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Date : 20020131

Dossier : IMM-605-01

Référence neutre : 2002 CFPI 121

ENTRE :

                                                                    KAZEM MUJIRI

et ZAHARA ZEIP

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]              Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), qui vise la décision par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration (l'agente) a refusé, le 18 janvier 2001, de dispenser les demandeurs de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi pour des raisons d'ordre humanitaire.

[2]             Les demandeurs voudraient que la Cour annule cette décision et renvoie l'affaire pour qu'il soit de nouveau statué sur celle-ci.


Les faits

[3]                 Les demandeurs, un homme et son épouse, sont des citoyens d'Iran qui sont venus au Canada munis de visas de visiteur en 1998 pour rendre visite à deux de leurs filles d'âge adulte. Ils sont demeurés au Canada après l'expiration de leurs visas. Ils ont demandé une dispense en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi afin de pouvoir présenter une demande d'établissement de l'intérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Au soutien de leur demande de dispense, ils invoquent leur lien avec leurs deux filles au Canada, une prétendue crainte du mari de leur plus jeune fille vivant en Iran et l'état de santé défaillant de la demanderesse.

[4]                 Les demandeurs sont parrainés par leurs deux filles d'âge adulte, des citoyennes canadiennes. Les demandeurs et leurs deux filles ont rencontré l'agente le 6 avril 2000. Les deux autres filles des demandeurs, l'aînée et la cadette, vivent en Iran (selon la preuve qui a été présentée lors de l'entrevue et dont disposait l'agente pour prendre sa décision).

[5]                 Le 25 octobre 2000, l'agente a écrit aux demandeurs une lettre se lisant en partie comme suit :


[traduction] J'ai reçu une déclaration médicale selon laquelle vous, Zhahara Zeip, êtes devenue quadriplégique à la suite d'un accident vasculaire cérébral survenu en 1995. Vous devez vous déplacer en fauteuil roulant et vous souffrez d'incontinence urinaire. Vous êtes totalement invalide et avez besoin d'aide pour toutes les activités de la vie quotidienne. Vous ne pouvez pas vivre de manière autonome et vous avez besoin de soutien et d'assistance en tout temps. Selon le médecin agréé, votre condition est telle que, si vous êtes admise au Canada, vous et les membres de votre famille qui subviennent à vos besoins aurez probablement recours à différents services sociaux qui sont dispendieux et pour lesquels il existe déjà des listes d'attente.

Ces renseignements m'amènent à conclure que votre admission pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada. Par conséquent, vous êtes tous deux des personnes non admissibles suivant le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. Je pourrais refuser pour cette raison vos demandes de résidence permanente.

Avant que je rende ma décision définitive, vous pouvez transmettre de nouveaux renseignements médicaux sur votre état de santé qui ne se trouvent pas dans votre dossier médical aux fins de l'immigration.

Vous avez jusqu'au 25 décembre 2000 pour faire parvenir ces nouveaux renseignements, avec la lettre ci-jointe, au médecin qui vous a examinée.

[...]

Si vous décidez de ne pas transmettre de renseignements additionnels ou si les renseignements que vous transmettez ne changent rien à l'opinion des médecins agréés, votre demande pourrait être refusée.

[6]                 Dans une lettre datée du 18 janvier 2001, l'agente a annoncé aux demandeurs qu'elle refusait de les dispenser de l'application du paragraphe 9(1), sans toutefois préciser les motifs de cette décision.

Prétentions des demandeurs

[7]                 Selon l'avis de demande, l'agente d'immigration aurait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve ou en les interprétant mal, et elle aurait rendu une décision déraisonnable.

[8]                 Les demandeurs soutiennent que l'agente a manqué à l'obligation d'agir équitablement en ne suivant pas le processus en deux étapes concernant l'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui est décrit dans le Guide, et qu'elle a commis de ce fait une erreur de droit.

[9]                 Les demandeurs soutiennent que l'agente a aussi commis une erreur de droit parce qu'elle a mal interprété les éléments de preuve en concluant que la demanderesse ne bénéficiait d'aucun mécanisme de soutien au Canada et que la preuve n'établissait pas que les demandeurs subiraient des difficultés indues ou excessives s'ils retournaient en Iran, ni qu'ils étaient menacés par leur gendre dans ce pays comme ils le prétendaient.

