision a été annulée par la Cour dans une demande de contrôle judiciaire.

[30]       En ce qui a trait aux conséquences du délai, M. Comeau n'a pas présenté de preuve « de l'existence d'un préjudice suffisamment grave pour compromettre l'équité de l'audition » tel qu'il a été exigé dans Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 1 C.F. 638 (C.A.). Même si l'on est sensible à la frustration ressentie par M. Comeau, il n'a pas été établi que ce délai déraisonnable constituait un manquement à l'équité procédurale.

[31]       De la même manière en ce qui concerne la seconde préoccupation, M. Comeau n'a pas démontré que le Tribunal était lié par les conclusions de fait tirées par un autre comité du Tribunal. La justice naturelle n'exige pas que M. Comeau reçoive un avis spécial l'informant qu'un comité différent, qui a été saisi d'une nouvelle preuve, pourrait tirer des conclusions de fait différentes.

CONCLUSION

[32]       J'ai conclu que, dans sa décision, le Tribunal n'avait pas commis d'erreur de droit et ni tiré de conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Pour les motifs énoncés précédemment, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[33]       Même si le procureur général a demandé que les dépens lui soient adjugés dans ses observations écrites, il n'a pas été donné suite à cette demande à l'audience. Compte tenu de cela et du manque de profondeur de l'argumentation écrite déposée au nom du procureur général (non pas par l'avocate qui a comparu devant la Cour pour la présentation des arguments de vive voix), je suis convaincue qu'il s'agit d'une affaire où les dépens ne devraient pas suivre l'issue de la cause.

ORDONNANCE

[34]       LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans adjudication de dépens.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


ANNEXE

            Les articles 3 et 39 de la Loi sont rédigés comme suit :

3 Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

[...]

39 Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

3 The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

[...]

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-805-05

INTITULÉ :                                                                DONALD E. COMEAU

                                                                                    c.

                                                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU                              CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          FREDERICTON (N.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 3 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 6 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

DONALD E. COMEAU                                              POUR LE DEMANDEUR

SUSAN L. INGLIS                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DONALD E. COMEAU                                              POUR LE DEMANDEUR

RIVERVIEW (N.-É)

JOHN H. SIMS, C.R.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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