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Date : 19981109


Dossier : IMM-318-98

ENTRE

VALERIE ANTILLON,


demanderesse,

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON :

La demande

[1]      Mme Valerie Antillon a demandé, en vertu de l"art. 82.1 de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985) ch. I-2 (la Loi), le contrôle judiciaire d"une décision par laquelle l"agente d"immigration (l"agente) avait refusé, le 4 février 1998, la demande qu"elle avait présentée conformément au par. 114(2) de la Loi en vue d"obtenir une dispense en vertu du par. 9(1) de la Loi (la décision). La demanderesse avait allégué qu"il existait des raisons d"ordre humanitaire justifiant le traitement de sa demande de résidence permanente au Canada.

[2]      La demande de contrôle judiciaire est fondée sur les motifs suivants :

(1)      La partialité - La façon dont l"agente a traité la demanderesse, M. Antillon et l"avocate de la demanderesse montre qu"elle avait décidé de l"affaire avant même d"avoir une entrevue avec la demanderesse.
(2)      L"équité - La décision était inéquitable en ce sens que la demanderesse et M. Antillon n"ont pas eu la possibilité d"expliquer les contradictions existant entre leurs témoignages à la fin de leurs entrevues.
(3)      La charge de la preuve et le critère juridique - L"agente a commis une erreur de droit en interprétant d"une façon erronée la charge de la preuve et le critère juridique à appliquer pour déterminer si le mariage de la demanderesse était un véritable mariage.
(4)      Les considérations non pertinentes et les considérations pertinentes - La décision était fondée sur des considérations non pertinentes et l"agente n"a pas tenu compte de considérations pertinentes.

Les faits

[3]      La demanderesse et M. Antillon se sont mariés à l"hôtel de ville de Toronto le 26 octobre 1996. Ils s"étaient rencontrés en janvier 1995 et ils habitaient ensemble depuis le mois d"avril de cette année-là. Une centaine d"invités ont assisté au mariage et, entre autres, la soeur de la demanderesse, qui était venue de Grenade.

[4]      En février 1997, la demanderesse a demandé au Parkdale Community Legal Services, Inc. (le PCLS) de préparer sa demande d"établissement. M. Antillon devait la parrainer. En avril 1997, après que les droits nécessaires eurent été payés, le PCLS a commencé à travailler au dossier.

[5]      En mai 1997, la demanderesse et M. Antillon ont eu une querelle de famille et la demanderesse a appelé la police. Lorsque les policiers sont arrivés, M. Antillon a nié que la demanderesse était sa conjointe et il a déclaré que leur mariage était un mariage de convenance. La demanderesse a donc été détenue par la police et on l"a finalement amenée au Centre de détention de l"Immigration de Mississauga.

[6]      Le 23 mai 1997, la demanderesse, M. Antillon et un avocat se sont présentés à l"audience relative à l"examen des motifs de garde. M. Antillon a déclaré qu"il avait faussement répudié son mariage. L"agente qui a mené l"audience a convenu d"ajourner l"enquête tant que la demande d"établissement de la demanderesse n"aurait pas été préparée et déposée. La demanderesse a été mise en liberté moyennant un cautionnement de 1 000 $ en espèces, qui a été payé par M. Antillon.

[7]      Le 13 juin 1997, la demande d"établissement de la demanderesse a été déposée; M. Antillon y était désigné à titre de répondant.

[8]      Le 29 novembre 1997, l"agente a eu des entrevues distinctes avec la demanderesse et avec M. Antillon en vue de déterminer si leur mariage était authentique. Le 19 janvier 1998, la demanderesse a été informée par téléphone que sa demande d"établissement avait été refusée. Le 27 janvier 1998, après la tenue d"une audience, la demanderesse a fait l"objet d"une mesure d"expulsion.

