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Date : 20001215

Dossier : IMM-2397-99

ENTRE :

                                           YAN YAN WOO

                                                                                          demanderesse

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]    La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision d'une agente des visas, datée du 9 avril 1999, par laquelle elle rejetait la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse dans la catégorie des indépendants.


[2]    La demanderesse est citoyenne de Hong Kong et elle a été évaluée au vu des professions suivantes : journaliste, reporter, réviseure et rédactrice adjointe. L'agente d'immigration désignée (l'agente des visas), Mme Judyanna Ng, a conclu que la demanderesse n'était pas qualifiée pour les trois premières de ces professions. Elle a ensuite évalué la demanderesse au vu de la profession de rédactrice adjointe et lui a accordé 56 points, soit 14 de moins que le minimum requis (70).

[3]    La demanderesse soutient que l'agente des visas a fait les erreurs suivantes : elle a commis une erreur en s'appuyant sur une note de service pour conclure que la demanderesse n'avait pas un diplôme équivalent au baccalauréat; elle a mal interprété la note de service, où on ne trouve même pas mention du collège de la demanderesse; elle a commis une erreur en ne divulguant pas à la demanderesse la note de service sur laquelle elle s'appuyait; elle a commis une erreur en concluant qu'il y a lieu d'évaluer une institution d'enseignement dans le pays où les études sont entreprises; elle a commis une erreur en présumant que la demanderesse n'avait pas au moins une année d'expérience comme recherchiste en politique sociale et, par conséquent, elle ne l'a pas évaluée sous cette autre profession; elle a commis une erreur en interprétant les exigences au niveau des études que l'on trouve dans la Classification nationale des professions (CNP) comme impératives plutôt que « habituellement exigées » ; elle a commis une erreur en utilisant le critère d'un travail exceptionnel en évaluant son rendement professionnel.


[4]                 Le défendeur soutient que l'agente des visas n'a pas commis d'erreur et que la demanderesse n'avait droit qu'à 13 points, plutôt que 15, [traduction] « puisqu'elle n'a pas obtenu un diplôme universitaire de premier cycle reconnu dans le pays des études » , c.-à-d. Hong Kong. À ce sujet, le défendeur soutient que l'agente des visas a [traduction] « examiné de façon correcte l'autorisation du collège de délivrer des diplômes à Hong Kong et conclu qu'il n'avait pas ce droit » . Par conséquent, même si l'agente des visas reconnaissait que certaines universités américaines donnent une équivalence de B.A. au diplôme du collège, elle a conclu que le collège ne pouvait délivrer des diplômes à Hong Kong et, par conséquent, elle n'a pas accordé 15 points d'appréciation.

[5]                 La déclaration de l'agente des visas a été communiquée à la demanderesse dans une lettre datée du 9 avril 1999. Cette lettre est rédigée comme suit :

[traduction]

Relativement à votre demande de résidence permanente au Canada et votre entrevue du 8 avril 1999. J'ai maintenant terminé mon évaluation de votre demande et je regrette de devoir vous informer que j'ai conclu que vous ne satisfaites pas aux critères de la catégorie des indépendants pour immigrer au Canada.

En vertu des paragraphes 8(1) et 9(1) du Règlement de 1978 sur l'immigration, tels que modifiés, les immigrants dans la catégorie des indépendants sont appréciés suivant chacun des facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I du Règlement. Ces facteurs sont les suivants : études, études et formation, expérience, demande professionnelle, emploi réservé ou profession désignée, facteur démographique, âge, connaissance du français et de l'anglais et, sur la base d'une entrevue, personnalité.

Je vous ai évaluée au vu des professions de journaliste, reporter et réviseure. J'ai toutefois conclu, après examen de la description de vos qualités et de votre formation, que vous n'étiez pas qualifiée pour ces professions.

