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Date : 20020219

Dossier : IMM-5599-00

Référence neutre : 2002 CFPI 180

ENTRE :

                                                    MOHAMMAD JAFAR JARRAH

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                        MOTIFS DE L'ORDONANCE

LE JUGE NADON

[1]                 Le demandeur sollicite l'annulation d'une décision rendue en date du 11 septembre 2000 par la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) selon laquelle le demandeur n'était pas un réfugié.

[2]                 Le demandeur est né le 1er janvier 1978 et est un citoyen iranien qui prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Il a quitté son pays le 11 août 1999 et est arrivé au Canada, à l'Aéroport international de Montréal, Mirabel, le 9 septembre 1999. Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée à Mirabel.

[3]                 La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention au motif qu'il n'était pas digne de foi. En outre, la Commission a conclu que la revendication du demandeur n'avait aucun fondement étant donné qu'aucun élément de preuve digne de foi n'avait été soumis.

[4]                 Premièrement, Mme Markaki, l'avocate du demandeur, prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'il n'y avait pas eu de rencontre en 1998 entre le demandeur et le directeur de l'école. La Commission a conclu ainsi parce que le demandeur s'est contredit à maintes reprises quant à la date de la rencontre.

[5]                 À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu comme elle l'a fait. La Commission pouvait certainement conclure, en se fondant sur le dossier dont elle disposait, que le récit du demandeur quant à la rencontre avec le directeur de l'école manquait de crédibilité. Le demandeur a donné une explication pour justifier les contradictions de son récit, mais il a été incapable de convaincre la Commission que son explication était vraisemblable. Il ne m'appartient pas d'évaluer son explication et de tirer une conclusion. Il s'agit d'une tâche qui appartient à la Commission et, par conséquent, je ne peux pas conclure que la Commission a commis une erreur qui justifierait mon intervention.


[6]                 Je vais maintenant traiter du deuxième motif invoqué par le demandeur. Mme Markaki prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les contradictions entre le témoignage de vive voix du demandeur, son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et les notes consignées au point d'entrée avaient une incidence sur sa crédibilité.

[7]                 Le demandeur conteste la conclusion de la Commission et allègue qu'elle a commis une erreur lorsque, sachant que les notes au point d'entrée ont été consignées en l'absence d'un traducteur et que le demandeur connaissait peu l'anglais, elle a accordé aux contradictions une grande importance. Selon le demandeur, ces faits expliquent pourquoi certaines des déclarations contenues dans les notes consignées au point d'entrée sont [TRADUCTION] « simplement trop ridicules pour que la Commission croie qu'une personne les a véritablement faites » .

[8]                 Quoi qu'il en soit, le défendeur fait remarquer que le demandeur ne conteste pas les contradictions notées par la Commission à l'égard de son passeport. À la page 2 de ses motifs, la Commission fait les commentaires suivants :

Par la suite, il indique dans le document au point d'entrée, avoir voyagé avec un passeport pakistanais. À la question 18 de son FRP, il dira avoir voyagé avec un faux passeport d'Espagne. Finalement, dans son témoignage oral, il dira ne pas savoir de quel pays provenait le passeport avec lequel il a voyagé. Invité à expliquer ces contradictions, il dira simplement que le seul mot qu'il entendait à l'aéroport était « Espagne » .


[9]                 Étant donné que le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission à l'égard de son passeport, cette conclusion, il n'y a pas de doute, était telle qu'elle avait une incidence sur sa crédibilité. Quant aux autres conclusions de la Commission relativement aux contradictions entre les notes consignées au point d'entrée, le FRP du demandeur et son témoignage de vive voix, on ne m'a pas convaincu, malgré les puissants arguments de Mme Markaki, que la Commission a tiré des conclusions arbitraires ou abusives. Je ne peux, par conséquent, que conclure que la question soulevée par le demandeur est simplement la question de savoir quelle importance doit être accordée à la preuve soumise à la Commission et, étant donné qu'il ne m'appartient pas de réévaluer la preuve, les prétentions du demandeur sur cette question ne peuvent être retenues.

