Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050912

Dossier : T-2368-03

Référence : 2005 CF 1231

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

AXCAN PHARMA INC.

demanderesse

et

PHARMASCIENCE INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande fondée sur le paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié par DORS/98-166 et DORS/99-379 (le Règlement). La demanderesse (AXCAN ou la première personne) sollicite une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à la défenderesse, PHARMASCIENCE INC. (Pharmascience ou la seconde personne), avant l'expiration du brevet canadien no 1,318,590 (le brevet 590), un avis de conformité pour la drogue ursodiol.

LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La question que la Cour doit trancher est la suivante :

            1.         La demanderesse est-elle parvenue à démontrer, comme il lui appartient de le faire, que l'avis d'allégation transmis par Pharmascience n'est pas fondé?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je dois répondre par la négative. La demande sera donc rejetée.

LES FAITS

[4]                Entre le 12 septembre 1991 et le 30 janvier 2001, l'ursodiol était approuvé par Santé Canada pour la dissolution de calculs biliaires. Cette approbation avait été donnée à Jouveinal Inc. qui, semble-t-il, a cédé ses droits à AXCAN.

[5]                Le 18 novembre 1987, AXCAN, ou son prédécesseur en titre, a demandé l'enregistrement du brevet 590. Un brevet lui a été délivré pour ce produit, dénommé URSO (ursodiol), lui conférant le monopole prévu par la loi jusqu'au 1er juin 2010. Le 23 janvier 2001, AXCAN a modifié la monographie de ce produit, supprimant des indications le traitement des calculs biliaires. Le brevet 590 ne réserve les droits exclusifs de vente de l'ursodiol au Canada que pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques telles que la cirrhose biliaire primitive (CBP).

La présente invention a pour objet l'utilisation de l'acide ursodésoxycholique pour la fabrication de moyens destinés au traitement de la cirrhose biliaire primitive (dossier de la demanderesse, vol. 1, p. 13).

[6]                Le brevet 590 ne comporte aucune revendication pour le composé en soi. En ce qui concerne l'utilisation, le brevet 590 ne contient que la revendication suivante :

1. Composition pharmaceutique pour le traitement de la cirrhose biliaire primitive caractérisée en ce qu'elle comprend de l'acide ursodesoxycholique ainsi qu'un véhicule et le cas échéant des excipients pharmaceutiques, ladite composition étant conditionnée sous une forme permettant ledit traitement de la cirrhose biliaire primitive selon une posologie comprise entre 13 B 15 mg/kg/jour.

[7]                Le produit d'AXCAN ne figure actuellement pas sur la liste des médicaments employés pour le traitement des calculs biliaires. Le brevet 590 reconnaît cependant que la dissolution des calculs biliaires constitue une ancienne utilisation de l'ursodiol.

L'acide ursodésoxycholique est un composé connu utilisé pour le traitement dissolvant de la lithiase biliaire cholestrolique.

[8]                Pharmascience a déposé, le 24 octobre 2003, une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour des comprimés de 250 mg d'ursodiol. Pharmascience a, le 27 octobre 2003, signifié à AXCAN un avis d'allégation. Pharmascience sollicite la délivrance d'un avis de conformité lui permettant de vendre un produit pharmaceutique comprenant de l'ursodiol pour l'ancienne utilisation du produit, c'est-à-dire la dissolution des calculs biliaires et le traitement des symptômes connexes selon une posologie de 8 à 10 mg/kg/jour.

[9]                Le 15 décembre 2003, AXCAN a déposé un avis de demande s'opposant à la demande d'avis de conformité déposée par Pharmascience.

LES ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE

[10]            AXCAN nie l'allégation de Pharmascience selon qui la fabrication et la vente, par Pharmascience, du pms-URSODIOL n'entraîneraient aucune contrefaçon du brevet 590. Il découle selon elle de la preuve que les médecins prescriraient inévitablement le produit de Pharmascience pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques telles que la CBP, même si le produit n'est approuvé que pour le traitement des calculs biliaires. Cela étant, AXCAN estime qu'il convient d'interdire la délivrance d'un avis de conformité.

[11]            Selon AXCAN, la question de la contrefaçon ne concerne pas uniquement la conduite du producteur. Elle fait en effet valoir qu'il peut y avoir contrefaçon si les patients font du produit en question une utilisation couverte par le brevet. Ainsi, d'après elle, si Pharmascience vend son produit en vue d'une utilisation couverte par le brevet d'AXCAN, il y aura contrefaçon de son brevet.

L'affidavit du Dr Shaffer

[12]            Le Dr Shaffer est médecin et professeur de médecine qui possède à son actif de nombreuses années d'expérience en recherche sur l'ursodiol et son utilisation dans le traitement des maladies. Le Dr Shaffer a déclaré bien connaître l'URSO (le produit d'AXCAN), et prescrire régulièrement ce médicament depuis 1996 pour le traitement de la CBP.

