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Date : 20000111


Dossier : T-1372-96


OTTAWA (ONTARIO), LE 11 JANVIER 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE CULLEN



AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté conformément à l"article 56

de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, dans sa forme modifiée, contre la décision du registraire des marques de commerce

datée du 10 avril 1996 de radier l"enregistrement de la marque de commerce

VOGUE DESSOUS portant le numéro 358,156


ENTRE :



VOGUE BRASSIERE INCORPORATED



demanderesse


et



SIM & McBURNEY et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE


défendeurs


     ORDONNANCE


L"appelante ayant présenté une demande en vue d"interjeter appel, conformément à l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), contre une décision du registraire des marques de commerce datée du 10 avril 1996 radiant l"enregistrement de la marque de commerce " VOGUE DESSOUS " en vertu de l"article 45 de la Loi;

CETTE COUR CONCLUT que la marque de commerce " VOGUE DESSOUS " est valide et ordonne que l"appel soit accueilli.





                         B. Cullen

                                 J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.





Date : 20000111


Dossier : T-1372-96




AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté conformément à l"article 56

de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, dans sa forme modifiée, contre la décision du registraire des marques de commerce

datée du 10 avril 1996 de radier l"enregistrement de la marque de commerce

VOGUE DESSOUS portant le numéro 358,156


ENTRE :



VOGUE BRASSIERE INCORPORATED



demanderesse


et



SIM & McBURNEY et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE


défendeurs


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE CULLEN

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"un appel interjeté conformément à l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce contre la décision par laquelle le registraire des marques de commerce a radié, le 10 avril 1996, l"enregistrement de la marque de commerce VOGUE DESSOUS (la marque de commerce) conformément à l"article 45 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi).

LES FAITS

[2]      L"appelante, Vogue Brassiere Inc., fabrique, distribue et annonce des sous-vêtements féminins en liaison avec la famille de marques de commerce Vogue. La marque de commerce Vogue Dessous est enregistrée à l"égard des marchandises suivantes : [TRADUCTION] " sous-vêtements féminins, à savoir soutiens-gorge, gaines, bikinis, tangas, camisoles, jupons, maillots, combinés, porte-jarretelles et bustiers. "

[3]      L"appelante vend depuis de nombreuses années (soit depuis 1989) des sous-vêtements féminins au Canada en liaison avec les marques de commerce; elle en vendait à la date de l"avis de radiation de l"enregistrement de la marque de commerce donné par le registraire conformément à l"article 45 de la Loi et elle en vend encore à l"heure actuelle. L"appelante a fait connaître la marque de commerce au Canada au moyen de diverses activités de publicité.

[4]      Le 15 novembre 1993, à la demande de Sim & McBurney, le registraire des marques de commerce (le registraire) a envoyé un avis à l"appelante, qui est le propriétaire inscrit de la marque de commerce, conformément à l"article 45 de la Loi. À la suite de cet avis, l"appelante a déposé un affidavit daté du 2 février 1994.

[5]      Dans une décision écrite datée du 26 avril 1996, le registraire a décidé de radier la marque de commerce. Il a conclu que la preuve figurant dans l"affidavit Piltz (M. Piltz est le président de l"appelante) montrait que la marque de commerce était employée au Canada, mais qu"étant donné que tous les vêtements produits en preuve portaient une étiquette volante " Vogue Dessous International Inc. " (VDI), il n"était pas convaincu que les détaillants considéreraient l"appelante comme étant propriétaire de la marque de commerce. Le registraire a conclu que si la preuve avait démontré que l"appelante employait la marque, il aurait jugé cela suffisant pour maintenir l"enregistrement de la marque de commerce en liaison avec toutes les marchandises, à l"exception des jupons.

[6]      Le 10 juin 1996, l"appelante a déposé un avis d"appel de la décision du registraire. Deux affidavits additionnels ont été déposés : l"affidavit supplémentaire de Frank Piltz (le nouvel élément de preuve en appel) et l"affidavit de Christine de Lint. Le registraire a fait savoir qu"il ne prenait aucune position dans cet appel.

[7]      Entre l"année 1989 et le mois de juillet 1991, les sous-vêtements portant la marque de commerce ont été vendus uniquement au Canada. La preuve montre que les jupons ont été à la mode jusqu"en 1991, mais qu"en 1993, ni l"appelante ni ses concurrents directs n"offraient des jupons chez des détaillants. L"appelante ne vend donc pas ces articles depuis 1991, mais elle a affirmé qu"elle offrirait de nouveau ces articles s"il y avait une demande.