[10]            Les demandeurs soutiennent que l'agente a tenu compte de facteurs non pertinents, notamment du fait qu'ils n'avaient pas démontré qu'ils étaient établis au Canada. Ils font valoir que, comme ils sont [traduction] « à la charge » de leurs enfants résidant au Canada qui cherchent à les parrainer, ils n'avaient pas à satisfaire aux critères relatifs à l'établissement. Selon eux, le principal objectif de la Loi est la réunion des personnes avec leurs proches au Canada, et non avec les membres de leur famille dans leur pays d'origine. Par conséquent, l'agente a eu tort de tenir compte de leurs liens avec leurs deux filles, leurs petits-enfants et leurs frères et soeurs vivant en Iran.

[11]            Les demandeurs soutiennent aussi que le fait que des facteurs non pertinents ont été pris en considération a créé une norme plus élevée que nécessaire. C'est pourquoi ils souhaitent que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

Prétentions du défendeur

[12]            Le défendeur soutient que l'agente a bien examiné la question de savoir si la situation des demandeurs justifiait l'octroi de la mesure spéciale demandée. Selon lui, l'agente a tenu correctement compte de la situation familiale actuelle des demandeurs, de la façon dont ils sont venus au Canada, de leurs liens avec ce pays, de la situation financière de leurs filles, et de la situation familiale et des problèmes auxquels ils devraient faire face en Iran.

[13]            Le défendeur soutient que l'agente a fondé sa décision sur le fait que les demandeurs n'étaient pas suffisamment établis au Canada pour subir des difficultés indues s'ils étaient obligés de présenter leur demande d'établissement de l'extérieur du Canada.


[14]            Le défendeur fait remarquer que l'agente a pris en compte la non-admissibilité de la demanderesse pour des raisons d'ordre médical. Selon lui, le fait que l'agente ait combiné l'évaluation concernant la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical avec son examen des facteurs d'ordre humanitaire ne change rien au fait qu'elle a évalué correctement ces facteurs. Le défendeur soutient aussi que la prise en compte de la non-admissibilité par l'agente est justifiée par les lignes directrices, lesquelles indiquent que la non-admissibilité connue ou soupçonnée peut être pertinente aux fins de la décision rendue pour des raisons d'ordre humanitaire.

[15]            Le défendeur soutient que l'agente n'a pas négligé ou mal interprété des éléments de preuve. Selon lui, les demandeurs n'ont pas démontré que l'agente a commis une erreur susceptible de contrôle, de sorte que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

Dispositions législatives

[16]            Le paragraphe 9(1) de la Loi prévoit :

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

[17]            Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi prévoit :



19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

  

[...]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

. . .

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;

[18]            Finalement, le paragraphe 82.1(1) de la Loi prévoit :

82.1 (1) La présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application - règlements ou règles - se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale.

82.1 (1) An application for judicial review under the Federal Court Act with respect to any decision or order made, or any matter arising, under this Act or the rules or regulations thereunder may be commenced only with leave of a judge of the Federal Court - Trial Division.

[19]            Selon les demandeurs, les questions suivantes (résumées) sont en litige en l'espèce :

1.          L'agente d'immigration a-t-elle manqué à son obligation d'agir équitablement en ne suivant pas le processus d'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire prévu par les lignes directrices du chapitre IP 5 du Guide de l'immigration et, de ce fait, commis une erreur de droit?

2.          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait ou en les interprétant mal?

3.          L'agente d'immigration a-t-elle tenu compte de facteurs non pertinents pour en arriver à sa décision de rejeter la demande?


Analyse et décision

[20]            Question no 1

L'agente d'immigration a-t-elle manqué à son obligation d'agir équitablement en ne suivant pas le processus d'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire prévu par les lignes directrices du chapitre IP 5 du Guide de l'immigration et, de ce fait, commis une erreur de droit?

Le chapitre IP 5 du Guide de l'immigration, qui est publié par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, renferme des lignes directrices sur le traitement des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. Les extraits suivants en sont tirés :

1.4            Raison d'être des exceptions au L9(1)

La Loi et le Règlement énoncent les conditions à remplir pour obtenir la résidence permanente. Ces conditions découlent des objectifs de la Loi; cependant, elles ne règlent pas toutes les situations. Le pouvoir discrétionnaire pour les demandes CH donne aux agents la latitude nécessaire pour approuver, dans les cas dignes d'intérêt, les demandes qui ne répondent pas à toutes les exigences de la Loi. Il ne faut donc pas voir ce pouvoir comme étant contraire à d'autres dispositions de la Loi ou du Règlement, mais plutôt comme une disposition complémentaire contribuant à la réalisation des objectifs de la Loi.

L'exercice des pouvoirs discrétionnaires est un élément important du programme d'immigration. Non seulement profite-t-il à nos clients, mais il est aussi conforme aux objectifs de la Loi sur la tradition humanitaire du Canada. Il faut cependant exercer ces pouvoirs avec le plus grand discernement et tenir compte de l'intention visée avant d'y avoir recours pour accorder une dispense.

