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Date : 20050421

Dossier : T-2137-04

Référence : 2005 CF 545

Toronto (Ontario), le 21 avril 2005

En présence de monsieur Roger R. Lafrenière, protonotaire                                 

ENTRE :

                                            PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                                APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La seule question à trancher consiste à établir s'il y a lieu d'accorder à la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) un délai additionnel pour signifier et produire ses affidavits et pièces documentaires en vertu de l'article 307 des Règles des Cours fédérales (les Règles).


[2]                L'échéancier qui régit les étapes procédurales dans la présente instance a été établi par ordonnance du juge de Montigny en date du 21 janvier 2005 (l'ordonnance établissant l'échéancier) suivant une requête des demanderesses Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. (ci-après désignées au singulier par « Pfizer » ) en vue d'obtenir une prolongation de délai pour signifier et produire leur preuve par affidavit. Lors de l'audition de la requête de Pfizer, Apotex a consenti à signifier et produire sa preuve par affidavit dans les 45 jours suivant la signification de la preuve de Pfizer. Apotex demande maintenant trois mois additionnels pour produire sa preuve par affidavit et un délai additionnel du même ordre pour les étapes subséquentes de l'instance.

[3]                Apotex soutient qu'un délai additionnel est justifié compte tenu du volume et de la complexité de la preuve de Pfizer de même que des horaires chargés de ses experts qui examineront cette preuve. Pfizer s'oppose à la requête au motif que tout délai additionnel dans le déroulement de l'instance lui causerait un préjudice et qu'on ne devrait pas permettre à Apotex de revenir sur sa position, à savoir que le délai de 45 jours était suffisant.

                                                                     

Contexte

[4]                En ce qui concerne l'historique de l'affaire, Apotex a, en vertu du Règlement, produit son avis d'allégation à l'égard des lettres patentes canadiennes no 2,044,748 (le brevet 748) le 18 octobre 2004, alléguant que le brevet 748 était invalide. Au soutien de son avis d'allégation, Apotex renvoie à 83 antériorités.     


[5]                Pfizer a introduit la présente instance en réponse à l'avis d'allégation, demandant une ordonnance en vertu de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) pour interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex pour son produit sildenafil.    

[6]                En décembre 2004, Pfizer a déposé une requête demandant, entre autres redressements, une prolongation de délai de trois mois au delà du délai prévu aux Règles pour la signification et la production de sa preuve par affidavit. Dans le contexte de cette requête, Pfizer a donné un avis de la nature et de l'étendue de la preuve qu'elle entendait présenter en l'espèce. Pfizer a dit spécifiquement qu'elle entendait présenter le témoignage de cardiologues et de chimistes médicaux, de pharmacologues possédant une expertise en cardiologie, pneumologie, ophtalmologie, gastro-entérologie, et en inhibiteurs de PDE en général. Pfizer a également annoncé que plus de 100 antériorités avaient déjà été identifiées et étaient possiblement en cause, outre celles apparaissant dans l'avis d'allégation d'Apotex.

[7]                Apotex s'est vigoureusement opposée à la demande de prolongation de délai de Pfizer. L'avocat d'Apotex l'a qualifiée d' « extraordinaire » et de « sans précédent dans les instances en vertu du Règlement » . Lors de l'audition de la requête, l'avocat a consenti à ce que Apotex dépose sa preuve dans les 45 jours suivant la signification de la preuve de Pfizer.


[8]                Le juge de Montigny a donné à Pfizer jusqu'au 1er mars 2005 pour signifier et déposer sa preuve après avoir pris en considération la complexité des questions soulevées et le nombre d'allégations faites par Apotex. L'ordonnance établissant l'échéancier accordait également à Apotex un délai qui dépassait de 15 jours le délai prévu à l'article 308 des Règles pour signifier et produire sa preuve en réponse.

[9]                La présente requête est appuyée par l'affidavit de M. Ivor Hughes, qui est l'un des avocats d'Apotex. Selon M Hughes, Apotex a réalisé que le délai de 45 jours auquel elle avait consenti devant le juge de Montigny serait insuffisant lorsque ses avocats ont reçu la preuve par affidavits de Pfizer le 1er mars 2005. Cette preuve consistait en 7 affidavits soumis par des experts et 6 volumes de références, comprenant 160 références additionnelles outre les 83 références dont Apotex fait mention dans son avis d'allégation. Apotex a demandé à Pfizer de consentir à un délai de même durée que celui qui lui avait été consenti afin de lui permettre de compléter et produire sa preuve, mais Pfizer a refusé tout délai additionnel.