Je vous ai évaluée pour la profession de rédactrice adjointe, pour laquelle je vous ai accordé les points d'appréciation suivants :

Âge                                                                                                                                                                         10

Demande professionnelle                                                                                                                             03

Études et formation                                                                                                                                         05

Expérience                                                                                                                                                          04

Emploi réservé                                                                                                                                                   00

Facteur démographique                                                                                                                                 08

Études                                                                                                                                                                   13


Anglais                                                                                                                                                                 06

Français                                                                                                                                                             00

Personnalité                                                                                                                                                       07

Total                                                                                                                                                                      56

Vous n'avez pas reçu le nombre de points d'appréciation minimum requis pour être admise dans la catégorie des indépendants (70). Je considère que le nombre de points d'appréciation que vous avez obtenus reflète vos chances de réussir votre installation au Canada.

Il n'y a aucune autre profession qui ressort de votre demande et pour laquelle vous êtes qualifiée et avez de l'expérience, qui pourrait me permettre d'accueillir votre demande.

Comme vous ne répondez pas aux critères de sélection pour les immigrants indépendants, vous êtes membre de la catégorie de personnes non admissibles au Canada décrite à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration et j'ai rejeté votre demande. Vous trouverez en annexe copie des dispositions législatives citées dans cette lettre.

Je comprends que cette décision puisse vous désappointer et regrette qu'elle n'ait pu être favorable.

[6]                 Les questions en litige sont décrites comme suit au Mémoire des faits et du droit de la demanderesse, pages 3 et 4 :

[traduction]

A.            L'agente des visas

(i) a-t-elle commis une erreur de droit et entravé son pouvoir discrétionnaire en n'accordant que 13 points au lieu de 15 pour les études, s'appuyant pour ce faire sur une note de service alors qu'il existait une preuve que la demanderesse avait une équivalence de baccalauréat?

(ii) subsidiairement, l'agente des visas a-t-elle mal interprété la note de service sur laquelle elle s'est appuyée, puisqu'on n'y mentionne pas spécifiquement le New Asia Arts and Business College de Hong Kong?

(iii) a-t-elle enfreint son obligation d'équité procédurale envers la demanderesse, selon Muliadi, en ce qu'elle s'est appuyée sur une note de service qu'elle n'a pas divulguée à la demanderesse?

(iv) a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que l'établissement où elle a fait ses études doit être évalué dans le pays des études, plutôt que dans le pays où l'établissement a sa charte?

B.            L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en présumant que la demanderesse n'avait pas au moins une année d'expérience de travail comme recherchiste en politique sociale, qui aurait dû être appréciée, ce qui l'a menée à ne pas l'évaluer dans une autre profession?

C.            L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en

(i) interprétant les exigences d'études pour les professions de journaliste, réviseure et reporter, comme obligatoires plutôt que « habituellement exigées » ?

(ii) incluant sous la CNP le critère d'un rendement exceptionnel dans les fonctions?

Analyse

[7]                 L'agente des visas a conclu que la demanderesse n'était pas qualifiée pour les professions de journaliste, reporter et réviseure. Elle est arrivée à cette conclusion du fait qu'à son avis, la demanderesse ne répondait pas aux conditions d'accès à ces professions.


[8]                 CNP 5122 (réviseure) et CNP 5123 (journaliste/reporter) font état des conditions d'accès à la profession suivantes : a) pour 5122 réviseure : un baccalauréat en journalisme, en lettres françaises ou anglaises ou dans une discipline connexe est habituellement exigé; - Plusieurs années d'expérience dans le domaine du journalisme, de la rédaction ou de l'édition sont habituellement exigées; b) pour 5123 journaliste : un diplôme d'études universitaires ou collégiales en journalisme ou dans une discipline connexe est habituellement exigé.

[9]                 La question soulevée au vu des conditions d'accès à la profession prévues à CNP 5122 et 5123 est la suivante : le diplôme obtenu par la demanderesse au New Asia Arts and Business College est-il un diplôme qui satisfait aux conditions d'accès à la profession de CNP 5122 et 5123. L'agente des visas est arrivée à la conclusion que ce n'était pas le cas. Dans son affidavit, daté du 16 juillet 1999, l'agente des visas explique sa position comme suit aux paragraphes 6, 7 et 8 :

[traduction]