[8]      Entre le 15 novembre 1990 et le 15 novembre 1993, en plus de la marque de commerce, tout sous-vêtement vendu par l"appelante au Canada portait le numéro d"identification de fournisseur de vêtements canadiens unique en son genre attribué à celle-ci (le numéro d"identification CA), qui désigne l"appelante à titre de fabricant de ces sous-vêtements. Aucune dénomination sociale ou aucun nom commercial ne figure sur les étiquettes apposées aux vêtements. Industrie Canada exige que les fournisseurs indiquent leur nom sur l"étiquetage d"un vêtement de façon à permettre aux consommateurs de les identifier et de communiquer avec eux au sujet d"un produit.

[9]      Au mois de juillet 1991, l"appelante a commencé à fabriquer des vêtements destinés à être vendus aux États-Unis par une filiale possédée en propriété exclusive, VDI. (Ce nom, VDI, identifie la filiale en propriété exclusive de l"appelante, qui achète les sous-vêtements exclusivement chez l"appelante et les vend uniquement aux États-Unis). Des stocks distincts comportant les renseignements nécessaires aux fins des ventes aux États-Unis ont initialement été constitués. On a continué à procéder ainsi jusqu"au mois de mai 1992. Pendant la période allant du mois de juillet 1991 au mois de mai 1992, tous les vêtements vendus au Canada portaient le même étiquetage que celui qui a ci-dessus été décrit. Au mois de mai 1992, l"appelante a décidé que le maintien de stocks distincts de marchandises destinées à être vendues au Canada et aux États-Unis coûtait trop cher. Elle s"est donc mise à produire des stocks d"articles sur lesquels des étiquettes étaient cousues en vue de satisfaire aux exigences réglementaires tant canadiennes qu"américaines en matière d"étiquetage de vêtements. Elle a effectué cette modification graduellement, sur une période de plusieurs mois.

[10]      Entre le mois de mai 1992 et le 15 novembre 1993, certains sous-vêtements vendus par l"appelante au Canada en liaison avec la marque de commerce portaient des étiquettes sur lesquelles figurait le numéro d"identification CA unique en son genre de l"appelante ainsi que la dénomination sociale Vogue Dessous International Inc. (VDI). Pendant cette période, certains vêtements vendus au Canada en liaison avec la marque de commerce portaient : (1) la marque de commerce; (2) le numéro d"identification CA de l"appelante; (3) aucune autre identification ne figurait sur les vêtements. L"étiquetage des autres sous-vêtements renfermait des renseignements additionnels pertinents aux fins de leur vente aux États-Unis. Le nom commercial Vogue Dessous International Inc. de l"appelante était inscrit sur les étiquettes cousues sur les marchandises destinées à être exclusivement vendues aux États-Unis ainsi que le numéro RN (soit l"équivalent américain du numéro CA) et, après le mois de mai 1992, le nom et le numéro en question étaient également inscrits sur les sous-vêtements susceptibles d"être vendus soit au Canada soit aux États-Unis.

[11]      VDI achète des sous-vêtements portant exclusivement la marque de commerce de l"appelante et les vend aux États-Unis. Les sous-vêtements fabriqués par l"appelante sur lesquels sont apposées des étiquettes au nom de VDI sont censément identiques, sur le plan de la qualité, à tous les autres sous-vêtements que l"appelante vend au Canada.

[12]      Plusieurs sous-vêtements sont joints à titre de pièces au premier affidavit du président de l"appelante, M. Piltz. Certains articles portaient des étiquettes cousues identifiant VDI ainsi que des étiquettes volantes au nom de VDI. D"autres articles joints à l"affidavit portaient des étiquettes cousues indiquant la marque de commerce et le numéro d"identification CA ainsi que des étiquettes volantes au nom de VDI. M. Piltz affirme que dans les stocks qui existaient au moment où son premier affidavit a été préparé, il y avait des articles portant des étiquettes cousues indiquant la marque de commerce et le numéro d"identification CA, sans aucune étiquette au nom de VDI. Les articles qui ont été joints à titre de pièces à l"affidavit supplémentaire de M. Piltz sont des échantillons de sous-vêtements vendus exclusivement au Canada au cours de la période pertinente, portant des étiquettes cousues sur lesquelles la marque de commerce et le numéro d"identification CA seulement sont inscrits, sans étiquette volante au nom de VDI.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]      La marque de commerce était-elle employée au Canada pendant la période allant du 15 novembre 1990 au 15 novembre 1993?

