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Date : 20060228

Dossier : T-867-05

Référence : 2006 CF 265

Ottawa (Ontario), le 28 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION DENE THA'

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

LE MINISTRE DES TRANSPORTS,

IMPERIAL OIL RESOURCES VENTURES LIMITED,

au nom des promoteurs du projet gazier Mackenzie,

L'OFFICE NATIONAL DE L'ÉNERGIE ET

ROBERT HORNAL, GINA DOLPHUS, BARRY GREENLAND,

PERCY HARDISTY, ROWLAND HARRISON, TYSON PERTSCHY ET

PETER USHER, tous en leur qualité de membres d'une commission d'examen conjoint constituée en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale

pour effectuer un examen environnemental du projet gazier Mackenzie

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le procureur général de l'Alberta (l'Alberta) sollicite deux ordonnances : (1) une ordonnance lui accordant le statut d'intervenante en termes génériques et, à l'origine, avec une étendue générale; et (2) une ordonnance enjoignant à la demanderesse de signifier et déposer un avis de question constitutionnelle, conformément à l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales.

[2]                En résumé, la demanderesse conteste le processus adopté pour l'approbation des aspects environnementaux et réglementaires du projet gazier MacKenzie au motif que les défendeurs ne l'avaient pas consultée, comme la loi l'exige. La Première nation Dene Tha' (Dene Tha') a notamment demandé un jugement déclaratoire portant que le projet gazier MacKenzie (le projet), y compris les installations de connexion, constitue une opération unique et un [traduction] « ouvrage ou une entreprise de compétence fédérale » .

[3]                L'Alberta est préoccupée du fait que cela soulève une question constitutionnelle dans laquelle elle a un intérêt essentiel pouvant ne pas être protégé de manière adéquate par les autres parties. Elle est également préoccupée du fait que, en l'absence d'un avis de question constitutionnelle, elle ne connaîtra pas la portée de la question constitutionnelle posée et que, en outre, les autres procureurs généraux ne seront pas en mesure de prendre part au contrôle judiciaire sur un point de droit constitutionnel important.

I.           Le statut de l'intervenante

[4]                L'Alberta a sans aucun doute un intérêt dans le présent contrôle judiciaire, lequel intérêt est suffisant pour justifier qu'on lui accorde le statut d'intervenante, conformément à l'article 109 des Règles des Cours fédérales. Dene Tha' reconnaît cet intérêt. La question en litige concerne l'étendue et les conditions du statut d'intervenante.

[5]                À cette étape de l'instance, il est difficile de déterminer l'importance que revêtira le redressement d'un jugement déclaratoire dans le cadre du présent contrôle judiciaire. La Cour doit toujours être soucieuse d'éviter qu'un intervenant élargisse les questions en litige et augmente l'étendue de l'instance, notamment en ce qui a trait à la preuve et aux questions à trancher, au-delà de ce que les parties envisagent. L'Alberta n'a incontestablement pas l'intention d'en arriver là.

II.          L'étendue de l'intervention

[6]                La requête de l'Alberta visait à l'origine à lui permettre d'intervenir dans l'ensemble des questions et, en fait, de jouir des droits d'une partie. Elle a modifié sa position. Sa principale préoccupation a trait à la question du jugement déclaratoire portant qu'il s'agit d'un ouvrage ou d'une entreprise de compétence fédérale. Elle a également exprimé son inquiétude concernant la question de la consultation qu'elle a faite auprès de Dene Tha' et dont il est fait référence dans certains des documents de la demanderesse.

[7]                À mon avis, l'étendue de l'intervention de l'Alberta doit être limitée. Cette affaire concerne l'omission de la part des organismes fédéraux de consulter la demanderesse lorsqu'ils ont adopté un processus pour examiner les différents aspects du projet. Le jugement déclaratoire portant qu'il s'agit d'un ouvrage ou d'une entreprise de compétence fédérale est, au mieux, une mesure de redressement accessoire et, au bout du compte, il n'est peut-être pas nécessaire ou approprié de se pencher là-dessus.

[8]                La question encore plus tangentielle de la consultation faite par l'Alberta auprès de la demanderesse est très peu pertinente. Il peut s'agir du contexte, mais ce n'est pas une question sur laquelle la Cour semble avoir compétence.

[9]                Par conséquent, l'Alberta se verra accorder le statut d'intervenante à l'égard de la question du jugement déclaratoire portant qu'il s'agit d'un ouvrage ou d'une entreprise de compétence fédérale.