6.             La demanderesse a présenté une preuve portant qu'elle avait reçu un diplôme du New Asia Arts and Business College de Hong Kong. Je lui ai accordé 13 points d'appréciation sous le facteur I de l'annexe I du Règlement. Bien que la demanderesse m'a fourni une documentation en provenance du Collège qui porte que ses diplômes sont reconnus comme un équivalent du baccalauréat ès arts et du baccalauréat ès sciences par le ministère de l'Éducation de Chine et par certaines universités aux États-Unis, mes recherches m'indiquent que les diplômes du Collège n'ont pas ce statut à Hong Kong. J'ai aussi conclu qu'ils ne répondraient pas aux exigences de la CNP pour les professions visées, savoir journaliste ou professions connexes de reporter et réviseure. Je n'ai donc pas examiné la question de savoir si le diplôme est reconnu à Taïwan.


7.             Dans sa demande, la demanderesse a indiqué qu'elle a détenu plusieurs postes dans le domaine du journalisme pendant une période de quatre ans, comme reporter et réviseure à Hong Kong. La demanderesse a été évaluée dans la profession visée de journaliste (CNP 5123.0) au vu des descriptions de tâches qu'elle m'a communiquées lors de l'entrevue. J'ai conclu que la demanderesse avait assumé des fonctions semblables à celles de la profession visée de journaliste. Toutefois, elle avait un diplôme en littérature et histoire chinoises et elle ne satisfaisait donc pas aux critères Études et formation de CNP 5123.0, qui exigent un diplôme d'études universitaires ou collégiales en journalisme, en lettres françaises ou anglaises ou dans une discipline connexe. J'ai conclu que la littérature et l'histoire chinoises n'étaient pas une « discipline connexe » et donc que la demanderesse ne répondait pas aux critères de la CNP pour la profession visée. La demanderesse a aussi été évaluée comme reporter, profession qui est dans le même groupe de la CNP, savoir 5123. Toutefois, la demanderesse n'a pas les qualifications minimales requises dans les conditions d'accès à la profession pour cette occupation à la CNP, savoir qu'un diplôme d'études universitaires ou collégiales en journalisme ou dans une discipline connexe est habituellement exigé.

8.             J'ai aussi évalué la demanderesse comme réviseure (CNP 5122.0), puisque j'avais conclu qu'elle avait une expérience de travail dans cette profession. Toutefois, la demanderesse ne répond pas non plus aux conditions d'accès à cette profession en vertu de la CNP, savoir qu'un baccalauréat en journalisme, en lettres françaises ou anglaises ou dans une discipline connexe est habituellement exigé.

[10]            Il y a d'abord eu un débat entre les parties quant au sens à donner aux termes « habituellement exigées » , que l'on trouve à CNP 5122 et 5123. Ces termes ont été examinés par Madame le juge Sharlow (alors à la Section de première instance) dans Karathanos c. Canada (M.C.I.), [1999] J.C.F. no 1528 (dossier no IMM-5011-98, jugement en date du 5 octobre 1999), et par le juge Evans (alors à la Section de première instance) dans Nemati c. Canada (M.C.I.), [1999] J.C.F. no 1193 (dossier no IMM-4092-98, jugement en date du 28 juillet 1999). Je préfère l'avis exprimé par le juge Sharlow dans Karathanos à celui de Monsieur le juge Evans dans Nemati. Dans ses motifs, le juge Sharlow fait une distinction entre les conditions d'accès prévues au facteur « études et formation » et celles prévues au facteur « demande professionnelle » . Elle conclut que pour le facteur études et formation, les termes « exige habituellement » doivent être lus comme exige toujours. Au paragraphe 15 de ses motifs, elle dit ceci à ce sujet :

15.           Ainsi, on peut dire qu'en accordant des points d'appréciation dans la catégorie « Études et formation » de l'Annexe I, une catégorie professionnelle qui exige habituellement une maîtrise est traitée comme si elle exigeait toujours une maîtrise.


[11]            Quant au facteur de la demande professionnelle, le juge Sharlow déclare ceci aux paragraphes 16 et 17 :

16.           Toutefois, il ne s'ensuit pas que les termes « exige habituellement » doivent être lus de la même façon dans l'évaluation du nombre de points à attribuer dans la catégorie « Facteur professionnel » . En évaluant le demandeur sous cette catégorie, les mots « exige habituellement » signifient simplement ce qu'ils disent. Cela est compatible avec les notes explicatives suivantes tirées de la Classification nationale des professions4 qui traitent de la signification des termes utilisés pour décrire le genre et le niveau d'éducation des conditions d'accès aux professions qui y sont énumérées :

__________________________

Note 4 : Introduction, page x.