[14]      Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant que le numéro d"identification CA figurant sur les sous-vêtements n"identifie pas l"appelante?

ARGUMENTS DE L"APPELANTE

L"emploi de la marque de commerce

[15]      L"appelante soutient que, compte tenu des nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés, cet appel devrait être entendu dans le cadre d"un nouveau procès.

[16]      L"appelante affirme avoir démontré que la marque de commerce n"avait pas cessé d"être employée, selon la définition du mot " emploi " figurant au paragraphe 2(1) et à l"article 4 de la Loi. L"appelante soutient qu"elle a satisfait au critère préliminaire peu strict prévu à l"article 45 de la Loi et que, pendant la période pertinente, elle a employé la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises. L"appelante se fonde sur la décision Austin Nichols & Co. c. Cinnabon , [1998] A.C.F. no 1352, pour démontrer que le critère relatif à l"emploi auquel le propriétaire inscrit doit satisfaire en vertu de l"article 45 " n"est pas sévère ". Elle affirme également que l"article 45 n"impose pas à l"inscrivant l"obligation de prouver un emploi continu au Canada.

[17]      L"appelante soutient que la Cour d"appel a déclaré que la preuve d"une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce, peut suffire pour démontrer l"emploi de la marque de commerce. Elle se fonde sur la décision Plough c. Aerosol Filler Inc.1 selon laquelle la preuve nécessaire de l"emploi de la marque de commerce peut découler du fait que " la marque est apposée sur les marchandises ou sur leur emballage ou liée aux marchandises, au moment de la vente ou de la livraison de celles-ci, dans la pratique normale du commerce ".

[18]      L"appelante soutient que la Loi n"exige pas que le nom de l"inscrivant figure en liaison avec la marque de commerce. Elle souligne qu"elle n"est pas tenue d"être identifiée en liaison avec la marque de commerce, mais qu"elle était néanmoins identifiée au moyen de son numéro d"identification CA unique en son genre, comme le permet la Loi sur l"étiquetage des textiles. Elle soutient que le paragraphe 12(4) du Règlement d"application de la Loi sur l"étiquetage des textiles fédérale permet au fabricant d"utiliser un numéro d"identification CA unique en son genre sur l"étiquette d"un article textile de consommation à la place de son nom et de son adresse postale.

[19]      L"appelante soutient en outre que l"article 45 n"exige pas que l"inscrivant démontre qu"il serait [TRADUCTION] " considéré comme étant propriétaire de la marque de commerce " par ses clients, étant donné que la Loi n"exige pas que son nom soit inscrit en liaison avec la marque de commerce. L"appelante explique que, grâce à l"emploi de son numéro d"identification CA, un membre du public peut facilement obtenir son nom et son adresse.

[20]      L"appelante soutient enfin que son emploi de la marque de commerce au Canada en liaison avec la vente de jupons entre 1989 et 1991 est suffisant pour assurer le maintien de l"enregistrement de ces marchandises étant donné que la loi prévoit clairement que le propriétaire inscrit n"a qu"à démontrer un certain emploi plutôt qu"un emploi continu pendant la période de trois ans en question.

Le numéro d"identification CA

[21]      Il est soutenu que le numéro d"identification CA unique en son genre de l"appelante figurant sur les étiquettes cousues identifie l"appelante. Comme je l"ai déjà expliqué, l"appelante souligne qu"un fabricant peut s"identifier auprès du public au moyen de l"utilisation du numéro d"identification CA. Elle soutient que tout membre du public peut facilement déterminer l"identité et l"adresse du fabricant au moyen du numéro CA en communiquant avec Industrie Canada.

La décision Mayborn Products Limited c. Le registraire des marques de commerce

[22]      L"appelante soutient que les faits de l"affaire Mayborn Products Limited sont différents de ceux de la présente espèce et que cette décision ne doit donc pas être suivie. Elle soutient que contrairement à ce qui s"était produit dans l"affaire Mayborn , sa filiale n"a jamais conclu de ventes au Canada.