[10]            M. Hughes affirme dans son affidavit qu'en raison de l'ampleur de la preuve déposée par Pfizer, il serait impossible de respecter les délais fixés dans l'échéancier. Il fait ensuite mention des communications entre l'avocat d'Apotex et les sept experts qu'elle a retenus pour examiner les documents soumis. Tous sont d'avis que 45 jours ne suffiront pas pour étudier comme il se doit la preuve de Pfizer et préparer une réponse adéquate.


[11]            Un courriel de M. D.H. Maurice, un des experts retenus par Apotex, est joint comme pièce au soutien de l'affidavit de M. Hughes. M. Maurice parle brièvement de la [traduction] « masse de preuve » qu'il a reçue et indique qu'il serait « quasi impossible » de respecter l'échéance du 15 avril. M. Maurice conclut son courriel en demandant s'il serait possible d'obtenir un délai additionnel de 60 jours. Dans un autre courriel du deuxième expert, M. Jackie Corbin, il est question d'un délai similaire, essentiellement pour les mêmes raisons.   

Analyse

[12]            Dans Canada (AG) c. Hennelly (1999), 244 NR 399, la Cour d'appel fédérale énonce quatre facteurs dont la Cour doit tenir compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le demandeur est habituellement tenu d'établir :

a)         une intention constante de poursuivre la demande;

b)         que la demande est bien fondée;

c)         qu'aucun préjudice ne résultera du délai; et

d)         qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[13]            Les parties conviennent que la considération sous-jacente dont la Cour doit tenir compte dans sa décision d'accorder un délai est que justice soit faite entre les parties. Dans la quête de justice, il est souvent nécessaire de soupeser les facteurs pertinents.


[14]            L'avocat de Pfizer n'a pas pris position à l'égard de l'intention de Apotex de continuer à s'opposer à la requête. Il a également abandonné son objection suivant laquelle Apotex n'avait pu établir une cause défendable dans son argumentation orale. Il a maintenu toutefois que les deux derniers critères applicables à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de prolonger le délai n'ont pas été établis par Apotex.

[15]            En ce qui a trait au préjudice, Apotex n'a pu démontrer que Pfizer ne serait pas affectée négativement par l'octroi d'un délai additionnel de trois mois. Premièrement, le délai est assez important et pourrait compromettre l'audition en temps opportun de la demande d'interdiction dans la période de sursis législatif de 24 mois prévue à l'alinéa 7(1)e) du Règlement. Deuxièmement Pfizer demeurerait exposée, en vertu de l'article 8, à une poursuite en dommages-intérêts pour toute perte subie en raison du délai additionnel. Le préjudice possible auquel Pfizer serait exposée milite contre l'octroi du délai.

[16]            En ce qui a trait à l'explication avancée par Apotex pour le délai, elle m'apparaît moins que satisfaisante. Au paragraphe 16 de son affidavit, M. Hughes déclare qu'une période de 45 jours n'est pas suffisante pour permettre aux experts de Apotex d'examiner valablement la preuve de Pfizer et de préparer une réponse en conséquence. Son évaluation est en grande partie fondée, toutefois, sur des déclarations rapportées de certains des experts retenus par Apotex, ce qui à maints égards est insatisfaisant.    


[17]            Plus particulièrement, on ne sait pas si les experts d'Apotex avaient une connaissance antérieure des références additionnelles citées par les experts de Pfizer ou si les références étaient inattendues. On n'explique pas non plus pourquoi chaque expert doit revoir l'ensemble de la preuve déposée par Pfizer. En outre, suivant ce qui se dégage des courriels de MM. Maurice et Corbin, il semble que les experts d'Apotex ignoraient que les demandes d'interdiction devaient procéder avec diligence.

[18]            S'agissant de la longueur du délai demandé, la preuve soumise par Apotex n'explique pas clairement pourquoi les experts ont besoin de 60 jours pour examiner les documents soumis par Pfizer et les avocats, d'un délai additionnel de 30 jours pour préparer les affidavits. Apotex soutient qu'elle ne demande pas plus de temps que celui alloué à Pfizer pour déposer sa preuve.      C'est un argument qui sonne plutôt creux. Le fait que Pfizer ait obtenu un délai peut être indicatif de la complexité de la procédure, mais n'établit pas qu'un délai correspondant devrait être consenti à Apotex. Chaque cause doit être jugée suivant son bien-fondé.   

[19]            Enfin, pour voir sa requête accueillie, Apotex devait non seulement établir qu'elle avait besoin de plus de temps pour déposer sa preuve, mais aussi que le délai de 15 jours accordé par le juge de Montigny était insuffisant en raison d'éléments apparus ou découverts postérieurement à l'ordonnance établissant l'échéancier.