La preuve

[9]      L"agente a rédigé à la main quatre pages et demie de notes, d"une écriture serrée, lorsqu"elle a rencontré la demanderesse et M. Antillon le 29 novembre 1997 (les entrevues). J"appellerai ci-après ces notes les " notes de l"agente ". L"agente a également inscrit des renseignements dans le SSOBL. Le SSOBL est l"acronyme désignant le système interne des fichiers informatisés du défendeur. Les renseignements qui y figurent seront appelés ci-après les " notes du SSOBL ". Enfin, neuf mois après l"entrevue, l"agente a établi un affidavit daté du 31 août 1998, dans le cadre du présent contrôle judiciaire (l"affidavit de l"agente). Dans cet affidavit, l"agente décrit les entrevues et les lettres qu"elle a par la suite reçues; elle déclare que l"affidavit est fondé sur des faits dont elle a personnellement connaissance. Toutefois, l"affidavit ne montre pas clairement si l"agente se fondait sur ce qu"elle se rappelait elle-même lorsqu"elle l"a établi, ou si elle s"est entièrement fondée sur ses notes et sur les notes du SSOBL.

[10]      La demanderesse et M. Antillon ainsi que des membres du PCLS ont établi des affidavits à l"égard de la présente instance. L"affidavit de Mme Noreen Teo (l"affidavit de Mme Teo) est particulièrement intéressant. Il a été établi trois mois et demi après les entrevues et il renferme la version des événements, selon Mme Teo. Mme Teo était l"étudiante en droit qui représentait la demanderesse et M. Antillon aux entrevues.

[11]      Dans son affidavit, Mme Teo parle des longues notes qu"elle a prises pendant les entrevues, mais ces notes n"ont pas été produites en preuve. Toutefois, Mme Teo a préparé un exposé immédiatement après les entrevues. Cet exposé était probablement fondé sur les notes qu"elle avait prises; il a été produit sous la cote D (l"exposé de Mme Teo) en tant que document joint à l"affidavit d"Immi Sikand, du 18 mars 1998. Mme Sikand est une autre étudiante en droit qui travaillait au PCLS. À son affidavit est également jointe la demande d"établissement de la demanderesse que le PCLS avait préparée. La lettre d"envoi concernant la demande d"établissement était datée du 13 juin 1997. Il y était question de la nature véritable du mariage de la demanderesse; la période des fiançailles et le mariage y étaient décrits. Les antécédents professionnels de la demanderesse et de M. Antillon y étaient examinés. De plus, il y était mentionné que M. Antillon avait par le passé parrainé son frère et sa mère, et que la mère de M. Antillon refusait l"aide financière de celui-ci.

[12]      Enfin, l"avocat du PCLS a envoyé deux lettres après les entrevues. L"une, datée du 4 décembre 1997, a été envoyée à l"agente et la seconde, datée du même jour, a été envoyée au superviseur de l"agente. Malgré la confusion qui régnait au sujet de la date de la seconde lettre, il ressort de l"affidavit de l"agente que celle-ci a examiné les deux lettres. Je les appellerai " les lettres de rappel ".

Les points en litige

1.      La partialité

[13]      En alléguant que l"agente a porté un jugement prématuré sur l"affaire, la demanderesse invoque trois arguments : (1) à l"entrevue qu"elle a eue avec la demanderesse, l"agente était impatiente, impolie et hostile; (2) l"agente a déclaré qu"elle était tenue de se conformer à la politique voulant que le répondant qui manque à ses obligations ne puisse pas parrainer une personne par la suite et (3) l"agente a dit à M. Antillon que lorsqu"il parlait à l"Immigration, il fallait se fonder sur ce qu"il disait. J"examinerai chacun des arguments à tour de rôle.

[14]      L"avocate soutient que l"agente a été impolie envers la demanderesse parce qu"elle avait consulté les notes du SSOBL avant l"entrevue. Il s"agissait plus précisément des notes du 29 novembre 1997. Il est concédé que les notes sont exactes, mais il est soutenu qu"elle ne dépeignent pas la situation telle qu"elle existait parce qu"elles sont incomplètes. Ainsi, il est mentionné dans les notes du SSOBL que M. Antillon a manqué à ses obligations en sa qualité de répondant, mais aucune explication n"est fournie au sujet du fait qu"il ne pouvait pas subvenir aux besoins de sa mère.