[10]            L'autre motif de contestation soulevé par le demandeur touche la pièce P-3, une série de quatre photos prises au Canada par le frère du demandeur. Le but de ces photos, selon la Commission, était de montrer les blessures que le demandeur avait subies pendant qu'il était emprisonné en Iran entre le 10 juillet et le 9 août 1999. Toutefois, Mme Markaki, dans son exposé des arguments, déclare au paragraphe 16 que le demandeur a témoigné que les marques qu'il porte au dos résultent des coups de fouet que lui a infligés en février 1998 le directeur de l'école.

[11]            La rencontre de février 1998 entre le demandeur et le directeur de l'école est la rencontre qui selon la Commission n'a pas eu lieu. Comme je l'ai déjà mentionné, je n'ai aucun motif de modifier la conclusion de la Commission sur cette question et, par conséquent, il va de soi que si la Commission a raison de conclure que la rencontre avec le directeur de l'école n'a pas eu lieu, alors le demandeur n'a pas reçu les coups de fouet qu'il prétend avoir reçus.

[12]            À la page 3 de ses motifs, la Commission traite comme suit des photos :


Le revendicateur dépose en pièce P-3, une série de quatre photos prises par son frère alors qu'il était au Canada. Ces photos illustreraient les mauvais traitements qu'il aurait subis alors qu'il était en prison entre le 10 juillet 1999 et le 9 août 1999.

Sur les photos, on peut voir la date du 26 mai 1998. Invité à expliquer comment des photos prises le 26 mai 1998 peuvent montrer des marques de mauvais traitements subis plus d'un an plus tard, soit en juillet ou août 1999, le revendicateur ne pourra fournir aucune réponse. Son avocate dira au Tribunal que c'est elle qui a demandé ces photos et qu'il y a erreur sur la date dans la caméra. Une autre explication donnée par l'agent chargé de la revendication lors de ses soumissions, est que lorsque les piles de la caméra sont à plat, il peut y avoir un problème avec des dates par la suite. Malgré ces explications, le Tribunal s'étonne grandement que sur chacune des photos à l'endroit même où on aperçoit la date du 26 mai 1998, quelqu'un a écrit un chiffre allant de un à quatre, de même qu'une signature dans le but semble-t-il, de cacher cette information. De plus, rien n'indique sur ces photos que les marques y apparaissant, auraient pu être causées par des mauvais traitements subis lors de l'emprisonnement allégué du revendicateur en juillet et août 1999.

[13]            Il ressort clairement des motifs de la Commission qu'elle était d'avis que les photos avaient été « falsifiées » . La Commission a en outre conclu que les photos ne prouvaient pas que les blessures du demandeur avaient été causées par des mauvais traitements qu'il avait subis au cours de son prétendu emprisonnement en juillet et août 1999. Mme Markaki allègue que la conclusion de la Commission selon laquelle les photos avaient été « falsifiées » est abusive. Elle allègue que le demandeur a donné une explication vraisemblable de la raison pour laquelle la date qui apparaît sur les photos est inexacte.


[14]            À mon avis, la question ci-haut mentionnée est soulevée dans le but de créer une diversion. Si la conclusion de la Commission est que le demandeur n'a pas subi de blessures parce que les photos sont « frauduleuses » , alors la Commission a visiblement commis une erreur parce que le demandeur a, à deux reprises, offert de montrer les cicatrices qu'il porte sur son corps et que la Commission n'a pas manifesté d'intérêt. Toutefois, la Commission a de plus conclu que les photos ne prouvaient pas que les blessures avaient été causées au cours du prétendu emprisonnement de juillet et août 1999. Mme Markaki, bien à propos, ne conteste pas cette conclusion. Il est incontestable, à mon avis, que les blessures montrées sur les photos ne peuvent être rattachées à un événement particulier. Par conséquent, la prétention du demandeur sur cette question ne peut être retenue.

