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Date : 20050719

Dossier : IMM-5870-04

Référence : 2005 CF 996

OTTAWA (Ontario), le 19 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                                      ALI SHIRAZ NAQVI

                                                                                                                              demandeur

ET :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise par la Section de la protection des réfugiés (SPR), en date du 17 mai 2004, dans laquelle la revendication de Ali Shiraz Naqvi, le demandeur, a été rejetée, la SPR ayant conclu qu'il n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


[2]                Le demandeur est un Pakistanais de 23 ans. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté par les extrémistes sunnites (anciennement le Sipah-e-Sahaba (le SSP)) et d'autres groupes du fait de sa religion, c'est-à-dire qu'il est un musulman appartenant à la secte chiite.

[3]                Le demandeur prétend qu'en 1983 la maison de sa famille a été réduite en cendres et qu'elle a été forcée de trouver un autre logement, ce qui a été difficile. Le demandeur déclare qu'à l'école les étudiants du SSP l'ont menacé avec un couteau. Il allègue également que la situation au Pakistan est très grave pour les membres de la secte chiite, qui sont en minorité.

[4]                La SPR a accepté l'identité du demandeur en tant que citoyen du Pakistan et membre de la secte chiite. Elle a également conclu que le demandeur était un témoin digne de foi et elle a cru ce qu'il a allégué à l'appui de sa revendication. La SPR a noté que le demandeur a livré son témoignage d'une façon franche et qu'il n'y avait pas d'incohérence importante dans son témoignage, ni de contradiction entre son témoignage et les autres éléments de preuve.


[5]                La décision repose sur la question de la protection accordée par l'État. La SPR a conclu que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption s'appliquant à la protection offerte par l'État au moyen de preuves convaincantes et dignes de foi. Elle a déclaré que la preuve documentaire indiquait que [traduction] « la violence sectaire a diminué par suite des changements mis en place par le président Musharraf » et elle a de plus noté que la situation au Pakistan a changé depuis le départ du demandeur.

[6]                La SPR a conclu que le Pakistan fait de sérieux efforts pour assurer une protection adéquate, sinon parfaite, à ses citoyens chiites. Considérant que le demandeur n'avait éprouvé que de légers problèmes au Pakistan et que l'État lui offre une meilleure protection aujourd'hui que par le passé, elle a statué que la crainte du demandeur de retourner dans son pays n'était pas fondée.

[7]                La seule question en l'espèce est l'existence alléguée de la protection offerte par le Pakistan. Le demandeur prétend que la SPR s'est appuyée de façon sélective sur la preuve documentaire. Il soutient que la décision n'est pas appuyée par la preuve documentaire et qu'elle ne tient pas compte des rapports les plus récents. La SPR s'est appuyée sur une autre décision rendue par le même tribunal. La Commission a fondé sa décision sur le rapport de 2001 du Département d'État et elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve documentaire plus récents.


[8]                Le demandeur a ensuite expliqué que, dans la preuve documentaire, il y avait plusieurs références aux problèmes qui existent au Pakistan malgré les efforts louables déployés par le gouvernement. L'avocat a cité de nombreux extraits de rapports indiquant qu'il y a des arrestations arbitraires effectuées par la police et que des citoyens sont détenus; que le gouvernement n'a pas réussi à juguler la violence sectaire, qu'il est dans l'impossibilité d'offrir une protection quelconque à la minorité chiite et que celle-ci est victime de violence sectaire. La SPR aurait dû effectuer une analyse détaillée de cette preuve contradictoire; toutefois, son analyse concernant la durabilité du changement est limitée. Le demandeur soutient que la simple application de certaines mesures par le gouvernement n'est en aucune façon une indication de durabilité.

[9]                En l'espèce, la question de la protection de l'État englobe un élément additionnel qui a trait à une évolution de la situation dans le pays.

[10]            Finalement, l'avocat soutient que ce qui est arrivé au demandeur constitue un motif impérieux qui obligeait la SPR à traiter de la question.

[11]            Essentiellement, le défendeur soutient que la décision de la SPR relativement à la protection de l'État était amplement appuyée par des renvois à différentes sources. La SPR a le droit de s'en tenir à certains éléments de la preuve documentaire, tant et aussi longtemps que cette preuve appuie sa décision.