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Conditions d'accès à la profession

Cette section décrit les conditions d'accès à ce groupe de base.

Quelques professions ont des exigences bien définies. Pour d'autres, soit qu'il n'existe aucun concensus (sic), soit qu'il puisse exister un éventail d'exigences acceptables. Afin de refléter ces variations dans le marché du travail, cette section décrit les conditions d'accès à la profession en utilisant la terminologie suivante :

-                        « ... est exigé » (pour indiquer une exigence précise);

-                        « ... est habituellement exigé » (pour indiquer que les employeurs exigent habituellement, mais pas nécessairement, que les candidats répondent aux exigences);

-                        « ... peut être exigé » (pour indiquer que certains employeurs peuvent exiger que les candidats répondent aux exigences, mais sur une base moins fréquente).

17.           Il n'y a donc pas de fondement à la conclusion tirée par l'agent des visas selon laquelle une personne qui n'a pas une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire est, pour cette seule raison, incapable de respecter les conditions d'accès à la profession d'archiviste. L'agent des visas a eu tort d'appuyer sa conclusion sur les parties du Guide sur les carrières qui ont trait à la détermination des points IEF et, par implication, les points pour la catégorie « Études et formation » . Ces données ne portent pas sur le sens des mots utilisés dans la catégorie « Facteur professionnel » de l'Annexe I.

[12]            Le juge discute ensuite la décision du juge Evans dans Nemati. Voici ce qu'elle dit à ce sujet aux paragraphes 20, 21, 22 et 23 de ses motifs :

20.           Au nom du ministre, on a fait valoir que l'agent des visas a correctement suivi une analyse semblable à celle adoptée par l'agent des visas dans la décision Nemati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1193 (QL) (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, la décision de l'agent des visas a été maintenue. Le paragraphe 4 des motifs indique ce qui suit :

L'agent s'est fondé sur les dispositions d'interprétation de la CNP qui disent que, lorsqu'un certain niveau de scolarité est « habituellement exigé » , le demandeur doit satisfaire à cette exigence à moins que l'agent ne soit convaincu qu'il existe dans le dossier des facteurs « importants et substantiels » montrant que le demandeur pourrait surmonter le fait qu'il ne satisfait pas à l'exigence habituelle.

21.           En fait, aucune disposition d'interprétation de la CNP ne renferme une telle affirmation. Le juge dans la décision Nemati semble avoir été induit en erreur à cet égard par l'affidavit d'un agent des visas qui avait été déposé dans cette affaire, et qui fait référence à un document intitulé « SSD-0044 NOC/la CNP "Use Of The NOC, Entry Requirements and Landing" » . Ce document ne fait pas partie de la Classification nationale des professions et il n'a jamais été incorporé par renvoi à la Loi sur l'immigration ou au Règlement sur l'immigration. Il s'agit simplement d'une note de service datée du 16 juillet 1997 qui a été distribuée aux agents des visas, apparemment par courriel.

22.           Cette note de service avait apparemment pour but de préciser certaines questions qui s'étaient posées au sujet de la Classification nationale des professions, qui, en juillet 1997, faisait partie du Règlement sur l'immigration depuis moins de trois mois. Pour ce qui a trait aux exigences relatives aux études pour les professions énumérées dans la Classification nationale des professions, la note de service indique ce qui suit :

[traduction]

La CNP utilise des critères d'admissibilité pour ce qui a trait aux exigences relatives aux études. Leur usage pour les fins d'immigration est le suivant :

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité EST EXIGÉ, la personne DOIT avoir ce niveau de scolarité pour être jugée comme ayant les compétences pour exercer cette profession au Canada.

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité EST HABITUELLEMENT EXIGÉ, cela signifie que le requérant DOIT SATISFAIRE à cette exigence, à moins qu'il n'existe des facteurs importants et substantiels qui, de l'avis de l'agent des visas, font en sorte que le requérant surmontera probablement une telle exigence.