[15]      Je ne puis retenir cet argument. Il ressort clairement des notes de l"agente qu"elle doit s"être préparée pour les entrevues, mais on ne sait pas ce qu"elle a consulté en se préparant. Dans son affidavit, l"agente déclare qu"elle avait accès aux notes du SSOBL. Elle ne dit pas exactement qu"elle les a consultées, mais je suppose qu"elle l"a fait car autrement elle n"en aurait pas parlé. Toutefois, l"avocate a concédé que la demande d"établissement aurait été versée dans le dossier dont l"agente disposait. La lettre d"envoi explique les circonstances du manquement. Je ne suis pas prête à inférer, en me fondant sur ce seul élément, que l"agente s"est présentée aux entrevues en ayant déjà porté un jugement sur l"affaire.

[16]      Toutefois, je tiens à faire remarquer que cet argument est également défectueux parce qu"il ressort clairement de la preuve que c"était envers la demanderesse que l"agente avait censément été impolie. Par contre, l"entrevue que l"agente a eue avec M. Antillon s"est bien déroulée. Si l"agente avait de fait été partiale, elle s"en serait prise à M. Antillon, puisque c"est lui qui avait manqué aux obligations qu"il avait en vertu de l"entente de parrainage et qui avait affirmé avoir menti aux policiers. Cela étant, on s"attendrait à ce que l"agente se soit montrée impolie envers M. Antillon en plus de l"être envers la demanderesse. Étant donné que ce n"est pas ce qui s"est produit, je ne puis conclure, en me fondant sur son attitude, que l"agente a porté un jugement prématuré sur l"affaire.

[17]      J"ai examiné les éléments de preuve que les parties ont présentés au sujet de la conduite de l"agente; je reconnais que l"affidavit de Mme Teo est fondé sur une version plus récente des événements. Toutefois, je ne suis pas convaincue que la conduite de l"agente ait été telle qu"elle puisse donner lieu à une conclusion de partialité. Je reconnais que l"agente a été brusque et impatiente, et que de fait elle a peut-être été impolie, mais je ne puis constater l"existence d"aucun élément tendant à montrer qu"elle ait fait des remarques sarcastiques, racistes ou sexistes, susceptibles de démontrer qu"elle était partiale. De plus, rien ne montre qu"elle ait constamment interrompu la demanderesse. Sur les 45 minutes pendant lesquelles l"entrevue a duré, il est clair que pendant une dizaine de minutes, la demanderesse était bouleversée, mais pas assez pour ne pas être en mesure de répondre aux questions. Sur toutes les questions qui ont été posées au cours des 45 minutes de l"entrevue, l"avocate de la demanderesse, Mme Teo, s"est uniquement plainte d"une série de questions. Enfin, il est clair qu"on n"a pas empêché Mme Teo de parler. Les notes de l"agente révèlent que Mme Teo est en fait intervenue un certain nombre de fois au cours de l"entrevue.

[18]      Le deuxième argument se rapporte à l"attitude apparente de l"agente relativement au manquement de M. Antillon en sa qualité de répondant. Si l"agente avait pris connaissance de la demande d"établissement, elle aurait su, avant l"entrevue de la demanderesse, que la mère de M. Antillon refusait que son fils subvienne à ses besoins. De toute façon, il est clair que, pendant l"entrevue avec la demanderesse, il a été question du manquement. Dans ses notes, l"agente dit ceci :

                 [TRADUCTION]                 
                 L"avocate dit que le répondant a fait son possible pour que sa mère cesse d"avoir recours à l"assistance sociale. Apparemment, elle refuse de ne pas y avoir recours. Il lui a apparemment offert de l"argent.                 