1.7            Deux décisions distinctes - dispense du L9(1) et l'octroi de l'établissement


Une demande R2.1 demande la dispense, pour des CH, du visa d'immigrant exigé au L9(1); ce n'est pas une demande d'établissement. Néanmoins, la décision de dispenser un immigrant de l'obligation d'obtenir un visa d'immigrant à l'extérieur du Canada entraîne nécessairement une demande d'établissement au Canada. L'agent doit déterminer l'admissibilité du demandeur avant de lui octroyer l'établissement. L'examen de la demande comporte donc deux évaluations et deux décisions. C'est un processus en deux étapes.

1.7.1         Première évaluation : décision CH [dispense du L9(1)]

Dans un premier temps, l'agent détermine s'il existe réellement des CH justifiant la dispense du visa. C'est le demandeur qui doit convaincre l'agent que les CH justifient une dispense de visa. L'agent examine les observations faites par le demandeur, en tenant compte de tous les renseignements que possède le ministère sur le demandeur.

1.7.2         Deuxième évaluation : décision d'octroyer l'établissement [application du L5(2)]

Quand la décision CH est favorable, l'agent étudie la demande de résidence permanente. Pour pouvoir obtenir l'établissement, le demandeur doit répondre aux exigences du L5(2), aux termes duquel a droit de s'établir l'immigrant qui n'appartient pas à une catégorie non admissible et qui remplit les conditions prévues à la Loi et au Règlement.

On évalue tous les renseignements sur les exigences pour l'établissement et sur l'admissibilité du demandeur au cours de l'étude de la demande, y compris au moment d'octroyer le statut de résident permanent. On peut prendre à tout moment une décision défavorable si de nouveaux renseignements indiquent que le demandeur n'est pas admissible.

On ne peut donc établir qu'un demandeur répond aux exigences pour l'établissement et prendre une décision FAVORABLE DÉFINITIVE sur son admissibilité qu'à l'entrevue pour l'établissement.

3.3            Personnes non admissibles

Les personnes non admissibles peuvent présenter une demande CH, mais une décision CH favorable n'a cependant aucun effet si la personne n'est pas admissible. Il faut donc rejeter la demande d'établissement même si la décision CH est favorable. Si l'on veut recommander un permis ministériel, se référer aux instructions précises de la NSO IP 95-07 et du chapitre IP-12, « Permis ministériel » . Voir le chapitre EC-9 pour les lignes directrices sur les rapports L27 et les recommandations.

[...]

6.2            Lignes directrices sur l'établissement

Le degré d'établissement au Canada peut être un facteur pour considérer dans certaines situations, en particulier, quelques cas qui se trouvent à la section 8 :


·                 section 8.4.2             Pères, mères et grands-parents non parrainés comme membres de la catégorie des parents

·                 section 8.5                 Séparation de parents et d'enfants (hors de la catégorie des parents)

·                 section 8.6                 Parents de fait

·                 section 8.7                 Incapacité prolongée de quitter le Canada ayant entraîné l'établissement

·                 section 8.10              Violence familiale

·                 section 8.11              Anciens citoyens canadiens

·                 section 8.12              Autres cas

L'établissement du demandeur jusqu'au moment de la décision CH pourra être considéré. Toutefois, il n'est pas correct d'évaluer le potentiel d'établissement du demandeur, puisque cela relève du domaine des critères d'admissibilité.

[...]

6.5            Non-admissibilité connue ou soupçonnée du demandeur (ou personnes à charge au Canada)

La prise de décision se complique lorsque, avant ou pendant l'examen CH, on constate ou on soupçonne que le demandeur n'est pas admissible. Cela peut survenir au début du processus, lorsqu'on étudie IMM 5001 ou lors de la vérification d'usage sur le demandeur dans le SSOBL. Les exemples de non admissibilité connue ou soupçonnée sont si le demandeur (ou une personne à charge au Canada énumérée dans le IMM 5001) :

·                 est non admissible pour des raisons d'ordre médical

·                 a soumis une demande CH sous des motifs d'ordre médical

·                 reçoit des prestations d'aide sociale

·                 est le sujet d'une mesure de renvoi pour des raisons d'ordre criminel ou tout autre motif grave de non admissibilité visé au L19

·                 est le sujet d'accusations criminelles en instance au Canada ou dans un autre pays

·                 est le sujet du renseignement sur des infractions ou des omissions criminelles commise à l'étranger [L19(1)(c.1)(ii), 19(2)(a.1)(ii)]


·                 fait l'objet d'un avis L39 du ministre (danger pour le public)

·                 n'est pas un réfugié au sens de la Convention en raison de l'article 1(F) (motif d'exclusion) selon la CISR.