[20]            On ne peut ignorer le fait qu'un délai de 15 jours a déjà été accordé à Apotex. Apotex s'est vigoureusement opposée à la prorogation accordée à Pfizer, le qualifiant d'extraordinaire et de sans précédent. Dans une apparente tentative de minimiser la nature et la portée de la preuve de Pfizer et de convaincre le juge de Montigny que la demande de prorogation de Pfizer était déraisonnable, Apotex a consenti à un délai de 45 jours pour signifier sa propre preuve en réponse.

[21]            Dans son affidavit, M. Hughes déclare qu'Apotex ne savait pas ou ne pouvait prévoir que Pfizer déposerait la preuve de 7 témoins experts et 6 volumes de références. L'affirmation de M. Hughes est quelque peu surprenante lorsqu'on prend en considération la preuve passablement détaillée déposée par Pfizer à l'appui de sa requête antérieure.   

[22]            Selon moi, Apotex a reçu un avis assez juste pour ce qui est du nombre approximatif d'affidavits d'experts qu'elle recevrait de Pfizer, ainsi que du nombre d'articles auxquels les experts feraient référence. Je conclus qu'Apotex était pleinement informée de la nature et de l'étendue de la preuve que les demanderesses avaient l'intention de présenter et qu'on ne devrait donc pas lui permettre de revenir sur sa position, en l'absence d'un changement important dans les circonstances, ce qui n'a pas été établi.     


[23]            Par sa demande tardive de prorogation de délai, Apotex place la Cour dans une position délicate. Sa requête a été produite le 25 avril 2005 et devait être présentée le 11 avril 2005, soit quatre jours avant l'expiration du délai ordonné par la Cour. Bien que je considère qu'Apotex a employé des tactiques inappropriées dans la présente requête et la précédente, ce qui m'apparaît comme un défaut de coopérer raisonnablement au progrès de la demande, je suis également d'avis que lui refuser la possibilité de déposer sa preuve en réponse aurait des conséquences trop draconiennes. La partie qui commet une erreur procédurale ne devrait pas se voir refuser la possibilité de répondre à un acte de procédure à moins qu'il n'en résulte pour l'autre partie un préjudice qui ne puisse être compensé par les dépens ou autrement.

[24]            Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire en tant que protonotaire chargé de la gestion de l'instance, je considère qu'une approche libérale s'impose, et est de fait nécessaire, pour rendre justice entre les parties.    J'accorderai donc à Apotex un délai additionnel jusqu'au 31 mai 2005.    Tout préjudice que Pfizer pourrait subir peut être évité ou traité par une disposition concurrente qui prolonge le sursis légal pour une durée équivalente au délai accordé, empêche Apotex de réclamer une indemnité pour la durée du délai additionnel et accorde les dépens de la requête à Pfizer.   

                       

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

                                                                             

1.          La défenderesse Apotex Inc. se voit accorder une prorogation de délai jusqu'au 31 mai 2005 afin de signifier et déposer des pièces documentaires en vertu de l'article 307 des Règles des Cours fédérales.


2.          Le sursis de 24 mois prévu à l'alinéa 7(1)e) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) sera prolongé, en vertu de l'alinéa 7(5)b) du Règlement, pour la même durée que le délai accordé à Apotex pour signifier et produire ses affidavits et ses pièces documentaires, soit 46 jours.

3.          Apotex ne peut réclamer d'indemnité en vertu de l'article 8 du Règlement pour la durée de la prorogation, soit du 15 avril au 31 mai 2005.

4.          Le reste de l'échéancier est prolongé comme suit :

a)          les demanderesses signifieront et produiront toute requête pour permission de produire une contre-preuve dans les 21 jours suivant la signification de la preuve des défendeurs;

b)          en l'absence de toute requête pour permission de présenter une contre-preuve, les contre-interrogatoires seront menés dans les 90 jours suivant l'expiration du délai énoncé à l'alinéa a) ci-dessus;

c)          le dossier de demande des demanderesses devra être signifié dans les 30 jours suivant la conclusion des contre-interrogatoires;

d)          le dossier de demande des défendeurs sera signifié et produit dans les 40 jours suivant la signification du dossier de demande des demanderesses.


5.          Les dépens de la présente requête seront payables par Apotex aux demanderesses sans égard à l'issue de la cause.

Roger R. Lafrenière                                                                      

                                                                                                                                         Protonotaire                 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-2137-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         PFIZER CANADA INC. ET PFIZER INC.

                                                            et                                 

APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 AVRIL 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE PROROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE :                                                            21 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :   

Andrew McIntosh                                             POUR LES DEMANDERESSES

David E. Lederman                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERESKIN & PARR

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDERESSES

GOODMANS s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)                                             POUR LES DÉFENDEURS

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