L"exposé de Mme Teo montrait qu"après avoir rencontré la demanderesse, l"agente a parlé de la question du manquement et du fait que M. Antillon ne pouvait donc pas parrainer la demanderesse. L"agente a apparemment déclaré que la politique était fort stricte, que c"était la loi, et qu"elle devait s"y conformer. L"avocate a convenu devant moi qu"en vertu de l"al. 5(2)g ) du Règlement sur l"immigration (le Règlement), une personne qui donne un engagement lorsqu"elle parraine la demande d"un parent ne doit avoir manqué à aucune des obligations antérieures lui incombant en sa qualité de répondant. Les deux avocats ont concédé que l"al. 5(2)g ) du Règlement aurait été en vigueur au moment où les entrevues ont eu lieu et ils ont également convenu qu"il était certain qu"en vertu du par. 114(2) de la Loi , l"agente avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte du Règlement. Étant donné qu"il n"existait aucune politique pertinente sur ce point, j"ai conclu que, lorsque l"agente parlait de la " politique ", elle voulait dire l"al. 5(2)g ) du Règlement.

[19]      À la fin de l"entrevue de la demanderesse, Mme Teo a fait savoir à l"agente qu"il n"était pas nécessaire d"observer le Règlement dans une appréciation des raisons d"ordre humanitaire; il est clair que l"agente l"a reconnu. Je le dis parce que l"exposé de Mme Teo montre également qu"à l"entrevue qu"elle a eue par la suite avec M. Antillon, l"agente a affirmé qu"étant donné que M. Antillon avait manqué à ses obligations, il était " discutable " qu"il puisse parrainer la demanderesse. De plus, dans la lettre de rappel du 4 décembre 1997, l"agente a été informée qu"elle avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte de l"al. 5(2)g ) du Règlement.

[20]      Dans ses notes, l"agente ne mentionne pas ce fait, mais dans son affidavit, elle en fait mention et elle déclare que le fait que M. Antillon avait manqué à l"engagement qu"il avait déjà donné à l"égard de sa mère la préoccupait énormément. L"agente a également fait observer que, même si elle n"était pas liée par la politique ministérielle, [TRADUCTION] " dans l"exercice du pouvoir discrétionnaire [qu"elle avait], en vertu du par. 114(2) ", elle tenait compte du fait que, selon la politique, il fallait examiner et évaluer fort minutieusement les demandes de parrainage présentées par des répondants qui avaient déjà manqué à leurs obligations.

[21]      J"ai examiné toute l"affaire et j"ai conclu que, lorsque l"agente a déclaré qu"elle devait se conformer à la politique, elle était au courant des faits et qu"elle voulait donc probablement dire qu"eu égard aux circonstances de l"affaire, elle devait se conformer à la politique. À mon avis, elle aurait pu conclure que rien de ce qu"elle avait entendu pendant l"entrevue de la demanderesse au sujet des motifs pour lesquels M. Antillon ne subvenait pas aux besoins de sa mère ne donnait à entendre qu"elle devait exercer le pouvoir discrétionnaire qu"elle possédait de ne pas tenir compte de l"al. 5(2)g ) du Règlement. Quoi qu"il en soit, il est également fort clair que l"agente savait qu"elle avait un pouvoir discrétionnaire bien avant de prendre sa décision. Eu égard aux circonstances de l"espèce je ne puis donc pas conclure que la déclaration qu"elle a faite, selon laquelle elle devait se conformer à la politique, montre qu"elle s"était déjà fait une idée du droit et des faits de l"affaire.

[22]      La troisième allégation de partialité est fondée sur la déclaration que l"agente aurait censément faite au sujet du fait que M. Antillon avait répudié son mariage lorsqu"il avait parlé aux policiers. La déclaration figure dans l"exposé de Mme Teo et dans la lettre de rappel du 4 décembre 1997. Selon l"exposé de Mme Teo, l"agente aurait censément dit ceci à M. Antillon, à la fin de l"entrevue : [TRADUCTION] " Lorsque vous parlez à l"Immigration, nous devons nous fonder sur ce que vous dites. " Toutefois, la preuve montre clairement que M. Antillon a répudié son mariage devant les policiers, et que ces derniers ont signalé la chose aux fonctionnaires de l"Immigration. L"agente parlait clairement de ces événements et il importe peu qu"elle ait parlé des fonctionnaires de l"Immigration plutôt que des policiers. Ce qui importe, c"est la répudiation.