[23]      L"appelante affirme que les enregistrements se rapportant à des marques de commerce qui sont de toute évidence employées ne doivent pas être annulés pour la forme et qu"il faudrait toujours tenir compte du but de l"article 45. Il est soutenu qu"il ne faudrait pas tolérer des abus en permettant la radiation lorsque la marque est en fait connue et employée.

L"affidavit de M. Piltz

[24]      L"appelante soutient que le registraire a commis une erreur de droit en tenant compte de la preuve présentée par M. Piltz alors que cette preuve ne lui avait pas été soumise de la façon appropriée. Elle affirme qu"en vertu de l"article 45, seul le propriétaire inscrit peut fournir une preuve de l"emploi de la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises et services à l"égard desquels cette marque est enregistrée. Le seul élément de preuve que l"appelante a fourni devant le registraire est l"affidavit de M. Piltz.

ARGUMENTS DE L"INTIMÉ

[25]      L"intimé affirme que le nouvel élément de preuve soumis par l"appelante en appel n"avait pas pour effet de modifier cette conclusion et qu"aucun nouvel élément de preuve précis n"a été présenté à l"égard des jupons.

[26]      L"intimé soutient que le numéro d"identification CA n"identifie pas l"inscrivant ou quelque autre personne auprès du consommateur ordinaire des marchandises de l"inscrivant au moment du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises. Par conséquent, tout emploi devrait être réputé avoir été effectué au profit de la seule personne dont le nom figurait sur les marchandises, soit dans ce cas-ci VDI, qui n"est pas l"inscrivant.

[27]      Subsidiairement, si le numéro CA désigne de fait une personne morale, les activités de l"inscrivant identifiaient deux entités distinctes à l"égard de l"emploi de la marque de commerce au Canada. L"intimé maintient que l"emploi de la marque sur les marchandises destinées à être vendues aux États-Unis constitue un emploi au Canada, et que VDI était clairement désignée à cet égard. L"intimé affirme que l"emploi simultané de la marque de commerce au Canada au profit de deux entités distinctes ne constituait donc pas un emploi distinctif de la marque de commerce et que pareil emploi ne peut pas être considéré comme étant effectué au profit de l"appelante.

ANALYSE

L"emploi au Canada

[28]      La principale question, en l"espèce, se rapporte à la disposition de l"article 45 de la Loi selon laquelle il faut employer la marque, à défaut de quoi on risque de la perdre. La Cour doit essentiellement déterminer si le registraire a commis une erreur en tirant des conclusions justifiant la radiation de la marque de commerce. L"appelante a soutenu que les éléments de preuve présentés par l"inscrivant ne montraient pas que la marque de commerce " Vogue Dessous " était employée dans la pratique normale du commerce conformément à l"article 4 de la Loi.

[29]      L"article 2 de la Loi renvoie à l"article 4, aux fins de la définition du mot " emploi ". L"article 4 de la Loi se lit comme suit :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu"avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[30]      Comme la Cour d"appel l"a confirmé dans l"arrêt Meredith & Finlayson2, l"article 45 prévoit une procédure simple et rapide de radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. La jurisprudence semble établir fort clairement le but de l"article 45, lequel est défini comme visant à " débarrasser le registre du bois mort ".

L"article [45] ne prévoit pas de décision sur la question de l"abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l"emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d"emploi3.

[31]      Dans la décision Meredith & Finlayson susmentionnée, le juge Hugessen a fait la remarque suivante :

Il [l"article 45] n"est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce, autre que la procédure litigieuse courante visée par l"article 57. Le fait que l"auteur d"une demande fondée sur l"article 45 ne soit même pas tenu d"avoir un intérêt dans l"affaire en dit long sur la nature publique des intérêts que l"article vise à protéger.

[32]      En fait, l"article 45 exige une preuve du propriétaire, décrivant l"emploi qui est fait de la marque de commerce au sens de la définition de " marque de commerce " figurant à l"article 2 et du mot " emploi " figurant à l"article 4 de la Loi. Cette disposition vise à informer le registraire au sujet de l"emploi de la marque de commerce " afin que lui et la Cour, s"il y a appel, puissent être en mesure d"apprécier la situation et d"appliquer, le cas échéant, la règle de fond [...] " énoncée à l"article 454.