III.        Les conditions de l'intervention

[10]            L'Alberta sollicite le droit de déposer des éléments de preuve dans le cadre de la présente instance, mais rien ne permet de conclure, à ce moment-ci, que la preuve au dossier ne sera pas suffisante aux fins de l'examen de la question d'ouvrage ou d'entreprise de compétence fédérale. Par conséquent, je ne suis pas prêt à accorder à l'Alberta un droit illimité de déposé des éléments de preuve additionnels pour compléter le dossier.

[11]            Toutefois, puisqu'il y a lieu de se préoccuper du fait que les parties elles-mêmes puissent ne pas examiner minutieusement la question du point de vue de la province touchée, l'Alberta aura le droit de compléter la preuve au dossier sur autorisation de la Cour, après avoir établi la nécessité des éléments de preuve additionnels.

[12]            L'Alberta aura le droit d'interroger les parties sur cette question uniquement et, s'il lui est permis de déposer des éléments de preuve, elle pourra aussi faire l'objet d'un contre-interrogatoire.

[13]            L'Alberta peut déposer un mémoire des faits et du droit, lequel ne doit pas dépasser dix pages, et chacune des parties peut déposer une réponse.

[14]            La question de savoir si l'Alberta doit avoir un droit d'appel devra être examinée lors de l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

[15]            Rien dans la présente décision accordant à l'Alberta des droits à titre d'intervenante ne doit être considéré comme empêchant la Cour de modifier, d'abolir ou d'élargir ces droits s'il est établi que cela est nécessaire ou approprié.

IV.        L'article 57 - avis de question constitutionnelle

[16]            L'Alberta prétend que la question d'un jugement déclaratoire portant que le projet constitue un ouvrage ou une entreprise de compétence fédérale en est une pour laquelle un avis est requis suivant l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales. Cela étant, l'Alberta demande à la Cour d'ordonner à la demanderesse de signifier et déposer l'avis, ainsi que de le faire dans le meilleur délai afin que les procureurs généraux intéressés aient le temps de participer au débat. L'article 57 prévoit ce qui suit :

57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2).

57. (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of a province, or of regulations made under such an Act, is in question before the Federal Court of Appeal or the Federal Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

(2) L'avis est, sauf ordonnance contraire de la Cour d'appel fédérale ou de la Cour fédérale ou de l'office fédéral en cause, signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l'objet doit être débattue.

(2) The notice must be served at least 10 days before the day on which the constitutional question is to be argued, unless the Federal Court of Appeal or the Federal Court or the federal board, commission or other tribunal, as the case may be, orders otherwise.

(3) Les avis d'appel et de demande de contrôle judiciaire portant sur une question constitutionnelle sont à signifier au procureur général du Canada et à ceux des provinces.

(3) The Attorney General of Canada and the attorney general of each province are entitled to notice of any appeal or application for judicial review made in respect of the constitutional question.

(4) Le procureur général à qui un avis visé aux paragraphes (1) ou (3) est signifié peut présenter une preuve et des observations à la Cour d'appel fédérale ou à la Cour fédérale et à l'office fédéral en cause, à l'égard de la question constitutionnelle en litige.

(4) The Attorney General of Canada and the attorney general of each province are entitled to adduce evidence and make submissions to the Federal Court of Appeal or the Federal Court or the federal board, commission or other tribunal, as the case may be, in respect of the constitutional question.

(5) Le procureur général qui présente des observations est réputé partie à l'instance aux fins d'un appel portant sur la question constitutionnelle.

(5) If the Attorney General of Canada or the attorney general of a province makes submissions, that attorney general is deemed to be a party to the proceedings for the purpose of any appeal in respect of the constitutional question.

[17]            Même si la Cour acceptait comme étant un principe évident que le jugement déclaratoire exige un avis selon l'article 57, la Cour n'a pas la compétence pour rendre une telle ordonnance. Suivant mon interprétation du paragraphe 57(2), duquel l'Alberta affirme que l'on peut inférer un tel pouvoir de contrainte, le paragraphe est une disposition de délai - souvent utilisée lorsque l'avis n'est pas déposé dans les dix jours prescrits.

[18]            L'objet de l'avis prévu à l'article 57 a été bien décrit par le juge Rothstein (tel était son titre au moment où les présents motifs ont été rendus) dans l'arrêt Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2004] 3 R.C.F. 436 (C.A.) :

Il n'est pas nécessaire de signifier l'avis de question constitutionnelle prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale chaque fois qu'une question constitutionnelle est soulevée, ou chaque fois qu'une partie invoque un droit constitutionnel. C'est la nature de la réparation demandée dans un cas particulier qui permettra de décider s'il faut donner un avis en vertu de l'article 57.