[23]      La demanderesse soutient que l"agente voulait dire qu"il fallait considérer comme exacte la déclaration que M. Antillon avait faite aux policiers, et qu"on ne saurait tenir compte d"une explication voulant qu"il ait peut-être menti. Je ne suis pas prête à interpréter ainsi la déclaration de l"agente. Je crois qu"elle voulait dire que la personne qui dit une chose aux policiers et autre chose à quelqu"un d"autre, doit répondre de la contradiction, qu"on ne saurait omettre d"en tenir compte. À mon avis, il s"agit d"une déclaration tout à fait raisonnable et cette déclaration n"étaye pas une allégation de partialité.

2.      L" équité

[24]      La demanderesse soutient que, malgré la décision rendue par la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Shah c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), (1994) 170 N.R. 238 (C.A.F.), où la Cour précise l"obligation d"équité minimale qui existe lorsque la question des raisons d"ordre humanitaire est en cause, il est nécessaire, lorsqu"on procède à des entrevues distinctes en vue de déterminer si le mariage est authentique, de conclure le processus en organisant une entrevue conjointe de façon à donner aux intéressés la possibilité d"expliquer les contradictions qui sont apparues au cours de leurs entrevues distinctes. Je ne puis retenir cet argument compte tenu de la remarque claire que le juge Hugessen a faite (aux pages 239 et 240) :

                 Toutefois, lorsqu'elle décèle l'existence d'éléments contraires, son omission de les porter expressément à l'attention du requérant peut avoir une incidence sur le poids qu'elle doit leur accorder par la suite, mais ne porte pas atteinte au caractère équitable de sa décision.                 

[25]      J"interprète cette remarque comme voulant dire que, même s"il ne s"agit pas d"une exigence, l"omission d"attirer l"attention du demandeur sur les incohérences importantes, de façon que celui-ci puisse donner une explication satisfaisante à ce sujet, pourrait influer sur l"importance à accorder à ces incohérences.

[26]      Toutefois, en l"espèce, voici ce qui est clair :

1.      L"agente ne considérait pas les incohérences comme importantes. Les notes et l"affidavit de l"agente montrent qu"un nombre peu élevé d"incohérences ont été relevées dans les réponses respectives que la demanderesse et M. Antillon avaient données aux questions qui leur étaient posées.
2.      Quoi qu"il en soit, il existait une possibilité d"expliquer les contradictions. La seconde lettre de rappel expliquait de fait les incohérences les plus importantes.

Dans ces conditions, je ne puis constater l"existence d"aucune violation de l"obligation minimale d"équité imposée dans l"arrêt Shah , supra.

[27]      J"aimerais ajouter que je préfère le témoignage de Mme Teo à celui de l"agente en ce qui concerne la question de savoir si Mme Teo a eu l"occasion, dans le cadre d"une entrevue conjointe, de questionner la demanderesse et M. Antillon de façon qu"ils puissent expliquer les incohérences à la fin des entrevues distinctes qui leur avaient été accordées. Le témoignage de Mme Teo est fondé sur son exposé, qui se rapproche davantage dans le temps des événements en cause. Mme Teo dit qu"on avait promis de lui donner la possibilité d"obtenir des explications, mais que parce que l"agente n"avait pas le temps, elle n"a pas pu le faire. D"autre part, l"agente déclare dans son affidavit qu"elle [TRADUCTION] " n"empêcherai[t] pas une personne de poser des questions ou de faire les déclarations qu"elle juge nécessaires, avant la fin de l"entrevue ". Je suis certaine que cela est vrai, mais cela n"a rien à voir avec les faits de l"affaire, puisque dans ce cas-ci, on a manqué de temps à l"entrevue. J"ai conclu qu"étant donné que les notes de l"agente n"en font pas mention, l"agente ne se rappelle pas réellement ce qui s"est passé à la fin de l"entrevue. Mme Teo a le droit de se sentir frustrée puisque les efforts qu"elle a faits en vue d"obtenir des explications se sont avérés vains, mais dans le contexte de la présente affaire, les circonstances ne révèlent pas qu"une erreur susceptible de révision ait été commise.