On s'attend à ce que les étrangers qui souhaitent exercer une profession respectent la norme de base au niveau des études indiquées par l'indicateur des études et de la formation ET les conditions d'accès à la profession.

23.           Cette note de service a également été citée dans la décision Hara c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (26 août 1999), IMM-6307-98. J'adopte les observations de Madame le juge Reed tirées du paragraphe 6 de cette décision :

...il est peut-être erroné de dire que l'expression « est habituellement exigé » signifie que l'exigence en matière d'éducation doit être remplie, sauf lorsque des facteurs importants convainquent l'agent des visas que les exigences professionnelles peuvent être surmontées. Il se peut qu'une telle interprétation soit trop stricte. Néanmoins, il doit y avoir une quelconque raison convaincante qui permette de penser que le demandeur sera capable de se trouver un emploi dans le domaine qu'il entend intégrer, malgré le fait qu'il ne possède pas les compétences « habituelles » en matière d'éducation.

[13]            Je me range complètement aux motifs exprimés par le juge Sharlow dans Karathanos et je vais maintenant traiter des faits particuliers de l'affaire qui m'est soumise.

[14]            Le témoignage de l'agente des visas au sujet du sens à donner aux termes « habituellement exigées » est pour le moins difficile à comprendre. Quoi qu'il en soit, il semble que l'agente des visas était d'avis que le diplôme de la demanderesse en littérature et histoire chinoises ne satisfaisait pas aux conditions d'accès à la profession de CNP 5122 et 5123. Selon l'agente des visas, le diplôme de la demanderesse n'est pas un diplôme dans une « discipline connexe » selon ce que l'on trouve à CNP 5122 et 5123.


[15]            Étant donné cette conclusion, l'agente des visas s'est dit d'avis que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions d'accès à la profession pour CNP 5122 et 5123. Bien qu'elle admettait que la demanderesse avait une expérience de travail comme réviseure et comme journaliste, elle n'a jamais examiné, selon moi, la question de savoir si cette expérience ou tout autre élément était de nature à la convaincre que la demanderesse pouvait travailler dans la profession visée, même si elle ne répondait pas aux exigences sur le plan des études.

[16]            Selon moi, l'agente des visas n'a pas examiné cette question. Tout d'abord, elle n'en traite pas dans son affidavit et on n'en trouve aucune mention dans ses notes STIDI. Deuxièmement, la discussion à ce sujet s'est produite au cours de l'interrogatoire de l'agente des visas par l'avocat de la demanderesse. Les questions et réponses suivantes se trouvent aux pages 54 et 55 de la transcription (pages 66 et 67 du dossier de demande) :

[traduction]

Q.            Ma question est la suivante : êtes-vous convaincue qu'elle fait le travail d'un journaliste?

R.            Oui.

Q.            Vous êtes d'accord qu'il n'est pas obligatoire d'avoir un diplôme universitaire ou d'études collégiales selon la CNP et vous nous dites maintenant : « Je ne peux l'évaluer comme journaliste parce qu'elle ne répond pas aux conditions d'accès à la profession » ? Il y a quelque chose ici qui n'a pas de sens.

R.            Oui. Je l'ai évaluée sous le facteur études - je veux dire, les études mentionnées comme conditions d'accès à la profession dans la CNP.

Q.            Je ne veux pas insister plus avant, mais il me semble que vous me dites qu'il s'agit là d'une exigence impérative. Vous me dites que ces conditions d'études sont impératives. C'est là la seule façon qui me permet de trouver un sens à votre réponse. Est-ce bien cela?

R.            Non. Je crois vous avoir déjà expliqué comme je vois cette affaire.

Q.            D'accord. Nous allons donc - je vais juste résumer encore une fois et je passerai à autre chose, puisque nous parlons de cette question depuis un moment.

Vous dites que les conditions portant sur les études ne sont pas impératives. Vous me dites que vous êtes convaincue qu'elle fait le travail d'un journaliste. Mais, vous ne pouvez l'évaluer en tant que journaliste parce qu'elle ne répond pas aux conditions d'accès sur le plan des études. D'accord? Est-ce là bien votre position?