[13]            Selon le Dr Shaffer, le traitement des calculs biliaires ne compte pas parmi les indications figurant dans la monographie du produit d'AXCAN. D'après lui, au Canada, l'ursodiol n'est plus utilisé pour le traitement des calculs biliaires. À son avis, outre le traitement de la CBP, l'ursodiol n'a pas d'autre utilisation approuvée au Canada. Il affirme que même si le produit de Pharmascience était approuvé pour le traitement des calculs biliaires, ni lui ni d'autres médecins ne l'emploieraient ainsi car on estime, dans la profession médicale, qu'il convient de recourir à l'extraction chirurgicale pour traiter les calculs biliaires.

Le contre-interrogatoire du Dr Shaffer

[14]            Le Dr Shaffer a reconnu qu'à l'origine, lorsque l'ursodiol a été lancé, l'emploi indiqué était la dissolution des calculs biliaires. Il a expliqué cependant que l'ursodiol ne pouvait être utilisé que pour les calculs biliaires constitués de cholestérol. L'ursodiol ne permet pas en effet de dissoudre les autres types de calculs. Il a de plus affirmé que la cholécystectomie laparoscopique (extraction chirurgicale des calculs biliaires) est, depuis 1991-1992, reconnue comme étant le traitement habituel des calculs biliaires car cette intervention se fait en toute sécurité et qu'elle est plus efficace que la dissolution par administration de médicaments par voie orale.

[15]            Le Dr Shaffer déclare qu'il ne recommanderait jamais la dissolution par voie orale de calculs de plus d'un centimètre. Cette méthode n'est en effet pas efficace car le calcul ne se dissoudra pas. Il a précisé cependant que, dans de rares circonstances, on peut tout de même avoir recours à la dissolution par voie orale. Selon lui, les calculs biliaires de moins de cinq millimètres peuvent être dissous efficacement par un traitement oral de six à douze mois. Mais, 3 p. 100 seulement des calculs biliaires mesurent moins de cinq millimètres de long. Il ajoute que les calculs plus grands (moins d'un centimètre) peuvent eux aussi être dissous par voie orale, mais que cela pourrait prendre jusqu'à deux ans et ne se révéler efficace que dans 18 p. 100 des cas. Le Dr Shaffer ajoute que même lorsqu'un tel traitement réussit, il y a plus de 50 p. 100 de chances de récurrence dans les cinq ans qui suivent et 100 p. 100 de chances de récurrence dans les dix années suivantes, même si cette récurrence de calculs biliaires est asymptomatique.

[16]            Le Dr Shaffer a été interrogé au sujet d'un texte qu'il avait rédigé en 1991 après une étude sur les calculs biliaires. Il y affirmait que son étude avait permis de constater qu'à forte dose, l'ursodiol permettait de dissoudre environ 37 p. 100 des calculs biliaires dus au cholestérol. Interrogé sur cet écart quant au taux de réussite d'un tel traitement, il a expliqué que la différence provenait du fait que les patients retenus dans le cadre de son étude avaient été soigneusement sélectionnés. Il s'agissait, dans tous les cas, de patients éprouvant des calculs de très petite dimension. Ce détail n'apparaît nulle part dans ce texte rédigé par lui en 1991.

[17]            Le Dr Shaffer a également été interrogé au sujet d'un livre qu'il avait écrit en 1996-1997 et dans lequel il affirmait que s'agissant de calculs de moins d'un centimètre, de quinze à vingt pour cent (de 15 à 20 p. 100) des patients pourraient être traités à l'ursodiol (dissolution des calculs par voie orale). Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer comment concilier ces chiffres avec le témoignage qu'il avait livré, il a déclaré que ce manuel, rédigé en 1996-1997, était dépassé. Il a précisé que l'observation en question avait été supprimée de l'édition de 2000. Il a en outre ajouté que dans la mesure où cette indication se retrouvait dans des ouvrages récents faisant autorité, ce n'était qu'à titre historique.

[18]            Le Dr Shaffer affirme que même si le produit de Pharmascience n'est pas approuvé pour cette utilisation, il l'utiliserait dans le traitement de la CBP étant donné que c'est la même drogue que celle produite par AXCAN.

Affidavit de M. Andrew

[19]            M. Andrew est pharmacien agréé au Manitoba où il exerce depuis 1996. Il dit bien connaître le produit d'AXCAN étant donné qu'il remplit régulièrement des ordonnances médicales prescrivant l'URSO pour le traitement de la CBP.

[20]            Il connaît la monographie du produit d'AXCAN. D'après lui, cette monographie ne mentionne pas le traitement des calculs biliaires. Il précise que l'ursodiol n'est pas approuvé au Canada pour le traitement des calculs biliaires.

[21]            M. Andrew a expliqué que les pharmaciens sont informés de la mise en marché de nouvelles drogues par les fabricants de produits génériques. D'après lui, il serait tout à fait inhabituel de voir mettre en marché un produit générique ayant des indications thérapeutiques différentes de celles du produit de marque sur lequel le produit générique est fondé.