3.a)      La charge de la preuve

[28]      Les lignes directrices relatives à l"examen et à l"application de la Loi publiées par Emploi et Immigration Canada (les lignes directrices) traitent, dans la section 9.14(2)b), des cas dans lesquels les agents peuvent refuser d"exercer le pouvoir discrétionnaire qu"ils ont de faire droit à une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire en vertu du par. 114(2) de la Loi. La première version de l"al. 2b ), au bas de la page 8, dit ceci : " [...] il suffit que les agents aient un doute raisonnable concernant l"authenticité du mariage pour refuser d"exercer leurs pouvoirs discrétionnaires " [je souligne]. Au haut de la page 9, la seconde version de l"al. 2b ) fait mention d"une règle différente. L"avocat m"a informée que cette modification, en ce qui concerne la charge de la preuve, a été effectuée en novembre 1993, et que c"est la dernière disposition figurant dans les lignes directrices qui s"appliquait à l"entrevue de la demanderesse, le 29 novembre 1997. Cette version se lit comme suit : [TRADUCTION] " Pour refuser d"exercer leur pouvoir discrétionnaire, il est donc suffisant que les agents soient convaincus selon la prépondérance des probabilités que le mariage a été contracté aux fins de l"immigration. Il faut s"assurer que les mots " doute raisonnable " ne figurent pas dans les lettres types de refus. Il faut plutôt employer " selon la prépondérance des probabilités " ou un autre libellé similaire " [je souligne]. En ce qui concerne cette seconde version de l"al. 2b ), il y a une ligne noire verticale dans la marge gauche; je suppose que cela vise à montrer qu"il s"agit de la nouvelle version de l"al. 2b ).

[29]      La demanderesse soutient que parce que l"ancienne version de l"al. 2b ) figurant au bas de la page 8 n"a pas été supprimée et qu"elle n"a même pas été rayée, il est possible que l"agent, en se reportant aux lignes directrices, se fonde par erreur sur l"ancienne version figurant à la page 8 plutôt que sur la nouvelle version, à la page 9.

[30]      À mon avis, cette disposition est rédigée d"une façon peu soignée; on devrait la corriger. Il est possible qu"en 1993 ou en 1994, un agent ait pu faire l"erreur en question. Toutefois, la modification existait déjà depuis quatre ans lorsque la demanderesse a eu son entrevue; dans ces conditions, et en l"absence d"un élément de preuve donnant à entendre que la mauvaise règle a de fait été utilisée, je ne suis pas prête à inférer qu"une erreur a été commise.

3.b)      L" agente s"est fondée sur un critère erroné à l"égard du caractère véritable du mariage

[31]      La demanderesse soutient que l"agente a commis une erreur de droit en se fondant, pour s"assurer du caractère véritable du mariage, sur un critère plus strict que le critère juridique que la Cour applique à l"heure actuelle. Dans sa décision, l"agente a dit que le mariage de la demanderesse [TRADUCTION] " n"était pas une union solide, reposant sur des bases durables, et qu"il avait été contracté principalement aux fins de l"immigration ".

[32]      Les mots " union solide, reposant sur des bases durables " ne figurent pas au par. 4(3) du Règlement , mais au par. 9.06(2) des lignes directrices. La demanderesse soutient que l"agente a commis une erreur de droit en se fondant sur les lignes directrices plutôt que sur le critère énoncé au par. 4(3) du Règlement.