R.            Oui. Je ne vois rien d'exceptionnel dans l'affaire de la demanderesse.

Q.            De quelle façon? Exceptionnel de quelle manière?

R.            Exceptionnel au vu des conditions d'accès à la profession, comme l'exige la CNP.


[17]            L'avocat de la demanderesse, M. Anderson, soutient qu'en utilisant le mot « exceptionnel » l'agente des visas doit avoir voulu indiquer qu'il n'y avait pas de facteurs importants et substantiels montrant que la demanderesse pourrait surmonter le fait qu'elle ne satisfaisait pas à l'exigence « habituelle » sur le plan des études. Après un examen approfondi du témoignage de l'agente des visas, de son affidavit et de ses notes STIDI, je suis convaincu qu'elle n'a pas évalué la demanderesse pour les professions visées de journaliste, reporter et réviseure suite à sa conclusion que cette dernière ne répondait pas aux conditions d'accès à la profession. En d'autres mots, l'agente des visas n'a jamais examiné la question de savoir s'il y avait une quelconque raison convaincante qui permette de penser que la demanderesse sera capable de se trouver un emploi dans le domaine qu'elle entend intégrer, malgré le fait qu'elle ne possède pas les compétences « habituelles » en matière d'éducation (voir Madame le juge Reed, dans Hara c. M.C.I., précité, au paragraphe 6) ou, pour reprendre les mots de M. Anderson, l'agente des visas n'a jamais examiné la question de savoir s'il existait des facteurs importants et substantiels montrant que la demanderesse pourrait surmonter le fait qu'elle ne satisfaisait pas à l'exigence habituelle sur le plan des études.

[18]            L'agente des visas fait la déclaration suivante au paragraphe 19 de son affidavit :

[traduction]

19.           Au paragraphe 7 de son affidavit, la demanderesse soutient que j'ai conclu qu'elle n'était pas une journaliste ou une réviseure. Ce n'est pas le cas. J'ai admis que la demanderesse avait une expérience de travail dans la profession visée de journaliste. De plus, j'ai même admis que la demanderesse avait une expérience de travail dans les professions de reporter et de réviseure. J'ai toutefois conclu qu'elle n'avait pas les qualifications lui permettant de satisfaire aux conditions d'accès à la profession précisées pour ces trois professions dans la CNP. J'ai donc évalué la demanderesse pour une profession pour laquelle elle était qualifiée et avait une expérience de travail, savoir comme rédactrice adjointe 1452.3. Toutefois, la demanderesse n'a obtenu que 56 points pour cette profession, ce qui n'est pas suffisant pour qu'elle obtienne la résidence permanente.


[19]            Cette déclaration indique clairement que l'agente des visas n'a pas évalué la demanderesse pour les professions de journaliste, reporter et réviseure, au motif qu'elle « n'avait pas les qualifications lui permettant de satisfaire aux conditions d'accès à la profession précisées pour ces trois professions dans la CNP » . Je comprends que l'agente des visas, en parlant des « qualifications lui permettant de satisfaire aux conditions d'accès à la profession » , voulait souligner que la demanderesse ne possède pas le diplôme universitaire ou le baccalauréat requis. Selon moi, c'est cette conclusion qui a mis fin à l'analyse de l'agente des visas portant sur ces trois professions. Comme je l'ai déjà fait remarquer, l'analyse aurait dû être poussée plus loin et examiner la question de savoir s'il existait des facteurs importants et substantiels montrant que la demanderesse pourrait surmonter le fait qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences en matière d'études ou, pour reprendre les mots du juge Reed dans Hara, précité, s'il y avait « une quelconque raison convaincante qui permette de penser que le demandeur sera capable de trouver un emploi dans le domaine qu'il entend intégrer, malgré le fait qu'il ne possède pas les compétences ‘habituelles' en matière d'éducation » .