[22]            Si le produit fabriqué par Pharmascience est approuvé comme produit de remplacement générique au produit fabriqué par AXCAN, M. Andrew affirme qu'il l'offrira à ses clients comme produit de remplacement moins coûteux. D'après lui, si le produit de Pharmascience est approuvé, lui et ses collègues pharmaciens l'offriront comme substitut du produit d'AXCAN pour le traitement de la CBP.

Le contre-interrogatoire de M. Andrew

[23]            M. Andrew ne prescrit aucun médicament. Il exécute les ordonnances médicales, reçoit presque 300 clients par jour et exécute des ordonnances d'URSO une ou deux fois par mois. Il n'est pas cependant en mesure d'affirmer que l'URSO est employé pour le traitement de la CBP, ou si ce médicament sert au traitement d'autres maladies étant donné qu'il n'a pas accès au dossier médical de ses clients. Il suppose que ce médicament est prescrit pour le traitement de la CBP étant donné que c'est uniquement pour le traitement de cette maladie que le médicament est approuvé.

[24]            Il reconnaît ne pas pouvoir affirmer que l'ursodiol est encore utilisé pour le traitement des calculs biliaires. Il sait seulement que la monographie du produit ne propose plus l'URSO pour le traitement des calculs biliaires. Il ne sait pas si d'autres médicaments sont actuellement utilisés pour la dissolution de calculs biliaires par voie orale.

[25]            On a cité à M. Andrew le nom de deux produits différents (le Wellbutrin et le Zyban) contenant le même ingrédient actif (le chlorhydrate de Buproprion). Les deux produits font chacun l'objet d'une indication différente. L'un est utilisé comme antidépressif pour les troubles de l'humeur et l'autre pour les patients qui voudraient arrêter de fumer. M. Andrew a déclaré qu'il ne donnerait pas du Zyban s'il devait exécuter une ordonnance pour le Wellbutrin, bien qu'il s'agisse en effet de la même drogue, étant donné que ces deux produits ont un emploi différent.

LES ARGUMENTS DE LA DÉFENDERESSE

[26]            Pharmascience affirme qu'elle ne sollicite aucunement l'autorisation de commercialiser l'ursodiol pour le traitement de la CBP. Elle demande que son médicament soit approuvé pour la dissolution des calculs biliaires, utilisation qui se situe hors du champ du brevet 590 d'AXCAN. Pharmascience fait en outre valoir qu'elle entend prendre un certain nombre de mesures pour éviter toute contrefaçon du brevet d'AXCAN.

[27]            Pour Pharmascience, il ressort de la preuve que les médecins ne prescriront pas son produit pour le traitement de la CBP, mais qu'ils continueront de prescrire l'URSO. Il sera clairement indiqué, dans la monographie du produit de Pharmascience, que le pms-URSODIOL n'est pas un médicament approuvé pour le traitement de la CBP.

[28]            Pharmascience fait en outre valoir qu'un fabricant de produits pharmaceutiques génériques ne devrait pas être écarté du marché en raison d'une possibilité purement éventuelle de contrefaçon. Il faut, en effet, démontrer le caractère inévitable d'une telle contrefaçon.

L'affidavit de M. Gallo

[29]            M. Gallo occupe, chez Pharmascience, les fonctions de directeur des affaires réglementaires. Il est diplômé en chimie et travaille chez Pharmascience depuis 1993. Il est chargé de tous les dossiers soumis par Pharmascience au gouvernement fédéral du Canada, dossiers tels que les présentations abrégées de drogue nouvelle.

[30]            M. Gallo a produit un résumé des informations qui peuvent être obtenues auprès de Santé Canada sur l'ursodiol.

[Traduction]

Date

Marque

Propriétaire

Observations

12 septembre 1991

Urosfalk

Jouveinal Inc.

Capsules de 250 mg - Agent litholytique

11 mars 1996

Urosfalk

Jouveinal Inc.

Nouvelle indication : traitement des maladies hépatiques cholestatiques telles que la cirrhose biliaire primitive.

12 août 1997

Urosfalk

Axcan Pharma Inc.

Il semble y avoir eu un changement, la fabrication et la propriété de la marque étant passées de Jouveinal Inc. à Axcan Pharma Inc.

1er novembre 1998

Urso

Axcan Pharma Inc.

Prévoit une nouvelle posologie (comprimés de 250 mg). Ursofalk est rebaptisé Urso.

30 janvier 2001

Urso

Axcan Pharma Inc.

L'indication thérapeutique de ce produit pour la dissolution des calculs biliaires est supprimée.

19 juin 2002

Urso

Axcan Pharma Inc.

Le produit est offert dans une nouvelle concentration de 500 mg pour les maladies hépatiques cholestatiques.

9 septembre 2002

Urso

Axcan Pharma Inc.

Le médicament sous forme de comprimé de 500 mg est rebaptisé, Urso devenant Urso DS.

[31]            Jointe à son affidavit est la monographie du produit de l'URSOFALK, fabriqué par Jouveinal Inc., et de l'URSO fabriqué par AXCAN. En 1991, la monographie du produit de l'URSOFALK donnait comme indication thérapeutique [traduction] « la dissolution des calculs biliaires et le traitement des symptômes connexes » . Selon la version révisée en 1996 de la monographie du produit, l'ursodiol pouvait être utilisé pour dissoudre les calculs biliaires et pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques telles que la CBP. Cependant, la monographie de produit en date de janvier 2001 a été modifiée pour supprimer des indications thérapeutiques la dissolution des calculs biliaires.