[33]      Toutefois, il ne s"agit pas ici d"un cas dans lequel l"agente est tenue d"appliquer le par. 4(3) du Règlement. Dans un examen des raisons d"ordre humanitaire, l"agente a le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte du par. 4(3). Je ne puis donc conclure à l"existence d"une erreur susceptible de révision en ce qui concerne la façon dont l"agente a utilisé le libellé des lignes directrices.

4.a)      L" agente s"est fondée sur des considérations non pertinentes

[34]      La demanderesse soutient qu"en appréciant l"authenticité du mariage, l"agente s"est demandée sans motif légitime si M. Antillon pouvait la parrainer. Il est certain que la question du parrainage a quelque chose à voir avec l"appréciation des raisons d"ordre humanitaire dans son ensemble, mais je conviens que cela n"était pas pertinent aux fins de l"évaluation du mariage. Toutefois, rien ne me permet de croire que l"agente ait en fait confondu les questions. De fait, dans la décision, la question de l"authenticité du mariage et celle de l"appréciation des raisons d"ordre humanitaire dans son ensemble sont traitées séparément.

4.b)      L" agente a omis de se fonder sur des considérations pertinentes

[35]      À maints égards, ce problème constitue le noeud du litige. La demanderesse ne peut pas accepter qu"eu égard aux faits de l"affaire, l"agente n"ait pas pu conclure au caractère authentique du mariage. Elle souligne les points suivants :

-      Elle vit avec M. Antillon en tant que conjointe depuis 1995;
-      Ils se sont mariés en 1996;
-      Cent amis et parents ont assisté au mariage et, entre autres, sa soeur, qui était venue de Grenade;
-      Après son arrestation, M. Antillon s"est immédiatement rétracté, en ce qui concerne la répudiation de son mariage, et il a versé le cautionnement exigé. M. Antillon a expliqué qu"il avait répudié le mariage parce qu"il craignait les policiers;
-      Elle s"est réconciliée avec son mari dès qu"elle a été mise en liberté et elle vit depuis lors avec lui.

[36]      La demanderesse dit qu"étant donné qu"elle agit de la même façon depuis longtemps, la conclusion que l"agente a tirée, à savoir qu"il ne s"agissait pas d"un mariage authentique, est abusive et peut uniquement être attribuée au fait que l"agente n"a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents.

[37]      La réalité peut être différente. L"agente a eu une entrevue avec M. Antillon; les notes qu"elle a prises montrent qu"elle ne le jugeait pas digne de foi. Elle a clairement conclu qu"il n"avait pas menti en répudiant son mariage, mais qu"il disait plutôt la vérité. Elle a écouté l"explication que M. Antillon a donnée au sujet du fait qu"il craignait les policiers, mais elle ne l"a pas retenue. Une fois cette conclusion tirée, les autres indications montrant qu"il s"agissait d"un mariage authentique étaient compromises en ce sens qu"on pouvait s"attendre à ce qu"il soit conclu que le mariage était un mariage de convenance bien organisé.

[38]      La demanderesse affirme qu"il doit exister des éléments de preuve indépendants, comme le témoignage d"un tiers qui affirme qu"il s"agit d"un mariage frauduleux. La demanderesse dit également que la querelle de famille à la suite de laquelle on a appelé la police et la répudiation du mariage auraient dû être considérées comme indiquant l"existence d"une véritable relation.

[39]      Je ne puis retenir ni l"un ni l"autre de ces arguments. La répudiation par M. Antillon, une fois qu"elle était reconnue comme exacte, était suffisante pour justifier la décision de l"agente. De plus, l"agente n"a pas commis de faute, à mon avis, lorsqu"elle a conclu qu"une agression, qui était suffisamment grave pour amener la demanderesse à appeler la police, et la répudiation du mariage pouvaient indiquer l"existence d"un mariage de convenance. En appréciant la crédibilité de M. Antillon, l"agente s"est fondée sur tous les faits, comme la preuve le lui permettait. Je ne puis donc pas conclure que l"agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de faits pertinents.