[12]            En outre, le défendeur soutient que la SPR n'était pas tenue de déterminer s'il existaient des motifs impérieux puisqu'il n'y avait pas eu de conclusion préalable selon laquelle le demandeur était un réfugié au sens de la Convention.

[13]            Les questions déterminantes en l'espèce portent sur l'existence de la protection de l'État et le changement de situation au Pakistan.

[14]            Pour ce qui est de la question de la protection de l'État, la décision de la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, énonce le principe applicable :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes [page 725] qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. (paragraphe 50)


[15]            La décision concernant le changement de situation est une question de fait. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Cuadra c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 736, paragraphe 4, a expliqué ce qui suit : « [...] une analyse plus détaillée des preuves contradictoires au sujet d'un changement dans les circonstances était nécessaire pour satisfaire à la condition que le changement soit suffisamment réel et effectif pour faire de la crainte authentique de l'appelant une crainte déraisonnable et, partant, non fondée » .

[16]            En l'espèce, la crédibilité du demandeur n'a pas été contestée, la SPR a en effet estimé qu'il était un témoin crédible et elle a accepté son témoignage concernant sa crainte subjective, qui était liée à l'un des motifs prévus à la Convention, c'est-à-dire la religion.

[17]            La décision fait référence à des preuves indiquant que la violence sectaire a diminué et la SPR a jugé que la référence à des actes aléatoires de violence ne touchait pas la situation personnelle du demandeur. En outre, elle s'est appuyée sur une analyse de la protection offerte par le Pakistan tirée d'une autre décision de la SPR (Re I.B.L., [2003] D.S.P.R. no 3). La décision citée s'appuyait sur le rapport de 2001 du Département d'État des États-Unis et sur l'évaluation du Home Office du Royaume-Uni de 2002.


[18]            Une preuve documentaire plus récente avait à bon droit été déposée devant la SPR, notamment le rapport de 2003 du Département d'État sur les pratiques relatives à la protection des droits de la personne. Ce rapport indique clairement que les membres des forces de sécurité ont commis de graves exactions en matière de droits de la personne (page 221 du dossier du tribunal); que le dossier du gouvernement en matière de protection des droits de la personne reste faible, bien qu'il y ait eu certaines améliorations, mais que de graves problèmes subsistent; que (page 222 du dossier du tribunal) la violence religieuse la plus grave vise la minorité chiite, dont les membres sont, de façon disproportionnée, victimes de meurtres et de massacres (page 281 du dossier du tribunal) et que les [traduction] « membres des minorités religieuses font l'objet d'actes de violence et de harcèlement, et à certains moments la police refuse d'empêcher de tels actes ou de traduire en justice les personnes qui les commettent » (page 288 du dossier du tribunal). Qui plus est, le rapport de 2003 du Département d'État concernant la liberté religieuse précise ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il n'y a pas eu de changement important dans la manière dont le gouvernement traite les minorités religieuses au cours de la période visée par le présent rapport. Le gouvernement a failli à plusieurs égards à son obligation de protéger les droits des minorités religieuses. Cela est attribuable à la fois à la politique gouvernementale et au refus du gouvernement de prendre des mesures contre les forces sociétales hostiles à ceux qui pratiquent une foi différente. (page 515 du dossier du tribunal)


[19]            Il est de droit constant que la SPR n'est pas tenue de renvoyer à chaque élément de preuve qui lui est soumis. « Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait ]" » (Cepeda-Gutierrez c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.), paragraphe 17). À mon avis, la SPR a lu la preuve documentaire de façon sélective, elle s'est appuyée sur des rapports anciens alors qu'elle disposait d'une preuve plus récente. Cette preuve explique les nombreux problèmes auxquels font face les minorités religieuses et elle a été écartée.

[20]            À la fin de l'audition de la présente demande, les parties ont envisagé qu'une question soit présentée aux fins de la certification; ayant décidé de renvoyer l'affaire pour nouvel examen, la Cour ne juge pas utile de certifier de question.

                                                          ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la SPR pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

                                                                                                              « Paul U.C. Rouleau »                     

                                                                                                                                         Juge                                   

OTTAWA (Ontario)

le 19 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   IMM-5870-04

INTITULÉ :                                  ALI SHIRAZ NAQVI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 15 juin 2005

MOTIFS :                                     le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                 le 19 juillet 2005

COMPARUTIONS :

Ali Amini                                        POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amini Carlson LLP

Toronto (Ontario)                            POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

du Canada                                       POUR LE DÉFENDEUR

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