[33]      Étant donné que la procédure prévue à l"article 45 vise simplement à permettre de radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage, je suis d"accord avec l"appelante pour dire que le critère préliminaire est loin d"être strict. De fait, comme l"appelante l"a fait remarquer, dans la décision Austin Nichols & Co. Inc. c. Cinnabon Inc.5, la Cour a déclaré ce qui suit :

Le critère auquel il faut satisfaire sous le régime de l"article 45 n"étant pas sévère, le juge de première instance pouvait à première vue conclure qu"Austin Nichols avait employé la marque de commerce qu"elle avait enregistrée.

Le registraire a conclu qu"il n"existait pas suffisamment d"éléments de preuve de l"emploi de la marque de commerce au Canada, étant donné que, même si des étiquettes volantes au nom de VDI étaient apposées sur tous les vêtements qui ont été joints à titre de pièces à l"affidavit de M. Piltz, seuls certains articles portaient également les étiquettes cousues indiquant la marque de commerce et le numéro CA. Le registraire a décidé que si la preuve avait établi l"emploi par l"appelante, il aurait conclu que cela était suffisant pour maintenir l"enregistrement de la marque de commerce en liaison avec toutes les marchandises (à l"exception des jupons). En appel, M. Piltz a déposé un affidavit supplémentaire. On a joint à l"affidavit supplémentaire à titre de pièces certains articles produits par l"appelante au cours de la période pertinente (allant du 15 novembre 1990 au 15 novembre 1993), sur lesquels sont uniquement apposés la marque de commerce et le numéro d"identification CA (sans étiquette volante au nom de VDI). En ce qui concerne la différence entre les pièces jointes au premier affidavit et les nouvelles pièces, M. Piltz déclare que l"on a choisi les articles qui sont joints à son affidavit initial parce qu"ils indiquaient un usage maximal de la marque de commerce, sur le cintre, sur l"étiquette ou sur l"étiquette volante.

[34]      Dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd.6, Monsieur le juge McNair a fait les remarques suivantes :

Une simple démarche statutaire, sous forme de stricte déclaration stipulant que l"inscrivant employait couramment la marque de commerce, dans la pratique normale du commerce, en liaison avec les marchandises, ne suffit pas pour en établir l"usage, à moins qu"elle soit accompagnée de faits qui la corroborent d"une manière descriptive. La preuve d"une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire, dans la mesure où il s"agit d"une véritable transaction commerciale et qu"elle n"est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l"enregistrement de la marque de commerce.

[35]      La preuve nécessaire à l"égard de l"emploi d"une marque de commerce est du genre prévu à l"article 4, à savoir le fait que la marque est apposée sur les marchandises ou leurs emballages ou qu"elle est liée aux marchandises au moment de leur vente et de leur livraison dans la pratique normale du commerce. En l"espèce, l"appelante a produit avec son affidavit supplémentaire certains échantillons de vêtements sur lesquels était apposée l"étiquette cousue indiquant la marque de commerce et le numéro CA. Dans la décision Empire Clothing7, Monsieur le juge Dubé a dit que les étiquettes cousues sur des vêtements servent effectivement à aviser le public que la marque de commerce est liée aux marchandises vendues, et peuvent ainsi prouver l"emploi de la marque. Dans la décision Coscelebre8, Madame le juge Reed a fait les remarques suivantes :

Malgré le respect que je dois à l"opinion contraire, je ne crois pas que l"article 44 (désormais, l"article 45) oblige le bénéficiaire de l"enregistrement à prouver l"emploi ininterrompu de la marque au Canada. En effet, il est possible que le propriétaire d"une marque de commerce cesse d"utiliser celle-ci pour l"utiliser de nouveau avant que l"avis prévu à l"article 44 (désormais, l"article 45) ne soit donné, de sorte qu"il puisse prouver l"emploi récent de la marque. [...] Suivant mon interprétation de la jurisprudence, il n"est pas nécessaire de convaincre la Cour ou le registraire de l"existence d"un minimum d"activités commerciales pour prouver l"emploi de la marque de commerce.

[36]      En outre, comme l"appelante l"a souligné, la Cour a affirmé, dans la décision Novopharm Ltd. c. Monsanto Canada Inc.9, que le fait que le nom de l"inscrivant ne figure pas sur les marchandises n"est pas pertinent puisque la Loi n"exige pas que le nom de l"inscrivant soit mentionné en liaison avec la marque de commerce.