[32]            M. Gallo a confirmé que, selon la monographie du produit du pms-URSODIOL, ce médicament ne doit être utilisé que comme agent litholytique pour la dissolution des calculs biliaires. Il ressort de la monographie de produit que le pms-URSODIOL n'est pas approuvé pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques telles que la CBP. M. Gallo a également confirmé que l'inscription concernant le pms-URSODIAL à être publiée dans le Compendium of Pharmaceutical Specialities (CPS) précisera que ce produit n'est pas approuvé pour le traitement de la CBP.

[33]            Enfin, M. Gallo a produit des renseignements indiquant que l'ursodiol était utilisé au Canada entre 1991 et 2001 pour le traitement des calculs biliaires, et qu'il sert encore à cette fin dans de nombreux pays.

Le contre-interrogatoire de M. Gallo

[34]            M. Gallo a déclaré ne pas savoir si les vendeurs de Pharmascience avaient eu une formation particulière, mais il affirme qu'ils observent la réglementation en vigueur et, pour la promotion de la monographie de leur produit, se fondent uniquement sur la documentation réglementaire approuvée.

[35]            Selon M. Gallo, les sociétés pharmaceutiques ne peuvent faire état que des utilisations approuvées lorsqu'ils font la promotion de leurs produits. En l'occurrence, Pharmascience demande l'approbation de son produit pour la dissolution des calculs biliaires. Par conséquent, si ce produit n'est pas approuvé pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques telles que la CBP, il ne peut (ou du moins, ne devrait pas) servir à cet usage.

[36]            On lui a demandé, au cours de son contre-interrogatoire, s'il pouvait affirmer avec certitude que le produit de Pharmascience (le pms-URSODIOL) serait ou ne serait pas utilisé pour le traitement de la CBP. M. Gallo a répondu que Pharmascience ne ferait état que d'une seule indication dans sa publicité, soit la dissolution des calculs biliaires. Par conséquent, le pms-URSODIOL ne devrait pas être utilisé pour le traitement de la CBP.

[37]            M. Gallo a expliqué que son service était chargé de distribuer la monographie du produit aux chefs de produit ainsi qu'au Service de l'information médicale, en plus d'être chargé d'approuver l'étiquette apposée sur le produit.

L'affidavit du Dr Macdonald

[38]            Le Dr Macdonald est un chirurgien général pratiquant à Halifax (Nouvelle-Écosse). Il a reçu son diplôme en médecine en 1963 et terminé son internat en 1967. Il effectue des cholécystectomies ou cholécystectomies laparoscopiques, c'est-à-dire l'ablation de la vésicule biliaire en cas de calculs biliaires. Dans son affidavit, il dit que certains de ses patients souffrent de calculs biliaires mais qu'on ne peut pas toujours envisager une intervention chirurgicale. Dans ces cas précis, il prescrit l'emploi de l'URSO tout en sachant que l'emploi de ce médicament n'est plus approuvé, comme il l'était auparavant, pour dissoudre les calculs biliaires.

[39]            Un médicament peut en effet être employé dans une indication non approuvée; on dira alors qu'il s'agit d'une utilisation [traduction] « non indiquée sur l'étiquette » . On a recours à un tel emploi lorsque le médecin et son patient conviennent que ce serait dans l'intérêt du patient. En général, cependant, les médecins hésitent à faire un tel emploi étant donné qu'ils risquent de s'exposer à des critiques en cas d'effets secondaires ou de complications. Si le Dr Macdonald n'hésite pas à utiliser l'URSO de cette manière, c'est parce qu'il emploie ce médicament depuis si longtemps, y compris à l'époque où ce médicament était destiné à dissoudre les calculs biliaires, qu'il connaît l'innocuité du procédé et ne voit pas pourquoi l'URSO ne serait pas employé à cette fin.

[40]            Cela dit, il estime qu'un médecin en début de carrière aujourd'hui et qui n'aurait donc aucune connaissance de l'URSO ne prescrirait vraisemblablement ce médicament que pour les indications actuellement prévues. Ainsi, si le produit de Pharmascience est approuvé pour la dissolution des calculs biliaires, il est probable qu'il ne sera employé qu'à cette fin. Il ajoute que la CBP est une maladie qui présente un grand risque pour la vie du patient. Ce serait donc trop risqué que de prescrire l'emploi du produit de Pharmascience pour le traitement d'une CBP alors qu'il est expressément prévu qu'il s'agit là d'une utilisation non approuvée.

L'affidavit du Dr Davies

[41]            Le Dr Davies est un spécialiste de la médecine interne et plus particulièrement des maladies du système digestif. Il pratique la médecine depuis plus de 25 ans. Il a reçu son diplôme en médecine en 1974 et son diplôme de spécialiste en 1978. Le Dr Davies possède une vaste expérience dans le traitement des calculs biliaires.

