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                                                                                                                              Date : 20010418

                                                                                                                 Dossier : IMM-2230-00

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 348

ENTRE :

BUKI IGBALAJOBI

                                                                                                                                 demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 4 avril 2000, qu'elle n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Il s'agit de savoir si la Commission a violé les règles de justice naturelle en omettant d'apprécier de la façon appropriée l'existence de raisons impérieuses, conformément au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et si elle a commis une erreur en tirant ses conclusions au sujet de la crédibilité.


[3]                 La Commission semble avoir tiré avec réticence ses conclusions au sujet de la crédibilité et accordé à ces conclusions une importance minime. Voici ce qu'elle a dit aux pages 1 et 2 de ses motifs :

Le tribunal accepte que la revendicatrice ait participé à ce qu'elle a cru être une manifestation pacifique le 8 juillet 1998. Malheureusement, la manifestation a tourné à la violence, certains manifestants s'en prenant aux militaires et aux policiers. Le tribunal reçoit aussi que la revendicatrice peut avoir été arrêtée avec d'autres manifestants comme elle l'allègue. Dans la partie de son FRP réservé à l'exposé des faits et dans son témoignage de vive voix, la revendicatrice a décrit ce que les agents supérieurs lui ont infligé sur le plan physique et émotif dans l'établissement où elle a été détenue du 8 juillet au 5 septembre 1998. Les mauvais traitements dont elle aurait été victime pendant sa détention comportent des divergences.

[4]                 La Commission a encore une fois fait des remarques ambiguës en appréciant la description des actes de torture donnée par la demanderesse et elle a mentionné certaines contradictions figurant dans le témoignage que cette dernière avait présenté au sujet des circonstances dans lesquelles ces actes avaient été commis. La Commission a ensuite conclu son examen de l'arrestation, de la détention et de la torture aux pages 2 et 3 de ses motifs :

Malgré tout, le tribunal a décidé de lui donner le bénéfice du doute et a accepté les preuves de son incarcération et de sa détention comme elle l'a allégué. Restait donc au tribunal de décider si le critère des raisons impérieuses s'appliquerait en l'espèce.

Je note que le mot « torture » n'est pas employé ici et qu'il ne l'est pas non plus dans le reste de la décision. La Commission n'a pas tiré de conclusion au sujet de l'allégation de la demanderesse selon laquelle le traitement qui lui avait été infligé constituait de la torture.


[5]                 La Commission a ensuite effectué une analyse au sujet de l'existence de raisons impérieuses; elle a dit ce qui suit à la page 3 de ses motifs :

Sans minimiser le poids du témoignage de la revendicatrice concernant ce qu'elle estime traumatisant, le tribunal a attentivement examiné le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration ainsi que les affaires Obstoj, Arguello-Garcia et Jiminez.

[6]                 Encore une fois, la Commission semble douter du témoignage de la demanderesse. Or, la Commission doit tirer des conclusions claires au sujet de la crédibilité si elle veut rejeter le témoignage de la demanderesse, à défaut de quoi elle doit reconnaître que la demanderesse a été torturée et expliquer pourquoi la torture ne constitue pas un acte de persécution effroyable ou atroce.

[7]                 Je note également que la Commission examine ensuite la preuve médicale et psychologique, mais elle consacre la moitié de cette analyse à l'examen du fait que la demanderesse a tardé à obtenir l'aide d'un médecin et d'un psychologue. Si la Commission retient la description que la demanderesse a fournie au sujet de la façon dont elle avait été traitée au Nigéria, la pertinence du retard apparent lorsqu'il s'est agi de se faire traiter par des médecins n'est pas claire, étant donné que les rapports médicaux et psychologiques sont conformes à la description que la demanderesse a donnée au sujet de la façon dont elle avait été traitée.


[8]                 La justice naturelle exige que la Commission informe le demandeur de la raison pour laquelle elle conclut que le traitement qui lui a été infligé ou les actes de torture dont il a été victime ne constituent pas un traitement effroyable ou atroce. Il s'agit d'une tâche difficile pour la Commission. Comme Monsieur le juge Rothstein l'a dit dans la décision Hassan c. Canada (MEI) (1994), 77 F.T.R. 309 (1re inst.), au paragraphe 11 :

Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu'à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l'éventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.

[9]                 La persécution, par définition, constitue de toute évidence un mauvais traitement. Dans une analyse fondée sur le paragraphe 2(3), la Commission est tenue de déterminer si la nature de la persécution dans le cas particulier dont elle est saisie constitue de la persécution effroyable ou atroce. Cela exige que des conclusions de fait soient minutieusement tirées au sujet du traitement infligé au demandeur entre les mains de ses persécuteurs.

[10]            La Commission doit analyser pourquoi la torture, s'il est conclu qu'elle a eu lieu, ou tout autre traitement répréhensible, satisfait aux exigences du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration. Dans la décision Biakona c. Canada (MCI), (1999), 164 F.T.R. 220 (1re inst.), Monsieur le juge Teitelbaum a fait les remarques suivantes, aux paragraphes 45 à 48 :

[45] Ces deux mots signifient pour moi qu'il s'agit d'actes infâmes ou révoltants. Par conséquent, il semble que la Commission ait été convaincue que les traitements infligés à la demanderesse au cours de sa détention au Zaïre en décembre 1996 étaient à la fois infâmes et révoltants. La Commission est convaincue que tous les traitements qu'a subis la demanderesse étaient répréhensibles, mais qu'ils ne satisfont pas aux conditions spéciales du paragraphe 2(3) de la Loi, sans indiquer pourquoi elle en est venue à cette conclusion.


[46] La Commission fait référence à la décision Obstoj (précitée), mais elle ne dit pas pourquoi les actes répréhensibles et ignobles dont la demanderesse a été victime ne peuvent être considérés comme des « raisons impérieuses » au sens du paragraphe 2(3).

[47] Certainement, si les actes commis sont ignobles et répréhensibles, la Commission devrait indiquer, dans les circonstances de l'affaire, pourquoi les actes commis ne peuvent être considérés comme des raisons impérieuses. Elle ne l'a pas fait.

[48] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audience devant un tribunal de composition différente.

ORDONNANCE

[11]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision que la Commission a rendue le 4 avril 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à une formation différente pour réexamen conformément aux présents motifs.

[12]            La demanderesse a sollicité la certification d'une question, mais cette question est liée d'une façon inextricable aux faits particuliers de la présente affaire. Par conséquent, la question ne satisfait pas au critère de certification.

« W.P. McKeown »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 18 avril 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         IMM-2230-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       BUKI IGBALAJOBI

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le mardi 10 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                  Monsieur le juge McKeown

DATE DES MOTIFS :                                                  le 18 avril 2001

ONT COMPARU

M. Joel Etienne                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Mme Mielka Visnic                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Joel Etienne                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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