[20]            De plus, la preuve ne me convainc pas que l'agente des visas ait examiné sérieusement, si même elle l'a fait, la question de savoir si le diplôme de la demanderesse en littérature et histoire chinoises était un diplôme dans une « discipline connexe » . Rien dans la preuve, sauf une affirmation à ce sujet dans son affidavit et dans ses notes STIDI, ne vient démontrer qu'elle s'est penchée sur cette question. À la page 58 de la transcription (page 70 du dossier de demande), l'agente des visas répond de la façon suivante aux questions de l'avocat de la demanderesse :

Q.            Bon. Pour la même raison que vous avez déjà donnée, savoir qu'elle ne répondait pas aux exigences du facteur études, est-ce la seule raison pour laquelle vous ne l'avez pas évaluée comme reporter?

R.            Oui.

Q.            Bon. Nous allons passer sur ceci brièvement, puisque vous l'avez mentionné, vous n'êtes pas convaincue que la littérature et l'histoire chinoises sont une discipline connexe?

R.            Oui.

Q.            Bon. Qu'est-ce qui serait une discipline connexe au journalisme? Que considérez-vous comme acceptable?

R.            Une discipline connexe est ce que la demanderesse peut acquérir pour se préparer à assumer les fonctions précisées pour la profession visée de reporter.

Q.            Vous ne pouvez donc me répondre quant à savoir ce qui serait une discipline connexe acceptable? Je veux dire, pouvez-vous me donner un exemple concret?

R.            Il faut qu'il s'agisse de quelque chose qui est lié à l'étude du journalisme, comme le précisent les conditions d'accès à la profession de la CNP.

[21]            La réponse de l'agente des visas à la question 248 porte qu'un domaine connexe acceptable est « quelque chose qui est lié à l'étude du journalisme, comme le précisent les conditions d'accès à la profession de la CNP » . Les exigences d'études de CNP 5123/journaliste sont un diplôme universitaire ou d'études collégiales en journalisme ou dans une discipline connexe. À moins que je ne me trompe, les personnes qui cherchent à obtenir un diplôme universitaire ou d'études collégiales en journalisme n'étudient pas le journalisme. Elles étudient les matières que les autorités académiques considèrent utiles et nécessaires pour devenir journaliste, au vu des diverses fonctions des journalistes. Comme exemple de ces fonctions, je vais simplement citer celles qui sont énumérées à CNP 5123 :

Les journalistes remplissent une partie ou l'ensemble des fonctions suivantes :

·              recueillir les informations locales, nationales et internationales au moyen d'interviews, d'enquêtes ou d'observations;

·              rédiger des actualités à des fins de publication ou de diffusion;

·              recevoir, analyser et vérifier les nouvelles et autres textes pour en évaluer l'exactitude;

·              prendre des dispositions en vue des interviews dans le cadre de leurs recherches et pour des émissions de radio et de télévision;

·              rechercher et signaler les innovations dans des domaines spécialisés tels que la médecine, la science et la technologie;

·              rédiger des articles ou des chroniques spécialisés;

·              rédiger des éditoriaux et des commentaires pour la radio et la télévision sur des sujets d'intérêt courant pour stimuler l'opinion publique et exprimer les politiques de la publication ou de la station de radiotélédiffusion;

·              rédiger des critiques d'oeuvres littéraires, musicales ou artistiques selon leurs connaissances, leur jugement et leur expérience.

Les journalistes peuvent se spécialiser dans les médias imprimés ou audiovisuels, dans des domaines particuliers tels la politique ou les arts et spectacles, ou dans une région géographique particulière.


[22]            À la lecture de cet énoncé de fonctions, il est clair qu'il est nécessaire d'avoir une bonne maîtrise des langues. On peut présumer qu'une connaissance de l'histoire, de la géographie et de plusieurs autres sujets est hautement pertinente dans l'exercice des fonctions de journaliste. La question devient donc de savoir si un diplôme en histoire et littérature chinoises est un diplôme dans une discipline connexe. J'avoue ne pas posséder la réponse à cette question, puisque je ne pourrais la donner qu'en comparant les matières étudiées par un candidat à un diplôme en journalisme avec les matières étudiées par la demanderesse pour obtenir son diplôme.