[42]            Il est d'accord avec le Dr Shaffer pour dire que le traitement habituel des calculs biliaires est la cholécystectomie laparoscopique, c'est-à-dire l'ablation chirurgicale des calculs et de la vésicule biliaire. Il précise cependant que pour certains patients souffrant de calculs biliaires, on ne peut pas envisager une intervention chirurgicale. Pour eux, il faut donc trouver un autre traitement. Le Dr Davies n'est par contre pas d'accord avec le Dr Shaffer lorsqu'il s'agit des calculs biliaires asymptomatiques. Dans les cas où on ne peut pas envisager une intervention chirurgicale, il lui est arrivé de prescrire la prise d'URSO pour dissoudre les calculs biliaires.

[43]            Il a joint à son affidavit des extraits d'un document publié par AXCAN en 2000 faisant état d'études concernant l'efficacité de l'ursodiol pour dissoudre les calculs biliaires.

[44]            Lorsqu'il prescrit un médicament, le Dr Davies consulte la monographie du produit ou l'inscription au CPS. D'après lui, la prescription de l'URSO pour dissoudre les calculs biliaires est considérée comme une utilisation [traduction] « non indiquée sur l'étiquette » . Il hésite à prescrire une utilisation [traduction] « non indiquée sur l'étiquette » étant donné les risques auxquels un tel emploi l'expose sur les plans juridique et médical. Il lui arrive de prescrire une utilisation [traduction] « non indiquée sur l'étiquette » s'il n'existe aucun autre médicament ou encore, lorsqu'il n'existe aucune indication contraire, lorsqu'il s'agit d'une pratique généralement admise ou lorsqu'aucun autre traitement ne convient à l'état de santé du patient.

[45]            Le Dr Davies a expliqué que sur le formulaire de l'Ontario, l'URSO figure en tant que médicament à emploi limité. Afin que ses patients puissent bénéficier du régime d'assurance-médicament de l'Ontario, il lui faut donc remplir un formulaire d'ordonnance du gouvernement provincial.

[46]            Il a déclaré qu'il utiliserait le produit de Pharmascience pour dissoudre les calculs biliaires si cet usage était approuvé par Santé Canada, ajoutant qu'il ne prescrirait pas le produit de Pharmascience pour le traitement de la CBP si la monographie du produit indique spécifiquement que ce produit n'est pas approuvé pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques.

[47]            Ni le Dr Davies ni le Dr Macdonald n'ont été contre-interrogés.

ANALYSE

La demanderesse est-elle parvenue, comme il lui incombait de le faire, à établir que l'avis d'allégation transmis par Pharmascience n'est pas fondé?

[48]            En l'espèce, la seconde personne sollicite la délivrance d'un avis de conformité pour l'emploi d'un composé connu destiné au traitement des calculs biliaires. La première personne est titulaire d'un brevet portant sur l'utilisation de l'ursodiol pour le traitement de la CBP. AXCAN fait essentiellement valoir que le marché de l'ursodiol employé pour dissoudre les calculs biliaires est un marché limité et en baisse. Elle estime, par conséquent, que si le produit de Pharmascience est approuvé, il sera non seulement vendu à ceux qui le destinent à la dissolution de calculs biliaires, mais également employé par les pharmaciens, les médecins et les patients comme moyen moins coûteux de traiter la CBP. L'utilisation du produit de Pharmascience pour traiter la CBP constituerait une contrefaçon du brevet 590.

[49]            Avant qu'une drogue contenant un médicament puisse être vendue au Canada, il faut obtenir au préalable un avis de conformité. Les avis de conformité sont délivrés au titre de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues. Le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pris dans leur ensemble constituent un cadre réglementaire instaurant deux procédures obligatoires : une procédure administrative permettant d'assurer l'innocuité et l'efficacité de la drogue en question, et une procédure judiciaire permettant de protéger les intérêts du titulaire du brevet (DORS/98-105). Le ministre ne peut pas délivrer un avis de conformité sans tenir compte des conclusions découlant de ces deux procédures (Roger T. Hughes et John H. Woodley, Hughes and Woodley on Patents, 2e éd. volume 1 (Markham, LexisNexis Canada Inc., 2005) à la page 210).

[50]            La Cour veille sur le processus judiciaire traitant du droit du titulaire du brevet. Il lui appartient de s'assurer que la « seconde personne » ne porte pas atteinte au monopole que la loi confère à la « première personne » . En l'espèce, la revendication en cause est une revendication pour l'utilisation du traitement de la CBP. Ainsi qu'il en a été décidé dans l'arrêt Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (Genpharm Inc. c. Ministre de la Santé et autres), [2003] 1 C.F. 402 (C.A.), aux paragraphes 42 à 44 :

Les revendications en cause dans le présent appel sont les revendications pour l'utilisation. Par conséquent, les mots pertinents du sous-alinéa 5(1)b)(iv) sont : « une revendication pour l'utilisation du médicament ne serai[t] contrefaite [. . .] advenant [...] la vente par elle [le fabricant de génériques] de [sa] drogue » .