Le lien entre ces facteurs et la décision CH est important :

·                 Il ne s'agit pas, à cette étape, de déterminer l'admissibilité ou la non admissibilité.

·                 Il faut tenir compte de l'ensemble de la situation personnelle du demandeur, telle que présentée par le demandeur et connue par le ministère, au moment de déterminer si une dispense CH est justifiée. Les faits liés à la non admissibilité connue ou soupçonnée peuvent avoir une incidence sur la décision CH.

Par exemple, vous disposez de renseignements indiquant une condamnation au criminel. À cette étape, ne cherchez pas à savoir si cette condamnation rend le demandeur admissible ou non. Cependant, pour décider s'il faut accorder une dispense de visa, vous pouvez tenir compte des actions du demandeur, notamment celles qui ont donné lieu à la condamnation et celles qui l'ont suivie, pour déterminer si elles ont une incidence sur l'existence de CH. Vous pouvez étudier

·                 la nature de l'infraction

·                 s'il s'agit d'un incident isolé ou d'une récidive

·              la période écoulée depuis la date de la condamnation

·                 la sentence imposée

·                 toute information concernant les circonstances du crime.

[...]

8.4.1         Père, mère et grands-parents parrainés comme membres de la catégorie des parents

Premièrement déterminer

·                 S'il y a un parrainage approuvé. Si oui, le demandeur est un membre possible de la catégorie des parents, ce qui peut constituer un facteur CH favorable.


Ensuite

·                 Preuve du lien de parenté.

·                 Les difficultés que subirait le demandeur si on lui refusait la dispense de visa.

·                 Ce que le demandeur a dit au bureau des visas lors de sa demande de visa de visiteur, le cas échéant.

·                 Le degré d'interdépendance      0             Le soutien dont le demandeur bénéficierait dans son pays d'origine (autres membres de la famille).

       0     L'aptitude au travail du demandeur.

·                 Est-ce que le demandeur est bien établi au Canada? (voir la section 6.2 -              Lignes directrices sur l'établissement).

·                 Tout autre facteur jugé pertinent pour prendre une décision.

[21]            Il ressort de ces extraits que le processus d'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire comporte deux étapes. La première étape consiste à cerner et à soupeser les facteurs favorables et défavorables contenus dans la demande. Une décision favorable n'a pour effet que de permettre au demandeur de présenter une demande d'établissement de l'intérieur du Canada. La deuxième étape du processus a pour but de déterminer si le demandeur peut être admis au Canada. Ainsi, un demandeur peut obtenir la permission de présenter une demande d'établissement de l'intérieur du Canada, mais voir sa demande être rejetée lors de la deuxième étape parce qu'il n'est pas admissible au Canada (p. ex. pour des raisons d'ordre médical).

[22]            Il ne fait aucun doute que l'état de santé est l'un des facteurs que l'agent peut prendre en compte pour statuer sur une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

[23]            Il ressort des notes de l'agente que j'ai consultées que celle-ci n'a pas suivi ce processus en deux étapes lorsqu'elle a examiné la demande des demandeurs, mais qu'elle a plutôt combiné l'examen de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire avec l'évaluation du droit des demandeurs de s'établir au Canada, laquelle constitue en fait la deuxième étape du processus. L'importance a surtout été accordée à l'état de santé de la demanderesse. Dans une lettre adressée aux demandeurs le 25 octobre 2000, l'agente a écrit :

[traduction]

Monsieur, Madame,

La présente fait suite à votre demande de résidence permanente au Canada.

J'ai reçu une déclaration médicale selon laquelle vous, Zhahara Zeip, êtes devenue quadriplégique à la suite d'un accident vasculaire cérébral survenu en 1995. Vous devez vous déplacer en fauteuil roulant et vous souffrez d'incontinence urinaire. Vous êtes totalement invalide et avez besoin d'aide pour toutes les activités de la vie quotidienne. Vous ne pouvez pas vivre de manière autonome et vous avez besoin de soutien et d'assistance en tout temps. Selon le médecin agréé, votre condition est telle que, si vous êtes admise au Canada, vous et les membres de votre famille qui subviennent à vos besoins aurez probablement recours à différents services sociaux qui sont dispendieux et pour lesquels il existe déjà des listes d'attente.

Ces renseignements m'amènent à conclure que votre admission pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada. Par conséquent, vous êtes tous deux des personnes non admissibles suivant le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. Je pourrais refuser pour cette raison vos demandes de résidence permanente.