L'article 57 vise à empêcher un tribunal judiciaire de statuer qu'une loi ou un règlement est invalide, inapplicable ou sans effet sur le plan constitutionnel à moins que la question constitutionnelle sous-tendant le jugement n'ait fait l'objet d'un préavis au Canada et aux provinces. L'avis de question constitutionnelle prévu à l'article 57 permet simplement de s'assurer que l'avis approprié est donné. Il va sans dire qu'il n'est pas nécessaire de signifier l'avis prévu à l'article 57 dans un cas où la réparation judiciaire est autre chose qu'un jugement portant qu'une loi ou un règlement est invalide, inapplicable ou sans effet sur le plan constitutionnel. [...]

[Non souligné dans l'original.]

[19]            Si un avis selon l'article 57 est requis et que la demanderesse ne signifie pas l'avis, elle supporte les conséquences du fait que la Cour peut ne pas accorder la mesure de redressement constitutionnel sollicitée. La demanderesse est au courant du risque et elle est prête à camper sur ses positions. La Cour n'a pas la compétence pour obliger la demanderesse à agir autrement.

[20]            La question de savoir si l'avis prévu à l'article 57 est requis pourra être débattue plus à fond au moment du contrôle judiciaire. Le résultat de l'audition de cette question pourrait être, au moins, un refus de rendre le jugement déclaratoire, une conclusion selon laquelle un tel jugement n'est pas nécessaire ou un ajournement pour permettre que la question fasse l'objet d'un débat plus approfondi.

[21]            L'Alberta n'a invoqué aucun précédent où une cour aurait ordonné qu'un avis prévu par l'article 57 soit donné par une partie réticente. La Cour n'en connaît pas non plus.

[22]            Compte tenu de la conclusion de la Cour quant à sa compétence sur cette question, la requête de l'Alberta est rejetée à cet égard.

[23]            L'Alberta n'ayant eu gain de cause qu'en partie sur sa requête en intervention, aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens. Comme les résultats de la requête relative à l'avis prévu à l'article 57 ne favorisent pas l'Alberta, la demanderesse a droit aux dépens, lesquels seront déterminés suivant l'issue de la cause.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la requête du procureur général de l'Alberta visant à obtenir le statut d'intervenante soit accueillie selon les conditions suivantes :

1.          L'Alberta se voit accorder le statut d'intervenante, lequel est limité à la question de savoir si le projet gazier MacKenzie, y compris les installations de connexion, constitue une opération unique et un ouvrage ou une entreprise de compétence fédérale.

2.          L'Alberta peut, sur autorisation de la Cour, compléter le dossier avec des éléments de preuve additionnels.

3.          L'Alberta peut être contre-interrogée sur tout élément de preuve qu'elle présente et elle peut contre-interroger les parties uniquement à l'égard de ce jugement déclaratoire.

4.          L'Alberta peut déposer un mémoire des faits et du droit d'au plus dix pages auquel chacune des parties peut répondre.

5.          L'Alberta recevra un avis concernant toute requête, toute conférence relative à la cause ou toute autre question compatible avec les conditions de son statut d'intervenante et pourra y prendre part.

6.          L'Alberta remboursera à la partie qui les aura encourus les frais de reproduction, de livraison ainsi que les autres frais accessoires pour qu'elle reçoive les documents déposés dans la présente affaire.

7.          La question des droits d'appel devra être examinée dans le cadre du contrôle judiciaire.

8.          Aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens relativement à la requête visant à obtenir le statut d'intervenante.

            ET LA COUR ORDONNE EN OUTRE QUE la requête du procureur général de l'Alberta, relativement à la délivrance d'un avis de question constitutionnelle, soit rejetée avec dépens en faveur de la demanderesse.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-867-05

INTITULÉ :                                                                LA PREMIÈRE NATION DENE THA'

                                                                                    c.

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LES 21 ET 22 FÉVRIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                               LE 28 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Robert J.M. Janes

Robert Freedman

POUR LA DEMANDERESSE

Kirk Lambrecht, c.r.

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Mary E. Comeau

POUR LA DÉFENDERESSE, IMPERIAL

RESOURCES VENTURES LIMITED

Andrew Hudson

POUR LE DÉFENDEUR,

L'OFFICE NATIONAL DE L'ÉNERGIE

C.J.C. (Jill) Page

Colin King

POUR LE TIERS,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ALBERTA

Aucune comparution

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA COMMISSION D'EXAMEN CONJOINT DU PROJET GAZIER MACKENZIE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cook Roberts LLP

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Macleod Dixon LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE, IMPERIAL

OIL RESOURCES VENTURES LIMITED

Office national de l'énergie

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR,

L'OFFICE NATIONAL DE L'ÉNERGIE

Miles Davidson LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA COMMISSION D'EXAMEN CONJOINT DU PROJET GAZIER MACKENZIE

Alberta Energy Legal Services

Calgary (Alberta)

POUR LE TIERS,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ALBERTA

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