Les mots « ne serai[t] contrefaite » ne sont pas suivis d'une restriction. En d'autres termes, le sous-alinéa 5(1)b)(iv) ne dit pas, comme Genpharm le prétend, que la contrefaçon doit être le fait du fabricant de génériques. Au contraire, en se référant expressément aux ventes par le fabricant de génériques ( « la vente par elle » ), le gouverneur en conseil s'est intéressé au moment où il est pertinent d'assimiler des actes à ceux du fabricant de génériques en vertu du Règlement. Le gouverneur en conseil n'ayant pas employé la même expression « par elle » à propos de l'acte de contrefaçon dans le même sous-alinéa, il ne peut avoir voulu limiter nécessairement la contrefaçon aux actes du fabricant de génériques lui-même. Lorsque Genpharm dit que l'acte de contrefaçon doit être celui du fabricant de génériques, elle ajoute au Règlement, ce que la Cour ne doit pas faire.

Dans le cas d'un brevet d'utilisation, si la vente d'un produit du fabricant de génériques a pour effet la contrefaçon du brevet par des patients qui font de ce produit une utilisation protégée, il y aura contrefaçon du brevet pour les fins du Règlement. Le lien entre le fabricant de génériques et la contrefaçon par le patient est la vente du produit par ce fabricant.

[51]            Il est bien établi en droit que la contrefaçon d'un brevet d'utilisation, selon le Règlement, peut être le fait d'autres que le fabricant de génériques. Un tel brevet peut effectivement être contrefait par des tiers tels que des patients. Il y a contrefaçon lorsque des tiers utilisent un médicament vendu par un fabricant de génériques même si celui-ci ne les incite pas à le faire (Procter & Gamble (Genpharm), précité, et Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé national et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190 (CFPI), à la page 203).

[52]            L'alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets empêche la contrefaçon d'un brevet tant de manière directe qu'indirecte.

55.2(4) Afin d'empêcher la contrefaçon d'un brevet d'invention par l'utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d'un titre visé à l'alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

55.2(4) The Governor in Council may make such regulations as the Governor in Council considers necessary for preventing the infringement of a patent by any person who makes, constructs, uses or sells a patented invention in accordance with subsection (1), including, without limiting the generality of the foregoing, regulations

(e) generally governing the issue of a notice, certificate, permit or other document referred to in paragraph (a) in circumstances where the issue of that notice, certificate, permit or other document might result directly or indirectly in the infringement of a patent.

Le fardeau de la preuve en ce qui concerne la non-contrefaçon

[53]            La partie qui plaide l'absence de contrefaçon doit produire un exposé détaillé à l'appui de sa thèse afin d'offrir au titulaire du brevet une chance raisonnable de réfuter les allégations de non-contrefaçon. En dernière analyse, cependant, c'est à la demanderesse qu'il appartient de démontrer que les éléments de preuve produits par la défenderesse ne justifient pas l'allégation de non-contrefaçon (Nu-Pharm Inc. c. Eli Lilly and Co., [1996] A.C.F. no 904, (C.A.F.) (QL), aux pages 16 à 22; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] A.C.F. no 1882 (1re inst.) (QL)).

[54]            S'agissant d'une revendication pour l'utilisation, le simple fait qu'un fabricant de génériques vend le produit ne suffit pas à démontrer qu'il y a contrefaçon. Pour prouver la contrefaçon, il faut en effet que soient produites des preuves permettant de conclure que les actes et les intentions de la seconde personne entraîneraient inévitablement l'utilisation de son produit pour l'indication protégée par le brevet délivré à la première personne. Il appartient à la première personne de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y aura effectivement contrefaçon. Afin d'obtenir une ordonnance d'interdiction, la première personne doit démontrer que si un avis de conformité est délivré et que la seconde personne commercialise son produit, des patients ou d'autres tiers contreferont le brevet d'utilisation dont la première personne est titulaire (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2002), 22 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.)).

Interprétation du brevet

[55]            Avant de me pencher sur la question de la contrefaçon, il me faut d'abord cerner les éléments essentiels de l'invention revendiqués par AXCAN dans son brevet 590 (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43).

[56]            Ainsi que nous l'avons vu plus haut, le brevet 590 ne contient qu'une seule revendication. Les éléments essentiels du brevet 590 peuvent aisément être résumés dans les termes suivants : l'utilisation de l'ursodiol pour le traitement de maladies hépatiques cholestatiques telles que la CBP.

