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Date : 20060705

Dossier : IMM-6058-05

Référence : 2006 CF 847

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

JOSHUA KAMAU NDEGWA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Kenya qui allègue craindre d’être persécuté dans son pays en raison de son refus de faire exciser sa fille. La Commission a conclu qu’il était victime de persécution indirecte et qu’il n’était pas ciblé personnellement.

 

[3]               La fille du demandeur est née au Kenya en 1996. En 2001, le demandeur et sa femme ont refusé de la faire exciser. La famille du demandeur a alors menacé de forcer le demandeur et sa famille immédiate à quitter leur maison et a accusé le demandeur d’avoir attiré le malheur sur la famille. Sa femme a été attaquée par des membres de sa famille et a dû être hospitalisée, et les habitants du village du demandeur se sont dissociés de lui et de sa famille immédiate. Le demandeur et sa famille immédiate ont donc décidé de venir au Canada.

 

[4]               Le demandeur, sa femme et leur fille sont arrivés au Canada en septembre 2003 et ont demandé l’asile. La demande du demandeur a été instruite en même temps que celles de sa femme et de sa fille. La Commission a conclu que leur témoignage était crédible et la femme et la fille du demandeur ont obtenu l’asile. Cependant, la demande du demandeur a été rejetée parce que la Commission a conclu qu’il était seulement victime d’une persécution indirecte et que, par conséquent, il n’avait pas droit à l’asile.

 

[5]               Les trois demandes étaient fondées sur les mêmes faits. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en dissociant sa demande de celles de sa femme et de sa fille. Le demandeur allègue aussi que la Commission a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse distincte en vue de déterminer s’il était une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

La question en litige

[6]               Il s’agit de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

La norme de contrôle

 

[7]               L'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas une pure question de fait, mais bien une question mixte de droit et de fait. L'intervention de la Cour sur cette question sera justifiée uniquement si la conclusion de la Commission à cet égard semble déraisonnable : Tolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2002) 218 F.T.R. 205, 2002 CFPI 334 ; Bela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 581, [2001] A.C.F. no 92 (1re inst.) (QL).

 

Analyse

 

[8]            La loi exige qu’un demandeur d’asile prouve qu’il existe un lien personnel entre lui et la persécution qu’il allègue fondée sur l'un des motifs prévus à la Convention. Par conséquent, la persécution indirecte n’est pas un fondement solide pour la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention : Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 215 N.R. 174, 39 Imm. L.R. (2d) 103 (C.A.) (Pour-Shariati); Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, [2004] A.C.F. no 2164 (QL).

 

[9]               La reconnaissance de la famille comme groupe social aux fins d'une demande d'asile est bien établie dans la jurisprudence. Dans les cas où la demande d'asile est fondée sur l'appartenance à un groupe familial, il faut démontrer l'existence d'un lien personnel entre le demandeur et la persécution qui aurait été exercée pour un motif prévu à la Convention : Pour-Shariati, susmentionné.  Il n'est pas suffisant de faire valoir la persécution subie par des membres de la famille s'il est peu probable que le demandeur soit directement touché. En l’espèce, il existe un lien suffisant entre la demande d’asile du demandeur et la persécution subie par sa femme et sa fille. Le demandeur est le mari et le père des femmes et, par conséquent, la décision de ne pas faire exciser sa fille lui ferait directement courir un risque.

 

[10]           En l’espèce, le commissaire a commis une erreur en n’examinant pas si le demandeur serait persécuté du fait de son appartenance à sa famille immédiate. Bien que la persécution indirecte ne soit pas un fondement suffisant pour qu’une demande d’asile soit accueillie, en l’espèce, le commissaire aurait dû conclure que le demandeur risquerait d’être persécuté du fait de son appartenance à sa famille immédiate.

 

[11]           Il était déraisonnable de la part du commissaire de conclure que la femme et la fille du demandeur étaient des réfugiées au sens de la Convention sans tenir compte du lien entre ces femmes et le demandeur, du fait qu’il en était le mari et le père, respectivement. Il ne s’agit pas d’un cas de persécution indirecte. Le demandeur n’assiste pas seulement « contre son gré à des actes de violence » dirigés contre d'autres membres de sa famille, comme le juge Luc Martineau l’a dit dans l’affaire Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, [2004] A.C.F. no 2164 (QL). Il risque d’être persécuté lui-même en raison de sa relation avec sa femme. La Commission aurait dû tenir compte de ce fait dans son analyse.

 

[12]           Le demandeur soutient que la Commission devait aussi effectuer une analyse distincte relative à l’article 97. Comme j’ai conclu que la décision fondée sur l’article 96 était déraisonnable, je n’ai pas besoin de traiter de cette allégation. Cependant, à moins qu’il y ait d’autres preuves que celles examinées au cours de l’analyse relative à l’article 96 qui puissent permettre d’établir que le demandeur est une personne à protéger, une analyse distincte relative à l’article 97 n’est pas nécessaire. Voir Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660, paragraphe 22, [2004] A.C.F. no 2013 (QL); Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, [2004] A.C.F. no 771 (QL); Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1391, [2004] A.C.F. no 1711 (QL); Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1119, [2003] A.C.F. n1409 (QL); Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 256 F.T.R. 154, 2004 CF 1008.

 

[13]           Les parties n’ont énoncé aucune question grave de portée générale et aucune ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6058-05

 

INTITULÉ :                                       JOSHUA KAMAU NDEGWA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES  MOTIFS :                     Le 5 juillet 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley I. Jesuorobo

 

POUR LE DEMANDEUR

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KINGSLEY I. JESUOROBO

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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