[15]            Je traite maintenant de la dernière question soulevée par le demandeur. Aux paragraphes 20 à 22 de son exposé des arguments, Mme Markaki fait les observations suivantes :

[TRADUCTION]

Conclusion d'absence de fondement digne de foi

20.           Il est respectueusement soumis que la conclusion de la Commission quant à l'absence de fondement digne de foi n'est simplement pas fondée. Elle n'est pas fondée étant donné que dans sa décision la Commission ne traite même pas du témoignage sur l'événement réel qui a eu lieu et qui a amené le demandeur à quitter son pays d'origine.

21.           Le demandeur, comme l'indique son affidavit, a longuement témoigné, d'une manière détaillée et émotive, quant aux événements qui ont eu lieu et qui l'ont amené à quitter son pays. Il a fourni une description précise de la manifestation étudiante et de la façon dont la police y a mis fin. Il a expliqué en détail les motifs pour lesquels la manifestation avait été organisée et les événements l'entourant. Son témoignage était rempli d'émotions lorsqu'il décrivait le traitement qu'il avait reçu en prison et il était capable de fournir des détails quant à la prison elle-même et son aménagement. Finalement, il a éclaté en sanglots lorsqu'il a parlé de son père qui a été arrêté et maltraité par sa faute.

22.           Compte tenu de ce qui précède et du fait que les motifs énoncés par la Commission dans sa décision ne sont pas convaincants, nous soumettons une fois de plus que la conclusion de la Commission selon laquelle la revendication du demandeur n'a pas de fondement n'est pas fondée.

[16]            Je remarque que le demandeur allègue que la Commission n'a pas traité de « [...] l'événement réel qui a eu lieu et qui a amené le demandeur à quitter son pays d'origine » . L' « événement réel » en l'espèce est la prétendue participation du demandeur à une manifestation étudiante qui a eu lieu dans la ville de Masshad le 10 juillet 1999. L'omission de la Commission d'avoir traité de cet événement n'a pas été invoquée par le demandeur comme motif de contrôle à l'égard des conclusions quant à la crédibilité qu'elle a tirées et qui l'ont amenée à décider qu'il n'était pas un réfugié. Plutôt, la prétendue omission de la Commission d'avoir traité de la manifestation du 10 juillet 1999 est invoquée simplement dans le but de contester sa conclusion selon laquelle il n'existe aucun fondement digne de foi à la revendication du demandeur.

[17]            Malheureusement pour le demandeur, si les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission sont raisonnables, et j'ai décidé qu'elles l'étaient, alors la conclusion de la Commission quant à l'absence de fondement digne de foi est, à mon avis, totalement justifiée. Comme M. le juge MacGuigan a déclaré dans l'arrêt Sheikh c. MEI, [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), à la page 244 :

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.


J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.

[18]            Je suis d'avis qu'il était nécessaire en l'espèce pour le demandeur, pour avoir gain de cause dans sa contestation de la conclusion selon laquelle il n'existe aucun fondement digne de foi, de contester, et d'avoir gain de cause, les conclusions quant au manque de crédibilité du demandeur tirées par la Commission. Étant donné que ces conclusions ne sont pas déraisonnables, alors, comme le juge MacGuigan l'a déclaré dans l'arrêt Sheikh, précité, « [...] la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande » .

[19]            Pour les motifs énoncés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Marc Nadon »

Juge

O T T A W A (Ontario)

Le 19 février 2002

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                   IMM-5599-00

INTITULÉ :                                             MOHAMMAD JAFAR JARRAH c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 2 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      Monsieur le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :              Le 19 février 2002

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Carmela Maiorino                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          

Styliani Markaki                                                                             POUR LE DEMANDEUR       

Montréal (Québec)                                              

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               POUR LE DÉFENDEUR

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