Analyse

[57]            La question précise à laquelle il convient maintenant de répondre est celle de savoir si AXCAN a effectivement produit des preuves tendant à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de non-contrefaçon avancées par Pharmascience ne sont pas justifiées. Je fais mienne la démarche adoptée par le juge Sexton de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt AB Hassle, précité, au paragraphe 57 :

[...] S'il y avait une quelconque possibilité qu'un patient consomme un produit générique pour une utilisation brevetée, alors le produit générique ne serait pas approuvé. Cela empêcherait l'autorisation de nouvelles utilisations de médicaments existants, car il est toujours possible que quelqu'un, quelque part, utilise le médicament pour l'objet breveté et interdit. Cette position mènerait à une véritable injustice : comme la société qui fabrique des génériques ne peut raisonnablement contrôler comment chacun dans le monde utilise son produit, empêcher le fabricant de génériques de commercialiser son produit contribuerait à conforter et élargir davantage le monopole des titulaires de brevet. Les titulaires de brevet se trouveraient de ce fait à contrôler effectivement non seulement les nouvelles utilisations d'un composé existant, mais le composé lui-même, même si celui-ci n'est pas protégé par le brevet au départ. Les titulaires de brevet auraient ainsi un avantage qu'ils ne devaient pas avoir. En fin de compte, la société serait privée de l'avantage des nouveaux modes d'utilisation des produits pharmaceutiques existants, disponibles à un coût inférieur. [Non souligné dans l'original.]

[58]            Pharmascience a en l'espèce saisi la Cour de la monographie de son produit ainsi que d'un exemplaire des étiquettes apposées sur les flacons du produit. Doit en effet être déposée une monographie de produit exposant l'utilisation à laquelle ce produit est destiné une fois sa mise en marché approuvée par le ministre. Une fois l'approbation donnée, une monographie de produit définitive est émise par le ministre parmi les divers documents constituant l'avis de conformité.

[59]            Dans la monographie de produit déposée relativement à la présentation, on a cherché à obtenir l'autorisation d'utiliser le pms-URSODIOL comme agent litholytique pour dissoudre les calculs biliaires (dossier de la défenderesse, vol. 1, onglet J, p. 255). Voici en quels termes était rédigée cette monographie:

                                [traduction]

Indication et utilisation médicale

L'utilisation du pms-URSODIOL est indiquée pour dissoudre les calculs biliaires ainsi que pour le traitement des symptômes connexes pour les patients chez qui on a constaté, dans une vésicule biliaire opacifiante, la présence de calculs biliaires non calcifiées de moins de 20 mm transparents aux rayons-X et chez qui une cholécystectomie serait indiquée sauf dans le cas :

-              de patients qui refusent de se soumettre à une intervention chirurgicale,

-              de ceux qui, en raison d'une maladie systémique, de leur âge ou de réactions particulières à une anesthésie générale, encourraient un risque accru en cas de chirurgie. [...]

[60]            La monographie du produit précise que ce produit de Pharmascience n'est pas approuvé pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques (dossier de la défenderesse, vol. 1, onglet J, p. 256) :

[...] Le pms-URSODIOL n'est pas approuvé pour le traitement des maladies hépatiques cholestatiques telles que la cirrhose biliaire primitive (CBP).

[61]            L'étiquette versée au dossier est rédigée dans les termes suivants :

Texte de l'étiquette - pms-URSODIOL comprimés de 250 mg - flacon de 100 comprimés

AGENT LITHOLYTIQUE

Chaque comprimé contient : 250 mg ursodiol USP.

Posologie chez l'adulte : 8 à 10 mg/kg/par jour en 2 doses fractionnées, 1 comprimé le matin avec le petit déjeuner et 2 ou 3 comprimés avant de se coucher avec de la nourriture. Maximum 5 comprimés par jour.

L'innocuité et l'efficacité de pms-Ursodiol chez les enfants n'ont pas été établies. Garder ce médicament et tous les autres médicaments hors de la portée des enfants.

Monographie du produit disponible sur demande aux professionnels de la santé. Pharmacien: Distribuer avec le dépliant d'information aux patients, ci-inclus.

Conserver à température contrôlée (15o à 30oC) dans des contenants fermés

LOT

EXP.

100 Tablets             DIN 00000000

        Comprimés

               

Pr pms-URSODIOL

Ursodiol Tablets UPS

Comprimés d'ursidiol UPS

250 mg

LITHOLYTIC AGENT

Each tablet contains: 250 mg Ursodiol USP

Adult Dosage: 8 to 10mg/kg/day, in 2 divided doses, 1 tablet in the morning with breakfast and 2 to 3 tablets before bedtime with snacks. Maximum 5 tablets daily.

The safety and efficacy of pms-Ursodiol in children has not been established. Keep this medication and all other medication out of the reach of children.

Product Monograph available to health professionals on request.

Pharmacist: Dispense with enclosed Patient Information Leaflet.

Store at controlled room temperature (15o to 30oC) in a closed container

PHARMASCIENCE INC

Montréal, CANADA H4P 2T4

[62]            Pharmascience a en outre versé au dossier les affidavits des Drs Davies et Macdonald, qui tous deux conviennent que le produit de Pharmascience serait utile dans certains cas et qui ne recommanderaient pas son emploi pour des utilisations autres que celles qui ont été approuvées. Comme ils l'ont fait remarquer, la CBP est une maladie qui met la vie du patient en danger. En prescrivant pour le traitement de cette maladie un médicament qui n'est pas approuvé, ces médecins s'exposeraient tant à des critiques qu'à des difficultés d'ordre juridique si le patient éprouve des complications ou des effets secondaires. De plus, puisque la monographie du produit précise que celui-ci n'est pas approuvé pour le traitement de la CBP, le fait d'en prescrire l'emploi pourrait soulever inutilement des inquiétudes chez le patient.