Certification

[40]      La demanderesse a soumis les questions suivantes aux fins de la certification :

Première question :

Le critère permettant de déterminer si un mariage est " véritable " ou " authentique ", tel qu"il est appliqué par l"agent d"immigration qui s"est vu déléguer le pouvoir d"examiner une demande d"établissement au Canada pour des raisons d"ordre " humanitaire " fondées sur le mariage du demandeur à une personne qui est citoyenne canadienne ou résidente permanente est-il le même que le critère prescrit au par. 4(3) du Règlement sur l"immigration dans le cas du conjoint qui est membre de la catégorie des parents?

Ou encore :

Le critère permettant de déterminer si un mariage est " véritable " ou " authentique ", tel qu"il est appliqué par l"agent d"immigration qui s"est vu déléguer le pouvoir d"examiner une demande d"établissement au Canada pour des raisons d"ordre " humanitaire " fondées sur le mariage du demandeur à une personne qui est citoyenne canadienne ou résidente permanente est-il identique à celui qu"applique à l"étranger l"agent des visas qui est tenu de déterminer si une personne est un " conjoint " aux fins de l"immigration au Canada à titre de membre de la catégorie des parents, conformément au par. 4(3) du Règlement sur l"immigration?

Deuxième question :

Les lignes directrices de la politique d"immigration concernant le caractère " véritable " ou " authentique " d"un mariage, telles qu"elles sont énoncées au chapitre IE-9 du Guide de la politique d"immigration, à savoir que l"agent d"immigration doit déterminer si le mariage est " une union solide, reposant sur des bases durables " portent-elles atteinte d"une façon injustifiée au pouvoir discrétionnaire de l"agent d"immigration qui examine une demande d"établissement présentée par un conjoint pour des raisons " d"ordre humanitaire ", du fait qu"elles incorporent des critères subjectifs que la loi, tel qu"elle est énoncée au par. 4(3) du Règlement sur l"immigration, qui traite du cas du " conjoint " qui est membre de la catégorie des parents, ne justifie pas?

Troisième question :

À supposer que l"équité administrative exige que l"agent d"immigration convoque le demandeur à une entrevue pour examen des raisons " d"ordre humanitaire " uniquement s"il est nécessaire de se prononcer sur des questions de crédibilité, et à supposer que le principe de l"équité administrative ne confère pas le droit à un avocat, à pareille entrevue, mais que le demandeur est convoqué à une entrevue et qu"il s"y présente avec un avocat, l"obligation d"équité exige-t-elle que l"avocat soit autorisé, à un moment donné au cours de l"entrevue, à poser des questions et à obtenir des éléments de preuve destinés à aider le demandeur à expliquer certaines méprises ou certains malentendus auxquels l"entrevue peut avoir donné lieu?

[41]      Les première et deuxième questions sont fondées sur l"applicabilité du par. 4(3) du Règlement en l"espèce. Étant donné que j"ai conclu que cette disposition ne lie pas l"agent dans le cadre d"un examen des raisons d"ordre humanitaire, ces questions ne pourraient pas être déterminantes. Elles ne seront donc pas certifiées.

[42]      La troisième question ne sera pas certifiée, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, elle ne serait pas déterminante puisque dans ce cas-ci, les incohérences n"étaient clairement pas importantes. De plus, comme je l"ai fait remarquer ci-dessus, j"estime que cette question a clairement été réglée dans l"arrêt Shah , supra. Il n"existe pas d"obligation de ce genre.

Conclusion

[43]      Pour ces motifs, une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire et refusant la certification des questions proposées sera rendue.

                                       " Sandra J. Simpson "

                             ________________________

                                 Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 9 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :      VALERIE ANTILLON

    

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
    

No DU GREFFE :      IMM-318-98

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      les 22 et 23 septembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Simpson en date du 9 novembre 1998

ONT COMPARU :

     Geraldine Sadoway              pour la demanderesse
     Michael Morris              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Parkdale Community Legal Services          pour la demanderesse

     Toronto (Ontario)

     Morris Rosenberg              pour le défendeur

     Sous-procureur général

     du Canada


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