[37]      Compte tenu des faits de la présente espèce et des nombreux arrêts portant sur la question, il me semble donc que l"appelante a fourni une preuve suffisante de l"emploi de la marque de commerce au Canada pendant la période pertinente. À mon avis, les exigences énoncées à l"article 45 de la Loi ont été satisfaites, et l"affidavit supplémentaire de M. Piltz montrait bien que la marque de commerce était employée au sens des définitions figurant aux articles 2 et 4.

Les jupons

[38]      Dans la décision Plough (Canada) Limited (supra), la Cour a déclaré que l"article 45 exige une " déclaration statutaire indiquant à l"égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l"enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d"emploi depuis cette date ". À cet égard, dans la décision John Labatt Ltd. c. Rainier Brewing Co.10, la Cour a de nouveau dit ceci : " Il [l"article 45] exige uniquement que, dans le délai prescrit, le propriétaire produise un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l"égard de chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l"enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada. " M. Piltz déclare que les jupons ont été à la mode jusqu"en 1991 et que l"appelante n"offrait pas ces articles chez les détaillants en 1993. De fait, l"appelante n"a pas vendu ces vêtements depuis 1991, mais M. Piltz a affirmé que ces articles seraient de nouveau offerts s"il y avait une demande. Il incombe à l"appelante de démontrer que la marque de commerce était employée à l"égard de toutes ses marchandises pendant la période de trois ans qui a précédé la date à laquelle l"avis a été donné en vertu de l"article 45. Dans ce cas-ci, l"avis est daté du 15 novembre 1993 de sorte que la période pertinente s"étend du 15 novembre 1990 au 15 novembre 1993. Comme il en a déjà été fait mention, il a été reconnu dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. que la preuve d"une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire, étant donné que la preuve doit se fonder sur la qualité, non sur la quantité. Dans la décision Coscelebre Inc. c. Le registraire des marques de commerce11, Madame le juge Reed a également dit que pour établir l"emploi, il n"est pas nécessaire de prouver l"existence d"un minimum d"activités commerciales.

[39]      M. Piltz a déclaré que l"appelante a vendu les jupons jusqu"en 1991. L"appelante a démontré qu"elle vendait ces articles dans la pratique normale du commerce, du 15 novembre 1990 jusqu"à l"année 1991; il est donc possible de déclarer que l"emploi de la marque de commerce à l"égard de ces articles était suffisant pour assurer le maintien de l"enregistrement de la marque de commerce pour tous les sous-vêtements de l"appelante.


Le numéro d"identification CA

[40]      L"appelante a fourni des éléments de preuve d"Industrie Canada, comme le Guide du Règlement sur l"étiquetage et l"annonce des textiles qui énonce les renseignements que les étiquettes doivent fournir. Elle affirme que le numéro d"identification CA est suffisant pour divulguer l"identité du fabricant. Le Règlement sur l"étiquetage et l"annonce des textiles (aux articles 11 et 12) prévoit que le fabricant-fournisseur peut utiliser un numéro d"identification à la place de son nom et de son adresse postale. Contrairement à ce que prétend l"intimé, le numéro CA figurant sur les étiquettes indique d"une façon adéquate l"identité du fabricant.

RÉSUMÉ

[41]      Comme l"avocat de l"appelante l"a affirmé avec raison, il est de droit constant que l"article 45 de la Loi vise simplement à débarrasser le registre du " bois mort ". Le critère préliminaire est loin d"être strict. En vertu de l"article 45, il incombe à l"appelante de démontrer que la marque de commerce a été employée à l"égard de ses sous-vêtements pendant la période de trois ans en question (soit du 15 novembre 1990 au 15 novembre 1993). (Le caractère distinctif n"est pas en cause dans une procédure fondée sur l"article 45).

[42]      L"avocat de l"appelante a clairement démontré que le nouvel élément de preuve présenté par M. Piltz (soit un affidavit supplémentaire) montrait que tous les sous-vêtements vendus au Canada, pendant la période pertinente, portaient le numéro CA identifiant l"appelante. Il a été démontré qu"entre le mois de novembre 1990 et le mois de mai 1992, tous les sous-vêtements portaient la marque de commerce et le numéro CA. La preuve montrait également qu"entre le mois de mai 1993 et le mois de novembre 1993, certains sous-vêtements portaient le numéro CA et le nom VDI. Elle démontrait en outre que le numéro CA et la marque de commerce étaient apposés sur certains autres sous-vêtements sans qu"il soit fait mention de VDI.