[23]            Je ne veux pas dire, ni même suggérer, que l'agente des visas aurait dû obtenir tous ces renseignements avant de prendre sa décision. Je veux simplement suggérer que l'agente des visas aurait dû examiner la question comme je l'ai présentée. Selon moi, l'agente des visas a tout simplement rejeté sans examen le diplôme de la demanderesse en tant que diplôme dans une discipline connexe. Selon moi, il s'agissait là d'une erreur. Afin qu'il n'y ait pas de malentendu, je tiens à préciser que je ne conclus pas ni même ne suggère que le diplôme de la demanderesse est un diplôme dans une discipline connexe au journalisme.


[24]            La demanderesse soulève une autre question, savoir si l'agente des visas a commis une erreur en concluant qu'elle n'avait droit qu'à 13 points du fait que les diplômes délivrés par son collège n'étaient pas reconnus à Hong Kong. Ce faisant, l'agente des visas semble s'être appuyée sur le Manuel Traitement des demandes à l'étranger, ainsi que sur une note de service interne portant sur l'évaluation des diplômes à Hong Kong. Étant donné mes conclusions au sujet des exigences relatives aux études et à l'accès à la profession, je n'ai pas à trancher cette question. Je dirais toutefois que j'ai des doutes sérieux quant au bien-fondé de la position adoptée par le défendeur à ce sujet. Selon le raisonnement de l'agente des visas, même si le diplôme de la demanderesse était reconnu par toutes les provinces canadiennes, elle ne pourrait attribuer 15 points à la demanderesse, étant donné que le diplôme n'est pas reconnu à Hong Kong. Je trouve cette position difficile à accepter étant donné que les exigences en matière d'études ont pour but d'assurer qu'un immigrant a une perspective raisonnable de trouver un emploi au Canada. Je ne trancherai pas cette question, qui devra être traitée par l'agent des visas qui procédera au réexamen de ce dossier.

[25]            Quant au fait que l'agente des visas n'a pas divulgué la note de service en cause à la demanderesse, je ne peux adopter la position de la demanderesse. Selon moi, dans les circonstances, l'agente des visas n'a pas enfreint son obligation d'équité. J'adopte donc les allégations présentées par M. Anderson dans le Mémoire des faits et du droit du défendeur, aux paragraphes 24 et 25 :

[traduction]

24.           L'obligation d'équité des agents des visas est limitée. Un agent des visas n'a pas à communiquer au demandeur ses préoccupations, lorsque celles-ci font suite au défaut du demandeur de démontrer qu'il répond aux critères d'admission. L'équité n'exige pas que l'agent des visas indique à un demandeur quelles sont ses préoccupations quant à son obligation de satisfaire aux critères d'admission.


25.           Nous alléguons que l'équité n'exigeait pas que l'agente des visas divulgue à la demanderesse la note de service sur l'évaluation des études. Cette note de service ne provient pas d'une source externe. De plus, elle contient des renseignements qui sont du domaine public - quelles institutions de Hong Kong peuvent délivrer des diplômes. Finalement, une telle divulgation n'aurait pas permis à la demanderesse de répondre aux préoccupations de l'agente des visas - savoir que le Collège ne pouvait délivrer des diplômes à Hong Kong n'aurait pas permis à la demanderesse de convaincre l'agente des visas qu'il le pouvait. La préoccupation de l'agente des visas était de nature telle que la demanderesse ne pouvait rien avancer qui aurait réglé la question.

[26]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente désignée Judyanna Ng, datée du 9 avril 1999, est annulée et la question est renvoyée à un agent différent pour nouvel examen. Il n'y aura pas de dépens.

« Marc Nadon »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 15 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                             IMM-2397-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Yan Yan Woo

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 24 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                                     le 15 décembre 2000

ONT COMPARU

M. Cecil Rotenberg                                              POUR LA DEMANDERESSE

M. Martin E. Anderson                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Cecil Rotenberg                                              POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20001215

Dossier : IMM-2397-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 DÉCEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE :

                                           YAN YAN WOO

                                                                                          demanderesse

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente désignée Judyanna Ng, datée du 9 avril 1999, est annulée. La demande et le dossier de la demanderesse sont renvoyés à un agent des visas différent pour nouvel examen et décision.

« Marc Nadon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

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