[63]            Tentant de démontrer que l'avis d'allégation transmis par la demanderesse n'est pas justifié, AXCAN a versé au dossier les affidavits du Dr Shaffer et de M. Andrew. Dans son affidavit, M. Andrew déclare qu'il proposerait le produit de Pharmascience à ses patients comme produit de remplacement moins coûteux. Lors de son contre-interrogatoire, toutefois, lorsqu'on lui a demandé s'il donnerait du Wellbutrin au lieu du Zyban, M. Andrew a répondu par la négative étant donné que les deux médicaments servent à des usages différents. Lorsqu'on l'a interrogé au sujet de ces deux produits, cependant, il a clairement dit que les deux produits avaient le même ingrédient actif et que la posologie était, elle aussi, identique. Si M. Andrew n'est pas disposé à remplacer le Wellbutin par du Zyban, bien qu'il s'agisse en fait de la même drogue, pourquoi remplacerait-il l'URSO par du pms-URSODIOL? Ses déclarations sur ce point minent la valeur probante de son témoignage.

[64]            En ce qui concerne l'appréciation des témoignages livrés par les trois médecins, je préfère les explications offertes par le Dr Davies et le Dr Macdonald quant aux raisons pour lesquelles ils ne prescriraient pas le produit de Pharmascience pour le traitement de la CBP. J'estime que l'affidavit du Dr Shaffer, ainsi que son témoignage en contre-interrogatoire, paraissent moins fiables puisque ses explications sur les statistiques qu'il a fournies et celles issues d'un manuel faisant autorité sont problématiques.

[65]            AXCAN allègue qu'il ressort de la preuve que l'intention de Pharmascience entraînerait inévitablement l'utilisation de son produit pms-URSODIOL pour le traitement de la CBP étant donné que le pms-URSODIOL n'est pas approuvé pour la dissolution de calculs biliaires et que Pharmascience a inclus dans la monographie de son produit des études établissant la bioéquivalence de son produit au produit d'AXCAN.

[66]            Il est vrai que le pms-URSODIOL n'est pas encore approuvé pour la dissolution des calculs biliaires. Cela dit, rappelons qu'un avis de conformité ne peut être délivré que (1) si le médicament en question ne contrefait pas un brevet et (2) si des preuves ont été déposées auprès du ministre de la Santé démontrant que l'utilisation que Pharmascience cherche à faire approuver est efficace et sans danger. C'est donc au ministre qu'il appartient de décider si, compte tenu des preuves dont il dispose, il entend approuver le pms-URSODIOL pour la dissolution des calculs biliaires. Si le ministre décide que le produit proposé par Pharmascience ne constitue pas un médicament efficace et sans danger pour le traitement des calculs biliaires, il refusera de délivrer l'avis de conformité.

[67]            AXCAN prétend que la référence à son produit qui figure dans la monographie du produit de Pharmascience entraînera inévitablement une contrefaçon. Je ne suis pas de cet avis. Rappelons, en effet, que pour obtenir un avis de conformité, un fabricant de produits génériques doit démontrer l'innocuité et l'efficacité de sa drogue. Or, la loi prescrit que pour ce faire, les renseignements nécessaires peuvent être soumis par voie de présentation de drogue nouvelle ou de présentation abrégée de drogue nouvelle. La partie qui opte pour la présentation abrégée de drogue nouvelle peut renvoyer à la drogue d'une autre partie qui a déjà fait l'objet d'un avis de conformité, démontrer la bioéquivalence de sa drogue à celle de l'autre partie et fournir d'autres renseignements. Cette procédure est plus simple et moins coûteuse.

[68]            C'est exactement la manière dont Pharmascience a procédé. Pour donner les renseignements voulus concernant l'innocuité et l'efficacité de son produit, Pharmascience s'est en partie fondée sur les données recueillies par AXCAN. Il est donc parfaitement normal que Pharmascience se soit dans une certaine mesure fondée sur ces renseignements. La loi ne l'interdit aucunement. D'après moi, cela ne tend pas à prouver que l'intention de Pharmascience est de vendre son produit pour le traitement de la CBP.

[69]            J'estime en conséquence qu'AXCAN ne s'est pas acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l'avis d'allégation de Pharmascience n'était pas justifié.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.

2.         Le ministre de la Santé n'ayant pas présenté d'observations écrites, il n'aura pas droit aux dépens.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             T-2368-03

INTITULÉ :                                                                            AXCAN PHARMA INC.

                                                                                                c.

                                                                                                PHARMASCIENCE INC.

                                                                                                et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 6 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                       LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 12 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

François Grenier                                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Warren Sprigings                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                                PHARMASCIENCE INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Léger Robic Richard                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)                                                                   

Hitchman & Sprigings                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                      PHARMASCIENCE INC.

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Montréal (Québec)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.