[43]      L"avocat de l"intimé a principalement soutenu que, pendant la période pertinente, [TRADUCTION] " il y avait certains emplois incertains au Canada " étant donné que les étiquettes apposées sur certains vêtements portaient le nom de VDI alors que d"autres indiquaient la marque de commerce. L"intimé a reconnu le principe (établi dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., ) selon lequel une seule vente peut suffire pour démontrer l"emploi d"une marque de commerce. Toutefois, il a soutenu qu"il serait [TRADUCTION] " inexact de dire que, parmi ces divers emplois incorrects et non distinctifs, certains emplois satisfaisaient au critère ". Je dois dire que je ne souscris pas à cet argument étant donné qu"il est reconnu que la preuve d"une seule vente effectuée dans la pratique normale du commerce est suffisante pour démontrer l"emploi d"une marque de commerce, et ce, en raison des principes ci-après énoncés :

1. L"article 45 de la Loi vise à assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques en usage. Cette procédure a été décrite comme visant à " débarrasser le registre du bois mort " (le critère préliminaire n"est pas strict)12.

2. L"article 45 exige uniquement que le propriétaire inscrit produise un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l"égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l"enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada ou à un moment donné pendant la période de trois ans qui a précédé la date de l"avis13.

3. La preuve d"une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire dans la mesure où il s"agit d"une véritable transaction commerciale et qu"elle n"est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l"enregistrement de la marque de commerce14.

4. Pour établir l"emploi, il n"est pas nécessaire de prouver l"existence d"un minimum d"activités commerciales. Un propriétaire inscrit n"a pas à établir l"emploi continu au Canada15.

5. Conformément au Règlement sur l"étiquetage et l"annonce des textiles, un fabricant peut utiliser un numéro CA pour s"identifier d"une façon adéquate (voir les articles 11 et 12 du Règlement ). Le fait que le nom d"un propriétaire inscrit ne figure pas sur les marchandises n"est pas pertinent16.

DÉCISION

[44]      Compte tenu de la preuve, pour les motifs susmentionnés et eu égard aux principes énoncés dans le résumé, je suis d"avis que l"appelante a satisfait aux exigences de l"article 45 de la Loi et que la décision du registraire ne peut pas être maintenue. L"appel est accueilli.





                         B. Cullen

                                 J.C.F.C.




Ottawa (Ontario)

Le 11 janvier 2000



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :                  T-1372-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          VOGUE BRASSIERE INCORPORATED c. SIM & McBURNEY ET AUTRE

DATE DE L"AUDIENCE :          le 30 novembre 1999

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE CULLEN EN DATE DU 11 JANVIER 2000.


ONT COMPARU :

Gary Daniel                      pour la demanderesse
John Allport                      pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon              pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Sim, Hughes, Ashton & McKay          pour les défendeurs

Toronto (Ontario)



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1Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. [1980], 53 C.P.R. (2d) 62.

2 Meredith & Finlayson c. Berg Equipment Co. (Canada) Ltd. , 43 C.P.R. (3d) 473.

3 Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco (1987), 13 C.P.R. (3d) 289 (confirmé en appel : Philip Morris Inc. c.l Imperial Tobacco Ltd. (No. 1), 17 C.P.R. (3d) 289).

4 Plough (Canada) Limited c. Aerosol Fillers , [1981] 1 C.F. 679.

5 [1998] 4 C.F. 569.

6 Supra , note 3.

7 Empire Clothing Manufacturing Co. c. Le registraire des marques de commerce , 67 C.P.R. (2d) 180.

8 Coscelebre Inc. c. Le registraire des marques de commerce , 35 C.P.R. (3d) 74.

9 80 C.P.R. (3d) 287.

10 (1984), 80 C.P.R. (2d) 228.

11 Supra , note 8.

12 Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. , 13 C.P.R. (3d) 289.

13 Meredith & Finlayson c. Canada (Le registraire des marques de commerce) (1991), 40 C.P.R. (3d) 409 (C.A.F.).

14 Supra , note 1.

15 Coscelebre Inc. c. Le registraire des marques de commerce , 35 C.P.R. (3d) 74.

16 Novopharm Ltd. c. Monsanto Canada Inc. , 80 C.P.R. (3d) 228.

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