Avant que je rende ma décision définitive, vous pouvez transmettre de nouveaux renseignements médicaux sur votre état de santé qui ne se trouvent pas dans votre dossier médical aux fins de l'immigration.


[24]            La lettre avisant les demandeurs du rejet de leur demande fait référence à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, mais ne dit rien des motifs du rejet. Il est injuste d'accorder une telle importance, lors de la première étape du processus d'examen de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, au fait que la demanderesse n'est pas admissible pour des raisons d'ordre médical car, à ce stade, l'agent ne fait que soupeser les facteurs favorables et défavorables de la situation de celle-ci afin de déterminer si elle devrait l'autoriser à présenter une demande d'établissement de l'intérieur du Canada. Je suis convaincu que l'agente a manqué à son obligation d'agir équitablement à l'égard des demandeurs en ne suivant pas les propres lignes directrices du défendeur. Je pourrais ajouter que, comme la demanderesse est déjà au Canada, son état de santé pourrait être considéré comme un facteur favorable dans le cadre de l'examen de la demande qu'elle a présentée pour des raisons d'ordre humanitaire afin d'être autorisée à présenter une demande d'établissement de l'intérieur du Canada, de sorte qu'elle n'aurait pas à quitter le Canada pour présenter une telle demande. Je parle ici seulement de la première étape du processus d'examen de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et non de l'examen de la demande d'établissement de la demanderesse.

[25]            Question no 2

L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait ou en les interprétant mal?

Les demandeurs ont relevé les erreurs suivantes :

1.          L'agente a commis une erreur en concluant qu'il n'existait aucun mécanisme de soutien pour Zahara Zeip au Canada.

La preuve montre que les deux filles des demandeurs et le mari de la demanderesse apportaient du soutien à cette dernière. L'agente a commis une erreur en concluant qu'il n'existait aucun mécanisme de soutien.


2.          L'agente a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de l'incapacité d'une des filles des demandeurs de respecter un engagement de parrainage visant son père et sa mère, alors que chacune des deux filles voulait parrainer l'un de ses parents et satisfaisait aux conditions pour le faire.

Une lecture attentive du dossier permet de constater que chacune des deux filles a parrainé un parent : Farah Mojiry a parrainé son père et Farzaneh Mojiry, sa mère. Il ressort aussi du dossier que chaque fille satisfaisait aux conditions de parrainage relatives au revenu. L'agente a commis une erreur sur ce point. En conséquence, je ne traiterai pas des autres erreurs relevées par les demandeurs.

[26]            Question no 3

L'agente d'immigration a-t-elle tenu compte de facteurs non pertinents pour en arriver à sa décision de rejeter la demande?


En ce qui concerne le défaut d'établissement des demandeurs au Canada, je constate que les lignes directrices contenues dans le Guide de l'immigration IP 5 (section 6.2) indiquent que le degré d'établissement des demandeurs au Canada peut être un facteur à considérer dans certains cas visés à la section 8.4.2 du Guide. Lorsqu'on lit ces deux sections ensemble, on se rend compte que le degré d'établissement serait un facteur à prendre en considération si les demandeurs n'étaient pas parrainés à titre de membres de la catégorie des parents. Il s'ensuit que, si le père et la mère sont parrainés, le degré d'établissement n'est pas un facteur ou un facteur important dont il faut tenir compte dans le cadre de l'examen d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Je conclurais donc que l'agente a commis une erreur en considérant que le degré d'établissement constituait un facteur défavorable dans le cadre de l'examen de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

[27]            Il n'est pas nécessaire de traiter des autres erreurs relevées par les demandeurs au regard de cette question vu les conclusions que j'ai tirées relativement aux questions précédentes.

[28]            J'estime que les décisions prises par l'agente dont il a été question ci-dessus n'étaient pas raisonnables.

[29]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un agent différent de Citoyenneté et Immigration afin qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen.

[30]            Les parties disposeront d'une semaine à compter de la date de la présente décision pour me soumettre une question grave de portée générale.

    « John A. O'Keefe »

ligne

                                                                                                             Juge                        

Toronto (Ontario)

Le 31 janvier 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                         IMM-605-01

INTITULÉ :                                                        Kazem Mujiri et Zahara Zeip

- et -

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le mardi 30 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                     Le jeudi 31 janvier 2002

   

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Martin Anderson                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                                                 POUR LES DEMANDEURS

Avocats

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada    


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  

Date : 20020131

Dossier : IMM-605-01

ENTRE :

KAZEM MUJIRI

et ZAHARA ZEIP

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                                               

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

  

                                                                                                                              

   
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